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Chassé-croisé de navires de guerre dans la zone « Indo-Pacifique »

Le 23 avril, au cours d’une cérémonie présidée par le Xi Jinping lui-même, la marine chinoise a simultanément mis en service trois navires de combat de fort tonnage.

L’événement a eu lieu à l’occasion du 72e anniversaire de la marine, sur le site du complexe naval de Yulin près de Sanya au sud de l’île de Hainan, poste de commandement de la flotte du sud, dont le théâtre d’opération est la mer de Chine méridionale.

Rapide montée en puissance de la flotte de combat.

Les trois bâtiments officiellement remis à la marine, sont le lance-missiles Dalian (n° de la coque 105) de la classe Renhai 055, dernier d’une série de six croiseurs de 10 000 tonnes dont QC avait signalé la construction en juillet 2018 (lire : La marine chinoise lance deux destroyers géants.) ;

Le deuxième est le porte hélicoptères amphibie Hainan (n° de la coque 31) de la classe Yushen 075 jaugeant 36 000 tonnes.

Développés à partir de 2012, les porte-hélicoptères de cette classe - sept autres sont prévus dont deux sont en construction - ont pour objet de donner à la marine une capacité d’assaut amphibie et aéroportée (dite verticale) sur une zone côtière à conquérir.

Celle-ci pourrait être soit la côte Est très accidentée de l’Île de Taïwan où n’importe quel îlot de la mer de Chine du sud dont la conquête serait menée par une double action à la fois aérienne et amphibie depuis la mer.

Alors qu’un premier modèle aujourd’hui abandonné peut-être pour des raisons budgétaires, prévoyait d’embarquer 38 hélicoptères, la version finale n’en comptera que 28 dont l’essentiel sera composé par une flotte de Changhe Z-18 dédiés au transport.

Développés à partir d’une coopération avec le Français aérospatiale sur le modèle de base du SA 321 Super Frelon, les Z-18 ont une capacité d’emport de 13,8 tonnes ou de trois groupes de combat équipés soit une trentaine d’hommes.

Le troisième bâtiment remis à la marine ce 23 avril était un sous-marin nucléaire lanceur d’engins de la classe Jin du type 094, successeur des Xia, baptisé Changzheng (Longue Marche – n° de la coque 421).

Sixième d’une série de huit dont le premier exemplaire avait été mis en service en 2007, le Changzheng jaugeant plus de 8000 tonnes, est équipé de 12 missiles balistiques JL-2 dont la portée est de 7400 km.

La montée en puissance rapide de la marine chinoise dont les bâtiments sont construits à la vitesse record d’au moins 10 par an, devrait à court terme porter la flotte à 425 navires contre plus 335 aujourd’hui dont l’effectif est déjà supérieur à celui la flotte américaine.

Pour prendre conscience du rythme exceptionnel avec lequel la marine de l’APL se développe, il suffit de se souvenir qu’au cours des seules quatre dernières années, les chantiers navals chinois ont lancé l’équivalent en tonnage de toute la flotte britannique ou japonaise.

Globalement les estimations de puissance comparée accordent encore une prévalence à l’US Navy mieux dotée en porte-avions et possédant une meilleure expérience des stratégies aéronavales, mais le rythme de mise en service des nouveaux bâtiments est tel qu’à court terme la marine chinoise pourrait égaler et même dépasser celle des États-Unis.

De part et d’autre, des études sont en cours pour, sans abandonner les plateformes traditionnelles, explorer la mise en services d’unités navales sans équipages. Elles seraient capables non seulement de mission de reconnaissance, de patrouille et de surveillance, mais également d’attaque.

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Mer de Chine du sud. Manille à nouveau en première ligne.

Les enjeux de la compétition navale sont les « points chauds » connus de Taïwan et de la mer de Chine du sud. Déjà les marines américaine et chinoise s’y défient par des démonstrations de force, dans le Détroit de Taïwan et autour des îlots que Pékin militarise à marche forcée pour en faire des points d’appui. Écartelés entre les rivalités de puissances et leurs intérêts sur le marché chinois, les riverains se crispent.

Lire : En mer de Chine du sud, les limites de la flibuste impériale chinoise.

Les hésitations et volte-face des riverains face à la puissance de l’influence chinoise sont exprimées de manière emblématique par la trajectoire heurtée des relations entre Manille et Pékin.

Au moment même où Rodrigo Duterte, tournant le dos à Washington cherchait un accommodement avec Pékin (lire : Duterte, l’imprévisible, rebat les cartes et s’invite dans la cour des grands), il prenait aussi conscience de la force invasive des prétentions chinoises sur ses ressources d’hydrocarbure du haut-fonds de Reed (lire : Mer de Chine du sud. La carte sauvage des hydrocarbures. Le dilemme de Duterte.).

Aujourd’hui cinq années après le changement de pied de Rodrigo Duterte, rien ne va plus entre Pékin et Manille.

Le prétexte est la revendication chinoise sur le récif corallien « Whitsun » partie des Spratlys. D’une surface de 10 km2, inhabité et submergé à marée haute, les Philippins l’appellent « Julian Felipe ». S’appuyant sur le droit de la mer, ils affirment avec raison que, situé à 175 nautiques de Palawan, le récif se trouve à l’intérieur de leur ZEE.

A la mi-mars, la réclamation chinoise violant la Convention de Montego May signée par Pékin qui ne l’applique cependant qu’avec la réserve qu’elle ne contrevienne pas à ses prétentions de souveraineté sur la plus grande partie de la mer de Chine du sud, s’est exprimée de manière invasive par la présence massive de 200 bateaux de « pêche », technique éprouvée d’une intimidation par le nombre par ce qui est en réalité une milice nationale, troisième marine après la flotte de combat et les garde-côtes.

La crispation de Manille anticipe que l’insistante manœuvre chinoise par le nombre, préfigure une annexion partielle ou totale à l’instar de celles opérées par Pékin en 1995 sur le récif des Mischief (130 nautiques de Palawan) et en 2012 sur celui de Scarbourough (123 nautiques de Subic Bay).

Alors que, dans la controverse, Washington soutient les Philippines et que Duterte prenant la Chine à contrepied a décidé de renégocier le stationnement des forces américaines, les relations se sont tendues à l’extrême. Tandis que Pékin est devenu de plus en plus agressif, à Manille plus personne ne soutient la politique d’apaisement de 2016 initiée par Duterte en 2016 avec Xi Jinping.

Les Philippins et les autres riverains dont le Vietnam, la Malaisie et Brunei ne sont pas les seuls à s’irriter des prétentions souveraines de Pékin.

Le retour sur ses traces de la « Royal Navy ».

Le 26 avril, Ben Wallace, le ministre de la défense britannique annonçait que dès le mois de mai, la Royal Navy enverrait vers la Malaisie, Singapour, la mer de Chine du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande la plus importante flotte jamais rassemblée depuis 25 ans.

Entourant le porte-avions HMS Queen Elizabeth dont ce sera la mission inaugurale, capable d’embarquer 70 aéronefs dont les F-35B furtifs de 5e génération, le mouvement de la flotte vers l’Extrême Orient exprimera concrètement, dit Ben Wallace, la volonté de Londres de « s’engager avec ses alliés pour relever les défis de sécurité présents et à venir. ». (…)

Faisant clairement allusion aux projets chinois de rebattre les cartes du fonctionnement international, selon Pékin, trop contrôlé par les États-Unis et l’Occident, Wallace ajoutait que l’intention du Royaume Uni post-Brexit était de jouer un rôle actif pour « bâtir le système international du XXIe siècle ». En arrière-plan, le ministre avait en tête les conclusions de la dernière revue stratégique publiée en mars, annonçant une bascule des priorités britanniques de défense vers l’IndoPacifique.

La Chine y était clairement mentionnée comme la plus importante menace contre « la sécurité économique du Royaume Uni venant d’un État ». Tandis que l’augmentation de sa puissance était analysée comme l’élément géopolitique le plus déterminant des années à venir.

La flotte britannique, qui outre le PA Queen Elisabeth comptera deux destroyers lance-missiles, deux frégates anti-sous-marines, un sous-marin nucléaire d’attaque et un navire logistique, constituera le plus important déploiement de la Royal Navy depuis la guerre des Malouines en 1982. Il sera accompagné par un destroyer de la marine américaine et d’une frégate hollandaise.

Durant le périple qui durera plus de six mois, des exercices auront lieu au passage avec le PA Charles De Gaulle en Méditerranée et avec des unités italiennes, grecques, danoises, turques, des Émirats, d’Israël, de l’Inde, du Japon, de la Corée du sud, d’Australie et de Nouvelle Zélande. Pour l’heure, la route de la flotte vers la mer de Chine de l’Est et le Japon, passera par la mer de Chine du sud, mais évitera le Détroit de Taïwan.

Souvenirs amers.

Venant après les implications françaises récentes du PA Charles De Gaulle et du sous-marin nucléaire d’attaque Émeraude (lire : Les armes françaises en Asie) qu’une flotte de cette ampleur, battant le pavillon britannique vienne croiser dans des espaces marins que Pékin considère comme son arrière-cour stratégique exclusive et même pour les plus nationalistes, sa mer intérieure, ne peut que toucher un nerf sensible en Chine.

Ayant laissé sur le Continent et à Hong Kong de très amers souvenirs ponctués par les humiliantes défaites des guerres de l’opium, préludes au dépeçage du pays et de Hong Kong, aujourd’hui au cœur des tensions souverainistes et de la bataille sur le modèle politique, l’Union Jack, de retour dans la zone avec un tel déploiement de forces, est ressenti à Pékin comme une sérieuse blessure d’amour propre.

Interrogé sur les récents passages dans la zone de bâtiments français et le futur déploiement du porte-avion britannique et de sa flotte, le ministre chinois de la défense Wei Fenghe, 魏凤和, 67 ans ancien commandant de la force missiles de l’APL, s’est contenté de répéter la position officielle de Pékin.

Elle consiste à « s’opposer fermement à tout pays n’appartenant pas à la zone, s’immisçant dans les affaires régionales. Agissant sous le prétexte de liberté de navigation, ils portent en réalité atteinte aux intérêts communs des pays de la région. »

 

 

Au-delà de la reprise des contacts militaires, la lourde rivalité sino-américaine en Asie-Pacifique

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