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Xénophobie et nationalisme. Effet collatéral de la crise entre la Chine et l’Occident, Chloé Zhao dans la tourmente des réseaux sociaux

Depuis 2012, avec une tendance à l’exacerbation, l’actuel pouvoir à Pékin attise le sentiment national des Chinois sur le thème de la revanche des humiliations infligées à la Chine en XIXe siècle.

Le 31 octobre 2017, à Shanghai dans le siège historique du PCC de l’ancienne concession française, poing droit levé, les 7 membres du nouveau Comité Permanent du 19e Congrès prêtèrent serment au Parti. A cette occasion, Xi Jinping, évoquant les « sacrifices » exprima la douloureuse mémoire des outrages subis par la Chine.

Devant l’emblème du parti et la stèle des fondateurs historiques, le n°1, qui s’était placé en avant des six autres membres du nouveau comité permanent, s’était exprimé sur ce thème de avanies et des blessures infligées au vieil empire : « Quelle humiliation ! quelle honte ! A cette époque, la Chine n’était qu’un gros mouton à abattre « 多屈 辱 多耻辱 啊 ! 那时 的 中国 是待 宰 的肥羊 ».

La constante référence à ce pan tragique de l’histoire et à l’amertume des avanies de la relation avec l’Occident suscite depuis plusieurs années une susceptibilité hystérisée des réseaux sociaux. S’enflammant à la moindre critique adressée à la Chine, leur fureur est encore surexcitée par la défiance à l’égard de Huawei et les récentes condamnations des pays occidentaux à propos des politiques de Pékin au Xinjiang et à Hong Kong.

S’il est un sujet où le nationalisme fulmine avec une furia sans limite, c’est bien la question de Hong Kong, blessure infligée à l’unité territoriale par le cynisme sans limites des guerres de l’opium [1].

Une autre étincelle suffisamment incandescente pour allumer aussitôt les incendies du net, est la critique proférée depuis l’étranger par des Chinois expatriés. Elle est d’autant plus mal ressentie qu’elle est assénée par une célébrité.

Chloé Zhao la rebelle, prise dans l’incendie nationaliste.

La dernière victime en date de l’hystérie revancharde des internautes est une cinéaste de talent Chloé Zhao 39 ans. Le 25 avril, à la cérémonie des Césars organisée – distances barrières obligent - dans le hall de la gare de Los Angeles, elle a décroché les doubles trophées très enviés de la meilleure réalisatrice et du meilleur film pour Nomadland, déjà plusieurs fois primé au festival de Venise et au festival International de Toronto.

Deux autres récompenses ont complété le triomphe du film, celle, à Frances McDormand, meilleure actrice et celle à Joshua James Richards, meilleur directeur de la photographie.

Zhao elle-même avait déjà remporté le prix de la meilleure réalisation et du meilleur film pour le même Nomadland, lors des 78e « Golden Globe », le 28 février, et, lors de la 74e cérémonie des « British Academy Film Awards » à Londres le 10 avril, le film et ses acteurs décidément en vogue et appréciés par le public occidental et les milieux du cinéma ayant eux-mêmes été « nominés » une dizaine de fois.

Née 赵 婷- Zhao Ting - à Pékin en 1982, dans une famille aisée de Zhao Yuji 赵玉吉, son père milliardaire qui fut PDG des aciéries SHOUGANG avant de s’investir avec succès dans l’immobilier et la bourse et d’une mère agent hospitalière membre – peut-être est-ce l’ascendance atavique de du talent théâtral de Chloé – d’une troupe de comédiens itinérants de l’Armée Populaire de Libération.

Sa belle-mère, deuxième épouse de son père est Song Dandan 宋丹丹, humoriste, actrice de théâtre et de séries télévisées. En félicitant Chloé, elle a souligné que, devenue une légende dans la famille et un exemple pour les jeunes chinois, elle avait réussi dans une voie où personne ne l’avait encouragée. Manière pour Song d’évoquer le caractère opiniâtre et déterminé de sa belle-fille.

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Nous venons de le voir, Zhao n’est pas une débutante dans la mise en scène. En 2015, elle avait dirigé son premier long métrage « Les chansons que mes frères m’ont apprises - Songs My Brothers Taught Me », drame social d’un jeune écartelé entre l’appel du large et sa vie dans sa communauté minée par l’alcool et la drogue d’une réserve indienne du Dakota.

Présenté au festival de Sundance en 2015, le film, projeté au festival de Cannes la même année, avait été bien accueilli par le public français. En 2017, Zhao avait mis en scène The Rider. Encore une fois tourné dans la réserve indienne de Pine Ridge du Dakota du sud, le film explore avec une grande sensibilité et un puissant lyrisme pictural les thèmes des chocs culturels et de l’assimilation.

En arrière-plan, planent le mythe évanoui de la conquête de l’ouest et la lancinante contradiction anachronique de ces cow-boys indiens ivres de leurs grands espaces et incapables de s’accommoder à la vie moderne et aux super-marchés. En 2017, The Rider avait remporté le Grand Prix au festival du cinéma américain de Dauville. La même année à Cannes, il a reçu le prix du meilleur film de la sélection Art et Cinéma.

*

A 15 ans, Zhao quitte la Chine, envoyée par ses parents Brighton College, l’un des pensionnats privés les plus en vue d’Angleterre. Mais c’est au États-Unis qu’elle termina sa scolarité secondaire et ses études supérieures.

D’abord à Los Angeles, puis au Mount Holyoke College, célèbre institution d’éducation privée dans le Massachussets où, en 2005, à 23 ans, elle obtint un diplôme de sciences politiques et, en parallèle, un certificat en études cinématographiques. S’étant elle-même ouvert la voie artistique, elle décrocha un diplôme de cinéma et télévision à l’Institut Kanbar, affilié à l’Université de New York.

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Les deux faces du nationalisme. De l’éloge au ressentiment.

A la nouvelle du double Oscar obtenu par une compatriote, l’enthousiasme nationaliste des internautes chinois qui n’avaient pourtant pas vu le film, s’exprima d’abord sans réserve. On parla de Chloé comme la « fierté de la Chine ». La première réaction des réseaux sociaux fut positive. Certains regrettèrent même qu’un tel talent ne puisse pas s’exprimer aussi complètement en Chine.

La ferveur admirative fut aussi accompagnée par les éloges des médias officiels qui louèrent le discours souriant, simple et modeste, de cette jeune femme portant encore deux longues tresses adolescentes, dont les paroles prisaient, comme Jean-Jacques Rousseau et la pensée confucéenne, la vertueuse nature de l’homme « 人之 性本 善 ».

Elle venait de réussir l’exploit d’être la deuxième femme de l’histoire du cinéma, jamais primée à ce niveau. Aux États-Unis les médias « maintsream », décidément obsédés par la « race », titrèrent même qu’elle était la « première femme de couleur » lauréate du prix.

Le film qui explore les troubles profonds de l’Amérique sociale, raconte l’histoire d’une femme dans la soixantaine, ayant perdu son travail et son mari, partie en errance à bord d’un van, à la recherche d’une nouvelle vie.

Ne heurtant en aucune façon l’image que le Parti s’applique à donner de la Chine, mais décrivant au contraire les fragilités sociales de l’Amérique profonde que la propagande de l’appareil ne cesse de comparer à ses réussites, Nomadland avait, dit-on, franchi le barrage de la censure et devait être projeté, le 23 avril avec le titre 无 依 之 地 – littéralement « sans attache ».

Au passage, la bande de présentation n’avait pas manqué de préciser en très gros caractères, qu’il s’agissait de l’œuvre d’une Chinoise 中国 导演 赵婷 作品. Plus encore, sur le site Maoyan, la publicité célébrait l’expérience du voyage, la valeur des souvenirs et, sans craindre le paradoxe, le goût de la liberté 带着珍存的回忆和自由在路上 ».

Mais, surprise, le film a soudain été déprogrammé des sites Maoyan et Tao Piao Piao, les deux principales plateformes de réservation en ligne et, à ce jour, rien n’indique qu’il pourra être vu dans les salles chinoises.

La brutale chape de la censure.

Sur les moteurs de recherche « Chloé Zhao » et « Nomadland » ouvrent sur le cul-de-sac d’une excuse automatique : « compte tenu des lois et règlements en vigueur, la page ne peut être affichée 根据 相 关 法律 法规 和政次, 话题 页 未显示 » ; les messages qui les mentionnent sur Weibo sont immédiatement supprimés, y compris les félicitations du Consul général des États-Unis à Hong Kong.

Enfin, tous les reportages sur la cérémonie de Los Angeles du 23 avril ont été déprogrammés. A l’évidence la censure de l’appareil s’est abattue sur le film et son auteur. Aucun des grands médias, de CCTV au Quotidien du Peuple, en passant par Xinhua, ne mentionnèrent l’événement.

L’occultation survint en même temps que celle infligée sans surprise au documentaire « Do not split – Sécession interdite - 不割席 - » réalisé par le journaliste norvégien Anders Hammer, sur les émeutes à Hong Kong de 2019 – 2020.

A la fureur de Pékin, en amont de la cérémonie des Oscars, le reportage de 35 minutes fut nommé dans la catégorie « meilleur documentaire ». Il montre l’insurrection enflammée à l’Université Polytechnique et son siège par la police, assorti de commentaires politiques sur le passage de la loi sur la sécurité nationale Lire : Hong Kong : bataille rangée, controverse juridique, souveraineté et droit des individus.

Visible gratuitement sur Youtube, présenté au Sundace Festival en 2020, puis à la Nouvelle-Orléans et au Danemark, le documentaire qui, depuis l’effervescence même de la rue, au milieu des gaz lacrymogènes, des boucliers de la police et des cocktails Molotov, plonge sans retenue dans les violences de Hong Kong, a obtenu le prix spécial du jury au festival des documentaires de Washington DC et Silver Spring (Maryland) en juin 2020.

A l’écoute de la vindicte populaire, l’appareil se durcit.

La crispation de la censure officielle contre Zhao s’est progressivement durcie portée par une vague d’extrême xénophobie sur les réseaux sociaux. Elle commença par des questionnements sur la véritable nature chinoise de Zhao « Faut-il vraiment la célébrer si elle n’est pas vraiment chinoise ? ». De proche en proche, l’incendie s’est propagé quand les internautes exhumèrent une interview que Zhao avait donné à un magazine de cinéma en 2013.

Pour expliquer son goût de la recherche pour les vérités glauques de l’Amérique profonde, sujets de ses premiers films, elle fit référence à son adolescence en Chine où, dit-elle, « le mensonge était partout » (…) « j’avais le sentiment de ne jamais pouvoir en sortir ». (…). « Nombre d’informations dont je disposais quand j’étais jeune étaient fausses, ce qui m’incita à me rebeller contre ma famille et ma culture d’origine ».

Elle expliquait aussi comment elle ne prit vraiment connaissance de la véritable histoire son pays natal qu’à partir de l’Angleterre. Une expérience que font la plupart des expatriés chinois quand ils quittent leur pays, prenant soudain conscience de tout ce qu’ils ignoraient sur l’histoire de leur pays.

L’épisode qui conduisit au blocage sans nuance de toute information sur cette cinéaste chinoise de talent, rappelle l’appréciation que Simon Leys avait porté sur la Chine, dans la préface de la réédition des « Habits neufs du Président Mao » en 2009.

« La Chine est en passe de devenir une superpuissance. Dans ce cas, elle sera – chose inouïe - une superpuissance amnésique, enfermée dans le double dogme du monopole politique du Parti et de l’image tutélaire de Mao ». (…) « Et le corollaire de ces deux impératifs est la nécessité de censurer la vérité historique de la République Populaire depuis sa fondation ».

Aujourd’hui, la brutalité de la réaction de l’appareil ne fait que confirmer ce que Zhao avait déjà observé il y a sept années. Analysée il y a plus de dix ans par Simon Leys, la tendance qui se double d’un fort ressentiment anti occidental s’est aggravée. Dans un premier temps, Hu Xijin, le rédacteur en Chef du Global Times relaya la furie vengeresse des réseaux sociaux, écrivant que « Zhao aurait tôt ou tard à payer le prix d’avoir humilié la Chine ». Diable.

Mais après la remise des Oscars, le magazine changea de ton. Le 28 avril, sa version anglaise, suggérait dans un commentaire, que Chloé Zhao pourrait servir de pont culturel entre la Chine et les États-Unis. L’ouverture qui la présentait comme une possible médiatrice culturelle, n’apparut cependant pas dans la version chinoise. Et quelques jours plus tard, le texte anglais fut lui aussi supprimé par la censure de l’appareil, politiquement incapable de la moindre nuance.

*

Conséquence de l’incessant discours sacrificiel anti-occidental, insufflé à jets continus, l’épisode fournit un des meilleurs exemples d’un retour de flammes sans nuances du radicalisme des sentiments populaires attisés sans mesure, enfermant l’appareil dans l’obligation réflexe qu’il a lui-même initiée, de la critique systématique de l’Occident hystérisée par les réseaux sociaux.

La posture qui laisse peu de place à la distance et à la mise en perspective face à un Occident arc-bouté à ses grands principes moraux de gouvernance, lui aussi échauffé et rendu fébrile par les hyperboles de l’auto-promotion chinoise, a récemment contraint et Pékin et Washington à réduire la voilure de leurs dialogue stratégique au plus petit dénominateur commun de la lutte pour le climat.

Note(s) :

[1La réminiscence des guerres de l’Opium (la France ayant eut le grand tort de participer à la deuxième) explique le raidissement chinois à Hong Kong cédé à l’Angleterre comme un peau de chagrin, à chacun des traités inégaux.

1. 1842 : Session perpétuelle de l’Île de Hong Kong (Traité de Nankin en) ;

2. 1860 : Session perpétuelle de la péninsule de Kowloon (1re Convention de Pékin qui fut aussi l’année du sac du Palais d’été) ;

3. 1898 : Session à bail pour 99 ans des « Nouveaux Territoires ». (2e convention de Pékin, trois années après la défaite contre la Japon qui obligea la Chine à céder Taïwan au Japon).

 

 

La comédienne et réalisatrice Jia Ling, « star » des réseaux sociaux

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