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Xi Jinping – Biden : une vidéo-conférence tendue et sans réelle substance

Si on voulait une preuve que la réunion au sommet virtuelle entre Joe Biden et Xi Jinping du 15 novembre, dépourvue de réelle substance, fut au mieux un semi-échec, presque un dialogue de sourds, il suffirait de se reporter aux comptes rendus officiels des deux parties.

Le premier, par un communiqué de la Maison Blanche très édulcoré s’efforçant de garder ouvertes des voies d’apaisement que l’hubris nationaliste de Pékin. Toujours inquiet de l’ingérence occidentale pouvant menacer la prévalence du Parti unique, ce dernier complique l’apaisement par l’affirmation d’un impérialisme révisionniste y compris territorial et contre le droit de la mer, visant à refondre l’ordre occidental du monde établi en 1948.

Le deuxième par la presse officielle du régime chinois, unanimement occupée en cette année du centième anniversaire du Parti à magnifier sans la moindre fausse note la figure du n°1 chinois, préparant sa quête inédite d’un troisième mandat à la tête de l’appareil, lors du 20e Congrès prévu à l’automne 2022.

Les plus optimistes se consolent en relevant que les deux étaient au moins sortis de l’échanges de reproches, aux limites de l’invective de la réunion d’Anchorage des 18 et 19 mars derniers, tandis que d’autres aux prétentions à peine moins modestes, affirment que le fait que les deux se soient parlés était déjà un succès.

Un regard en arrière d’un demi-siècle à l’époque des élans vers la Chine de Kissinger et Nixon, cherchant un contrepoids à l’URSS, permet de mesurer à quel point la relation s’est dégradée. Lire : Il y a cinquante ans, le rêve d’Henry Kissinger.

Au milieu d’une profonde défiance réciproque, les seuls domaines où le compte-rendu de la Maison Blanche abandonne le simple énoncé du verbatim américain à l’écart du Chinois, pour user des marqueurs habituels d’un échange évoquant une connivence de vues – on était cependant très loin d’un communiqué commun - furent ceux de la lutte pour le climat et celui de l’importance de continuer à se parler.

Le tout était éclairé par le discret fanal d’un accord sur le relâchement des restrictions des visas des journalistes des deux bords (lire : Affaibli à l’intérieur, le parti redore son blason dans le monde).

Le risque de dérapage stratégique.

Preuve que la rivalité globale sino-américaine fait entrer le monde dans les eaux mal balisées d’un risque de conflagration majeure, un des points clés des déclarations de Joe Biden rapportées par la Maison Blanche, fut de souligner l’importance du « sens commun », condition essentielle pour éviter que les risques stratégiques ne dérapent vers un conflit. Notamment, alors que le monde fait face à des défis où les intérêts des deux entrent en conflit.

Au cœur des braises qui couvent, la liberté de navigation en Mer de Chine, défendue par les alliés de Washington dans la zone indo-pacifique et les tensions dans le détroit de Taïwan dont Biden a reconnu qu’elle était certes partie du Continent, en rappelant cependant le « Taïwan Relation Act » qui réfute une réunification par la force des armes non provoquée par une déclaration d’indépendance. (lire : Le « Taïwan Relations Act » et les illusions du statu-quo)

En évoquant, parmi les intérêts américains impactés par la Chine, « la situation sanitaire », Biden a fait une allusion à peine voilée aux doutes sur l’émergence du virus et, par conséquent, à la nécessité de faire la lumière sur sa propagation mondiale à partir de Wuhan. Alors que le Parti ne veut plus entendre parler d’une enquête sur son sol, il prend conscience que l’héritage vindicatif de D. Trump est loin d’être éteint.

De même que sur fond des contrastes politiques et culturels sino-américains, dilatés en une rivalité stratégique globale, Joe Biden qui se revendique de porter les valeurs du monde « libre, ouvert et juste » - ce que Pékin lui dénie - s’est dit préoccupé des situations à Hong Kong, au Tibet et au Xinjiang, chiffon rouge insupportable pour le sentiment souverain chinois qui dit ne plus tolérer les incessantes ingérences de l’Occident dans ses affaires intérieures.

Pour faire bonne mesure, revenant à l’origine même des mèches de la discorde allumées par D. Trump en 2018 (lire : Chine – États-Unis, guerre des taxes, guerre totale ou apaisement ?), alors qu’à cette époque Pékin croyait encore à l’hypothèse d’un apaisement, les récriminations de la Maison Blanche sur les « pratiques commerciales déloyales de la Chine au détriment des industries et des travailleurs américains », furent également à l’ordre du jour.

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En Chine, sonnent les trompettes du nationalisme de la renaissance.

Quant à la presse officielle chinoise, en cette année de son centième anniversaire, ses comptes rendus de l’événement furent sans réserve tournés vers la satisfaction du sentiment nationaliste porté et attisé par Xi Jinping et le Parti. En premier lieu la question de Taïwan que Xi Jinping érige, malgré quelques fausses notes internes, jusqu’à l’incandescence au pinacle du « rêve de renaissance ».

Alors que tout indique qu’en augmentant le niveau politique de ses visites officielles dans l’Île où, de surcroit, le Pentagone entretient une petite mission d’aide militaire, Washington est, en riposte aux pressions de Pékin, en train de tourner le dos aux promesses des « Trois communiqués » (lire : Les nouvelles eaux mal balisées de la question de Taïwan), il était essentiel pour l’appareil d’afficher que la situation dans le Détroit restait étroitement contrôlée par Pékin.

Le 16 novembre, lendemain de la téléconférence, les gros titres de toute la presse rappelèrent que « Biden ne cautionnait pas l’indépendance de Taïwan “拜登重申不支持台独 ! ». Immédiatement relayée par les réseaux sociaux, l’information était reprise par 200 millions d’abonnés de Weibo. En même temps, évacuant la possibilité d’un conflit dans le Détroit, manquant la partie de l’image des alliances anti-chinoises qui se cristallisent dans l’Indo-pacifique, elle se voulait rassurante :

« Biden a clairement réitéré que les États-Unis ne cherchaient pas « à changer le système chinois 不寻求改变中国的体制 », ne cherchaient pas à renforcer les alliances contre la Chine 不寻求通过强化同盟关系反对中国 et n’avaient aucune intention d’entrer en conflit avec la Chine. 无意同中国发生冲突 ».

En filigrane, au-delà des affirmations de souveraineté, la crainte d’un conflit.

Au passage, le message qui redoute toujours l’influence occidentale, exprime aussi la crainte existentielle que Washington serait toujours animé par le projet de « regime change » à la racine même de son idéologie de souveraineté culturelle et politique résumée par le concept « des caractéristiques chinoises ».

L’angoisse rejoint l’inquiétude générale de l’appareil qui, après la réunion du 18 novembre du Bureau Politique, mettait, avec des accents paranoïaques, en garde contre « les risques idéologiques menaçant sécurité du système politique ; contre la remise en cause la stabilité industrielle et financière ; contre une rupture de la suffisance alimentaire du pays et la remise en cause de son l’indépendance technologique ainsi que de son approvisionnement en ressources stratégiques ; enfin contre toutes sortes d’infiltrations et entreprises subversives et disruptives ».

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En évoquant la question de Taïwan, la presse chinoise toute entière contrôlée par le Parti, faisait l’impasse sur une réserve de Biden, cœur même de la stratégie chinoise de Washington depuis Nixon. En répétant l’attachement de Washington à la « politique d’une seule Chine », le Président américain, a en effet rajouté la réserve du Taïwan Relations Act (TRA).

Voté par le Congrès en 1979 au moment de la reconnaissance de la Chine communiste par Washington, il est une disposition de droit interne – et non pas un accord de défense – obligeant l’exécutif américain à réagir – il ne dit pas comment – en cas d’agression de l’Île non provoquée par une déclaration d’indépendance.

Notons au passage que cette disposition percute le nouveau discours du Parti expliquant en substance que la réunification était une fatalité inexorable à mettre en œuvre coûte que coûte d’ici 2049, année du centenaire de l’appareil à la tête du la Chine dont Xi Jinping fait l’échéance ultime de la réalisation de son rêve de renaissance 中国 梦. »

Le TRA de 1979 faisait suite aux « Trois communiqués » signés avec Deng Xiaoping par Nixon (1972), Carter (1979) et Reagan (1982). Ils étaient complétés par les « Six assurances », toujours en vigueur par lesquels les États-Unis promettaient :

1) Qu’ils ne fixeront pas à priori une date mettant fin aux livraisons d’armes à l’Île ; 2) Qu’ils n’abaisseront pas le niveau des garanties du TRA ; 3) Qu’ils ne consulteront pas la Chine avant leurs décisions de livrer des armes ; mais 4) Qu’ils ne se poseront pas en arbitre de la relation dans le Détroit ;

5) Qu’ils n’exerceront aucune pression sur l’Île pour qu’elle entame des négociations politiques avec la Chine et qu’ils ne modifieront jamais leur position selon laquelle l’avenir de l’Île devrait être déterminé pacifiquement par les Taïwanais eux-mêmes ;

6) Qu’ils ne reconnaîtront pas formellement la souveraineté de la Chine communiste sur Taïwan. Lire : Relations Chine, Taïwan, États-Unis

Pour les opinions de part et d’autre du Détroit : l’appel à la mesure de Xi Jinping, assorti d’une mise en garde martiale.

Enfin, l’agence Chine nouvelle a monté en épingle le très surréaliste « appel à la sagesse » de Xi Jinping repris par la presse occidentale, pour ramener la politique américaine envers la Chine sur dit-il « une voie rationnelle et pragmatique » 推动美国对华政策回归理性务实的轨道 , alors même que, depuis une années, les chasseurs de combat survolent sans mesure le Détroit de Taïwan au sud de la zone d’identification de défense et d’alerte (ZIDA) de l’Île.

Pour appuyer « son appel à la mesure », le Président chinois qui s’exprimait pour satisfaire l’orgueil du nationalisme radical qu’il ne cesse de cultiver, n’a pas hésité à mette en garde Joe Biden – ce qui fit aussi les gros titres des médias occidentaux dont l’audience s’enivre de sensationnel – contre le franchissement par Taïwan de la ligne rouge indépendantiste 台独如突破红线, dont il a considéré qu’elle jouerait avec le feu- 玩火 -.

A vrai dire les menaces ne sont pas nouvelles. Le 25 octobre 2018, après bien d’autres déclarations du même type, le Général Wei Fenghe, ministre de la défense mettait en garde que toute tentative remettant en cause la souveraineté de Pékin sur Taïwan était « extrêmement dangereuse ».

Il ajouta que « si quiconque cherchait à séparer l’Île du Continent, la Chine réagirait militairement sans délais quel qu’en soit le coût ». Son discours au forum de Xiangshan – réplique chinoise du dialogue de sécurité de Shangrila à Singapour dominé par l’Occident -, faisait suite au passage, pour la 2e fois en 3 mois, de 2 navires américains dans le Détroit de Taïwan.

 

 

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