Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

 Cliquez ici pour générer le PDF de cet article :

›› Chine - monde

La création d’une monnaie digitale et ses arrière-pensées

Quand on évoque les initiatives chinoises pour créer une monnaie digitale, souvent relayées par les médias au milieu de confusions entre devise numérique et monnaie cryptée, on ne peut manquer de signaler d’abord l’extraordinaire appétence des Chinois pour le paiement direct par téléphone portable devenu plus fréquent que le paiement par carte bancaire.

Si la proportion de paiements par téléphone portable, n’était que de 3,5% en 2011, en 2019 elle avait atteint 35%. Elle est en forte croissance au point que les estimations pour 2021 sont de 65,2%.

Ailleurs, la proportion reste plus modeste entre 3 et 10% selon les pays - en 2019, avant la pandémie la proportion française était de 2,5%, celle du Royaume Uni à 8%, en Allemagne, elle était à 10% -, avec cependant une hausse récente due à la pandémie, annonçant un probable bouleversement ; le reste de l’Asie, avec l’Inde et l’Indonésie en tête – 20,5% et 15,9% - restant très largement au-dessus de la moyenne mondiale.

Les chiffres, n’ayant qu’une valeur indicative montrant l’avance réelle de la Chine, ne sont cependant pas à prendre au pied de la lettre. L’arrêt sur image ne reflète en effet pas la mutation en cours. Depuis quelques années, les banques en ligne qui gagnent du terrain, multiplient les services de paiement sans contact par téléphone portable. Elles dessinent un secteur en croissance rapide y compris en France.

Réaction contre la menace d’une monnaie cryptée.

En Chine, l’appétence du pouvoir pour une monnaie digitale remonte au moins à 2013, au moment de l’engouement foudroyant des Chinois pour les monnaies cryptées, au point que, cette même année, 50% des opérations effectuées dans le monde avec la nouvelle monnaie numérique cryptée du Bitcoin, avaient eu lieu en Chine. Lire : La frénésie des Bitcoins en Chine.

Alors que la tendance virale fortement échauffée par l’anonymat menaçait de priver le pouvoir du contrôle de l’épargne chinoise, le 5 décembre 2013, la banque de Chine et les quatre banques publiques piliers tutélaires du système financier chinois qui avaient d’abord laissé faire, calmèrent le marché et l’enthousiasme public en prohibant les Bitcoins pour les transactions commerciales en ligne.

Le 18 décembre 2013, « BTC China », la plateforme en ligne d’échange de BTC fermait ses activités, précipitant la chute de la devise numérique cryptée. Du coup la valeur du BTC qui s’effondra de 40%, ne s’échangeait plus en ligne qu’à 380 $ pièce, soit à moins de 50% de sa valeur du début décembre.

Ayant mesuré la capacité intrusive d’une monnaie cryptée échappant à son contrôle, Zhou Xiaochuan, à l’époque Président de la Banque Centrale, se mit aussitôt à l’œuvre pour répondre à la frénésie publique des paiements sans liquide, avec cependant le souci de préserver la capacité de traçage de la circulation monétaire.

A elle seule, cette exigence politique explique l’avance chinoise dans le secteur des monnaies digitales. La version chinoise d’une monnaie numérique sévèrement contrôlée donne en effet au gouvernement un outil permettant de surveiller à la fois son économie et sa population.

Au passage, on l’aura compris, la conception étatique du yuan numérique annule l’anonymat, l’un des principaux attraits des monnaies cryptées telles que le bitcoin. Il reste que l’engouement des Chinois pour les nouvelles technologies de paiement également séduits par la prise directe avec la Banque Centrale sans intermédiaire fait le reste.

Au passage, la stratégie coupe l’herbe sous les pieds des plateformes de paiement en ligne, dont le succès public et la puissance d’influence financière agacent le pouvoir.

Lors de tests récents, en seulement quelques mois, plus de 100 000 Chinois ont téléchargé une application de téléphonie mobile émise par la banque centrale pour assurer leurs dépenses courantes à l’aide de leur téléphone portable. En même temps, vent contraire soufflant sous la surface des hyperboles de la propagande, le sentiment public d’être suivi à la trace en permanence contribue à renforcer l’usage des billets qui garantissent l’anonymat.

Lire : Pékin accélère ses expériences de monnaie digitale.

Selon Son Ke professeur d’économie à l’Université du Peuple, en 2020, dissonance dans le discours d’une mise en œuvre sans accrocs de la monnaie digitale, la masse de la monnaie papier a augmenté de 10%. La Banque Centrale qui n’indique pas qu’elle numérisera toute sa monnaie à terme, se contente de confirmer que le yuan numérique circulera en même temps que les billets.

++++

Faire pièce à l’impérialisme du Dollar.

Une autre intention, cette fois géopolitique à la racine de l’avance du Yuan digital en Chine par rapport au reste de la planète, renvoie à la volonté de contourner la prévalence du Dollar. Elle recèle l’idée d’échapper aux capacités de sanctions américaines ciblant à volonté les utilisateurs du billet vert par le truchement du Magnitsky Act.

Depuis 2012, le décret bipartisan voté par le Congrès, permet en effet à Washington, sous prétexte de lutte contre la corruption, d’infliger des sanctions ou des amendes tous azimuts, pour des motifs qui ne distinguent pas toujours clairement la chasse aux prévarications des intérêts stratégiques américains.

Par un effet d’aubaine, cette capacité de contournement du Dollar, pourrait fonder le succès potentiel du Yuan digital dont la part dans les transactions globales reste cependant encore très faible. Selon les chiffres les plus récents de la banque des règlements internationaux, 79,5% du commerce international est libellé en Dollar, tandis que la part du Yuan chinois plafonne à moins de 3%.

Le 5 avril dernier une intéressante synthèse du WSJ montrait comment Pékin positionne également le yuan numérique pour un usage international en prenant garde qu’il ne soit pas lié au système financier mondial dominé par le dollar depuis 1945.

Inquiétudes américaines et potentiel global.

Logiquement, le fait qu’un État autoritaire rival de l’Amérique ait pris l’initiative d’une monnaie numérique nationale aux ambitions globales créé une anxiété à Washington. La secrétaire au Trésor Janet Yellen et le président de la Réserve fédérale Jerome Powell se disent attentifs au sujet y compris à celui de l’opportunité de créer un Dollar numérique.

Josh Lipsky, ancien du FMI, actuellement membre du Conseil de l’Atlantique dit les choses plus clairement : « Tout ce qui menace le dollar est une question de sécurité nationale. La digitalisation du Yuan menace le dollar sur le long terme. »

Pour l’heure le Yuan numérique offre aux pays pauvres la possibilité de transfert financiers échappant aux structures financières internationales en partie contrôlées par Washington. Même limitée, la possibilité pourrait atténuer la morsure des sanctions américaines, de plus en plus utilisées contre des entreprises ou des particuliers chinois.

Avec plus de 250 Chinois, dont certains sont membres de la haute administration, accusés de manquements aux droits à Hong Kong y compris la gouverneure Carie Lam privée d’utiliser ses économies en Dollar, tandis que d’autres sont ciblés pour les mauvais traitements infligés aux Ouïghour, le yuan numérique donne à ceux que les États-Unis sanctionnent le moyen de contourner le système « SWIFT » à l’insu des États-Unis tout en protégeant la souveraineté monétaire de la Chine.

Nicholas Burns, 64 ans, professeur à Harvard, Directeur et membre du Conseil d’administration de plusieurs centres de recherche, conseiller du Président Biden, dont les idées croisent celles de « néo-conservateurs », et favori pour le poste d’Ambassadeur à Pékin, le dit lui-même quand il évoque la monnaie digitale chinoise : « En supprimant notre levier de sanctions, ils nous ont créé un problème. »

Le potentiel international de parasitage de la stratégie des sanctions par le Dollar est vaste. Il va de l’Iran que la Chine retrouve dans la détestation commune de l’Amérique à la Corée du Nord, allié traditionnel de la Chine depuis la guerre de Corée, avec qui les Chinois étaient en froid depuis la première explosion nucléaire en 2006, mais dont Pékin s’est rapproché pour faire pièce à la stratégie de D. Trump.

La capacité de défier le Dollar passe aussi par la Birmanie, arrière-cour de Pékin, à la frontière sud du Yunnan. Frappée par les sanctions américaines après le coup d’État du 1er février 2021 du général Ming, elle est protégée par Pékin qui y défend ses investissements et la double conduite de gaz et de pétrole acheminant vers le Yunnan le gaz birman du golfe du Bengale et le pétrole du Moyen Orient.

L’insistance de Pékin ne néglige aucune opportunité. Signe s’il en fallait de l’ambition globale du projet, aux Jeux olympiques d’hiver de février prochain, on envisage de donner aux athlètes des yuans numériques à dépenser quand ils seront sous les feux de l’actualité.

Les détails juridiques des transactions sont également abordés avec les pays intéressés. En liaison avec la Banque des règlements internationaux on étudie des protocoles officiels avec les Banques Centrales de Thaïlande, de Hong Kong et des Émirats.

Enfin, signe qui inquiète Washington, le projet de contourner le Dollar prend de la vitesse. Selon le site de recherche « CBDC Tracker » qui trace les nouvelles monnaies digitales contrôlées par les banques centrales, plus de 60 pays ont à des stades divers de réalisation commencé à créer une monnaie digitale.

Rappels sémantiques et avancement des projets.

(Source : « La lettre numérique »)

Les monnaies digitales de banque centrale sont de nouvelles formes de monnaie électronique directement émises par la banque centrale d’un État souverain. Ce rattachement étatique fonde la principale différence avec les monnaies cryptées au fonctionnement autonome et anonyme.

Selon une étude menée en 2019 par la Banque des règlements internationaux (BRI) auprès de 66 banques centrales, 80% d’entre elles travaillent sur le sujet de la monnaie numérique. Parmi elles, 10% ont développé un projet pilote.

Plusieurs monnaies digitales de banque centrale pourraient voir le jour au cours des années à venir. Outre qu’à terme, elles pourraient diminuer l’empreinte impériale du Dollar, leur objectif immédiat ou à moyen terme est triple :

1) Gérer la disparition des espèces ; 2) Contrer la menace que font peser les cryptomonnaies privées (Libra, Bitcoin, Ehtereum) sur la souveraineté monétaire des acteurs nationaux ; 3) Limiter le pouvoir commercial des prestataires de paiements privés.

En Chine, la Banque centrale chinoise a entamé des tests de sa monnaie digitale en juillet 2020. En Europe, la Banque de France a annoncé début décembre 2019 vouloir tester sa propre monnaie digitale ; la Banque centrale suédoise a déjà lancé un projet pilote depuis le mois de février 2020 ;

Quant à la Banque nationale suisse (BNS) qui travaille également sur la monnaie numérique, elle a annoncé le 3 décembre 2020 avoir réalisé une étude de faisabilité dans ce domaine, en collaboration avec la BRI et l’opérateur de la bourse suisse, SIX.

 

 

Au Pakistan, des Chinois à nouveau victimes des terroristes

[28 mars 2024] • Jean-Paul Yacine

Munich : Misère de l’Europe-puissance et stratégie sino-russe du chaos

[22 février 2024] • La rédaction

Au Myanmar le pragmatisme de Pékin aux prises avec le chaos d’une guerre civile

[9 janvier 2024] • Jean-Paul Yacine

Nouvelles routes de la soie. Fragilités et ajustements

[4 janvier 2024] • Jean-Paul Yacine

Chine-UE. Misère de l’Europe puissance, rapports de forces et faux-semblants

[15 décembre 2023] • François Danjou