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›› Editorial

Mer de Chine méridionale. Le fait accompli se pare de juridisme

Le 1er septembre dernier est entré en vigueur la dernière version amandée 修订 de la Loi sur la sécurité maritime - 新修订的海上交通安全法 – qui comporte 122 articles rassemblés en dix chapitres. (voir le texte de l’ANP (pdf)).

L’essentiel qui est aussi la partie la plus controversée, exige que, quand ils pénètrent dans les eaux territoriales chinoises, cinq types de vaisseaux déclinent leur identité et indicatif, la nature de leur chargement, leur précédente et prochaine escale, et leur destination finale.

Il s’agit des sous-marins, des navires à propulsion nucléaire ou transportant des matières radioactives, des pétroliers, des méthaniers transportant du gaz liquéfié, des matières chimiques ou toxiques, ainsi que de « tout bâtiment pouvant mettre en danger la sécurité maritime.

Le texte de la loi ajoute que, si les systèmes d’identification automatique des navires ne fonctionnent pas, l’équipage devra, toutes les deux heures, informer par radio les autorités maritimes chinoises de la position du bâtiment et de sa vitesse, jusqu’à avoir quitté les eaux territoriales chinoises.

Un coup de force légal.

À première vue, les dispositions paraissent entrer dans la catégorie des exigences « normales » pour un État souverain soucieux de contrôler ses approches maritimes.

Sauf que, par sa « ligne en neuf traits » qui viole les dispositions des lois de la mer établies par la Convention de Montego Bay, et rejetée par un arbitrage international de juillet 2016 (lire : Arbitrage de la Cour de La Haye. Tensions et perspectives d’apaisement), la Chine considère que la presque totalité (80%) de la mer de Chine du sud, vaste comme la Méditerranée, appartient à ses « eaux territoriales ».

Plus encore, une disposition de la Convention sur le droit de la mer dite « clause de réserve » permet aux signataires d’échapper aux contraintes qu’ils rejettent.

Comme elle en a le loisir, la Chine a fait jouer la clause de réserve acceptée par l’ONU à la signature de la convention du Droit de la mer à Montego Bay en 1982. Conformément aux articles 297 et 298, la clause autorise Pékin à ne pas accepter l’arbitrage de la cour dans les domaines où elle a, par avance, décliné toute participation au traité, notamment quand le litige porte sur les questions de souveraineté. – Ce qu’elle a officiellement fait le 25 août 2006 par une Note Verbale adressée au Secrétaire Général des Nations Unies -.

Lire notre article : Mer de Chine. Après Manille, Hanoi demande l’arbitrage de la Cour Internationale sur le droit de la mer

Une autre disposition sensible se trouve au Chapitre VI. Non seulement elle autorise les équipages des garde-côtes à utiliser leurs armes de poing contre un navire étranger ayant « illégalement » pénétré dans les eaux revendiquées par la Chine, et sommé de stopper ou de quitter les eaux chinoises, refuserait d’obtempérer ; mais encore, elle théorise un incident armé grave, en évoquant l’éventualité d’une riposte militaire air-sol, si des navires et ou des aéronefs chinois étaient attaqués.

Moins directement agressive, mais tout aussi gênante par la volonté de vaste contrôle géographique qu’elle impliquerait, est l’obligation d’accepter à bord un pilote y compris à des distances éloignées des côtes chinoises. La crainte des commentateurs a surgi d’une formulation ambiguë de l’Article 2 qui évoque des « zones de pilotage » sans en préciser les limites, mais parle « des zones maritimes sous juridiction chinoise ».

Prise au pied de la lettre, la disposition permettrait aux autorités maritimes d’exiger la présence d’un pilote à bord n’importe où en mer de Chine du sud. Plus généralement la nouvelle loi enveloppe « a posteriori » dans des dispositions légales le fait accompli d’une captation territoriale, contestée par le droit de la mer.

Alors que certains commentateurs relativisent la portée des nouvelles dispositions en soulignant la difficulté de mettre en œuvre un contrôle efficace sur des zones aussi vastes, en avril dernier, Nikkei Asia Review avait déjà signalé que l’Administration Maritime chinoise, responsable de l’application des nouvelles règles, avait reçu les budgets pour augmenter les moyens de sa mission.

Ainsi quand l’alliance « Quad » des pays démocratiques de l’Asie Pacifique rassemblés autour de Washington (Japon, Inde et Australie) auxquels se sont récemment rajoutés la Royal Navy, la marine française et même la marine allemande [1] naviguent dans les eaux contestées, Pékin s’efforce de se donner les moyens d’exercer un contrôle efficace sur l’ensemble du domaine naval qu’elle revendique.

En juin 2015, dans un article de la Revue de la Défense Nationale, reproduit dans Cairn Info, Emmanuel Puig exprimait déjà une vision pessimiste de l’avenir du droit international dans la zone.

« L’avancée graduelle de ses positions crée une situation de fait sur laquelle il sera quasiment impossible de revenir. En procédant de la sorte, les dirigeants chinois génèrent des précédents en vertu desquels ils seront, à l’avenir, fondés à agir. » (...)

« En étendant aujourd’hui au maximum leurs zones de présence et de contrôle, ils élargissent aussi l’éventail des possibilités pour leurs actions futures : la multiplication de leur présence finira peut-être par fonder juridiquement leurs revendications, mais elle leur permettra aussi de disposer de plusieurs solutions d’appui en cas de tensions croissantes. »

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Les moyens navals du contrôle et les contrefeux occidentaux et asiatiques.

Les moyens du contrôle sont les nouveaux garde-côtes en cours de construction dont le premier, le « Haixun 海巡09 » a été lancé en septembre 2020 (cf. la photo de la 1re page). Avec une longueur de 165 mètres et un tonnage impressionnant 10 700 tonnes, équipé d’une plateforme pour hélicoptère, il a une autonomie de 9700 nautiques, soit six fois la plus grande distance nord-sud de la mer de Chine méridionale.

Naviguant à la vitesse maximum de 25 nœuds, comparable à celle des PA Charles de Gaulle ou du Queen Elisabeth de la Royal Navy, il est cependant moins véloce que la plupart des navires de guerre américains cibles prioritaires de la nouvelle loi dont la vitesse est de 30 nœuds.

*

Le 7 septembre, moins d’une semaine après l’entrée en vigueur de la loi chinoise, les États-Unis qui, avec l’Australie et les Philippines, furent les premiers à rejeter la nouvelle loi chinoise, ont pénétré en force en mer de Chine avec le porte-avions nucléaire Carl Vinson 80 000 tonnes et son groupe aéronaval.

Alors que le Carl Vinson avait à son bord les tous nouveaux chasseurs furtifs F-35C, un communiqué de la flotte du Pacifique précisait que la manœuvre de routine qui visait à assurer la sécurité dans la zone « Indo Pacifique », comprendrait des exercices de frappe aérienne.

Premier incident après l’entrée en vigueur de la loi, le 8 septembre, Pékin clamait que le destroyer lance-missiles USS Benfold, 9000 tonnes, capable, comme le Carl Vinson, de naviguer à 30 nœuds, était entré sans autorisation dans ses eaux territoriales aux abords des Mischief.

Situés à 700 nautiques au sud-est des cotes chinoises, mais à seulement 150 nautiques des Philippines, les récifs également revendiqués par Taïwan, Hanoi et Manille, ont été élargis par bétonnage, militarisés et dotés d’une piste d’aviation par le génie maritime chinois. Lire : Mer de Chine du sud. La carte sauvage des hydrocarbures. Le dilemme de Duterte.

En réponse la marine américaine rappelle d’abord, se référant au droit de la mer, que les Mischief sont un haut fond artificiellement élargi qui ne peut générer des eaux territoriales, ensuite que la mer de Chine méridionale est un domaine de haute mer où la juridiction chinoise n’a pas cours.

Relire l’arbitrage de la Cour de La Haye en gardant en tête qu’en juillet 2016, Pékin avait déclaré « la position de Pékin est claire : refus de l’arbitrage, refus de participer au jugement, refus de l’appliquer ».

Tout juste un mois avant, la Royal Navy était également dans la zone avec le groupe aéronaval Queen Élisabeth pour affirmer la liberté de navigation en mer de Chine méridionale.

S’il est vrai que les navires britanniques ont, au cours de leur périple en Extrême Orient, effectué comme l’US Navy des manœuvres avec la marine japonaise, puissant irritant pour Pékin, en mer de Chine, elle s’est montrée plus discrète que le Carl Vinson.

Selon la marine et le ministère des Affaires étrangères chinois, qui se sont félicités du comportement des navires britanniques, ces derniers n’ont pas pénétré dans les 12 nautiques des eaux territoriales chinoises.

Les racines historiques de la désinvolture, ferments des tensions à venir.

La prudence de Londres n’a cependant pas empêché le Global Times de publier le 6 septembre que « la réaction des États-Unis et de ses marionnettes à la nouvelle loi maritime exprimait un arrière-plan de puissance dominante ».

L’auteur Cheng Xiangmao, jeune chercheur à l’institut de la mer de Chine méridionale à Haikou, évacuait le fond de la controverse lié au respect du droit international et aux faits accomplis successifs de la militarisation des îlots, partie d’un grignotage général de la mer de Chine, légalisé par le dernier coup de force du 1er septembre enveloppé de juridisme sur la sécurité maritime.

A la place, il s’inspirait du discours de Yang Jiechi à Anchorage, le 19 mars dernier pour réfuter, non seulement la prévalence morale que s’attribue Washington, mais aussi la condescendance avec laquelle les États-Unis s’adressent à la Chine.

« J’aurais dû rappeler à la partie américaine de faire attention au ton de son discours d’ouverture (du dialogue) », (…) «  Les États-Unis ne sont pas qualifiés pour parler à la Chine en une position de force… Ce n’est pas ainsi que l’on traite avec le peuple chinois… Le peuple américain est certainement un grand peuple, mais le peuple chinois l’est aussi. Le peuple chinois n’a-t-il pas suffisamment souffert dans le passé de la part des pays étrangers ? »

En évoquant à la suite de Xi Jinping, dont c’est un des leitmotivs, les souffrances infligées à la Chine par l’Occident au XIXe siècle, Yang Jiechi, ancien ambassadeur à Washington et membre du Bureau Politique qui reprenait un thème diffusé depuis 2013 dans tout l’appareil depuis la tête du Parti, semble indiquer qu’à près deux siècles de distance, Pékin s’autoriserait les mêmes arrogances désinvoltes ayant sous-tendu les « traités inégaux ».

Aujourd’hui, alors que les rapports géostratégiques ont radicalement changé depuis l’illusion du « nouvel ordre mondial » spéculant, après la chute de l’URSS, sur la prévalence sans partage de l’Amérique, Yang et, à sa suite Cheng Xiangmao, le font avec l’assurance de la nouvelle puissance chinoise, face au déclin de l’Amérique dont l’épisode afghan est devenu le symbole.

Il reste qu’en nationalisant la mer de Chine du sud, donnant corps par un coup de force juridique à sa vision impériale de la zone, Pékin prend le risque d’augmenter mécaniquement le nombre de ses détracteurs.

Jusqu’à présent, les marines attachées au droit de la haute mer pouvaient choisir de s’affirmer face à Pékin selon un mode plus ou moins provocateur en pénétrant ou non dans les 12 nautiques autour des îlots contestés.

Désormais, la « nationalisation juridique » de tout l’espace marin ne laisse plus que deux choix : se soumettre aux exigences de la nouvelle loi chinoise reconnaissant ainsi le coup de force ou décider de les ignorer, au risque d’attiser les tensions avec la Chine.

Note(s) :

[1Bien plus prudents que les États-Unis, les Japonais ou les Australiens, les marines Britannique et Allemandes ont, à l’été 2021, effectué des missions en Mer de Chine du sud sans empiéter sur les revendications de souveraineté des 12 nautiques autour des îlots contestés.

Même si elles ne reconnaissent pas les réclamations chinoises, elles s’abstiennent de « provoquer » la Chine, se méfiant des capacités de rétorsions de Pékin contre leurs intérêts sur le marché intérieur chinois.

Quant à la France, elle a parfois tourné le dos à la prudence et envoyé une des ses frégates accompagner un destroyer américain dans les eaux réclamées par la Chine. Au printemps 2021, Paris avait même dépêché le sous-marin nucléaire d’attaque Émeraude accompagné d’un navire logistique patrouiller dans la zone. Le but selon Florence Parly : « Enrichir la connaissance de cette zone et affirmer que le droit international est la seule règle qui vaille, quelle que soit la mer où nous naviguons. ».

La publication sept mois plus tard de la loi sur la sécurité maritime est la réponse de la souveraineté chinoise à cette posture française se réclament du droit. Désormais, la mission de l’Emeraude ne serait possible que dans le cadre d’un choix politiquement compliqué. Soit se soumettre aux exigences légales de Pékin, reconnaissant de facto le fait accompli ; soit s’y dérober en prenant le risque de représailles.

La susceptibilité souverainiste de Pékin, parfois teintée de condescendance, est encore plus exacerbée quand le régime a à faire à une puissance moyenne, à qui il ne reconnaît aucune pertinence stratégique dans la zone. En mai 2019, le transit de la frégate Vendémiaire dans le Détroit de Taïwan pourtant considéré comme la haute mer, avait provoqué une réaction courroucée de Pékin (lire : « L’incident du Vendémiaire », une fébrilité chinoise).

 

 

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