Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

 Cliquez ici pour générer le PDF de cet article :

›› Politique intérieure

Xi Jinping est-il fragilisé à la tête de l’appareil ?

A la mi-décembre 2021, nombre de commentateurs avaient noté – événement insolite au milieu des hyperboles de la propagande entourant tous les faits et gestes du Président chinois – qu’un article du Quotidien du Peuple faisait l’éloge des réformes économiques de Deng Xiaoping, sans mentionner une seule fois Xi Jinping.

Un semaine plus tard, le 8 janvier 2022, Yan Xuetong, 阎学通, l’un des analystes chinois des relations internationales les plus connus en Occident, exprimait quelques inquiétudes à propos de « l’hubris » de puissance des jeunes nationalistes chinois, nés après 2000 dont le discours constitue une des armatures politiques des soutiens officiels à Xi Jinping.

La conférence faisait partie d’une des réunions régulières des chercheurs et étudiants de sciences politiques organisée conjointement par Qinghua et l’université de Pékin. L’événement auquel assistait physiquement une centaine d’universitaires, élèves et professeurs, a été suivi en ligne par des dizaines d’universités à travers tout le pays.

Pour Yan Xuetong, « la vision dichotomique du monde » des jeunes attribue à la Chine toutes les vertus morales de capacité d’apaisement, de justice et d’innocence internationale, quand en revanche elle classe collectivement « dans le camp du mal », tout l’Occident qui serait animé d’une « haine naturelle contre la Chine ».

L’analyse de Yan renvoyait à un récent article de David Shambaugh publié en août 2021 dans « Foreign Policy », intitulé « La Chine tient tête à l’Amérique ». Pour lui la nouveauté n’était pas que Pékin et Washington nourrissaient des griefs largement identifiés, dont beaucoup, désormais bien connus du grand public, sont systémiques et très difficiles à surmonter.

Une Chine menaçante, peu disposée aux compromis.

Le vrai changement, écrivait Shambaugh, était que la Chine qui exprimait désormais un degré inédit de confiance en soi, voire d’orgueil, insistait désormais pour que les autres obéissent à ses exigences.

Conjuguée à la « diplomatie du loup guerrier » (lire : La Chine agressive et conquérante. Puissance, fragilités et contrefeux. Réflexion sur les risques de guerre), à la coercition économique et aux mesures punitives contre nombre de ses interlocuteurs, cette nouvelle fermeté diplomatique de la Chine, confinant à la brutalité, souvent appuyée par des ultimatums, montre qu’un seuil a été franchi.

« Nous n’en sommes plus seulement à l’expression des désaccords courants en diplomatie, mais à la formulation permanente de mises en demeure. »

En novembre 2020, l’ambassade de Chine en Australie publiait une liste de 14 griefs pour lesquels elle exigeait que Canberra « reconnaisse ses erreurs », condition nécessaire à l’amélioration des relation bilatérales portées au rouge par la quête de Scott Morisson pour une investigation épidémique indépendante à Wuhan.

(Lire notre article : Origine de la pandémie. L’Australie face aux puissantes pressions de Pékin. Quelles perspectives pour une OMS indépendante ?)

La mise en demeure adressée à l’Australie faisait suite aux pressions contre la Corée du sud, la Suède et plusieurs pays asiatiques et européens. Elle précédait une longue liste de doléances adressées à Washington lors du dialogue raté de Tianjin, le 25 juillet 2021. Toutes étaient rassemblées sous l’accusation formulée contre Washington de vouloir « freiner la montée en puissance de la Chine ».

Elles exigeaient que cessent les sanctions, qu’il s’agisse des restrictions de visas du « harcèlement » des journalistes et des étudiants chinois, de la demande d’extradition de Meng Wanzhou, ou de la fermeture des Instituts Confucius.

Surtout, avant l’arrivée de la délégation américaine à Tianjin, Wang Yi qui, par dérision, proposa aux Américains de leur enseigner la courtoisie diplomatique, après les avoir exhortés à abandonner leur arrogance, exprimait en réalité une quête de respect international mêlée de rancœur dont Xi Jinping avait donné le ton lors des cérémonies du centenaire du Parti, tout juste trois semaines avant : « Plus jamais, nous n’accepterons l’arrogance des donneurs de leçons » (…).

« Plus jamais nous ne permettrons à une quelconque force étrangère de nous intimider et de nous opprimer ». La promesse de résister aux pressions américaines était assortie d’une menace : « Quiconque tenterait de le faire, percuterait le mur d’acier des Un milliard quatre cents millions de Chinois ».

Le raidissement international s’accompagne d’attitudes contredisant les déclarations publiques édifiantes.

Le 17 janvier, alors qu’à Pékin, clair symptôme d’une intention de rupture à l’opposé des promesses multilatérales, les régulateurs boursiers continuaient à s’en prendre aux entreprises chinoises listées à la bourse de New-York, Xi Jinping, s’exprimant par vidéo-conférence au forum de Davos, prônait l’ouverture et la coopération internationale.

Condamnant « les mentalités de guerre froide » il a, au passage, réitéré les risques d’une montée aux extrêmes provoquées par la polarisation du monde en blocs rivaux incapables de gérer leurs divergences par le dialogue. Visant l’Amérique, avec qui les relations sont toujours tendues à l’extrême, il a dénoncé le protectionnisme du secteur des hautes technologies et l’instrumentalisation politique du risque inflationniste par la Banque Fédérale.

++++

Les humiliations passées et l’inflexible nationalisme des nouvelles générations.

Il est clair que désormais, n’acceptant plus aucune critique, notamment sur sa gouvernance intérieure, sur le traitement de ses minorités, sur les droits de l’homme, sur l’équilibre des échanges bilatéraux, ou encore à propos de Taïwan et en mer de Chine du sud, Pékin n’est plus enclin à trouver des terrains d’entente.

Avant même d’envisager une négociation, sa stratégie exige de ses interlocuteurs qu’ils capitulent et se rangent à ses revendications. Ici resurgit le complexe des avanies subies au XIXe siècle, qui conduit le Parti à assimiler toute concession d’une négociation à un humiliant abandon en rase campagne.

La fixité de cette mémoire outragée par l’Occident, constamment attisée par Xi Jinping lui-même, constitue un des plus importants obstacles à un apaisement, d’autant qu’à Pékin, a surgi l’idée que l’Amérique et ses alliés démocrates glissent inexorablement sur la pente du déclin.

L’analyse de Yan croisait aussi quelques réalités mises à jour par des enquêtes d’opinion, fond de tableau de ses réflexions. En mars 2021, une étude publiée par l’Académie des sciences sociales de Shanghai révélait une claire évolution des modes de pensée, de la génération post-2000 au moins dans les centres urbains.

En substance l’enquête, commentée par Yang Xiong, chercheur à l’Académie des Sciences sociales de Shanghai, montrait que les jeunes chinois avaient été moins sensibles qu’en Occident aux idéologies modernes destructrices de l’autorité et accordaient toujours une prévalence à l’idée de sacrifice au profit de la collectivité, de la réussite du pays, de sa prospérité et au sentiment connexe de patriotisme.

Alors que le statut global de la Chine s’est rehaussé de manière spectaculaire, la nouvelle génération nourrit, bien plus que par le passé, un sentiment de fierté identitaire et de confiance nationaliste.

En même temps, Yang reconnaissait en substance que le choc des cultures avec l’Occident portait un potentiel de tensions domestiques et internationales et, chez les plus jeunes, une tendance aux hyperboles nationalistes pas tout à fait en phase avec le courant majoritaire des aînés en général plus mesurés ou plus critiques.

Pour expliquer les excès nationalistes de la jeunesse, il mentionnait justement que la génération post-2000 était née à l’époque de l’enfant unique, qui favorisa à la fois leur égocentrisme et leur impatience.

Enfin, constatant à quel point la jeunesse était malgré tout tiraillée entre, d’une part, l’extraordinaire ouverture offerte par les connexions internet et, d’autre part, les traditions d’un pays toujours enfermé dans une vision culturellement autocentrée, il attribuait les tensions à « l’immaturité » de la jeunesse post-2000, elle-même le reflet de la « construction institutionnelle instable » (il faut traduire « absence de contrepouvoirs ») de la Chine contemporaine en cours de modernisation.

« Il s’agit là de son système de gouvernance » dit Yang Xiong qui abordait à mots couverts le sujet très sensible de ce qu’il estime être le « point clé de la modernisation politique de la Chine ».

++++

Le Quotidien du Peuple. Risques portés par la fermeture politique et le culte de la personnalité.

Au moment où la conférence de Yan Xuetong, critique à peine voilée d’une approche caricaturale des rapports avec l’Occident, stigmatisant « l’hubris » de la jeunesse était diffusée dans les milieux académiques chinois, aux États-Unis, Radio Free Asia, financée par le Congrès, toujours à l’affut de dissensions politiques internes en Chine, releva aussi l’absence insolite de toute mention de Xi Jinping dans un article du Quotidien du Peuple sur les réformes de Deng Xiaoping.

Signé de Qu Qingshan, Doyen de l’Institut de recherche et de documentation de l’École Centrale du parti, l’article de 4000 caractères faisait plusieurs allusions historiques pouvant être interprétées comme des critiques des actuelles rigidités de l’appareil, à la fois en politique intérieure et dans les relations internationales.

La référence au troisième plenum du 11e Congrès du Parti en 1978, cité en exemple, mettait notamment en exergue Bao Tong (89 ans), toujours en résidence surveillée à Pékin, un des rares soutiens intérieurs de Liu Xiaobo, prix Nobel de la paix et dont le fils, Bao Pu, aujourd’hui citoyen américain, persona non grata en Chine, avait publié les mémoires de Zhao Ziyang à Hong Kong. Lire : Mémoires d’outre tombe de Zhao Ziyang.

En 1978, Bao Tong, âgé de 46 ans, alors Directeur du Bureau des réformes politiques, s’opposa à Deng Xiaoping qui tentait de museler les critiques. Ardent défenseur d’une société civile chinoise, il fut arrêté à Tian An Men onze ans plus tard, alors que depuis 1987, il occupait le poste stratégique de secrétaire général du Comité Permanent sous l’ère Zhao Ziyang.

En 2008, Bao Tong avait lui-même décrit l’effervescence du 3e plenum de 1978, comme une « réunion exceptionnellement animée ayant déclenché une réaction en chaîne de la société civile » (…) Il ajoutait que « toute l’impulsion vers les réformes avait jailli de ces échanges où tout le monde parlait en même temps ».

Ignorant Xi Jinping, le Quotidien du Peuple glosait aussi sur le fait que le processus de réforme économique et d’ouverture au monde furent le résultat des réflexions du parti sur les « graves lacunes », - notamment le culte de la personnalité de Mao (NDLR) -, ayant conduit à la catastrophe de la Révolution culturelle émaillée par le chaos « des dénonciations politiques suivies de détentions massives », alors que le pays était agité « de troubles sociaux et de violences entre factions dans les rues, que tentaient de réprimer des tribunaux fantoches ».

Surtout, ayant à plusieurs reprises souligné les appels aux réformes économiques de Deng Xiaoping, qualifiées « d’arme magique et de clés de l’avenir du pays », l’article du Quotidien du Peuple louait, les deux prédécesseurs de Xi Jinping, Jiang Zemin et Hu Jintao, pour les avoir mises en œuvre avec succès.

L’auteur accordait même une mention laudative à la théorie des « Trois représentativités » de Jiang Zemin, associant le dynamisme des entrepreneurs à l’appareil, « au milieu d’une situation internationale compliquée. »

La source de l’article se trouvant à l’École Centrale du Parti, cœur politique du régime, il est impossible de sous-estimer ce qui semble une critique non voilée de la méthode Xi Jinping, dangereusement agressive à l’extérieur et brutale à l’intérieur, autour d’un retour au culte de la personnalité dont l’appareil garde un souvenir cuisant.

En haussant l’analyse d’un étage on ne peut manquer de se souvenir que cette critique venant du centre nerveux du régime n’est pas la première. Le 3 juin 2020, Cai Xia, professeur de droit à la retraite de l’École Centrale du Parti avait depuis l’étranger fait diffuser en Chine un message enregistré de vingt minutes par lequel elle critiquait à la fois le système et le n°1 lui-même. Lire : Xi Jinping et Li Keqiang à couteaux tirés ? Un défi à la résilience de l’appareil.

En substance, pour elle, l’appareil où tout débat est devenu impossible, prétend fonctionner selon un système légal de plus en plus sophistiqué, mais il traite tous les opposants en s’affranchissant des lois. Cette « dualité » aboutit à créer, disait-elle, un « parti politique Zombie ». Sa féroce attaque se concentrait sur Xi Jinping lui-même, au point qu’elle appelait même le parti à le démettre.

 

 

L’appareil fait l’impasse du 3e plénum. Décryptage

[17 février 2024] • François Danjou

A Hong-Kong, l’obsession de mise au pas

[2 février 2024] • Jean-Paul Yacine

Pour l’appareil, « Noël » est une fête occidentale dont la célébration est à proscrire

[29 décembre 2023] • Jean-Paul Yacine

Décès de Li Keqiang. Disparition d’un réformateur compètent et discret, marginalisé par Xi Jinping

[4 novembre 2023] • François Danjou

Xi Jinping, l’APL et la trace rémanente des « Immortels » du Parti

[30 septembre 2023] • François Danjou