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›› Taiwan

Résurgence épidémique. La fin de l’exemplarité taïwanaise ?

Voilà que Taïwan qui espérait émerger de la pandémie avec un nombre total de décès inférieur à 20 sur 24 millions d’habitants, est, depuis la mi-mai, soudain frappé par une explosion de cas et du nombre de morts dont les conséquences ont même suscité des polémiques politiques de l’opposition contre la présidente Tsai Ing-wen et échauffé les relations dans le Détroit.

Relativisons tout de même. A l’heure de la rédaction de cette note, dans l’Île, il y avait certes un nombre total de décès de 177, ayant brutalement augmenté en quelques semaines, mais la proportion des morts par million d’habitants n’était encore que de 7, contre 1878 en France, 1836 aux États-Unis et 2091 en Italie, tandis que le nombre de malades en soins intensifs reste négligeable.

Il n’en reste pas moins, que la réalité de la pandémie qui semble d’ailleurs reprendre de l’ampleur dans plusieurs pays d’Asie du Sud-est, notamment en Thaïlande, en Cambodge, en Malaisie, en Indonésie, au Vietnam et aux Philippines, a percuté de plein fouet les analyses ayant accordé un talent particulier aux pays asiatiques pour faire face collectivement à ce type de fléau.

Alors que dans l’opinion se développe un début d’angoisse, que les écoles sont fermées, que les restaurants ne servent plus en salle, que le port du masque est rendu obligatoire dans la rue, tandis que les files s’allongent devant les centres de tests, les hommes politiques défilent sur les plateaux TV pour inciter le public à réduire ses activités et à garder son calme.

En fermant ses frontières et en imposant une stricte quarantaine à presque tous les visiteurs extérieurs, le gouvernement avait réussi pendant 18 mois à tenir l’épidémie à distance de l’Île et le total des cas diagnostiqués sous la barre des 1300. Début juin ce dernier atteignait près de 10 000, avec un rythme journalier de nouvelles infections au-dessus de 300.

Pas de doute alors qu’elle avait jusque-là été épargnée, voilà l’Île sérieusement aux prises avec sa première vague épidémique de Covid-19.

Exception culturelle et négligences.

Du coup se pose la question de l’explication culturaliste d’une plus grande efficacité des sociétés asiatiques. Dans Asialyst, Jean-Yves Heurtebise explique qu’on l’évoque en cas de succès mais « qu’on oublie de la mentionner dès qu’on fait face à un échec. »

En réalité, en Asie comme ailleurs, les premières conditions d’une réaction efficace restent la clairvoyance et la vigilance du pouvoir. L’esprit collectif confucéen de discipline et d’obédience à l’autorité pouvant jouer dans les deux sens. Il multiplie l’efficacité politique, ou, au contraire, aggrave ses erreurs en tardant à les contester. Une fois l’erreur admise et reconnue par la tête, Confucius retrouve son efficacité.

C’est ce qui se produit à Taïwan. Après le choc de l’explosion des contaminations à partir du 15 mai, la population s’est elle-même imposée des mesures de restriction, dépassant celles prises par le pouvoir.

A l’origine cependant, un manque de vigilance et un relâchement. A partir du 14 avril, le gouvernement commença à autoriser les équipages des compagnies aériennes à réduire leur quarantaine à trois jours à leurs domiciles après leurs vols internationaux longue distance, au lieu de s’isoler à l’hôtel Novotel.

Une semaine plus tard, après que China Airlines, la compagnie nationale, ait rendu compte qu’un de ses pilotes avait été testé positif en Australie, les services de santé de l’Île détectèrent une augmentation des cas parmi les équipages et leurs familles ainsi que parmi les personnels d’un hôtel de quarantaine.

Le 10 mai, un pilote qui venait d’effectuer un vol aux États-Unis commit l’imprudence de se rendre dans un café-restaurant à Taipei, avant de se plier au confinement de trois jours, à l’issue duquel il était testé positif. China Airlines décida alors d’imposer un isolement de 14 jours à tous ses équipages. Trop tard.

Un foyer épidémique était détecté dans le quartier de Wanhua à Taipei ou se trouvent de nombreux « bars à hôtesses », dont certaines sont des migrantes en situation illégale. Après dix jours, le nombre de nouvelles contaminations dépassait la centaine.

Pour Jean-Yves Heurtebise, qui relaye les informations officielles, l’apparition de ce nouveau foyer serait dû à l’ancien dirigeant du Lions Club International qui nia d’abord avoir fréquenté le quartier chaud de Wanhua, ce qui retarda le traçage. Peu après, les autorités de santé de l’Île formulèrent l’hypothèse que les trois foyers de l’hôtel Novotel, du Lions Club et de Wanhua pourraient être liés au même variant britannique.

Enfin, un autre facteur dont le pouvoir n’est qu’en partie responsable est la lenteur de la vaccination d’une population peu motivée (seulement 40% des Taïwanais se disent favorables à la vaccination) compliquée par le fait que l’essentiel des doses est hypothéqué par les États-Unis et l’Europe et que celles disponibles sont en priorité dirigées vers l’Inde où, depuis la fin avril, le nombre moyen de décès journaliers atteint 3500.

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Solidarité Confucéenne, polémiques politiques et aigreurs chinoises.

Après une brève période de flottement la réponse des autorités a été directe. Des points de tests ont été ouverts au cœur des foyers de contamination ; la taille des rassemblements autorisés a été limitée ; le port du masque à l’extérieur a été rendu obligatoire et les manquements sanctionnés par de fortes amendes ; les écoles ont été fermées, tandis que les autorités conseillaient aux Taïwanais de rester chez eux.

Mais le facteur le plus efficace de la réaction fut l’esprit de discipline de la société. Alors qu’ailleurs monte assez souvent une « lassitude pandémique », marquée par des réticences à se conformer aux règles de prudence et de respect des distances sociales, la plupart des Taïwanais ont devancé le retour de la prudence des autorités.

Lorsqu’à la mi-mai le nombre de cas a soudain augmenté, passant de 1200, le 12 mai à 10 000 trois semaines plus tard, les rues se sont vidées, la population a commencé à constituer des réserves de nourriture et de produits de première nécessité, les restaurants ont fermé spontanément ou au moins interrompu le service en salle, et ceux qui ne l’avaient pas fait n’avaient plus de clients.

Plus encore, on observe un patriotisme de la lutte contre le virus. Tout se passe comme si la victoire sur la Covid-19 était devenu un objectif de fierté nationale.

La cohésion sociale n’a cependant pas empêché les querelles politiques. Au contraire. Le terrain d’angoisse né de l’augmentation brutale des contaminations a échauffé les rivalités à l’intérieur de l’Île et attisé les aigreurs de Taipei exclu de l’OMS par Pékin.

Les thèmes des critiques développées par l’opposition contre Tsai Ing-wen agitèrent à la fois l’un des plus faibles taux de vaccination au monde dont les raisons sont évoquées plus haut et le refus de Taipei d’accepter l’aide de Pékin.

Alors que l’exécutif de l’Île est encore sous le coup de la rebuffade chinoise assortie de menaces de représailles, refusant d’accepter Taipei à l’OMS même avec le statut d’observateur, au DPP, la proposition du Parti d’aider les « compatriotes taïwanais » a fait l’effet d’un chiffon rouge.

Alors que Pékin proposait de livrer à l’Île son vaccin SinoVac dont l’efficacité a été critiquée au Brésil (voir étude brésilienne) et même par un fonctionnaire chinois (lire sur le site de la BBC), rare aveu d’imperfection du parti cité par J-Y Heurtebise, le KMT qui fustigeait le refus de Taipei, a accusé Tsai Ing-wen de sacrifier la santé des Taïwanais pour des motifs politiques.

Enfin, les transes épidémiques ayant ébranlé la sérénité des Taïwanais, ont une nouvelle fois mis en exergue la vulnérabilité de l’Île face aux intrusions de Pékin.

L’insistante menace des cyber-intrusions.

Dans un contexte où les Taïwanais ont souvent mis en garde contre les manœuvres obliques du Continent visant à installer le chaos dans l’Île, le 21 mai, le vice-ministre de l’intérieur Chen Tsung-yen a, lors d’une conférence de presse, une nouvelle fois rappelé les risques posés par les campagnes de propagande et de désinformation de Pékin.

Cette fois encore, dit Chen, les critiques chinoises de la réponse de l’Île à la pandémie et les fausses nouvelles circulant sur le Net sont destinées à affaiblir la confiance des Taïwanais dans leur gouvernement. En arrière-plan, l’insistant agacement de Pékin face au refus de Tsai Ing-wen de reconnaître « la politique d’une seule chine ».

Lors de son intervention, Chen a démenti une avalanche de fausses nouvelles circulant sur Twitter et Youtube, en commençant par celles de la contamination de Tsai Ing-wen et de son entourage ou de « l’explosion » de l’épidémie dans toute l’Île alors qu’elle est pour l’instant circonscrite dans quelques foyers au nord.

Les responsables de la santé ont aussi dénoncé des conseils dangereux de soins ou de prévention prodigués par de faux experts, comme celui qu’il suffirait de prendre un bain chaud pour se prémunir contre la contagion.

Alors que jusqu’à présent les cyber-intrusions et les manipulations des réseaux sociaux étaient facilement détectables, notamment parce qu’elles étaient rédigées en caractères simplifiés ou employaient des formules peu usitées dans l’Île, les vigiles taïwanais du net ont noté une claire sophistication des techniques.

La nouvelle manière moins détectable mise à jour par des spécialistes américains de la cyber-sécurité utilise des Taïwanais. Payés entre 730 $ et 1400 $ mensuels ils diffusent des messages sur les réseaux sociaux comme LINE, YouTube, Instragram ou PTT (批踢踢 pititi) la version locale de l’Américain Reddit, principal vecteur de diffusion des vagues intrusives de messages mis en ligne par des « trolls » [1].

L’autre sophistication s’applique à emballer de manière humoristique et séduisante des formules répétitives « mèmes » suffisamment connectées à la culture et aux modes d’expression locales pour paraître crédibles et susciter l’envie de les partager.

Aux polémiques autour des cyber-intrusions chinoises, Pékin a sèchement répondu à Taipei de cesser de se livrer à des « petits jeux politiques » et de s’occuper de soigner sa population.

Ce qui, en l’absence de vaccins locaux avant plusieurs mois, suppose que les États-Unis accélèrent leurs livraisons à l’Île [2].

Mise à jour le 9 juin

Le 8 juin, le nombre total de cas avait atteint 11 693 et celui des décès cumulés 308. Le rythme quotidien des nouvelles contaminations reste voisin de 300 et celui des décès qui baisse légèrement, est encore au-dessus de 20.

Note(s) :

[1Source JournalDuNet.

En référence à la créature issue de la mythologie scandinave, le troll est un individu bête et méchant, qui aime générer des polémiques quelque soit le sujet de la conversation. Il souhaite nuire, notamment à travers la perturbation d’un espace d’expression tel que les forums ou réseaux sociaux. Il peut aussi créer des dissensions au sein d’un groupe : « diviser pour mieux régner » est sa devise.

Ce type d’internaute est très doué pour exacerber les divergences de points de vue et repérer les membres qui ne partagent pas la même opinion. Étant donné que l’exclusion le guette à chaque phrase, le troll dispose de plusieurs comptes afin d’agir simultanément sur plusieurs forums et réseaux sociaux. Il peut surgir à n’importe quel instant dans une conversation en ligne publique.

[2Selon La Tribune « sans fournir de détails, la présidente de Taïwan, Tsai Ing-wen, a déclaré que d’avantage de doses arriveraient à partir du mois prochain. L’alliance pour les vaccins GAVI confirme attendre la livraison des doses d’AstraZeneca allouées dans le cadre du programme COVAX d’ici la fin du mois de juin au plus tard.
Des vaccins mis au point localement devraient également être disponibles d’ici juillet.La dégradation de la situation sanitaire dans le pays a provoqué un repli de 12,5% depuis le début du mois de mai. Le 4 juin date de la rédaction de cette note, elle avait récupéré 80% de la baisse. »

 

 

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