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›› Economie

Contrôler le marché des capitaux et consolider la reprise

Deux déclarations officielles récentes méritent attention. La première du 6 juillet, concerne la remise en ordre de la bourse, à la vérité et plus précisément, l’entrée sur le marché de New-York des géants chinois du numérique. Elle vient du cœur même du régime, le secrétariat du Comité Central.

Avec à sa tête Ding Xuexiang, 丁薛祥, Ding Xuexiang, 59 ans, Shanghaien, très proche de Xi Jinping qu’il suit dans tous ses déplacements, le secrétariat est la cheville ouvrière de l’exécutif et l’organe politique le plus proche du n°1, dont le domaine d’action est sans limites, depuis les questions socio-économiques, à la santé des dirigeants, en passant par la sécurité nationale.

La deuxième, du 15 juillet, émane de la Directrice Générale du Bureau National des statistiques, Liu Aihua 刘 爱华.

A la suite de ses déclarations qui, en avril dernier, mettaient en garde non seulement contre l’enthousiasme d’une reprise fulgurante à +18,3%, mais également contre les vents contraires pouvant gripper les élans [1], elle a, lors d’une conférence de presse, longuement commenté le freinage de la croissance du deuxième trimestre tombée de +18,3% pour les trois premier mois de 2021 à seulement +7,9% pour la période d’avril à juin.

Plan d’action pour la mise au pas du marché des capitaux.

Le texte du 6 juillet qui comportait 30 points précis, était intitulé sans ambiguïté « Réflexion 意见sur la stricte répression par la loi 依法严厉打击 des activités illégales dans le secteur des valeurs mobilières 非法证券活动- 关于的 ».

Son but était de préciser clairement que l’offensive récemment menée contre Didi Chuxing (lire : Le foisonnement affairiste d’Internet, la prévalence du Parti et l’exigence de loyauté) n’était pas une manœuvre isolée, mais une vaste opération politique soigneusement réfléchie destinée à mettre au pas l’effervescence boursière à laquelle l’Occident et notamment la bourse de New-York laissent libre cours, au prétexte de la sacro-sainte loi du marché.

L’intention, analyse Katsuji Nakazawa dans un article Nikkei du 15 juillet, renvoie non seulement à l’essence même de la stratégie du Président de démarquer la Chine des « valeurs occidentales », y compris dans la sphère économique, mais également, par l’échéance de remise en ordre fixée par le texte à 2022, elle ajuste le coup de balai à l’échéance politique du 20e Congrès où Xi Jinping réclamera que le Parti lui accorde un troisième mandat à sa tête.

Comme à son habitude, Xi dont la réflexion politique accorde une place primordiale à l’efficacité, ne laisse rien au hasard. La répression contre les activités illégales – dont le scope n’est pas clairement précisé –, en réalité une intervention politique inédite dans le marché des capitaux, sera supervisée par le secrétariat du Comité Central.

Pour aller dans le détail de la mise en œuvre, on créera un petit groupe dirigeant 领导小组 où seront représentés le département de la propagande chargé du narratif, la Cour Suprême et le ministère de la justice pour l’aspect légal, la sécurité d’État impliqué dans l’appréciation de « sécurité nationale », devenue un des viseurs essentiels à large scope de la stratégie de mise aux normes de Xi Jinping par le truchement du Parti (lire : Le Parti, point de situation et perspectives. La « sécurité nationale », assurance à large scope pour la pérennité du Parti-État), et, logiquement, le ministère des finances assisté de la Commission de régulation des opérations boursières.

L’opération répond d’abord à la volonté de tenir à distance les risques financiers importés de l’extérieur comme ceux qui, en 2015, avaient sérieusement frappé les bourses chinoises, secouées par des faillites et des suicides en série. A cette époque, le Parti était intervenu à Shanghai pour stopper la panique en renflouant des titres menacés et en réprimant les ventes à découvert ayant artificiellement déclenché l’effondrement de certains titres.

Dans l’entourage politique de Xi, certains avaient même spéculé que les manipulations boursières étaient une réaction à la brutalité de la campagne anti-corruption. A l’époque, elle battait son plein sous la férule de Wang Qishan à la tête de la commission de discipline de l’appareil. Aujourd’hui la garde rapprochée de Xi n’a pas abandonné ses soupçons. L’intention est clairement de mettre au pas le marché des capitaux en Chine et d’en éliminer les manipulations politiques.

Une improbable ambition normative globale.

Pire encore, alors que les rivalités sino-américaines sont gravement enkystées, Xiao Gang, ancien président de la Commission de régulation boursière jusqu’en 2016 qui fut aussi PDG de la banque de Chine de 2004 à 2013, a récemment expliqué aux médias officiels chinois que les bourses étrangères – comprenez le NYSE – n’étaient pas « des sanctuaires hors de portée des lois chinoises. »

La remarque, dans le droit fil du choc de valeurs provoqué par le n°1, apparaît à fois comme une riposte à la prétention universaliste américaine et une allusion que l’ambition de Pékin pourrait vouloir diffuser à l’étranger la « rigueur légiste » des « caractéristiques chinoises » opposées à l’idéal démocratique et à la loi du marché.

Ces spéculations d’une riposte juridique hors frontières envisagent des enchaînements encore improbables compte tenu de la puissance du marché de Wall Street et des intérêts qu’il abrite, y compris chinois. Ils ont cependant commencé à modifier l’état d’esprit des investisseurs, pourtant globalement favorables à la Chine dont ils continuent à apprécier la rentabilité.

Analysant la récente offensive du Parti contre l’introduction de Didi Chuxing, certains rendus perplexes par la brutalité de la manœuvre se demandent si Pékin emporté par l’idéologie de rupture tous azimuts avec l’Occident n’est pas sur le point de déconnecter les bourses chinoises de celle de Wall Street.

Au cœur de ces craintes, le raidissement chinois contre l’obligation de transparence imposée par les régulateurs à New-York, que Pékin interprète comme une tentative américaine pour faire main basse sur les données confidentielles chinoises.
« Une chose est sûre » conclut Nikkei, « si l’hubris politique de la 2e économie de la planète qui contrôle sévèrement chez elle la circulation de capitaux, s’aventurait à vouloir imposer son système à l’étranger sur les marchés libres, au prétexte d’y prévenir le désordre financier, il provoquerait de très sérieuses tensions. » (A suivre).

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Considérations sur la croissance.

Le 15 juillet, lors de sa conférence de presse, Liu Aihua Directrice du Bureau National des Statistiques (BNS 国民经济综合统计) ne tournait pas son attention vers Wall Street. Dans un remarquable exercice d’analyse, elle présentait les raisons pour lesquelles la croissance chinoise était tombée de +18,3% au 1er trimestre à seulement +7,9% pour avril, mai et juin, mais toujours théoriquement en phase avec la prévision de la Banque Mondiale de +8,5% pour l’année 2021, alors qu’en mars, lors de la dernière réunion de l’ANP Li Keqiang le premier ministre l’avait fixé à +6%.

Il n’empêche que récemment sont apparus des indices préoccupants. Ils surgirent au milieu des signes positifs comme le maintien à +12% de la croissance de la grande distribution et l’envol des exports avec une hausse inédite de +32 % en juin 2021 par rapport à 2020 pour atteindre 281,42 Milliards de $, soit près de deux fois les chiffres de 2008 (140 Milliards de $).

C’était le sujet de la présentation de Liu Aihua.

L’indice des prix à la production a augmenté de +9% en mai, plus forte augmentation depuis 2008 qui, à l’époque, avait signalé une surchauffe. Les raisons en sont la hausse du prix des matières premières, les retards d’expédition dus à l’engorgement des ports gênés par la pandémie et les pénuries d’énergie.

Conscient des risques inflationnistes et des pressions sur les PME, le gouvernement s’est efforcé de lutter contre les spéculateurs sur le marché des matières premières et imposé aux importateurs de rallonger les marges de paiement. Le risque existe que l’impact sur les prix en Chine ait un impact sur les chaînes de production globale.

Début juin, à New-York, une note de conjoncture de CITI, écrivait que la pression croissante des coûts sur les fabricants chinois, notamment sur les PME ainsi que la reprise cahoteuse de la demande en aval, allait tirer la croissance vers le bas.

Dans ce contexte, la production automobile a reculé de 4% que Liu Aihua attribua à la crise globale des semi-conducteurs effet collatéral de la rivalité sino-américaine. Lire : Risques imminents de fragmentation du paysage global des hautes technologies.

En commençant sa conférence de presse, elle expliqua que la Chine faisait face « à une situation internationale et intérieure complexe exerçant une pression significative sur les affaires » (…), ajoutant : « Il est important pour nous de tenir à distance ces risques et d’aider la croissance des PME ».

Reprise inégale, chômage des jeunes, inflation.

Pour Yue Su, analyste senior au magazine « The Economist », les valeurs des PIB des provinces au deuxième trimestre continuent d’indiquer une reprise inégale, précisément parce que les ventes au détail n’avaient pas encore retrouvé les niveaux d’avant la pandémie. Pour elle, la bascule du schéma de croissance vers la consommation intérieure restera encore longtemps un défi compliqué, compte tenu du coût de la vie et des ressources de plus en plus contraintes des ménages de la classe moyenne.

Mais pour Liu Aihua, la préoccupation au cœur des soucis du pouvoir au même niveau que l’inflation, reste le chômage.

Si le taux officiel moyen reste stable à 6% en juin - dont il faut rappeler qu’il n’incorpore pas la situation des 200 millions de migrants [2] -, il a explosé à 15,4% pour les jeunes de 16 à 24 ans, avec un pourcentage chez les récents diplômés de 25%.

Liu a concédé qu’il y avait un souci : « Nous sommes en effet confrontés à une forte pression sur l’emploi » (…). « Alors que le nombre de diplômés a atteint 9,1 millions de personnes cette année, notre priorité doit être de réduire le chômage en créant plus d’emplois ».

Un essoufflement du modèle ?

A la mi-avril, déjà, insistant sur la nécessité de consolider la reprise, Liu avait évoqué « la rémanence des problèmes structurels 结构性问题 ». Ces derniers sont connus. Une trop forte dépendance aux investissements d’infrastructure, une demande intérieure hésitante, plombée par l’augmentation des charges pesant que la classe moyenne urbaine et la persistance d’un schéma de développement toujours majoritairement basé sur un exode rural source de main d’œuvre bon marché.

Récemment, Julian Evans-Pritchard, économiste, expert de la Chine pour Capital Economics spécialisé dans la recherche macro-économique, relevait que la baisse régulière de la croissance était le symptôme que la marge de développement de l’ancien paradigme était en train de se réduire.

En bref, en dépit d’une croissance toujours solide, le risque existe que le modèle s’essouffle, alors même que la force des rivalités enkystées avec les États-Unis freine la coopération technologique.

Clé de l’innovation et de l’évolution du paradigme productif vers le haut de gamme, elle reste un passage obligé, malgré les efforts d’indépendance affichés par le plan China 2030. Sur les risques de rupture de la coopération technologique lire : Avis de rupture du monde de la high-tech.

Note(s) :

[1En avril Liu Aihua avait déjà analysé la puissance de la reprise du premier trimestre 2021 par l’importante chute de la croissance en 2020 et l’augmentation du nombre de jours de travail en raison du personnel resté sur place pendant la Fête du Printemps. Elle avait ajouté que « la COVID-19 se propageait toujours à l’échelle mondiale et que le paysage international était compliqué, marqué par des niveaux élevés d’incertitude et d’instabilité ».

Pour elle, « Les fondements de la reprise économique nationale devaient encore être consolidés », (…) notamment, dit-elle en substance, parce que les problèmes structurels liés au mode de croissance ne sont toujours pas résolus.

[2En 2020, il y avait environ 285 millions de travailleurs migrants (20% de la population et 35% des actifs, dont à peine 17% sont diplômés d’études secondaires). Environ 116 millions d’entre eux étaient des travailleurs migrants locaux, employés à proximité de leur lieu de résidence, tandis que plus de 170 millions travaillaient dans des provinces plus ou moins éloignées de leur province d’origine.

Le nombre de travailleurs migrants a légèrement diminué en 2020 en raison de la pandémie de coronavirus. Alors que 46% sont employés en usine ou dans le bâtiment, leur salaire mensuel moyen est de 600 $. Tandis que leur moyenne d’âge augmente (elle est actuellement de 41 ans, contre 38 ans en 2008), ils sont, en dépit des efforts récents du régime à leur profit, à la fois la partie de la population la plus frappée par le chômage dont les statistiques ne sont pas publiées et la moins protégée par les systèmes sociaux.

 

 

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