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›› Chine - monde

Terres rares. Domination chinoise, menaces et contrefeux

Après l’annonce le 23 décembre que Pékin avait créé un « géant des terres rares », par le regroupement de Ganzhou Rare Earth Group associé à deux développeurs de technologies de séparation et aux filiales terres rares de Chinalco et de China Minmetals Corporation, nombre de commentaires avaient glosé sur la domination chinoise.

On y lisait la menace que représentait la concentration industrielle du secteur en Chine pour des pans entiers de l’industrie moderne, depuis les alliages métalliques renforçant la résistance à la corrosion, aux composants des véhicules électriques en passant, entre autres, par les pots catalytiques, le raffinage pétrolier, les diodes électroluminescentes, les éoliennes, les instruments d’optique ou les capteurs solaires.

Les craintes ne sont pas nouvelles et répondent aux intentions déjà exprimées par Deng Xiaoping en 1986, qui décida du programme « 863 », avec le slogan « Au Moyen Orient le pétrole, à la Chine, les terres rares ». L’initiative laissait déjà planer l’intention d’utiliser ces minéraux comme un levier d’influence stratégique. En 2009, une première alerte avait eu lieu quand la Chine qui dispose de près de 38% des réserves mondiales avait institué des quotas d’exportation.

Aussitôt réfutée par une plainte de l’UE, des États-Unis et du Mexique à l’OMC obligeant la Chine à y mettre fin en 2015, l’affaire des quotas chinois avait cependant jeté la lumière sur la réalité d’une industrie d’extraction très polluante utilisant des techniques radioactives ou chimiques corrosives dont le monopole avait été laissé à la Chine qui procédait à l’exploitation des gisements à bas coûts et sans précaution écologique.

Cette désinvolture environnementale attisée par l’appât du gain de l’ouverture économique avait placé la Chine en tête de la production jusqu’en 2009.

Lire à ce sujet : Terres rares. La face cachée du monopole chinois.

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Depuis un peu plus d’une dizaine d’années, on observe à la fois une remise en ordre du secteur en Chine et une confirmation de la menace. Simultanément, la riposte des concurrents se traduit par une restructuration du marché mondial marquée par une baisse significative de la part chinoise dans la production globale et la prise de conscience, en Europe et aux États-Unis, de l’urgence de réduire la dépendance à la Chine.

Pékin et le levier stratégique des terres rares.

En 2017, deux années après la faillite de l’exploitant américain Molycorp, le groupe public chinois Shenghe (extraction, fusion, séparation, traitement et distribution des terres rares en Chine et à l’étranger), avait pris le contrôle de 8% de la mine de « Mountain Pass », le seul grand gisement américain de terres rares dont 51,8% des parts restaient détenues par deux fonds spéculatifs de la finance internationale, animés par des spadassins américains du NYSE.

Le 29 mai 2019, en pleine montée des tensions portées au rouge par D. Trump, entre Washington et Pékin, dans une tribune intitulée « États-Unis, ne sous-estimez pas la faculté de la Chine à riposter - 美国, 不要 低估中国 的 报复能力 », le Quotidien du Peuple, évoquait la « dépendance gênante » de Washington « aux terres rares chinoises » [1].

L’article qui laissait planer la menace d’une riposte par embargo, glosait autour de la formule « 勿谓言之不预也 – wu wei yan zhi bu yu ye – Ne dites pas qu’on ne vous avait pas prévenus ».

En réalité la prévalence chinoise sur le secteur doit être appréciée de manière diverse selon la nature des terres rares. La Chine exploite plus de 70% des terres rares lourdes et de poids atomique intermédiaire du monde et est responsable de 90% du processus complexe de leur transformation en aimants.

En revanche, selon les statistiques chinoises elles-mêmes, la production totale toutes terres rares confondues - lourdes et légères - ne compte que pour 40% de la production globale, tandis que selon une étude de l’US Geological Survey du 24 déc. 2021, elle serait de 60%.

Réactions américaines.

Un an après la menace du Quotidien du Peuple, les concurrents de la Chine se sont réveillés. Leur intérêt était logiquement attisé par la montée des coûts qui facilitèrent les investissements, mais aussi par la crainte rappelée par les grands journaux de « l’establishment » d’un monopole chinois utilisé comme moyen de pression stratégique. Le branle-bas impliqua les pouvoirs publics américains touchés au vif.

En décembre 2020, alors que Washington exprimait ouvertement le souci d’une manipulation stratégique des terres rares par Pékin, la société Mountain Pass aidée par le gouvernement fédéral planifiait de restaurer d’ici 2025 aux États-Unis toute la chaîne industrielle du secteur, y compris le raffinage, la séparation par solvants chimiques et la production d’aimants.

En février 2021, le Pentagone concluait un accord d’investissement technologique avec l’Australien « Lynas Rare Earths Ltd » pour la construction d’une usine de traitement des terres rares au Texas. En même temps, le président Biden signait un décret désignant les terres rares comme un des quatre domaines où il était prioritaire de réduire les risques de rupture d’approvisionnement.

Dans le même temps, le marché global se restructurait réduisant le monopole chinois. Selon une enquête de « US Geological Survey », la part de la Chine dans la production mondiale est passée de 86% en 2014 à 58,3% en 2020.

Plus encore, l’année suivante, en Chine la forte demande industrielle en aval attisée par le secteur des aimants dont la demande avait explosé, renversa le rapport de forces et obligea les sociétés chinoises à augmenter brutalement leurs importations de terres rares américaines.

Le volume total des achats chinois à l’Amérique atteignit 71 000 tonnes en 2021 au prix en hausse de 26% depuis 2019. La tendance s’est même accélérée fin 2021 avec une augmentation des prix de 50% à 2172 $ la tonne, facturés au groupe Shenghe, celui-là même dont les investissements s’étaient infiltrés dans le n°1 américain du secteur.

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La longue remise en ordre du secteur.

En Chine, la restructuration annoncée en 2010 qui, à l’évidence, cherche à contrôler les prix et à préserver la domination globale chinoise face aux ripostes, s’efforce aussi par les regroupements stratégiques organisés par l’appareil de réduire la férocité des compétitions internes, à la source des désordres.

Le 21 mai 2019, certains en Occident, reprenant les commentaires menaçants du Quotidien du Peuple qui, pour une fois n’avaient pas été repris par le Global Times, avaient analysé que la visite de Xi Jinping à une usine de fabrication d’aimants à Ganzhou dans le Jiangxi, province où cohabitent Minmetals Rare Earth et China Southern Rare Earth Group, était le signe prémonitoire de la réaction stratégique chinoise aux attaques de D. Trump.

Plusieurs voix s’étaient manifestées pour mettre en garde contre les conséquences sur les partenaires commerciaux japonais et sud-coréen d’une réduction brutale de la production par la Chine dont la réputation de centre de production fiable aurait pu être affectée.

En réalité, comme l’indiquait la présence aux côtés de Xi Jinping de Liu He, son ami d’enfance, membre du bureau politique, éminence grise de l’économie, l’inspection était surtout l’aboutissement d’une remise ordre de longue haleine, initiée sous la présidence de Hu Jintao, alors que Xi Jinping, n°5 du Comité permanent était aussi vice-président du Comité Central et vice-président de République.

Après une période d’extraction sauvage à bas coûts marquée par la destruction parfois irréversible de l’environnement, voilà en effet dix années que Pékin s’efforce de consolider l’extraction, la production, le commerce et l’exportation des terres rares en regroupant le secteur sous un nombre réduit d’entreprises d’État.

La fusion de trois leaders du secteur approuvé par l’exécutif crée le premier groupe mondial directement sous la coupe de l’appareil. Bien que ce dernier ne contrôle que 70% du secteur, la concentration qui réduit les grands acteurs de six à quatre vise à mieux ordonner une industrie traversée par de violentes variations de prix véritable casse-tête des utilisateurs en bout de chaîne, notamment ceux du secteur des aimants.

Un des acteurs, resté anonyme de Gangzhou Rare Earth, cité par le Financial Times le répète « Compte tenu de leur importance stratégique, nous ne pouvons laisser le marché déterminer combien devraient coûter les terres rares. Nous devons contrôler les coûts et reconstruire une chaîne de production stable et de qualité. »

Outre la maîtrise des prix notamment ceux des éléments clés que sont le dysprosium (aéronautique, disques magnétiques, alliages avec le titane, protection contre les rayons X) et le terbium (écrans, éclairage, radiographie médicale), l’autre objectif est la mise en ordre de bataille pour mettre le secteur en mesure de résister aux ripostes des sources alternatives de terres rares venant de Californie et d’Australie.

Compte tenu qu’hors de Chine, les efforts sont concentrés autour des éléments « légers » des terres rares (au faible n° atomique), le nouveau groupe chinois paraît vouloir se concentrer sur les éléments « lourds » (au n° atomique élevé) dont les prix étaient jusqu’à présent très volatils.

Difficile contrôle des prix et survivance des rivalités.

La manœuvre de maîtrise des prix pourrait cependant prendre quelques délais pour au moins deux raisons. Non seulement, le groupe Gangzhou Rares Earths sort à peine de six années d’arrêt de sa production pour mise aux normes environnementales, mais encore, le nouveau consortium ne contrôle pas toute l’activité du secteur qui, malgré le regroupement, reste partagé entre les mines privées, les entreprises publiques contrôlées par les pouvoirs locaux et les groupes publics d’État.

Récemment, un index des prix calculé par Baotou rare earths, une puissante féodalité que le gouvernement de Mongolie Intérieure cherche à la fois à aider et à contrôler, révélait une hausse de 40% en deux ans du prix des terres rares lourdes.

La situation internationale affecte aussi les prix. Les troubles politiques au Myanmar, un des principaux fournisseurs de terres rares à l’industrie de raffinage chinoise affectent la chaîne d’approvisionnement, provoquant en aval une forte incertitude sur les coûts de production et les ressources disponibles des investisseurs pour la R&D.

Tel est le contexte chinois des terres rares. Traversé par d’importantes vulnérabilités, il est aujourd’hui soumis aux contre-offensives venant des groupes privés de Californie et d’Australie.

La résurgence des concurrents anglo-saxons dont la mis en ordre de bataille sera cependant longue et difficile [2], est la conséquence directe des déclarations intempestives des nationalistes chinois qui croyaient pouvoir utiliser le secteur encore mal remis de longues années d’exploitation sauvage, comme une arme géopolitique en riposte aux agressions fiscales de Washington après l’élection de D. Trump.

Le 30 septembre 2021, contrairement à ses menaces de boycott, brandies au printemps 2019, le gouvernement chinois sous pression par la hausse de la demande industrielle en aval a relevé les quotas de production de 20% autorisant 168 000 tonnes contre 140 000 tonnes en 2020.

Il n’est pas anodin de noter qu’en 2021, le plus gros producteur avec un peu plus de 100 000 tonnes, hors regroupement, restait « China Northern Rare Earth », produit de la fusion en 2015 de Baotou opérant en Mongolie, avec plusieurs petites entités du secteur de la séparation chimique des terres rares.

La survivance après la fusion de deux groupements, l’un au sud et l’autre au nord, lui-même coté à la bourse de Shanghai et qui, en 2020, avait, avec le gouvernement local de Mongolie, rendu public un plan de modernisation qu’il estimait lui-même à 8,75 Mds de $, indique que les rivalités auxquelles l’exécutif dit vouloir s’attaquer sont loin d’être éteintes [3].

Note(s) :

[1Depuis 2017, l’élaboration progressive d’une loi sur le contrôle des exportations, finalement approuvée par l’ANP en octobre 2020, au nom de « l’intérêt de la Nation et de sa sécurité » essentiellement en riposte aux sanctions américaines, laissait flotter la menace d’un embargo sur l’exportation des « terres rares ».

[2Aux États-Unis, les société capables de raffinage et de séparation chimique des terres rares restent peu nombreuses. Celles qui existent n’ont que de faibles capacités.

[3A part China Northern, d’autres groupes d’État ont été laissés en dehors de la restructuration. Il s’agit de Xiamen Tungsten et Guandong Rare Earth Group, qui produisent respectivement en moyenne annuellement 3000 et 10000 tonnes de terres rares.

 

 

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