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›› Editorial

En Afghanistan, Pékin face à la surenchère terroriste

Le 26 août, un mois après l’accueil à Tianjin par le ministre des Affaires étrangères chinois Wang Yi d’une délégation de Taliban conduite par Mullah Abdul Ghani Barada, un double attentat suicide perpétré à l’aéroport de Kaboul tuait treize militaires américains au milieu de 150 autres victimes afghanes et deux militaires britanniques et au moins 200 blessés.

Alors que le Président Biden fortement critiqué pour la précipitation désordonnée dans laquelle s’est effectué le retrait américain mettait en garde contre de possibles nouvelles attaques, le 27 août, Zhao Lijian, le porte-parole du MAE faisait part de la sidération chinoise et promettait de coopérer avec la communauté internationale pour, dit-il, « éviter que l’Afghanistan ravagé par la guerre ne redevienne pas à nouveau le havre du terrorisme international. »

Alors que la situation est plongée dans l’incertitude de la surenchère terroriste par des groupes radicaux que les Talibans ne contrôlent pas, la promesse d’éradiquer les extrémistes aux ambitions djihadistes globales pourrait être difficile à tenir. D’autant que la nébuleuse affiliée à l’État Islamique ou à des groupes de Taliban dissidents prend en écharpe toute la région.

On se souvient que le 14 juillet dernier, douze jours avant l’accueil des Taliban à Tianjin, neuf ingénieurs chinois avaient perdu la vie dans un attentat au nord du Pakistan. Lire : Le défi de la sécurité des Chinois au Pakistan

L’attaque avait été revendiquée par le surgeon pakistanais des Taliban « Tehreek T-Taliban Pakistan (TTP) », nom d’une nébuleuse de groupes terroristes actifs dans les zones tribales. Cette fois, c’est l’État Islamique Khorasan ou ISIS-K que QC évoquait dans la note citée plus haut, qui réclame la paternité des deux agressions suicides.

C’est peu dire que, pour Pékin, la perspective d’une situation chaotique échappant même au contrôle des Taliban est le pire développement possible.

Il y va en effet de la sécurité de ses ressortissants expatriés, de la viabilité de ses vastes projets miniers (entre autres, d’or, de cuivre, de lithium et de pétrole) et de ses chantiers de construction d’infrastructures, notamment la voie ferrée reliant l’Ouzbékistan au Pakistan par Mazar el Sharif avec, éventuellement, une bretelle vers Kaboul.

C’est bien pour cette raison que, bien avant la chute de Kaboul, le 5 août, hiérarchisant les menaces islamistes en Afghanistan, Wang Yiwei Directeur de l’Institut des relations internationales et du Centre des études européennes à l’université du Peuple de Pékin, assimila les Talibans à une « Armée Populaire de Libération afghane ».

Les anciennes traces chinoises dans le « cimetière des Empires ».

Quand on évoque l’importance stratégique de l’Afghanistan pour la Chine moderne – zone instable du flanc sud d’où les groupes terroristes menacent le Xinjiang, mais riche en ressources, limitrophe de l’Iran et possible voie de passage d’un oléoduc entre les puits iraniens et le sud du Xinjiang (lire : Fan Changlong n°1 de l’APL au Pakistan) [1], on oublie les liens ancestraux de la Chine avec l’Afghanistan. (lire : China’s Tang Dynasty and Afghanistan, the Graveyard of Empires).

Situé à la jonction stratégique des voies commerciales entre l’Asie, l’Est de l’Afrique et l’Europe du sud par l’Iran, le Moyen Orient et la Turquie, le pays était, du temps des Han, traversé par des branches connexes des anciennes routes de la soie, dont l’une passait par Bagram, récemment évacué par les Américains.

Plus encore, à l’époque de la dynastie Tang (618 – 907), militairement la plus puissante des dynasties chinoises, le nord et l’est de l’actuel territoire de l’Afghanistan alors peuplé de pasteurs nomades d’origine turque, devinrent des commanderies de l’Empire après une conquête militaire en 659.

(Note de l’éditeur : Une première version de ce § pouvait laisser croire par erreur que les Tang tenaient tout l’Afghanistan).

Mais, et ce fut là le premier épisode d’une dramatique série d’empires engloutis dans ces montagnes rugueuses, les Tang perdirent le contrôle de la grande région afghane en 751, lors de leur défaite à Talas dans l’actuel Kirghizistan contre les troupes de la dynastie des Abbassides. Après quoi, les Tang ne furent jamais en mesure de reprendre le contrôle de l’Asie Centrale et de la région afghane progressivement subjuguées par l’Islam.

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Quelle solidarité anti-terroriste ?

Après les attentats du 11 septembre 2001, premier coup de semonce du déclin stratégique de l’Amérique, Pékin avait promis une coopération sans faille pour lutter contre les terroristes. Il s’en était suivi une période de relatif apaisement des relations sino-américaines. Cette fois, le porte-parole qui réaffirme l’aversion chinoise au terrorisme, affiche la même solidarité. Mais la situation globale n’est plus la même qu’il y a vingt ans.

Le moins qu’on puisse dire est que Pékin, engagé dans une très âpre rivalité avec Washington, paraît, pour l’instant, moins disposé à une coopération authentique dépourvue d’arrières pensées. La première réserve renvoie systématiquement au souci de sécurité n°1 de Pékin au Xinjiang.

Lors de la conférence de presse du 27 août, le porte-parole a d’abord éludé une question à propos de la coopération directe avec Washington, préférant évoquer une « solidarité internationale. ». Puis, très vite, il en est arrivé à accuser Washington d’avoir éliminé de sa liste des organisations terroristes l’East Turkistan Islamic Movement (ETIM), opérant au Xinjiang dans le but de séparer la province de la Chine.

« L’ETIM est répertorié comme un groupe terroriste par le Conseil de sécurité de l’ONU et constitue une menace directe et immédiate pour la sécurité de la nation chinoise et du peuple chinois », a déclaré Zhao.

Puis, oubliant que les Talibans pourraient avoir quelques difficultés à contrôler complètement le pays et les nébuleuses plus radicales engagées dans une surenchère mortelle, il ajouta que les nouveaux maîtres du pays, reçus à Tianjin il y a un mois, avaient clairement promis qu’ils n’utiliseraient pas le territoire afghan comme base arrière pour affaiblir la Chine.

Mais l’indice le plus préoccupant, laissant supposer que, cette fois, la coopération de Pékin pourrait être moins sincère qu’après le 11 septembre, est son nouvel angle d’attaque qui accuse les États-Unis, l’Otan et leurs alliés de crimes contre l’humanité en Afghanistan.

Alors que, pour sécuriser les dernières évacuations, Washington est contraint de négocier avec les Talibans, effectuant en même temps une frappe aérienne pour détruire un véhicule suicide lancé contre l’aéroport militaire de Kabul, Pékin a brutalement changé de discours au Conseil des droits de l’homme à Genève.

Accusée au Xinjiang, la Chine riposte sur le même thème des « crimes contre l’humanité ».

Par un coup de pied de l’âne, riposte aux accusations occidentales que la Chine commet de graves atteintes aux droits contre les Ouïghour au Xinjiang, la semaine dernière, Cheng Xu l’ambassadeur de Chine à Genève, accusait les États-Unis, la Grande Bretagne et leurs alliés de l’OTAN d’avoir sévèrement violé les droits de l’homme au cours des vingt années de guerre en Afghanistan.

« Sous la bannière de la démocratie et des droits de l’homme, les États-Unis et d’autres pays interviennent militairement contre des États souverains pour imposer leur modèle à des pays dont l’histoire, la culture et les conditions nationales sont très différentes, causant ainsi de graves dommages à leurs peuples ».

L’ambassadeur Cheng n’est pas le seul à dénoncer les crimes commis par l’alliance occidentale. Le 22 août, dans l’Indian Express Bhanu Mehta, président d’un des plus éminents centres de recherche indien signait un article intitulé « Les péchés de l’Empire ». Il en listait sept qui, selon lui, contribuèrent à la débâcle en Afghanistan. La corruption qui nourrit la guerre ; l’absence de lucidité comme au Vietnam ; un déficit de moralité ayant conduit à l’anarchie ; l’hypocrisie ; le culte de la violence et du racisme.

A l’Université de Columbia, Hamid Dabashi, professeur d’études iraniennes et de littérature comparée, enfonçant le clou de la détestation de l’Occident et de l’Amérique à partir de ses propres entrailles universitaires, écrivait sur le site d’Al Jazeera : « Que peuvent infliger les Talibans à l’Afghanistan que les États-Unis et leurs alliés européens ne lui ont pas déjà fait subir ? »

*

Décidément, cette fois, contrairement à l’après 11 septembre, la coopération anti-terroriste de Pékin ne va pas de soi. Avec les États-Unis et même leurs alliés occidentaux qu’elle accuse d’avoir commis des crimes en Afghanistan, la Chine conditionne sa solidarité à l’arrêt des attaques contre elle notamment à propos des Musulmans du Xinjiang. Le 17 août dernier un éditorial du Global Times l’avait déjà clairement formulé.

« La Chine aura à cœur de rétablir l’ordre en Afghanistan et de promouvoir la reconstruction du pays déchiré par la guerre, mais elle n’a aucune obligation d’aider les États-Unis à sortir d’un dilemme stratégique qui appartient entièrement à Washington. Alors que les États-Unis exercent malicieusement une coercition stratégique contre la Chine, rien n’oblige Pékin à tenter de gagner la faveur des États-Unis en rendant le bien pour le mal. Ça ne marchera pas. »

Alors que la prévalence stratégique américaine et la puissance de son modèle sont sérieusement malmenés, la mise au point résonne comme le dernier clou dans le cercueil de la politique d’ouverture sino-américaine inaugurée par Deng Xiaoping et Jimmy Carter en janvier 1979 à la Maison Blanche.

Washington et Pékin dont les intérêts sont imbriqués ne cesseront pas de se parler, mais l’illusion que la Chine pourrait s’insérer dans la vision occidentale du monde s’est dissipée. Plus que jamais, la relation sino-américaine est dominée par la défiance.

Note(s) :

[1Rappel des objectifs stratégiques de Pékin dans la région :

1) Dans un contexte compliqué par les mouvements indépendantistes au Xinjiang, traversés par les transes de l’Islam radical terroriste, assurer la stabilité et la sécurité des provinces occidentales et le long des frontières avec l’Asie du sud et l’Asie Centrale ;

2) Insérer les provinces occidentales chinoises dans un environnement transfrontalier propice au commerce et au développement économique ;

3) Simultanément développer le couloir économique entre la mer d’Arabie et le Xinjiang avec, pour objectif premier, le raccourci des lignes de communication logistiques acheminant les hydrocarbures vers la Chine ;

4) Opposer un contrepoids stratégique à l’Inde en contrôlant son influence en Asie du Sud et du Sud-est ainsi qu’en Afghanistan – où Islamabad est toujours le point d’entrée de Pékin - ;

5) Freiner l’intrusion en Asie du Sud d’acteurs plus favorables à l’Inde qu’à la Chine.

 

 

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