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›› Editorial

La diplomatie du chantage. Quand le rapport de forces subjugue le droit

QC avait déjà souligné à quel point l’arrestation, le 1er décembre 2018 à Vancouver de Meng Wanzhou, fille de Ren Zhengfei, le créateur de Huawei, un des symboles emblématiques de la réussite technologique de la Chine moderne, exprimait un concentré de la rivalité systémique entre Pékin et Washington. Lire : Meng Wanzhou, symbole de la rivalité globale avec Washington.

Meng avait été interceptée à l’aéroport international de Vancouver par la police canadienne en vertu d’un mandat américain qui réclame toujours son extradition. Elle est accusée par la justice américaine d’avoir induit la banque HSBC en erreur sur les relations commerciales de Huawei en Iran par le biais de sa filiale hongkongaise Skycom (équipements télécom) et d’avoir ainsi potentiellement amené la banque à enfreindre, sans le savoir, les sanctions économiques américaines contre Téhéran.

Alors qu’approche la fin des audiences de la procédure d’extradition prévue cette semaine, le message envoyé par Pékin est clair. Si Meng Wanzhou était extradée aux États-Unis, le Canadien Robert Lloyd Schellenberg, accusé de trafic de drogue dont la condamnation à mort a été confirmée une deuxième fois en appel le 9 août, sera exécuté.

L’ultime espoir du Canadien réside dans le jugement de la cour suprême, qui, exerçant une pression d’incertitude sur le tribunal de Vancouver a le pouvoir de commuer ou non la sentence.

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L’aggravation des jugements successifs qui, depuis le début de la controverse, frappent le Canadien est un marqueur de la montée des tensions sino-américaines dont Ottawa subit sous nos yeux les effets collatéraux. Schellenberg, 39 ans, déjà 11 fois condamné au Canada pour divers délits, dont deux fois pour détention et trafic de drogue, a été arrêté par la police chinoise à l’aéroport de Canton, le 1er décembre 2014 alors qu’il était en escale en provenance de Dalian, en route pour Bangkok.

Le 15 mars 2016, malgré ses dénégations, la cour intermédiaire de Dalian le condamna à 15 années de prison pour avoir participé à un trafic de plusieurs centaines de kg d’amphétamine camouflés dans des pneus destinés à l’Australie.

Le 29 décembre 2018, soit 28 jours après l’arrestation de Meng Wanzhou à Vancouver, en marge d’une procédure d’appel lancée par Schellenberg lui-même, la haute cour du Liaoning statua au cours d’une procédure qui dura moins de trois heures, que l’affaire dont les magistrats chinois considérèrent que les attendus n’étaient pas clairs, devrait être rejugée.

Suite à l’injonction du tribunal du Liaoning, la cour intermédiaire de Dalian reprit l’affaire le 14 janvier 2019 et, après 13 heures d’audience, condamna Schellenberg à mort. La sentence a été confirmée en appel le 9 août 2021.

L’exécution dépend désormais du jugement de la Cour suprême. Directement liée à l’exécutif, celle-ci statuera aux ordres du pouvoir, mais à son rythme et en fonction des résultats de la procédure d’extradition de Meng qui dure depuis deux années.

Ce n’est pas tout, après l’arrestation de Meng, la police chinoise a ciblé deux autres citoyens canadiens.

A la peine de mort, s’ajoutent les arrestations arbitraires.

Le 10 décembre 2018, à pleine plus d’une semaine après l’arrestation de Meng Wanzhou, les agents de la sécurité nationale de Dandong à la frontière nord-coréenne ont mis sous les verrous l’ancien diplomate Michael Kovrig, membre de « l’International Crisis Group » et l’homme d’affaires Michael Spavor, directeur d’une agence de tourisme spécialisée dans des « voyages découverte » en Corée du nord. Tous deux sont accusés d’avoir attenté à la sécurité nationale, délit passible de la prison à vie.

Le 10 août dernier, 24 heures après la confirmation de la sentence de mort de Schellenberg, Michael Savor a été condamné à 11 ans de prison pour espionnage après une audience à huis clos. Quant à Kovrig, son procès, tout aussi opaque, est en cours. L’exécutif canadien et ses alliés occidentaux dénoncent le manque de transparence et la détention arbitraire des deux Canadiens.

Les condamnations de la Chine, viennent de tous les bords occidentaux. États-Unis, l’UE, Australie, Royaume Uni, de nombreuses ONG et centres de recherche fustigent l’affaiblissement du crédit de confiance dont dispose l’exécutif chinois à l’international.
Alors que Pékin nie bec et ongles la relation de ces affaires avec le procès en extradition de Meng Wanzhou, au Canada et ailleurs beaucoup de voix fustigent « une diplomatie du chantage ».

Le fait est que l’intervention de la Haute Cour dans le cas de Schellenberg peu après l’arrestation de Meng, ajoutée à l’opacité des procédures et à la faiblesse des accusations contre Kovrig et Savor incarcérés dans la foulée, confirment que l’appareil judiciaire chinois joue une partition hautement politique.

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En haussant l’analyse d’un étage, surgit clairement le sentiment que nous sommes en présence d’un des symptômes les plus violents de la rupture avec l’Occident. Par le chantage à l’arrestation arbitraire et à la peine de mort, tournant le dos au droit occidental et à l’indépendance de la justice, les « caractéristiques chinoises », se réclamant de la prévalence d’une culture particulière, installent un rapport de forces contre l’impérialisme de l’extraterritorialité du droit américain.

Au nom de la morale des affaires, ce dernier vise Meng Wanzhou et exerce une pression sur la justice canadienne, dans un contexte global où il a déjà infligé une longue liste d’amendes à l’ampleur exorbitante de plusieurs dizaines de milliards de $ à une liste impressionnante de sociétés françaises, européennes et sud-américaines.

Citée dans un rapport de l’Assemblée Nationale française de 2019 (pdf), l’inventaire des sociétés touchées compte BNP Paribas, HSBC, Commerzbank, Crédit Agricole, Standard Chartered, ING, Bank of Tokyo, Royal Bank of Scotland, Siemens, Alstom, Télia, BAE, Total, Crédit Suisse.

On notera que, dans un de ces absurdes télescopages provoqués par les contradictions humaines, la plupart des États où sont domiciliées les sociétés visées sont aussi ceux qui, fustigeant aujourd’hui Pékin pour sa brutale riposte à Washington, ne se sont pas mis en mesure de protéger leurs groupes industriels contre le concept de lois à portée extraterritoriale.

Au demeurant, si on se souvient que l’enjeu est la souveraineté nationale non négociable pour les Chinois, on conviendra que pour un avenir prévisible, la rupture juridique et culturelle entre la Chine, les États-Unis et l’Europe est consommée.

Pékin, récemment visé par des sanctions européennes, mais dont la pensée géostratégique reste articulée à la règle westphalienne, éprouve en effet une aversion culturelle irrémédiable à l’égard de l’adoption par l’UE en décembre 2020 d’un régime de sanctions globales lui-même inspiré de la loi extraterritoriale américaine dite « Magnitsky Act ».

Le fait qu’à l’origine la loi qui date de 2012 visait la Russie, l’actuel allié stratégique de la Chine, comme elle révulsée par les intrusions intempestives de l’Amérique, ajoute au sentiment répulsif éprouvé par le régime chinois.

 

 

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