Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

 Cliquez ici pour générer le PDF de cet article :

›› Editorial

Les non-dits des vœux de Xi Jinping et la posture nucléaire chinoise

Le 31 décembre, Xi Jinping a présenté ses vœux aux Chinois dans une ambiance de fermeture du pays, marquée par les incertitudes et tensions nées de la stratégie-forteresse de « zéro Covid ».

Sérieusement mis au défi par l’apparition de foyers épidémiques épars, mais bien moins virulents qu’en Europe et aux États-Unis, le choix politique de l’illusoire éradication complète du virus, a, le 22 décembre, conduit à confiner les 13 millions d’habitants de la ville de Xi’an pour seulement cent cinquante-cinq cas positifs détectés.

En prévision des échéances de l’année du Tigre, le 1er février, et trois jours plus tard, du lancement des Jeux d’hiver, le 4 février, le Parti avait, six semaines avant les échéances, prévenu les Pékinois de ne pas se déplacer et de ne pas se mêler aux étrangers.

Au milieu du bilan de l’année, émaillé des succès chinois aux JO de Tokyo, des exploits spatiaux du « rover » Zhurong sur Mars et du lancement de Tianhe, module central de la station spatiale chinoise, suivis des espoirs que les difficultés seront surmontées grâce à la cohésion du peuple chinois, les non-dits, approximations et parfois contrevérités, destinés à l’audience politique interne étaient présents presque à tous les étages des vœux de Xi Jinping. Trois exemples.

Réunifier Taïwan, une exigence souverainiste ignorant les Taïwanais.

Le premier, bien connu, précisément au cœur des tensions entretenues par les menaces de Pékin dans le Détroit de Taïwan, consiste à expliquer que la réunification, présentée comme fatalement inéluctable, consubstantielle de la « renaissance de la Chine » serait « l’aspiration commune des compatriotes des deux rives du Détroit ».

Il est vrai que l’ADN politique du vieux KMT créé par Sun Yat-sen en 1912 en Chine, aujourd’hui en sérieuse perte d’audience dans l’Île envisage toujours une « réunification ».

Mais, alors que l’Île a depuis 1988 évolué vers la démocratie, jusqu’à tutoyer aujourd’hui les limites compliquées des référendums d’initiative citoyenne d’une démocratie directe, 84,9% des habitants de l’Île interrogés par de fréquents sondages, plébiscitent le statuquo dans le Détroit.

Sur la même ligne, 85,5% rejettent la formule « un pays deux systèmes » dont Xi Jinping fait l’éloge, tout en accusant Washington de militer pour l’indépendance de l’Île.

Disant cela, le n°1 oublie que l’actuelle Présidente Tsai Ing-wen, issue de la mouvance de rupture portée par le DPP qu’elle incarne, tout en privilégiant elle aussi le statuquo, a été réélue en janvier 2020, précisément parce que les Taïwanais avaient sous les yeux la répression de Pékin contre la « Common Law britannique » à Hong Kong, où était précisément expérimentée le schéma « Un pays deux systèmes ».

La mise aux normes de Hong Kong.

Quand Xi Jinping explique que « La prospérité et la stabilité de Hong Kong et de Macao tiennent depuis toujours à cœur à la patrie », il manque une sérieuse partie de l’image. Comme à propos de Taïwan, il laisse entendre que l’exigence de souveraineté justifie tous les moyens et tous les coups de force.

Depuis l’été 2019, Pékin échaudé par les révoltes s’applique systématiquement à détruire tous les ingrédients « d’un pays deux système ».

La dernière et très décisive action de l’appareil a consisté à modifier la loi électorale pour la sélection des députés du mini-parlement de la R.A.S, le Législative Council (Legco), au point que l’élection de l’opposition démocrate est presque devenue impossible.

Entre autres changements, les amendements de Pékin établissent un comité de sélection permettant l’élimination des candidats jugés insuffisamment « patriotiques ».

Le tri des postulants garantit désormais que les pro-démocrates, dont Pékin craint un dérapage de rupture avec le Continent qui réclamerait l’indépendance, restent toujours en minorité au Legco. Depuis cette année c’est chose faite. La mainmise de Pékin sur le schéma « un pays deux systèmes » est même caricaturale.

Lors des élections législatives du « Legco » du 19 décembre dernier, sur les 90 sièges, dont le découpage avait été modifiée pour favoriser la mouvance des affaires attachée au Continent, 89 sont aujourd’hui occupés par des loyalistes pro-Pékin. Lire : Réforme électorale. La mise aux normes politique de Hong Kong se poursuit sans faiblir.

Un point noir cependant, le taux d’abstention de 69,8%, le plus élevé de l’histoire de la RAS, traduisit – mais l’appareil n’en a cure - un désintérêt des électeurs pour un scrutin que les loyalistes ne pouvaient mathématiquement pas perdre.

++++

Non-dits de la pandémie et faces cachées de la stratégie vaccinale globale.

Quand les vœux de Xi Jinping glosent sur les éloges des organisations internationales adressés à la Chine pour sa gestion de la pandémie et sa politique globale ayant distribué deux milliards de doses de vaccins à 120 pays, il passe sous silence que le 30 mars 2021, le Directeur Général de l’OMS Tedros Adhanom Ghebreyesus, exprimait des doutes sur le rapport d’enquête de la mission d’experts chinois et internationaux à Wuhan de janvier 2021.

Pour lui, qui signale que de nombreuses questions restent sans réponse, toutes les hypothèses « sont encore sur la table », y compris celle d’une fuite au laboratoire de haute sécurité P4, qu’il a expressément évoquée.

Son commentaire ripostait aux efforts de Pékin qui durèrent une année, pour tenir à distance une enquête indépendante et exhaustive sur les origines de la pandémie. « Je ne crois pas que l’hypothèse de la fuite au laboratoire ait été étudiée de manière exhaustive. Il sera nécessaire de procéder à d’autres enquêtes pour parvenir à des conclusions plus robustes. »

Toujours le 30 mars, 14 pays dont les États-Unis, le Canada, l’Australie, la Tchécoslovaquie, le Danemark, les trois pays baltes, Israël, le Japon, la Norvège, la Corée du sud, la Slovénie et le Royaume Uni publièrent un communiqué où, tout en exprimant leur solidarité et leur soutien à l’OMS, ils firent état de leurs soucis communs.

Ces derniers avaient trait au retard imposé à la mission d’évaluation en Chine ; à la nécessité d’une réaction plus rapide à l’avenir ; à la rareté des sources directes consultables mises à disposition par la Chine ; à l’indépendance des experts et, par-dessus tout à la persistance d’un sentiment de défiance généré par les atermoiements de Pékin, laissant mal augurer d’une meilleure réaction globale à l’avenir.

Les autres réalités abritées derrière les éloges adressées à la Chine soulignés par Xi Jinping concernent l’utilisation du vaccin comme un levier de pressions stratégiques. Elles sont documentées par une note du CSIS du 17 novembre 2021. https://www.csis.org/analysis/shot-heard-around-world

Au Paraguay où, comme de nombreux pays d’Amérique du sud, seulement une faible part de la population est vaccinée, les besoins pressants du pays, associés au manque d’assistance vaccinale des États-Unis et de l’Europe, ont laissé libre cours au chantage chinois visant à obliger Asuncion à rompre ses relations avec Taïwan.

Un article du Figaro du 21 avril 2021 rendait compte de la réaction du Président Mario Abdo Benitez disant qu’il n’accepterait aucune forme de chantage de Pékin qui se récusa en niant l’allusion à une pression politique.

En Algérie, le vaccin Sinovac est arrivé alors que le gouvernement d’Alger promettait de ne pas critiquer les violations des droits commises par Pékin à Hong Kong.

Au Brésil, Sinovac a été livré à peu près au même moment où Brasilia réinvitait de manière inattendue le géant chinois des télécommunications Huawei à se joindre à la construction du réseau sans fil 5G, inversant sa politique précédente qui, à la remorque de Washington, interdisait la technologie Huawei.

A Manille le Président Rodrigo Duterte avait déjà, à l’automne 2020, manifesté sa gratitude à Pékin en acceptant, malgré l’opposition de son opinion publique, les réclamations chinoises sur les récifs de Scarborough, en échage des vaccins chinois.

A l’été précédent, il avait déjà exprimé ce renoncement territorial en expliquant dans un discours aux parlementaires philippins que la Chine était « maître de la mer de Chine du sud et qu’il n’y avait rien à y faire ».

Aussitôt Pékin annonçait que les Philippines étaient placées sur la liste de pays prioritaires pour le vaccin.Deux mois plus tard, au cours d’une réunion ministérielle, Duterte expliquait que « l’avantage avec les Chinois, était “qu’ils donnaient sans qu’on leur demande“, alors que les pays Occidentaux n’avaient en tête que le profit ».

Kuala Lumpur a également été placé sur la liste prioritaire par Wang Yi le ministre des Affaires étrangères. Mais il l’a fait en demandant en échange la libération de 60 pêcheurs chinois arrêtés dans les eaux territoriales malaisiennes.

*

Trois jours après les vœux du Président aux Chinois, le 3 janvier, Pékin signait une déclaration commune avec les P5, affirmant leur détermination commune à éviter le dérapage vers un conflit nucléaire des actuelles tensions globales.

Ces dernières montent en Europe à propos de l’Ukraine où Moscou négocie directement avec Washington et l’OTAN par-dessus la tête de Bruxelles ; elles se cristallisent aussi en mer de Chine du sud et dans le Détroit de Taïwan, en partie attisées par l’obsession souverainiste de Pékin.

Comme le discours de Xi Jinping, la déclaration des P5 vaut surtout par ce qu’elle ne dit pas.

++++

La Chine et la stratégie nucléaire des P5.

Vue comme une garantie par les « détenteurs reconnus » que les tensions en cours ne monteront pas aux extrêmes destructeurs, la déclaration ne peut manquer de rappeler que le retour des politiques de puissance des États-Unis, de la Chine et de la Russie rabaisse l’Europe au rôle de spectateur dont le territoire serait un enjeu ;

Ensuite que, dans l’esprit de certains, notamment aux États-Unis, où le « no first use » est entouré d’une grande ambiguïté, l’emploi de l’arme nucléaire tactique restait une option, même s’il est clair que la déclaration semble exprimer in-extremis une prise de conscience.

La crainte a été partagée en décembre par le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres qui, dans une tribune, avait agité une cloche apocalyptique : « Compte tenu du stockage de plus de 13 000 armes nucléaires dans les arsenaux du monde entier, combien de temps notre chance peut-elle durer ? » (…)

Il suffirait d’un malentendu ou d’une erreur d’appréciation pour entraîner non seulement la souffrance et la mort à une échelle effroyable, mais aussi la fin de toute vie sur Terre ».

En réalité, explique Marc Finaud, expert en prolifération au Centre Politique de Sécurité de Genève (GCSP), la déclaration tente de revenir aux fondamentaux de la dissuasion que la récente montée des surenchères stratégiques entre Pékin, Moscou et Washington avait contribué à faire oublier.

Le concept de guerre nucléaire « inimaginable » avait été évoqué en 1985 à Genève par les chefs d’État russes Mikhail Gorbatchev et américain Ronald Reagan. Mais « il n’avait jamais été repris par l’ensemble du P5. »

Le non-dit, souligné par Emmanuelle Maître de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), est cependant, qu’à trois semaines de la 10e Conférence d’examen des parties au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires du 24 au 28 janvier 2022, que les « Cinq Permanents » s’étaient bien gardés de cautionner, aucun des signataires de la déclaration commune du 3 janvier n’entend renoncer à son arsenal. La Chine moins que les autres.

Prétextant que ses armes, dont le nombre ne cesse d’augmenter tout comme leur mobilité, leurs capacités furtives et leur précision, sont purement défensives et notablement moins nombreuses que celles de Washington et Moscou, elle refuse toute participation aux dialogues de réduction.

Nouvel an et JO d’hiver, deux échéances sensibles.

Alors que l’appareil est confronté aux défis encore mal cernés de l’émergence du « variant Omicron », les vœux de Xi Jinping se terminaient par l’évocation des jeux olympiques d’hiver. Ils sont une des deux échéances majeures de ce début 2022 avec le nouvel an chinois. Et déjà sous tensions par les probables décisions de boycott d’une partie des officiels occidentaux – une occurrence qui ne gênera l’événement qu’à la marge dit Wang Yi le MAE qui fustige la mesquinerie occidentale -.

De fait, si la vague des nouveaux cas ne faiblissait pas d’ici début février, tout indique que les jeux se dérouleront sous une « bulle » aussi hermétique que possible qui isolera les athlètes du public.

L’autre défi des JO est politique. Les athlètes et les personnes autorisées sur les stades, les pistes et leurs alentours, seront étroitement surveillés pour tenir à distance toute manifestation de protestation.

Depuis le Xinjiang, la répression à Hong Kong, la question du Tibet, la récente affaire de harcèlement sexuel contre la star de tennis Peng Shuai, qui électrise la version chinoise de la mouvance « me too » les sujets ne manquent pas.

L’objectif du Parti est d’éviter à tout prix que soit perturbé l’ordonnancement des événements mis en scène pour affirmer une fois de plus la puissante capacité d’organisation de l’appareil. Elle avait stupéfié le monde aux JO de 2008. Avec 100 médailles dont 51 d’or gagnés par les athlètes chinois qui dominèrent sans conteste la compétition, les jeux furent une apothéose pour l’appareil.

Détail intéressant, il y a quatorze ans, le responsable en charge des Jeux d’été qui furent un triomphe, était le Vice-président chinois. Entré au Comité Permanent en 2007, il s’appelait Xi Jinping.

 

 

A Hong-Kong, l’inflexible priorité à la sécurité nationale a remplacé la souplesse des « Deux systèmes. »

[25 mars 2024] • François Danjou

14e ANP : Une page se tourne

[14 mars 2024] • François Danjou

La stratégie chinoise de « sécurité globale » face aux réalités de la guerre

[29 février 2024] • La rédaction

Que sera le « Dragon » ?

[13 février 2024] • François Danjou

Brève et brutale crise boursière. Le prix de la défiance

[28 janvier 2024] • François Danjou