Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

 Cliquez ici pour générer le PDF de cet article :

›› Technologies - Energie

Véhicules sans chauffeur. Entre propagande publicitaire et réalités

Le 28 novembre dernier, Baidu et la start-up Pony.ai [1] dont un des actionnaires est Toyota, ont reçu le feu vert pour l’exploitation commerciale à Pékin de leurs « robotaxis » sans chauffeur. Mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres. Il est en effet difficile de prévoir quand les voitures autonomes circuleront comme des taxis normaux sans contrainte de sécurité.

Il reste que l’autorisation donnée par la capitale a libéré les compétitions entre un nombre important d’acteurs à la fois attirés par les défis techniques et les économies réalisées par la disparition des chauffeurs.

Il est probable qu’en 2022 d’autres villes de premier rang comme Shanghai, Canton et Shenzhen tenteront également l’expérience. A moyen terme cependant, les enthousiasmes commerciaux pourraient être refroidis par la complexité des problèmes techniques et les règles de sécurité imposées par les pouvoirs publics.

Controverses américaines et perspectives allemandes.

La percée en Chine des taxis sans chauffeur approuvée par Pékin dans la vaste agglomération de la capitale survient alors qu’aux États-Unis la Californie a, le 30 septembre dernier, accordé les mêmes autorisations à « Cruise », soutenue par Général Motors et à « Waymo » filiale « d’Alphabet », elle-même née d’une restructuration de « Google » en 2015. Il leur restera encore à obtenir le feu vert du département californien des services publics.

En 2020, « Nuro », entreprise de robotique basée à Montain View, avait, elle aussi reçu l’autorisation d’exploiter des véhicules sans chauffeur, mais seulement pour des livraisons.

La compétition à la fois technologique et commerciale a touché l’Europe. Le 5 juin 2021, on lisait dans le journal « Le Monde » sous la plume de Franck Cazenave, Directeur des activité « Smart City » chez Bosch, qu’en Allemagne une « nouvelle loi votée le 19 mai par le Bundestag permettrait la mise en service de véhicules autonomes dits de niveau 4 (degré d’automaticité qui s’exonère complètement de la surveillance du conducteur) ».

L’article ajoutait cependant que « le conducteur pourrait reprendre le volant, dès qu’il le souhaitait, en désactivant le système de conduite automatisé. » Très optimiste, Franck Cazenave, précisait aussi « qu’avec cette loi l’Allemagne devenait le premier pays au monde à intégrer des véhicules sans chauffeur à la mobilité du quotidien. » (…) « Avec L’objectif de mettre en service des véhicules dotés de fonctions de conduite autonome en 2022. »

L’accroche de l’article semblait faire écho à la publicité agressive de Tesla par Elon Musk, qui, début octobre, affirmait que son groupe mettrait sous peu en vente un millier de logiciels de conduite autonome à 10 000 $ pièce. Aux États-Unis, la déclaration fut à l’origine de quelques controverses.

A peine quelques jours plus tard, le 9 octobre, dans les pages « Business » de CNN, Matt McFarland écrivait, citant des experts de la conduite autonome et l’administration de sécurité des autoroutes « Il n’y a actuellement aucune voiture réellement autonome proposée sur le marché » (…) « La conduite entièrement autonome de Tesla ressemble plus à un régulateur de vitesse amélioré ».

Il ajoutait que « Les vidéos publiées sur Internet par des personnes ayant déverrouillé la fonctionnalité autonome de Tesla montrent qu’elle peut s’arrêter aux feux de circulation et tourner en douceur aux intersections, mais qu’elle peut également se diriger vers des piétons ou confondre la lune avec un feu de circulation. »

La polémique un tantinet caricaturale rappelle cependant les limites de la technologie et suggère de tempérer les ardeurs. D’ailleurs Tesla calme lui-même ses propres dithyrambes en ajoutant qu’un « conducteur humain doit surveiller et être prêt à prendre le relais à tout moment ».

++++

Les vastes projets de Baidu en Chine.

Depuis la fin novembre la filiale « Apollo » de Baidu qui gère l’entreprise de robotaxis est autorisée à prendre des clients dans l’une des 67 voitures autonomes circulant à Yizhuang, un quartier de la banlieue sud-est de Pékin à 15 km de la Cité Interdite. D’après la société, les prix seront comparables à ceux de Didi Chuxing, - 5,31 $ pour 3 km - soit deux fois moins cher qu’une course de taxi normale.

Jusqu’à présent, Baidu ne peut proposer des courses à des clients qu’à la condition de les faire accompagner par un conducteur capable de prendre le relais du système autonome, et seulement sur une zone de 60 km2 que la ville a dédiée aux expériences de voitures sans chauffeurs. En dépit des contraintes la concurrence commerciale est sévère, attisée par les économies réalisables par la suppression à terme des chauffeurs.

Le 16 novembre, « AutoX », filiale d’Alibaba qui gère ses projets de voitures sans chauffeurs, déclarait que ses « robotaxis » entièrement sans conducteur opérait désormais sur 168 kilomètres carrés – la plus grande zone tests de Chine - dans le district de Pingshan à Shenzhen.

La concurrence s’accélérant à coups de surenchères, le 18 novembre Robin Li, PDG de Baidu déclarait qu’il avait l’intention d’élargir le champ d’action de ses « robotaxis » à 65 villes d’ici 2025 et à 100 d’ici 2030. Associé au groupe public BAIC 北京 汽车, il affirmait aussi qu’il mettrait à court terme sur le marché 1 000 voitures sans conducteur pour 480 000 yuans (75 000 $) chacune, soit moins de 50% de l’actuel prix courant.

La liste est longue des investisseurs déjà engagés dans les véhicules sans chauffeurs. Elle va de Apple et ABB, à Ford, Toyota, Honda, Tesla, Samsung, Nvidia, Uber, en passant par Volvo, Mercedes, BMW, Volkswagen, United Technologies et bien d’autres dont les Français PSA et Renault qui, depuis une dizaine d’années, ont engagé des milliards de $.

L’espoir de gains pour les plus chanceux et les plus habiles de cette course se chiffre en centaines de milliards de $. Selon une recherche conduite par Allied Market Research, le marché des véhicules sans chauffeurs pourrait, dans les sept années qui viennent, exploser de 54,23 Mds de $ à 555,67 Mds de $. Pour autant, ces dernières années des doutes ont surgi.

Baisse de l’enthousiasme.

Le scepticisme est lié aux exigences de sécurité. Elles continuent à imposer la très onéreuse présence d’un conducteur capable de reprendre les commandes en cas d’urgence et aux défis techniques très complexes de la perception par une machine même équipée de cameras lasers et de radars, d’un environnement infiniment divers et changeant. Bref, les ambitions se réduisent à mesure que les budgets se resserrent.

Le 14 juillet dernier dans Atlantico, Jean-Pierre Corniou, du Cabinet Conseil Sia Partners écrivait « Chacun pouvait penser, au vu de l’optimisme affiché par les industriels, qu’il y aurait sur le marché en 2020 pléthore de véhicules autonomes parés de toutes les vertus. » (…)

« On les voyait contribuer au désengorgement des villes à la réduction des nuisances à la diminution de la mortalité routière ». En 2021, il n’en est rien. « De fait, la course vers l’autonomie a été détournée par l’exigence écologique des véhicules électriques. Pour dire les choses simplement, il n’y a pas de voiture autonome, de niveau 5, c’est-à-dire sans conducteur, en libre circulation ».

La voilure a été réduite. En décembre 2020, Benoit Perrin, directeur général chez EasyMile qui produit des navettes autonomes en France, répondait à Atlantico après que la « Loi Pacte » de 2019 ait autorisé l’expérimentation des véhicules totalement autonomes.

« Attention, quand nous parlons du véhicule autonome dès 2022, cela ne sera pas un robot-taxi circulant partout dans les rues. Je pense plutôt à un véhicule réalisant quelques centaines de mètres pour relier, par exemple, un parking à un hôpital. »

Lire le § « Automobiles et trains sans chauffeur » de l’article Percées technologiques de la fin d’année 2019.

L’analyse rappelle que la société « KPMG International » a classé les pays produisant des voitures autonomes (pdf) Les critères sont : 1) la législation, 2) le niveau technologique et de sécurité, 3) l’infrastructure, 4) le degré d’acceptation des consommateurs. En tête : Les Pays Bas, Singapour et les États-Unis. Le Royaume Uni et l’Allemagne sont 5e et 6e. La France est 13e. La Chine 16e.

Lire aussi le résumé (p.8) d’une étude publique française (pdf) « La promesse énoncée par les industriels, Tesla et Waymo, dans les années 2010-2015 de faire circuler des véhicules entièrement autonomes (de niveau 5) en 2020 n’a pas été tenue. » (…)

« Les progrès remarquables de l’intelligence artificielle se heurtent à un certain nombre de difficultés » et « A plus court terme, la liaison entre le conducteur et un système automatisé capable de gérer seul l’accélération, le freinage et le volant, sur certaines portions de route s’avère difficile à mettre au point pour garantir la sécurité de fonctionnement quelles que soient les situations de vie tout, en gérant l’interaction avec le conducteur. »

Dans un article du NYT du 23 décembre, Roy Furchgott analysait à la fois la difficulté des tests de fiabilité et celle de l’interaction entre l’environnement, le pilote et la machine, au cœur des conduites autonomes.

« Les tests pour des tâches spécifiques, comme la conduite sur une piste d’essai, mesure les capacités d’un véhicule uniquement sur cette piste et non pour sa capacité à nuancer toutes les perceptions (une vidéo montre par exemple un véhicule Tesla autonome freiner parce que son radar avait perçu l’éclat jaune de la lune). » (…)

« Aussi sophistiqués soient-ils, les tests techniques de fiabilité d’un système de conduite autonome ne sont pas suffisants. Ils doivent être complétés par d’autres qui vérifient la capacité de discernement de l’intelligence artificielle. » (…)

« Même des tests en théorie exhaustifs mis au point par des ingénieurs ne sont pas une garantie. Les procédures de la Federal Aviation Administration ont été retenues comme modèle, mais elles ont autorisé le Boeing 737 Max, qui a été cloué au sol pendant 20 mois après que deux accidents aient fait 346 morts. ».

Note(s) :

[1Pony.ai est une entreprise high-tech de véhicules autonomes co-implantée dans la Silicon Valley, à Pékin et à Canton. Fondée en décembre 2016 par James Peng et Lou Tiancheng, anciens développeurs pour Baidu dans la Silicon Valley, Pony.ai avait en janvier 2018, levé 112 millions de $ mis sur la table par une série d’investisseurs américains et chinois dont les plus importants sont les Américains Sequoia China et IDG Capital, avec les Chinois Morningside Venture Capital et Legend Capital, aux côtés de Hongtai Capital, Legend Star, Puhua Capital.

En avril 2019, l’entreprise a lancé un système pilote de navette sans chauffeur couvrant 50 km2 à Canton pour ses employés et leurs invités, desservant des points de ramassage prédéfinis. Sept mois plus tard, elle réalisait un essai expérimental de 3 mois à Irvine, en Californie, avec 10 voitures et des arrêts définis pour une expérience identique de ramassage.

En février 2020, Toyota qui avait commencé à tester ses voitures autonomes à Pékin et Shanghai a investi 400 millions de dollars majoritaires dans l’entreprise. Une année plus tard, en juin 2021, elle a été autorisée par les régulateurs californiens à effectuer des tests sans conducteur de sécurité dans des rues spécialement dédiées des villes de Fremont, Milpitas et Irvine. Les contraintes étaient 70 km/h maximum, par temps clair, entre 10h et 15h par temps clair.

 

 

Spectaculaires succès des véhicules BYD

[31 mars 2024] • Jean-Paul Yacine

La nouvelle course à la lune, au cœur de la rivalité sino-américaine

[10 mars 2024] • Jean-Paul Yacine • 2     

A Dubaï, la Chine championne des renouvelables et du charbon

[21 décembre 2023] • Jean-Paul Yacine

Les guerres de l’espace et des microprocesseurs, deux secteurs clé de la rivalité sino-américaine

[9 octobre 2023] • François Danjou

Projets spatiaux chinois et rupture de la coopération avec l’Occident

[22 juillet 2023] • Jean-Paul Yacine