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›› Editorial

La Chine est-elle réellement isolée ? Ses relations avec Djakarta, un cas d’école

Alors que Washington vient de décider qu’aucun officiel américain serait présent aux jeux d’hiver chinois qui débuteront dans moins de deux mois,constatons que dans nombre d’analyses occidentales, en Europe et aux États-Unis, l’idée court de plus en plus que la Chine serait isolée.

Il est exact qu’après 2013, année des premiers affichages de puissance par l’actuelle Direction politique, de nombreux contre-feux se sont allumés, non seulement en Occident, mais également en Asie dans la proximité immédiate de la Chine en mer de Chine de l’Est, en Corée et au Japon proches des États-Unis, et en Asie du sud-est.

Djakarta fut un des meilleurs exemples où s’exprima d’abord la défiance envers Pékin. Souvenons-nous, en décembre 2019, deux garde-côtes chinois escortèrent 63 bateaux de pêche à l’intérieur de la ZEE indonésienne dans les parages du très stratégique gisement de gaz des Natuna.

Djakarta avait convoqué l’ambassadeur chinois et riposté en janvier 2020 en déployant sur zone cinq navires de guerre et quatre avions de combat F-16. Lire la page 3 de notre article : La lourde insistance chinoise autour des Natuna.

Pendant deux semaines, une impasse tendue s’en était suivie. L’arrière-plan historique qui nourrit une rancœur anticommuniste reste vivace dans les mémoires. Il date de la tentative de coup d’État de 1965 fomenté par le parti communiste indonésien, suivie par une chasse aux sorcières qui fit 500 000 victimes, à laquelle, disent les archives, Washington aurait prêté la main.

La brutalité de l’histoire attise à la fois les sentiments anti-chinois dans de nombreux segments de la société et la défiance de la classe politique à l’égard des « Grands. ». Pourtant certains observateurs avaient décrit le « moment Natuna » comme une opportunité pour Djakarta de se rapprocher de Washington ; d’autres avaient prédit la montée d’une ASEAN unie contre le comportement coercitif de la Chine dans les eaux contestées.

Presque deux années plus tard, note William Yuen Yee dans Foreign Affairs du 2 décembre, ces effervescences ne sont plus qu’un lointain souvenir et le rapprochement entre Djakarta et Washington, un moment évoqué par Mike Pompeo, un vœu pieux. En avril dernier, le président indonésien Joko Widodo déclarait au président chinois Xí Jìnpíng 习近平 que la Chine était un « bon ami » et même un « frère ».

Explosion des relations commerciales et des projets industriels.

En deux ans, les échanges commerciaux sino-indonésiens ont prospéré jusqu’à atteindre près de 80 Mds de $, faisant de Pékin le premier partenaire commercial de Djakarta ; les JV financières « capital- risques » et les parcs industriels le long des « nouvelles routes de la soie » se sont multipliés. Surtout, Pékin a livré à l’Indonésie 200 millions de doses de vaccin anti-Covid-19.

Enfin, la réalité est que le Président Widodo se souvenant qu’au moins 16% des exportations indonésiennes sont tributaires du marché chinois et qu’en septembre 2019, avant la crise des Natuna, Pékin et Djakarta avaient signé un accord pour le règlement de leurs échanges en Yuan chinois, ne s’est pas arrêté à la première déconvenue de l’échec du projet à 6 Mds de $ du TGV Bandung – Djakarta. Les Chinois non plus.

Avec en tête que l’Indonésie aux « Mille Îles » vaste de 2 millions de km2, peuplée de plus de 260 millions d’habitants qui ferme la mer de Chine au sud et contrôle les accès à l’océan indien, était un point clé de sa stratégie d’influence à ses approches, Pékin a redoublé ses efforts.

Au même moment, Washington, saisi par la stratégie de repli « d’America First », exprimait beaucoup moins d’intérêt pour l’archipel qui, en 1955, fut le siège de la première conférence des « non alignés » - surgissement dans la géopolitique globale des pays décolonisés – et, à ce titre, se targuait, en pleine guerre froide, de se tenir à distance des « Grands » et surtout de Washington.

A l’époque Soekarno acceptait en effet l’aide soviétique contre laquelle le Pentagone avait soutenu une guérilla d’opposition par l’habituelle stratégie très contre-productive des bombardements à haute altitude.

Aujourd’hui, alors que Djakarta revisitait sa tradition non alignée à géométrie variable et que D. Trump songeait à replier les États-Unis, les groupes chinois augmentent massivement leurs investissements dans l’archipel et Pékin accélère sa stratégie d’influence par la livraison tous azimuts de vaccins chinois.

Parcs industriels et start-ups financés par la Chine.

Trois parcs industriels ont vu le jour. Le premier à Weda Bay, aux Moluques. Dans ces régions à l’extrême Est de l’archipel ont surgi une usine de sulfate de nickel et une fonderie de cuivre pour un investissement total 2,8 millions de dollars initialement investis par des JV financières entre le Français Eramet et la holding aujourd’hui majoritaire « Qingshan Group » du Zhejiang, ancien fief politique de Xi Jinping.

A Morawali, sur la cote nord de Java, une JV entre Qingshan et l’Indonésien « PT. Bintang Delapan Mineral » construit une usine de lithium pour un investissement de 350 millions de $, tandis que sur l’Île de Sulawesi 800 km à l’ouest de Weda Bay, Qingshan a construit son projet phare sur 2600 hectares, par un investissement de 4 Mds de $, parc industriel à la capacité annuelle de 2 millions de tonnes d’acier inoxydable, employant 35 000 personnes depuis 2019.

Les groupes privés chinois qui considèrent l’Indonésie comme une base d’investissements obligée en Asie du sud-est, ne sont pas en reste. L’archipel abrite un grand nombre de « start-up » soutenues par les géants chinois du numérique.

Exemple : En mai 2021, la société indonésienne de covoiturage et de paiement en ligne Gojek a fusionné avec le leader du commerce électronique Tokopedia pour créer le nouveau conglomérat technologique GoTo, dans le cadre du plus gros contrat jamais enregistré en Indonésie, d’une valeur estimée à 28,5 milliards de dollars.

Deux des plus gros investisseurs de GoTo sont les géants chinois de la technologie numérique Alibaba Group et Tencent Holdings. Shunwei Capital, lancé par les fondateurs des portables Xiaomi, et BAce Capital, soutenu par le géant de la fintech Ant Group, prévoient de signer d’autres accords en Indonésie. La plupart des analystes estiment que, compte tenu de l’importance du pays pour Pékin, l’élan des investissements ne faiblira pas.

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Les retards de Washington.

Se réveillant un peu tard d’une période d’obsession stratégique dominée par la rivalité avec la Chine, en août dernier, Washington a, avec Antony Blinken, tenté de redonner vie à son dialogue stratégique avec Djakarta.

Sur la table : la liberté de navigation en mer de Chine du sud. Le même mois, les deux organisaient le plus vaste exercice conjoint de leur histoire, auquel participèrent 3000 militaires des deux pays. Dans le même temps, le Département d’État et le Pentagone faisaient la promotion du Drone armé « MQ-1C Eagle ». Enfin, le 1er novembre dernier, Joko Widodo et Joe Biden se rencontraient à l’occasion de la COP 26 à Glasgow.

Mais, alors que les liens entre Djakarta et Pékin se sont notablement resserrés sur fond d’importants investissements chinois très utiles à l’économie indonésienne, Widodo a paru inquiet de ne pas afficher une trop grande proximité avec Washington.

Surtout, il est, comme d’autres pays de la zone, dont le commerce dépend beaucoup du marché chinois, soucieux de ne pas se laisser aller à un conflit direct avec la Chine dans le sillage de la rivalité stratégique sino-américaine.

Enfin, il faut le répéter, il est probable que la « générosité vaccinale » de Pékin a beaucoup joué pour apaiser les rancœurs des riverains excédés par les harcèlements chinois dans leurs ZEE.

Diplomatie des Vaccins, attractivité du marché chinois et défiance face à Washington.

En Indonésie, les livraisons de vaccins chinois au moment où l’Archipel comptait déjà 17 000 morts à un rythme de 80 décès/jour, ont limité la fureur du Président Widodo quand, en septembre 2020, des garde-côtes chinois et indonésiens sont restés face à face pendant 48 heures dans les parages de la ZEE indonésienne des Natuna dont les eaux sont traversées par la ligne en 9 traits chinoise qui les réclame.

Le Président Rodrigo Duterte à Manille dont les allégeances à Washington et Pékin avaient flotté au gré des pressions territoriales chinoises et des raidissements antichinois de son opinion publique, est un autre exemple que la diplomatie chinoise du vaccin fonctionne.

Il y a tout juste un an le Président philippin qui avait d’abord insulté Barack Obama, avant de se crisper contre les revendications chinoises dans les parages du haut-fonds de Reed (lire : Mer de Chine du sud. La carte sauvage des hydrocarbures. Le dilemme de Duterte) avait, par un brutal contrepied, manifesté sa gratitude à la Chine avec laquelle il était pourtant en pleine controverse publique à propos du récif de Scarborough.

Dès juillet 2020, il exprima un renoncement territorial en expliquant dans un discours aux parlementaires philippins que la Chine était « maître de la mer de Chine du sud et qu’il n’y avait rien à faire ». Aussitôt Pékin annonçait que les Philippines étaient placées sur la liste de pays prioritaires pour le vaccin.

Deux mois plus tard, au cours d’une réunion ministérielle, Duterte expliquait que « l’avantage avec les Chinois, était qu’ils “donnaient sans qu’on leur demande“, alors que les pays Occidentaux n’avaient en tête que le profit ».

Kuala Lumpur a également été placé sur la liste prioritaire de la stratégie des vaccins par Wang Yi, le ministre des Affaires étrangères. Mais il l’a fait en demandant en échange la libération de 60 pêcheurs chinois arrêtés dans les eaux territoriales malaisiennes.

Il est en revanche exact que les États-Unis qui disputent l’influence chinoise dans la zone et tentent de rallier le soutien de Djakarta, n’eurent rien à offrir pour faire concurrence à la déclaration du Président Xi Jinping qui faisait des vaccins chinois « un bien public mondial ». La Maison Blanche avait en effet clairement fait savoir que les vaccins Pfizer, Moderna et Johnson & Johnson étaient en priorité destinés aux Américains.

Dans un contexte où les gouvernements de la zone étaient pressés de trouver une solution sanitaire alors que la réactivité de leurs hôpitaux était faible, la Chine avait une longueur d’avance sur Washington.

Elle avait - elle a toujours - l’avantage d’une capacité de production de masse et celui de pouvoir afficher une victoire contre la pandémie sur son sol, par sa stratégie-forteresse de « zéro-covid ». Pour nuancer cette posture, lire : Vaccination et stratégie du « zéro covid ». De la virologie à la propagande politique.

Il reste que c’est bien l’image d’une prévalence chinoise qui surnage. Pour Gurjit Singh, ancien ambassadeur Indien à Djakarta « La persistance de la pandémie et la réactivité des groupes pharmaceutiques chinois ont modifié l’équilibre stratégique de la zone. »

Ainsi, force est de constater que, quand au lieu de harceler ses voisins sur leurs ZEE, elle joue de ses principaux atouts qui sont ses capacités commerciales et sa puissance financière, principal levier de ses entrepreneurs toujours à l’affut de projets lucratifs, la Chine est difficile à concurrencer. A ce sujet, lire l’analyse de François Danjou : En l’absence de l’Inde, la Chine unique poids lourd du Partenariat Économique Régional.

Enfin, pour nuancer encore les analyses sur l’isolement chinois, il faut se souvenir que nombre de pays en développement, souvent autocrates en difficultés économiques, ont pris fait et cause pour Pékin sur le traitement des Ouïghour au Xinjiang, l’un des sujets les plus sensibles à l’origine des tensions entre Pékin, les États-Unis et l’Europe. Lire : Controverses globales autour du traitement des Ouïghour. Pékin rallie un soutien hétéroclite et brouille la solidarité des musulmans.

 

 

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