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›› Chronique

Le Parti, point de situation et perspectives. La « sécurité nationale », assurance à large scope pour la pérennité du Parti-État

Après un arrêt sur image, radiographie des effectifs du Parti-État et de son recrutement, l’analyse qui suit décrit comment ses membres sont en fait l’outil exclusif des relations avec la société et de son contrôle. Sous l’égide de Xi Jinping, l’appareil, expression ultime et politiquement imprenable du pouvoir chinois, a mis en place - confondues avec une conception élargie de la « sécurité nationale » - les conditions de sa propre sécurité politique.

Celle-ci articule sa légitimité non seulement à l’efficacité qui réside en sa capacité de mobilisation opérationnelle des énergies en vue du projet de renaissance, mais aussi à un arsenal de contrôle répressif tenant à distance toute contestation au prétexte de la « sécurité nationale ».

L’effet secondaire de l’incorporation univoque et sans débat des enthousiasmes porte au minimum le risque d’un affaiblissement des dynamiques par l’effet du grippage bureaucratique. Au pire, il peut conduire à une sclérose sociale et à une stagnation de l’esprit d’entreprise et d’innovation. Pour l’instant, le pouvoir tient ces risques à distance en attisant le nationalisme des accomplissements sociaux et celui de la performance technologique, par exemple celle de la conquête spatiale.

A l’étranger, la nouvelle posture d’affirmation de puissance aiguillonne l’orgueil national et contribue à la légitimité du Parti en dépit des contrefeux stratégiques ayant isolé la Chine de presque tous les pays occidentaux.

Radiographie du Parti. Effectifs, recrutements et loyauté.

(Tous les chiffres sont ceux de la Commission Centrale d’Organisation du parti, récemment publiés par l’Institut Mercator) qui a également inspiré l’idée maîtresse de l’analyse.

Le Parti spécule que, hors principe électoral, pour assurer la pérennité de son emprise sur le pays, il peut fonder sa légitimité non seulement sur ses performances socio-économiques et le spectaculaire aménagement du territoire qu’il met en œuvre, mais également en haussant au niveau d’un enjeu de « sécurité nationale » la « stabilité sociale », moyen d’éviter que des mouvements sociaux et des critiques contestent son pouvoir [1].

Depuis 2008, le nombre d’adhérents a augmenté de 21,8% passant de 78 à 95 millions. Soit 6,7% de la population totale. Contrairement aux affirmations qui courent parfois, au moins au cours des cinq dernières années, le taux des admis par rapport aux candidats a été stable à 47%. En revanche, le nombre de candidats a nettement baissé de 21,8 millions en 2014 à 19 millions en 2019, soit moins 12,8%.

Le processus d’admission est devenu pointilleux et passe par plusieurs phases de contrôle dont le but est d’abord de vérifier le potentiel de loyauté des candidats. Après une demande présentée à la cellule locale, assortie d’un CV, d’une lettre de motivation et des informations sur sa famille, sur ses relations et ses convictions politiques, le candidat est contacté par deux mentors-enquêteurs qui vérifient les renseignements après des voisins et des relations du candidat.

Après quoi, au cours d’un stage de trois jours, il est invité à rédiger une réflexion personnelle sur le marxisme-léninisme et la pensée du Parti. Puis, pendant une année de préparation, il soumettra chaque trimestre un essai sur les questions politiques majeures du moment.

Ce n’est qu’après cette période d’une année que le candidat est autorisé à faire officiellement sa demande. Il la présente en se faisant accompagner de deux garants qui lui servent de caution. Avant d’être officiellement admis à prêter serment, il devra encore subir une année de probation.

Plus de diplômés. Un âge moyen stable à 48 ans. Peu de femmes en responsabilité.

La répartition socio-professionnelle s’est inversée au profit des diplômés et des urbains. Si en 2009, les fermiers et les ouvriers représentaient encore 39,7% (37 millions), ils ne sont plus que 34,8% en 2019 (34,8 millions). En revanche la proportion des titulaires de diplômes académiques a bondi de 35,7% (34 millions) à 50,7% (48 millions).

Si l’âge moyen du Comité permanent approche les 67 ans, en revanche, celui des 95 millions de membres reste assez stable à 48 ans, avec cependant une très légère tendance au vieillissement. Depuis 2017, la majorité des membres ayant entre 35 et 60 ans continue à représenter 46,9% du total des adhérents (44 millions). Mais la proportion des moins de 35 ans a légèrement baissée de 24,9 à 24,2%. En même temps, la proportion des plus de 60 ans a imperceptiblement augmenté de 28,2 à 28,9% (soit, dans les deux cas, une variation de + ou moins 1,3 millions).

La proportion de femmes reste inchangée à 27,9% (26,5 millions). Elles sont très peu nombreuses à tenir des postes de responsabilité. On en compte une seule dans le total des 32 postes des secrétariats provinciaux du Parti. Un seule au bureau politique. Aucune au Comité Permanent.

Dans les structures gouvernementales centrales et provinciales, seules 2 femmes occupent des postes de gouverneurs sur 31 ; au sein du gouvernement, une seule a rang de ministre sur un total de 35 postes.

L’emprise du Parti s’élargit. Déjà présent dans toutes les entreprises publiques, a aussi mis en place des cellules dans 73% des 15,6 millions de sociétés privées.

Alors que le contrôle des entreprises publiques ou privées est presque entièrement achevé, près de neuf années après l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, à 15 mois du 20e Congrès, le moment est venu d’examiner à la fois la manière dont le régime considère ses relations avec la société et les rapports qu’il entretient avec les démocraties occidentales dont il s’est politiquement démarqué.

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« La sécurité nationale » à large scope, prétexte à l’exigence de loyauté sans faille. Risques de sclérose politique et sociale.

A l’intérieur, le Parti redouble d’efforts pour renforcer son modèle hybride « de parti-État capitaliste aux caractéristiques sociales ». En même temps, il a puissamment renforcé son contrôle sur tous les secteurs de la société, non seulement dans le monde de l’entreprise, mais également dans l’éducation, les médias, le numérique et la société civile.

Après quatre décennies de croissance économique rapide, alors qu’aujourd’hui il impose une très sévère discipline et une surveillance étroite de la société, il peut légitimement être fier de ses accomplissements sociaux économiques dont l’épine dorsale vise à une « renaissance nationale », portée par l’arrière-plan mémoriel des humiliations infligées par l’Occident et le Japon au XIXe siècle.

Les plus critiques des sinologues comme David Shambaugh le reconnaissent. La méthode Xi Jinping a réduit les fragilités de l’appareil et les querelles internes à la CMC et au Bureau politique. Elle a revivifié l’idéologie, redonné du sens aux vertus de l’engagement communiste et peut-être réduit le nombre des adhésions opportunistes ou insincères au Parti.

Pour autant, en haussant systématiquement au rang d’un enjeu de « sécurité nationale » l’exigence de mise au pas de tous au prétexte de « stabilité politique », la multiplication des contrôles centralisés à l’extrême grâce au progrès technologiques, porte le risque d’une « sclérose ». La crainte n’est pas nouvelle. Les intellectuels chinois eux-mêmes l’avaient formulée en des termes sans équivoque.

En 2009, à l’époque où le destin de Xi Jinping alors Vice-président était déjà calé sur la trajectoire de futur n°1 de l’appareil, Sun Liping, professeur de sociologie, qui fut un de ses mentors à l’université, publiait sur son blog une réflexion iconoclaste violemment à contre-courant des obsessions normatives. « Notre analyse des risques est biaisée. Ma thèse est que ce qui menace le plus la société chinoise n’est pas l’instabilité, mais la sclérose et, à terme, la nécrose et la décomposition. » (…)

« S’il est vrai que le contraire de désordres sociaux est la stabilité sociale, le contraire d’une société nécrosée est une société en bonne santé et dynamique. Mais, suite à une erreur de diagnostic, nous ne traitons pas la nécrose, au motif que le remède menacerait la stabilité sociale. Tout comme si un médecin refusait de soigner un malade atteint du cancer sous prétexte que son cœur est faible ».

*

Force est de constater que la mise en garde de Sun qui stigmatisait aussi le délabrement moral de l’appareil corrompu, n’a été entendue qu’en partie. S’il est exact que l’élimination féroce des prévarications était une urgence, le nettoyage éthique a été assorti d’une manœuvre politique de mise au pas uniforme.

Aujourd’hui, l’administration centrale et les postes provinciaux sont en grande majorité tenus par des fidèles de Xi et tout indique qu’aucun successeur n’émergera d’ici le prochain congrès du PCC en 2022.

Seule une crise existentielle imprévue – précisément le genre d’événement que le Parti-État et le Président appellent eux-mêmes un « cygne noir – 黑天鹅 – ou un rhinocéros gris - 灰犀牛 » - pourrait perturber la marche vers la « renaissance – 复兴 – nationale ».

L’idée d’un risque exogène hors-normes produit par les fluctuations d’un ordre mondial erratique ne fait que conforter le Parti dans sa détermination à protéger la Nation chinoise par une vigilance de plus en plus étroite et sans faille.

Les « Cygnes Noirs » et la « sécurité nationale »

Sans surprise, l’appareil qui dit lui-même être confronté à la période la plus périlleuse de son histoire, se protège contre toute éventualité interne en plaçant au sommet de ses priorités le concept de « sécurité nationale globale ». Avec « le socialisme aux caractéristiques chinoises », le principe est la 2e épine dorsale de l’actuelle pensée politique du régime précisée depuis le 18e Congrès à l’automne 2012.

En 2016, l’Académie des Sciences Sociales la résumait en s’inspirant du dicton populaire « 国 泰民安 – Guo Tai Min An - le pays est paisible, la vie des gens est stable, que les auteurs du texte considéraient comme l’aspiration universelle des peuples - 人民群众最基本 » (…)

« Pour réaliser le rêve chinois de la grande renaissance de la nation et pour s’assurer que les gens vivent et travaillent dans la paix et le bonheur, la sécurité nationale est la priorité absolue. 国家安全是头等大事 Guo Jia An Quan Shi Tou Deng Da Shi ».

La suite du texte, inspiré des discours de Xi Jinping comportait huit fois l’expression « sécurité nationale » appliquée non seulement aux priorités régaliennes (forces nucléaires ; renforcement des armées ; souveraineté ; sécurité énergétique), mais aussi à la stabilité sociale et au contrôle d’Internet.

Avec la « sécurité nationale » appliquée à la surveillance de la société, la numérisation est devenue l’élément clé de la gouvernance du PCC, à la fois outil interactif pour assurer de meilleurs services publics et instrument intrusif et omniprésent de surveillance de la société par l’État-Parti.

Plus que jamais tourné vers la stabilité de la société, ce dernier tente par exemple le contrôle et la normalisation des minorités halogènes qu’il prive de leurs droits politiques, prenant le risque de creuser encore les divisions de la société.

La pérennité de ce modèle qui, pour tenir à distance « les cygnes noirs », investit d’immenses ressources dans l’appareil de sécurité à l’efficacité tentaculaire, reste à prouver.

Pour l’instant en tous cas, ses succès contredisent les prédictions de la plupart des analyses occidentales, ayant spéculé que l’ouverture socio-économique du régime favoriserait un desserrement politique. Il se produit le contraire.

A l’échéance des 72 ans, des succès spectaculaires et une narration auto-laudative.

72 ans après l’avènement du Parti, nous sommes en présence d’une trajectoire à succès dont l’appareil a soigneusement effacé toutes les impuretés. Se protégeant même de la moindre pensée critique par la Directive n°9 [2], il développe un discours s’attribuant la gloire du succès global de la Chine, imputé, pour solde de tout compte, à la puissance centralisatrice de l’appareil et à son incomparable capacité à mobiliser les énergies, tout en tenant à l’écart la moindre opposition.

Au passage, il oublie que le moteur de l’extraordinaire marche en avant fut d’abord et surtout la vision de Deng Xiaoping, contre les caciques, qu’il était nécessaire de s’extraire des luttes idéologiques pour libérer d’abord le formidable esprit d’entreprise des Chinois et leur très efficace sens du commerce.

Aujourd’hui, l’environnement économique et commercial de plus en plus politisé et contraint pourrait nuire à l’esprit d’innovation qui ne se décrète pas. Il est aussi un handicap à la coopération avec l’étranger au sein des co-entreprises, gênées par les répliques en Chine des transes géopolitiques avec l’Occident.

Enfin, dans un contexte où la poursuite de la modernisation suppose que soient protégées les coopérations technologiques sensibles, clés de la modernisation du pays, surgit le spectre du « découplage » dans le sillage d’une rivalité systémique.

L’ambition nationaliste globale au risque d’une spirale de confrontation.

Critiquant les fragilités opérationnelles des gouvernances démocratiques, Pékin propose en effet son modèle politique en exemple de gouvernance aux pays en développement. A la tête de cet élan, l’esprit messianique de Xi Jinping, dont nombre d’analystes disent qu’après Mao et Deng, qui redonnèrent à la Chine sa fierté et son élan de progrès économique, il est le troisième homme qui la replace sur une trajectoire de puissance centrale.

La narration s’accompagne d’un puissant retour au culte de la personnalité contre lequel Deng Xiaoping avait sévèrement mis en garde l’appareil. Alors qu’un nouveau livre scolaire sur la pensée des « caractéristiques chinoises » de Xi Jinping vient d’être publié à l’usage des élèves du secondaire, dans China Brief, James Palmer note cependant que le culte a moins à voir avec la dévotion personnelle qu’avec la promotion de l’efficacité de l’appareil comme outil de pouvoir sur la société.

A l’extérieur, le regain de confiance dans l’efficacité de son modèle, induit une posture plus réactive de Pékin. Mesurés à l’aune des succès chinois depuis 40 ans, dont Xi Jinping aime à dire qu’ils ont rattrapé plusieurs siècles de progrès occidentaux, les performances de la Chine sont un motif de fierté.

S’ajoutant à la vision que le parti a de sa propre sécurité et de celle de la Chine, l’orgueil national encore attisé par les réminiscences des humiliations d’il y a près de 180 ans, n’est pas étranger à l’affirmation inflexible de souveraineté à Hong Kong et au Xinjiang dont la plupart des pays musulmans se tiennent à distance, à commencer par la Turquie.

En mer de Chine du sud, que Pékin a érigé au rang d’intérêt vital de souveraineté, la prévalence commerciale de Pékin, sur tous les pays de l’ASEAN complique la riposte américaine et Japonaise pour s’opposer aux prétentions suzeraines chinoises sur tout l’espace grand comme la Méditerranée.

Vis à vis de l’île de Taïwan, érigée elle aussi par le régime au rang d’intérêt vital de sécurité non négociable, le Parti considère que la force attractive de son modèle socio-économique pourrait constituer un argument opposable à la quête de liberté démocratique de Tsai Ing-wen.

Il en fait la promotion en dépit de la tendance de la société et de la politique de l’Île à s’éloigner progressivement du Continent.

Il n’en reste pas moins que la posture de rivalité systémique, haussant les causes majeures de friction internationales à un enjeu de sécurité nationale non négociable, prend le risque de créer une spirale sans fin de confrontations. L’alchimie est encore aggravée par la dynamique nationaliste du ressentiment historique anti-occidental.

Elle réduit d’autant plus les marges de négociation que les ambassadeurs de Chine ont, à contresens de leur fonction d’apaisement, eux-mêmes été enrôlés dans une campagne de ripostes verbales dont le premier effet est de mettre de l’huile sur le feu et de créer des ressentiments.

Note(s) :

[1Notons que les références « démocratiques » que la plupart des analystes occidentaux avancent pour critiquer le régime chinois n’en sont plus vraiment, puisqu’en Occident, les consultations électorales ne sont suivies que par un nombre de plus en plus réduit d’inscrits. La tendance qui fournit des arguments critiques au Parti communiste chinois affaiblit l’idée que les élus seraient plus qu’e, Chine les représentants légitimes du peuple.

[2Intitulé « De la situation dans la sphère idéologique - 关于意识形态领域的情况 », la Directive n°9 éditée par le Comité Central à l’intention des cadres de l’appareil, notamment ceux supervisant le système éducatif, avait indiqué les 7 sujets qu’il était interdit d’aborder, 七个 不要讲 : les valeurs dites universelles 普世价值 ; la liberté de la presse 新闻自由 ; la société civile 公民社会 ; les droits civiques 公民权利 ; les erreurs historiques du Parti 党的历史错误 ; la puissance de l’oligarchie enrichie 权贵资产阶级 ; l’indépendance de la justice 司法独立.

La liste constitue la trame inversée du « socialisme aux caractéristiques chinoises » fond politique anti-occidental de la pensée de Xi Jinping, intégré le 24 octobre 2017, lors du 19e Congrès, à la charte constitutionnelle du régime.

 

 

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