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›› Société

Indices d’une mise aux normes des mœurs dans une ambiance générale de défiance et de contrôle politique

S’il fallait un nouvel indice que le Parti est engagé dans une mise aux normes dont les allures dépassent la politique et touchent de manière plus sensible aux mœurs et à la façon de penser - ce qui rapproche le régime d’un totalitarisme -, il faudrait s’intéresser aux rumeurs d’inventaires discriminatoires en cours dans une des grandes universités de Shanghai.

Comme souvent en Chine, l’information qui fait le tour des réseaux sociaux, s’appuie sur une fuite révélant le contenu d’une directive secrète. L’Université de Shanghai fondée en 1922, regroupant trois campus et une trentaine de lycées et collèges fréquentée par 55 000 étudiants, aurait ordonné à toutes les institutions relevant de son autorité de désigner nommément les élèves qui s’identifient comme « LGBT » et en général tous ceux qui se déclarent « non-hétérosexuels 非异性恋者 feiyixinglianzhe ».

Selon SupChina qui diffuse l’information, les « sous-catégories » sont clairement définies. Il s’agit des « lesbiennes 女同性恋者 nutongxinglianzhe », des « gays 男同性恋者 nantongxinglianzhe, des « bisexuels 双性向者 shuangxingxiangzhe » et des « Transgenres 跨性别者 kuaxingbiezhe), tous placés sous la désignation générique de « groupes arc-en-ciel : 彩虹组 – cai hong zu - ».

Pour l’instant, l’information n’établit pas publiquement la réalité de l’initiative ni son origine – l’Université ou le Parti –. Elle ne dit pas non plus si les établissements dépendant de l’Université de Shanghai ont l’intention de suivre la directive.

Il n’en reste pas moins qu’en ligne, nombreux sont les LGBT et leurs soutiens déjà ostracisés qui s’alarment déjà de plus de persécutions et discriminations à venir. Citons quelques réactions inquiètes des réseaux.

Inquiétudes sur le net.

La plupart des étudiants réagissent à la rumeur d’enquête de deux manières, non exclusives l’une de l’autre.

Soit ils s’offusquent en rappelant que la décision de rendre publique ou non leur « identité sexuelle « 性别认同 xingbie rentong », n’appartient qu’à eux ; soit ils expriment une crainte « On dirait que l’Université de Shanghai établit des listes. C’est très triste et effrayant 看起来 上海大学正在编制一份清单 (liste, qingdan), 这令人悲伤 (beishang, triste 和恐惧 he kongju, et effrayant ».

D’autres révèlent même que les enquêteurs, non seulement encourageraient les sondés à rendre publiques les orientations sexuelles, mais en plus, les inciteraient à dénoncer ceux de leurs camarades de classe cachant qui les cachent.

La nouvelle directive de SHU pourrait n’être que la partie visible d’une opération de mise aux normes plus vaste. Certains internautes affirment que des directives similaires existent ailleurs qu’à Shanghai. Ils révèlent aussi que le ratissage ne va pas sans réticences, certains professeurs offusqués par la démarche ayant même incité leurs élèves à mentir.

Les craintes sont encore attisées par le contexte récent marqué par des attaques éparses contre les LGBT qui semblent répondre à une stratégie des hautes sphères de l’éducation nationale. Il y a quelques mois, la revue mensuelle Higher Education Forum, 高教论坛, référence pédagogique de l’enseignement supérieur, publiait une analyse de l’état actuel des communautés LGBT dans les collèges chinois suivie d’une exploration des contre-mesures.

Écrit par un enseignant de l’Université de sciences politiques et de droit de Shanghai, l’article suggérait que les associations d’étudiants et leurs responsables « collectent » des informations sur leurs pairs LGBT afin que les conseillers universitaires puissent mieux les aider à « former des perspectives correctes sur les relations hommes femmes et le mariage ».

En juillet, WeChat de Tencent, vecteur privilégié de la communication sociale avait discrètement fermé une douzaine de comptes d’étudiants se réclamant ouvertement de la communauté LGBT ; au premier trimestre, s’appuyant sur un ouvrage universitaire, un verdict du tribunal de la province de Jiangsu statuait que l’homosexualité était un « trouble psychologique 心理障碍Xinli zhang’ai ; enfin il y a un peu plus d’un an, la « Shanghai Pride –上海骄傲jiao’ao » annonçait sa fermeture définitive.

Ostracisme patriotique.

La tendance totalitaire s’exprime aussi par la vindicte contre les figures publiques accusées de manquer de patriotisme. Récemment les films de l’actrice, chanteuse, scénariste et productrice Zhao Wei 赵薇, 47 ans [1] ont été censurés sur les sites de diffusion en ligne. La mémoire des censeurs se souvient qu’en 2001 elle avait été contrainte de faire des excuses publiques pour s’être laissée photographier habillée d’une robe décorée du drapeau national japonais aux rayons rouges symbolisant le soleil levant.

Aujourd’hui, les raisons de son ostracisme public ne sont pas claires. Sur les réseaux sociaux on spécule que la vindicte politique qui la frappe serait liée aux représailles contre Jack Ma au moment même où le n°1 du parti à Hangzhou, Zhou Jiangyong 周江勇 à la fois proche de Zhao et du fondateur d’Alibaba, vient lui aussi d’être mis en examen.

La « charrette » a également ciblé l’acteur Zhang Zhenan 张哲瀚, 30 ans, lié par contrat à la société de production de Zhao Wei, après qu’il ait mis en ligne des photos du très controversé sanctuaire japonais Yasukuni, abritant les cendres de certains criminels de guerre japonais.

Zhang s’est publiquement excusé pour avoir heurté les sentiments patriotiques chinois (…) « Je ne suis pas Japonais. Je suis Chinois. J’aime profondément ma patrie ». (…) « Étant un personnage public, je devrais toujours garder en tête les blessures de l’histoire. A l’avenir, j’accorderai plus d’attention à l’histoire et à la culture ».

La contrition n’a pas calmé les réseaux sociaux ni la vindicte publique. Plusieurs marques ayant utilisé le nom de Zhang Henan pour leurs publicités ont rompu leurs contrats, tandis que, sur Weibo, circulait le mot-clé « ≠ Toutes les marques travaillant avec Zhang Zhehan doivent mettre fin au partenariat avec lui ≠ (#全部品牌终止与张哲瀚合作#).

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ANNEXE
Le Parti et les LGBT

Après 1949, le Parti a entretenu une relation flottante avec le mouvement LGBT. Pendant la Révolution culturelle, les homosexuels furent sévèrement persécutés et fustigés comme des « malades » et des « indésirables ».

Après cette époque où on les accusa aussi d’avoir des comportements « honteux », vint une période qui coïncidait avec la réforme et l’ouverture, où ils furent mieux acceptés. Pour autant jusqu’en 1997, les hommes ou des femmes surpris au cours d’une relation homosexuelle pouvaient être poursuivis en vertu de la loi sur le hooliganisme (流氓罪 liumang zui).

Au cours des dernières années du XXe siècle et récemment, le mouvement LGBTQ a bénéficié d’avancées légales importantes. Il a notamment remporté des victoires au cours de jugements de tribunaux nationaux et locaux qui exprimèrent plus de tolérance. Depuis cette époque, même si les couples de même sexe et les transgenres ne sont toujours pas légalement reconnus, ils sont moins persécutés. Il reste que ces avancées dont on voit cependant qu’elles ne se traduisent pas encore formellement dans la loi, n’ont pas été sans revers.

Ouverture politique et tolérance.

En 1997, l’homosexualité a été officiellement dépénalisée puis retirée de la liste officielle des troubles mentaux par la Société chinoise de psychiatrie. Selon Brian Wong, politologue à Hong Kong, fondateur de la Oxford Political Review, même si le mariage gay n’est toujours pas légalement reconnu, les avancées positives du traitement des LGBT dans la société chinoise surpassent les survivances de l’ostracisme traditionnel.

En 2006, selon l’étude du sociologue et défenseur des LGBT Pan Suimíng 52,2% des personnes interrogées refusaient d’admettre que les homosexuels devraient être complètement égaux aux autres. En 2015, ce pourcentage était tombé à 28,3%. Pendant plus d’une décennie, la « Shanghai Pride », a attiré une importante population de Chine et de toute l’Asie.

Shanghai a également été la ville où furent crées les premiers bars gays officiellement reconnus en Chine. En 2005, l’Université de Fudan mettait en place un programme d’études LGBT, une première parmi les universités chinoises. Dix ans plus tard, la « semaine LGBT de Shanghai » avait attiré plus de 30 000 touristes.

Ailleurs, sur les campus du pays, des groupes d’activistes liés à la cause ont progressivement vu le jour, militant en faveur du mariage homosexuel, des « « toilettes unisexes et non sexistes. Ils réclamaient davantage de fonds pour la lutte contre la violence, contre les discours de haine anti-LGBTQ, et pour l’aménagement de programmes universitaires sur le sujet.

Sur les médias sociaux, des étudiants d’universités de grandes villes - dont Shenzhen, Guangzhou et Pékin – ont fait connaître la cause LGBTQ et rendu publiques des statistiques démographiques des homosexuels jusque-là, assimilés à des « déviants » et tenues sous le boisseau.

Surtout, l’appareil politique n’y voyait pas un risque d’instabilité. Même le très nationaliste « Global Times » surgeon du quotidien du peuple, avait publié un éditorial en anglais reconnaissant ouvertement l’existence de la « culture BL » (Boys’ Love). Le public chinois s’ouvrait à la diversité sexuelle et, pendant un temps au moins, l’État a semblé prêt à accepter cette évolution des mœurs.

« Caractéristiques chinoises » , censure et resserrement politique.

Mais depuis cinq ans, beaucoup de choses ont changé. En février 2016, la série gay chinoise « Héroine » (connue en chinois sous le nom de上瘾 shangyin qui signifie intoxiqué) a été supprimée de la diffusion en ligne. En 2018, le portail Sina Weibo a interdit toutes les questions liées aux LGBT.

Au Festival international du film de Pékin de 2018, la censure publique a également interdit le film « Call Me by Your Name » pourtant primé aux Oscars dont le sujet est la romance entre un jeune homme de dix-sept ans en vacances avec sa famille en Italie et un étudiant américain de vingt-quatre ans. C’était deux ans avant l’annulation pour cause de Covid-19, de la Shanghai Pride, dont personne ne sait si elle sera relancée un jour.

On peut être tenté de considérer que les attaques contre la mouvance LGBTQ seraient entièrement orchestrées par l’État. Pour Brian Wong, les choses ne sont pas si simples.

Sur Weibo, plusieurs influenceurs de premier plan se sont réjouis de la récente rumeur de censure officielle contre les groupes LGBTQ sur les campus. Parmi eux, le blogueur Ziwuxiashi 子午侠士 n’a pas caché sa joie que le pouvoir prenne des mesures contre les LGBT. Ailleurs, des voix conservatrices ont célébré l’élimination de ce qu’elles considèrent toujours comme « une perversion et la distorsion des normes sexuelles et des valeurs familiales établies. »

Au milieu de l’hystérie nationaliste, beaucoup d’autres ont associé le mouvement à une ingérence étrangère occidentale dans les « affaires intérieures » de la Chine. L’idée est souvent recyclée par des sources officielles et des personnalités médiatiques de premier plan pour fustiger les valeurs considérées comme « occidentales » ou « antichinoises. »

Dans cette ambiance, il n’a pas fallu longtemps pour qu’apparaisse l’idée selon laquelle l’homosexualité serait « contraire aux valeurs chinoises », propulsant sans nuance la question dans l’arène politico-stratégique des rivalités entre la Chine les États-Unis et l’Occident. L’amalgame classant les homosexuels parmi « les ennemis de la Chine influencés par l’étranger », est devenu d’autant plus populaire que l’appareil attise sans mesure les sentiments nationalistes.

De fil en aiguille, les liens entre les associations chinoises et leurs homologues occidentales sont apparus comme une menace politique pour le Parti dont la paranoïa s’applique par ailleurs à restreindre l’influence domestique des associations d’étudiants.

La contre-offensive moralisatrice reflète aussi l’intention du gouvernement de restreindre le niveau de discours pro-LGBTQ dans le système éducatif. L’ambivalence des manuels et des programmes dans les années 2000 et au début des années 2010 n’a plus cours. Elle a été supplantée par un coup de barre traditionaliste dont l’épine dorsale est que les cours sur les droits LGBTQ n’ont pas leur place dans une salle de classe.

Enfin, depuis 2013, la régression politique et sociale sur le sujet des homosexuels s’inscrit dans la volonté inflexible de Pékin d’exercer un contrôle absolu sur les acteurs de la société civile, en particulier sur le front des organisations non gouvernementales (ONG). En ce sens, il s’agit moins d’une mise aux normes des mœurs que d’un contrôle politique.

Au cours des dernières années, l’État chinois a exprimé avec de plus en plus de virulence sa défiance et ses griefs déjà anciens envers les acteurs non étatiques considérés par lui comme des foyers potentiels d’insurrection politique.

Dans cette ambiance, il n’est pas étonnant que la loi de 2017 sur les ONG étrangères exige qu’elles s’enregistrent auprès du ministère de la Sécurité publique avant d’établir un bureau sur le continent. Plus récemment, en cette année de centenaire du Parti, le pouvoir a encore renforcé les restrictions et réglementations des ONG dont il redoute a capacité de mobilisation sociale.

Note(s) :

[1(Mise à jour le 30 août)

Les lecteurs de QC seront peut-être intéressés par le fait Zhao fut une des premières célébrités chinoises à se lancer dans l’achat de grands crus en France. En 2011, elle avait investi 40 millions d’€ pour acheter le domaine de 8,5 hectares de Château Monlot, domaine viticole partie de l’appellation Saint-émilion grand cru.

Deux consultants de haute volée ont été engagés pour garantir la qualité de la production : Hubert de Bouard propriétaire de Château Angelus et Jean-Claude Berrouet dont la réputation est associée au prestigieux Château Petrus. En 2013, Zhao a ensuite acheté le Château La Vue de 16 ha et le domaine du Château Parabet situé au pied du village de Saint-émilion.

En 2015, son empreinte s’est étendue à l’Entre-Deux-Mers avec l’achat du Château Senailhac de 57 ha. Plus récemment, elle a aussi acheté le Château La Croix de la Roche, un domaine de 12 ha de vignobles AOC Fronsac et Bordeaux. Femme d’affaire avisée, elle a aussi fondé une SARL qui commercialise sa production des Bordeaux en Chine.

 

 

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