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›› Economie

Le grand défi politique des taxes à la propriété

Alors que, par des injections financières, le Parti tente de tenir à distance le risque d’éclatement catastrophique de la bulle immobilière dont la crise d’Evergrande est le plus préoccupant symptôme, imperturbable Xi Jinping remet sur le tapis le chantier très controversé d’une taxe sur la propriété.

Récemment pourtant, même le Wall Street Journal doutait que l’actuel pouvoir exécutif, « de loin le plus puissant des dernières décennies », se risquerait à une réforme qui sent le soufre.

La réalité de cette quadrature du cercle s’est récemment manifestée. Il y a peu, les caciques de l’appareil dont les intérêts privés sont étroitement enchevêtrés au gigantesque marché immobilier évalué à 55 000 Milliards de $ - deux fois plus qu’aux États-Unis et près de 800 fois le marché français – représentant quatre fois le PIB de la Chine – ont obligé Xi Jinping à réduire la voilure d’une expérience de taxe à la propriété initialement prévue dans 30 villes, à seulement dix.

Pourtant, déterminé à crever l’abcès, Xi Jinping force l’allure. Mais son volontarisme s’affirme au moment même où les ventes résidentielles ont baissé de 16% depuis l’automne 2020, alors que les tensions sur la stabilité du réseau d’électricité ne sont pas résorbées [1].

En arrière-plan, source d’inquiétude supplémentaire, les chiffres de la croissance au troisième trimestre sont tombés à seulement +4,9% par rapport à 2020, dans une ambiance où les perspectives pour la fin de l’année s’annoncent moroses.

Assainir le marché immobilier au risque d’une réaction en chaîne.

Le WSJ le rappelle : « la difficulté à mettre en œuvre une taxe foncière nationale met en lumière le dilemme politique représenté par l’immobilier, qui joue un rôle clé dans l’économie et la politique chinoises. » En théorie, un impôt foncier fournirait une source de revenus stable aux pouvoirs locaux et permettrait qu’ils cessent de se financer par la très controversée vente de terres. Représentant 30% de leurs revenus, elle est aussi une sérieuse source de compromissions politique et de corruption.

Il reste, ajoute le WSJ, « qu’une taxe suffisamment élevée pour abonder correctement les finances locales, entraînerait probablement un effondrement du marché immobilier ».

Il est vrai qu’il y a déjà dix ans, Shanghai et Chongqing avaient lancé un programme pilote de taxes à la propriété. Mais leur taux est bas et les dérogations nombreuses, au point que ses recettes représentent seulement 1,2% de la fiscalité totale de Shanghai en 2020. »

« Tant que l’impôt sur la propriété resteront dans cette épure peu contraignante, et aussi longtemps que les prix montent, les spéculateurs de l’immobilier préfèreront garder leurs appartement vides. » (…) « Mais si la hausse des impôts était trop brutale, ils vendraient ».

La mise sur le marché d’appartements vides augmenterait l’offre de logements, conformément au souci encore exprimé par Xi Jinping en mai dernier « Les logements, sont faits pour y vivre, pas pour la spéculation - 房子是用来住的, 不是用来炒的定位 ». Lire : people.cn.

Il y a cependant un risque. Si la réforme était trop rapide et trop agressive, elle affecterait directement le système financier et les banques et, par contrecoups, toute l’économie.

« Alors que le taux d’appartements vides atteint en moyenne 17%, avec des sommets à 22% pour certaines régions, leur mise sur le marché provoquerait une chute significative des prix de l’immobilier. » (…) Compte tenu du poids des logements dans l’économie, la réaction en chaîne impacterait les actifs de plus de 75% des ménages endettés pour accéder à la propriété et tous les secteurs liés à la construction dont l’acier et le ciment.

Le défi que le pouvoir a décidé d’affronter est donc considérable.

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Décidé à crever l’abcès, Xi Jinping force l’allure.

Alors que les prix des appartements a augmenté de 2000% depuis les années 90 et quadruplé au cours des dix dernières années dans les centres urbains de premier rang comme Pékin, Shanghai, Canton et Shenzhen, depuis août, un frémissement à la baisse des prix commence à se faire sentir sur les logements neufs dans plus de la moitié des soixante-dix villes du centre et de l’Est.

En théorie, la nouvelle – c’est la toute première baisse des prix depuis 2015 – devrait rassurer l’exécutif qui tente de contrôler la bulle immobilière. Mais si la chute des prix s’accélérait, elle pourrait plomber l’économie.

Le risque est également politique. D’abord, nombre de familles et d’entreprises ayant bénéficié dans les années 90 de logements alloués à bas prix ou même gratuits, qui valent aujourd’hui des millions de $, considéreront avec réticence la réforme qui grèvera leur budget.

Ensuite, la mise en œuvre pratique exigera un inventaire exact des propriétés qui révèlera la réalité de la fortune de nombre de caciques du Parti. L’avenir dira quelles régions Xi Jinping juge importantes pour sa légitimité politique et son programme de prospérité commune ; et, au contraire, quelles élites politiques il serait disposé à sacrifier en dévoilant au grand jour leurs biens immobiliers dont certains affichent un luxe extravagant.

*

Pour l’heure, le projet d’une expérience pilote est lancé, autorisé par l’ANP à la mi-octobre. Xi Jinping qui va de l’avant, en fait même le marqueur de sa volonté politique d’assainir le marché immobilier, contre l’opposition interne qui s’est déjà manifestée, obligeant, on l’a vu, le pouvoir à diminuer des 2/3 un premier projet pilote qui concernait 30 villes.

Le 15 octobre, pour persuader les réticents, le Président a exposé ses vues dans le magazine Qiushi, de l’Ecole Centrale du Parti dans un article intitulé 扎实推动共同富 – consolider la prospérité commune -.

On y lit notamment son intention de continuer à réduire les inégalités « 同时,必须清醒认识到, 我国发展不平衡不充分问题仍然突出, 城乡区域发展和收入分配差距较大 - Nous devons lucidement prendre conscience de l’importance des déséquilibres villes-campagnes et des inégalités dans la répartition des revenus ».

En même temps, soucieux de ne pas réveiller l’hostilité de ceux qui se méfient de l’égalitarisme maoïste des années soixante, il ajoute que s’il est vrai que la « prospérité commune 共同富裕 ne doit pas se résumer à la richesse de quelques uns 不是少数人的富裕, elle n’est pas non plus un égalitarisme uniforme 也不是整齐划一的平均主义 ».

Enfin, fort de son expérience politique à Hangzhou, à la tête du Zhejiang (2002 – 2007), il garde en tête de faire de la riche province méridionale, ancien fief des Song du Sud, le modèle national d’un développement équilibré et inclusif : 要抓好浙江共同富裕示范区建设, 鼓励各地因地制宜探索有效路径, 总结经验, 逐步推开 (lire notre article : Au Zhejiang, la pensée marxiste de Xi Jinping tente la mise aux normes du marché à l’aune des « caractéristiques socialistes »).

En adoptant le projet, l’ANP a précisé que « tous les types de propriétés résidentielles et non résidentielles dans les zones pilotes » (qui restent à définir) seraient imposés, mais qu’en revanche « les propriétés rurales légalement détenues » seraient épargnées. Il reste que l’intention politique est claire. Xi Jinping l’a exprimée dans l’article de Qiushi.

Elle consiste à ouvrir l’éventail des satisfaits en élargissant la classe moyenne 着力扩大中等收入群体规模, tout en renforçant le réajustement des hauts revenus 加强对高收入的规范和调节. La deuxième partie de la proposition qui vise implicitement les fortunes trop facilement accumulées par la spéculation immobilière, sent politiquement le souffre.

Au point que Han Zheng, le n°7 du Comité permanent chargé de la réforme conseille la prudence, d’autant que les premières conséquences des restrictions de crédits immobiliers ont directement impacté la croissance au troisième trimestre. Du coup les critiques donnent de la voix, tandis que, du cœur même de l’appareil, parviennent des informations selon lesquelles l’éventail même de la réforme serait réduit.

En même temps, certains avancent la vieille recette alternative que l’État et les entreprises publiques contribuent financièrement à élargir le parc de logements aux prix abordables.

*

Pour l’heure en tous cas, l’appareil a, par ses injections de capitaux, réussi à tenir à distance la catastrophe de l’éclatement brutal de la bulle immobilière.

Même si le recul de croissance exprime une baisse de la consommation et porte à la fois le risque de stagnation et celui de réduire l’intérêt des investisseurs pour la Chine [2], le 10 octobre dernier Morgan Stanley publiait une appréciation positive de la situation du marché immobilier, toujours considérée comme « attractive ».

Selon Elly Chen, analyste de l’agence, « Les risques de défaut et les fragilités du marché immobilier ont été largement intégrés dans la valeur des actions immobilières ». Pour elle, le risque systémique existe mais il serait « gérable. ».

Ses arguments s’articulent à la discipline de 16 dévelopeurs sur 26 qui, au cours du premier semestre 2021, se sont conformés aux exigences des « lignes rouges » définies par la Banque centrale qui fixent un plafond aux dettes en fonction des fonds propres, de la valorisation en bourse et des actifs.

Note(s) :

[1Le 7 novembre, le fournisseur national « State Grid » a prévenu qu’en dépit du relâchement des restrictions sur les centrales au charbon et des mesures destinés à contrôler la spéculation sur les prix du charbon, l’hiver verrait encore des tensions entre l’offre d’électricité et la demande.

[2Alors que les IDE ont augmenté de +25,2% au cours des 9 premiers mois de 2021 et qu’ils pourraient atteindre 160 Mds de $ en fin d’année, dans son dernier plan quinquennal (2021 – 2025), publié le 23 octobre par le ministère du commerce, le Parti anticipe une croissance modeste des investissements étrangers, due à « des conditions politiques et économiques internationales de plus en plus difficiles. »

En août dernier, Wei Jianing, ancien chercheur au Centre de Recherche et Développement du Consil d’Etat, exprimait une inquiétude lors d’un forum virtuel « Ce qui nous préoccupe, ce n’est pas seulement la démondialisation, mais aussi la mondialisation sans la Chine ».

 

 

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