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›› Politique intérieure

La longue route semée d’embuches de Xi Jinping vers le 20e Congrès

Interrogé par Asialyst, Alex Payette [1] explore l’avenir du Parti et de Xi Jinping à moins d’un an du 20e Congrès. Décryptant les déclarations de l’appareil, il remet en cause les analyses glosant sur la puissance sans partage de l’actuel n°1 du Parti et l’assurance de sa reconduction en novembre 2022.

Pour aller à l’essentiel, les trois idées maîtresses de l’interview spéculent d’abord sur les risques de tensions internes provoquées par « l’hubris » de puissance exprimée par Xi Jinping objet d’un culte de la personnalité dont l’appareil tout entier garde en mémoire les catastrophiques effets pervers de l’ère maoïste ; l’extrême centralisation est à l’origine du dérapage de la chasses aux corrompus vers une sévère lutte de clans.

Les deux autres arguments qui fondent les doutes d’Alex Payette sont la rigidité du fonctionnement bureaucratique centralisé à l’origine de nombreux dysfonctionnements et, surtout, la relation ambigüe de l’appareil avec l’APL dont la loyauté ne serait pas complètement garantie.

En arrière-plan, commencent à flotter des indices que certains pans de la jeunesse pourraient ne plus adhérer au volontarisme flamboyant du nationalisme exprimé par Xi Jinping.

Une extrême concentration du pouvoir.

Premier hiatus, l’appareil dont la matrice idéologique est pilotée par Wan Hunning (lire : Wang Hunning, l’architecte « du rêve chinois. » Par Théophile Sourdille. (IRIS)) s’est engagé dans un puissant mouvement de recentrage du pouvoir à Pékin. Opposé à la décentralisation qui fut pourtant « la logique même du début des réformes » de Deng Xiaoping, la tendance commencée sous Hu Jintao, s’est accélérée.

Le résultat se mesure à l’aune de nouvelles frictions qui remplacent les anciennes rivalités entre Pékin et les provinces quand elles prenaient leurs aises avec la capitale. Aujourd’hui, les tensions surgissent au contraire quand la machine politique reprend les rênes et tente de faire appliquer les décisions restrictives de remise en ordre touchant un large éventail de secteurs allant de l’immobilier aux groupes numériques en passant par la finance.

Plus encore, le style directif réduit l’initiative aux échelons subalternes. Parfois l’absence de communication et la verticalité provoquent des embardées. Le souci écologique avait conduit à mettre en place des quotas de charbon qui furent imposés avec brutalité au point de produire une pénurie. (lire le § « Sévères pénuries d’énergie » de Une fête nationale sous tensions économiques et stratégiques).

Ratés de la bureaucratie autocrate et férocité de la censure.

Ajoutons à la liste des conséquences néfastes de l’excès de centralisation autocrate ne souffrant aucune critique décrits par Payette, la montée dans toutes les strates de l’administration de l’esprit courtisan.

Compte tenu des critères de promotion articulés quoi qu’en dise l’appareil, à la cooptation par le haut, il induit chez les bureaucrates le réflexe – mais le phénomène déborde largement les limites du Parti en Chine et se retrouve dans toutes les groupes humains – d’une plus grande attention portée par les bureaucrates aux strates supérieures de la Direction politique qu’aux administrés qu’ils ont la charge de servir.

A l’été dernier, la tendance à garder les yeux seulement fixés sur la haute hiérarchie avait été à l’origine des sévères inondations de Zhengzhou, ayant provoqué plus de trois cents morts. Affolée par le risque que craque le barrage de Changzhuang, désastre que la hiérarchie lui aurait imputé, la municipalité avait ouvert les vannes de la retenue sans prévenir les habitants de la ville (lire les deux § de mise à jour de : Au Henan et à Zhengzhou, la « Ville-éponge », un remarquable effort de solidarité des géants du numérique).

La mairie dont les erreurs avaient été d’abord officiellement couvertes par l’appareil qui se ravisa pour déclencher une enquête, avait attribué les soudaines inondations à l’ampleur exceptionnelle du déluge qui, cet été, s’était abattu sur la ville. Le mensonge est, avec la censure et le harcèlement des médias, le principal adjuvant de la propagande de l’appareil.

Selon « Statista » du 15 décembre, la Chine détient de très loin le record mondial du nombre de journalistes emprisonnés. En 2020, ils étaient encore 274 sous les verrous dont 47 arrêtés au cours de la seule année 2020.

Parmi eux plusieurs furent les auteurs d’enquêtes sur les harcèlements des Ouïghour au Xinjiang et les lanceurs d’alerte dévoilant les occultations de l’appareil au moment du déclenchement de la pandémie à Wuhan en janvier 2020.

Récemment les médias occidentaux ont alerté sur le très préoccupant état de santé de la journaliste citoyenne Zhang Zhan. Lire : Covid-19 : la lanceuse d’alerte chinoise incarcérée est entre « la vie et la mort ».

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Doutes sur la loyauté sans faille de l’APL

Au-delà des apparences, la fidélité de l’APL à la gouvernance brutale de Xi Jinping n’est pas garantie.

De nombreux indices suggèrent que la hiérarchie qui fut, elle aussi, très gravement secouée par la chasse aux corrompus [2], s’interroge sur la ligne stratégique excessivement agressive de Xi Jinping ou de son entourage direct.

Le haut-commandement a d’abord été ulcéré qu’en 2013 – 2014, la chasse aux corrompus de l’APL ait d’abord été initiée par le Général Liu Yuan, l’ami d’enfance de Xi Jinping et fils de Liu Shaoqi, dont la carrière, la formation et les antécédents dans la police armée populaire, le désignent comme un intrus au sein des forces opérationnelles [3].

Le même ressentiment a surgi quand Xi Jinping a décidé d’accélérer les promotions de certains alors que d’autres plus anciens étaient éliminés. Moins de trois ans après sa prise de pouvoir, 42 officiers généraux avaient été purgés, le plus vaste coup de balai depuis l’affaire Lin Biao en 1971.

En juin 2015, Xi fit même adopter une nouvelle réglementation autorisant le renvoi sine die d’officiers incompétents, une disposition qui permettra de nouvelles destitutions en série et la promotion d’officiers généraux fidèles et intègres dont quelques-uns formèrent l’ossature de la Commission Militaire Centrale.

A la fin de 2015, trois années seulement après l’accession de Xi jinping à la tête de l’appareil, 57 des plus hauts gradés de l’APL étaient nouvellement promus (soit 62%). Dans l’armée de l’air, à l’exception du Commandant en Chef Ma Xiotian, toute la haute hiérarchie a été nommée par Xi Jinping. La proportion des nouveaux arrivés fut également importante dans la marine et à la tête des 18 groupes d’armées que compte l’armée de terre.

Sans surprise une bonne partie de ces jeunes généraux sont des anciens du 31e groupe d’armées basé dans le Fujian où Xi Jinping a été en poste pendant 17 ans.

Dans la Marine, pourtant une des armées avec la 2e artillerie missiles les plus choyées par le pouvoir, l’arrestation de l’amiral Wu Shengli n°1 de la marine compromis dans la corruption de la construction navale, a également laissé des traces.

Controverses de la relation avec Taïwan.

Mais récemment c’est à propos de Taïwan que sont nées les dissensions les plus visibles entre la prudence des militaires et l’agressivité du discours public dont chacun voit bien qu’il est adjuvant au nationalisme attisé par Xi Jinping en quête de légitimité dans l’opinion chauffée à blanc par les réseaux sociaux.

En mai 2020, le général Qiao Liang avait mis en garde contre les risques pour l’appareil et la stabilité du pays posés par une agression militaire directe de l’APL contre Taïwan. Lire le § « Durcissement chinois et débats internes » de notre article Les nouvelles eaux mal balisées de la question de Taïwan.

Le 16 novembre, « la Troisième résolution » publiée par le Parti, moins d’une semaine après le 6e Plenum, exprimait elle aussi une prudence à propos de Taïwan. Les militaires chinois ayant une conscience opérationnelle le savent. En dépit de sa modernisation rapide, l’APL dont le dernier engagement au combat date de 1979 contre le Vietnam, n’a pas l’expérience d’un affrontement de haute intensité moderne qui serait celui d’une bataille dans le Détroit.

Et contrairement au Japon et aux États-Unis qui se sont durement affrontés dans Pacifique, elle n’a pas non plus la maîtrise du déploiement opérationnel au combat de ses deux groupes aéronavals, dont la complexité technique et tactique ne peut pas être sous-estimée.

Enfin, impossible de ne pas mentionner que, depuis plusieurs années, certains comportements nihilistes de la jeunesse désabusée tranchent radicalement avec les discours officiels - présentant une opinion unanime alignée derrière le Parti.

Sous la surface une désespérance de la jeunesse

Pour résumer, c’est peu dire que le choix stratégique que l’actuelle mandature, articulée à un puissant discours nationaliste, laisse dans l’ombre de lourdes vulnérabilités sociales et politiques internes. C’est la raison pour laquelle, par les temps qui courent, le viseur unique de la « puissance » dont certains s’effrayent quand d’autres y voient un salutaire contrepoids à l’omnipotence des États-Unis, manque une partie importante de la complexité de la société chinoise.

En réalité l’appareil toujours aux aguets de troubles sociaux potentiels n’est pas aveugle. Preuve que la psychologie des jeunes générations (380 millions de Chinois sont dans la frange d’âge de 18 à 35 ans) est au cœur des préoccupations du régime, le 15 août 2017, le Quotidien du Peuple publiait un éditorial pour décrire et dénoncer la nouvelle mode de la « culture sang 丧 文化 sang wenhua » où le caractère « sang 丧 » qui signifie « funérailles » exprime une préoccupante détresse de la jeunesse.

Profondément désabusé, le mouvement imprime un tenace sentiment de désespoir à contrecourant de la musique de puissance et d’optimisme diffusée par le « rêve nationaliste de renaissance » qui fut, avec les « caractéristiques chinoises », l’épine dorsale idéologique du 19e Congrès. Lire : La culture « Sang 丧 », entre dérision, cynisme et rébellion.

Quatre années plus tard, dans la même veine désenchantée et maussade, surgissait le mouvement « Tang Ping 躺平. – couché plat en position de planche - » dont le slogan « Je ne veux pas m’agenouiller, je ne peux pas non plus me lever. Le mieux est que je fasse la planche. 不想跪着 不能站着 只好躺着 » est une réaction au positivisme tous azimuts développé par l’appareil (lire : Le très faible enthousiasme pour la « politique des trois enfants »).

On le voit, l’analyse qui précède dessine un paysage politique contrastant clairement avec l’apparence de cohésion générale exprimée par la propagande. Elle incite pour le moins à douter que la route vers le 20e Congrès serait sans aspérités pour la machine politique du régime.

Xi Jinping qui a en apparence resserré le Parti à sa mesure, pourrait triompher des obstacles politiques et des oppositions qui fermentent sous la surface. Mais les équilibres qu’il a construits sont vulnérables. Ayant échafaudé un pouvoir légitimé par la performance de l’appareil, à la fois impitoyablement répressif et durement concentré autour de sa personne, le moindre accident politique ou économique sérieux, le placerait en première ligne.

Note(s) :

[1Alex Payette (Phd) est co-fondateur et PDG de la société d’intelligence stratégique et de conseils Groupe Cercius. Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine.

[2Lire à ce sujet l’épisode du suicide en novembre 2017 du général Zhang Yang ayant laissé des traces : Suicide d’un général. La justice entre droit et morale.

 

 

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