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›› Editorial

Que sera l’année du Tigre ? Essai de perspective

Dans « The New-Yorker » du 11 février, Evan Esnos tentait de répondre à la question de l’avenir immédiat de la Chine pendant l’année du Tigre.

Ancien correspondant du « Chicago tribune » à Pékin et auteur en 2017 d’un article sur l’éventualité d’une guerre avec la Corée du Nord, il analysait l’avenir et les risques à partir des personnalités de Kim Jong Un et de Donad Trump.

Cette fois encore, il concentrait l’analyse sur la personnalité de Xi Jinping, en examinant les péripéties ayant entouré cette année les JO d’hiver à Pékin, comparées à l’ambiance des jeux de 2008.

Subjugué comme tout le monde par le triomphe nationaliste chinois d’il y a quatorze ans, au milieu de l’admiration générale, il y relevait cependant déjà les prémisses d’un durcissement du régime. Avec cependant de nombreux contrastes.

Des jeux de 2008 à ceux de 2022.

S’il est vrai qu’en 2008, en amont de JO, les convictions léninistes du Parti étaient déjà enkystées et irrévocables, l’appareil se sentait néanmoins suffisamment sûr de lui pour accueillir sans restriction le monde extérieur. L’heure était déjà à la glorification, toujours à l’œuvre aujourd’hui, de la culture classique chinoise ; en même temps on diffusait une image d’ouverture, de convivialité et de prospérité, autour des symboles de modernité.

L’immense complexe artistique de quinze hectares en forme de vaste demi-sphère argentée achevé l’année précédente, posé sur la frange ouest de la place Tian An Men par le Français Paul Andreu, juste en face de Zhongnanhai, cœur politique du pouvoir, faisait l’admiration des visiteurs ébahis.

Pendant les Jeux, la Chine y avait organisé de prestigieux spectacles avec le Ballet Royal des Pays-Bas, la soprano sud-coréenne, Sumi Jo et l’Orchestre philharmonique d’Helsinki.

Les paroles de l’hymne de la cérémonie d’ouverture, « Beijing Welcomes You » avaient été écrites par Albert Leung, un éminent artiste de Hong Kong. A l’époque, l’ancien territoire britannique rattaché à la Chine onze années auparavant, avait, à la surprise générale, conservé une grande partie de son héritage démocratique dans le cadre insolite de l’arrangement politique « Un pays deux systèmes » que l’appareil s’était fait une obligation de protéger.

Une très sévère crispation.

Aujourd’hui, près de dix ans après l’avènement de Xi Jinping à la tête de l’appareil, le durcissement du pays saute aux yeux. Six années après la spectaculaire apothéose des jeux de Pékin où la Chine avait obtenu 100 médailles dont 51 d’or, à Hong Kong, Leung composait un tout autre hymne, cette fois dédié au « Mouvement des parapluies ».

La protestation des Hongkongais de l’automne 2014 dénonçait le projet de limiter le suffrage électoral de l’élection du gouverneur à des candidats choisis par Pékin. Sept années plus tard, le vote par l’Assemblée Nationale de la loi sur la sécurité nationale donnait le coup de grâce au schéma « Un pays deux systèmes ». Alors que toute sa musique était effacée d’Internet par la censure, Leung s’exilait à Taïwan.

Il ne fut pas le seul des artistes mis à l’honneur par Pékin en 2008 à subir l’ostracisme d’un désaveu politique du régime. En 2017, en représailles à la décision de Séoul d’accepter sur son sol les missiles du réseau américain de défense anti-aérien THAAD, trois concerts en Chine de la soprano sud-coréenne Sumi Jo ont été annulés [1].

Les stratégies intrusives de Pékin et le recours récurrent à la menace de représailles contre leurs intérêts sur le marché chinois indisposèrent aussi plusieurs pays européens. Au nord, le Danemark et la Finlande, deux membres permanents du Conseil arctique, eurent des démêlés avec la Chine.

Alors que ni son histoire ni sa géographie ne lui confèrent un droit de regard sur la zone (le Groenland est plus de 4000 km des frontières nord de la Chine), Pékin, incorporant le pôle Nord à sa stratégie des « routes de la soie de l’Arctique », l’œil sur les ressources potentielles d’hydrocarbures, s’efforce de remettre en cause le droit de contrôle par les pays du Conseil arctique.

En 2016, Copenhague bloqua les offres d’une compagnie minière chinoise pour acheter un complexe naval abandonné par les États-Unis au Groenland, tandis qu’à Helsinki, montait une méfiance contre les investissements chinois.

Au même moment, l’Italienne Federica Mogherini, Haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la sécurité adressait au parlement européen et à la Commission une note politique proposant un raidissement à l’égard de Pékin pour « mieux protéger les intérêts économiques européens. ».

La défiance de Bruxelles.

Il s’agissait d’une modification essentielle de l’approche européenne de la Chine. L’UE entendait se donner les moyens de mieux mesurer le degré d’ouverture des marchés chinois aux produits européens et, en même temps, d’évaluer la nature et les risques des coopérations en R&D consenties par certains groupes européens. Une insistance particulière concernait la coopération financière jugée essentielle compte tenu des risques de répliques hors de Chine d’une secousse bancaire.

Le durcissement européen qui tranchait avec la bienveillance admirative ayant entouré les JO de 2008, se cristallisa trois ans plus tard. En mars 2019, par les voix réunies à l’Élysée de Jean Claude Junker alors Président de la Commission, de la Chancelière Angela Merkel et du Président Emmanuel Macron, les Européens firent savoir à Xi Jinping qu’ils considéraient son pays comme un rival systémique.

Le coup de griffe qui tranchait avec l’habituelle bienveillance diplomatique des réunions Chine – Europe exprimait à la fois la crainte du pillage technologique chinois et la défiance de Bruxelles à l’égard de la stratégie du cheval de Troie des liens économiques développés par Pékin avec l’Italie, la Grèce, le Portugal et seize pays d’Europe Centrale et Orientale.

Deux ans plus tard, la discorde Chine – Europe prit un tour politique irréductible quand la question du traitement des Ouïghours au Xinjiang, pesant aujourd’hui sur les JO d’hiver, poussa le parlement européen à un vote lourd de conséquences sur l’harmonie des relations entre les Européens et Pékin.

Mettant à l’arrêt la ratification de l’accord sur les investissements Chine – Europe conclu en décembre 2020, le vote était la prémisse d’une rupture politique entre d’une part la Chine et d’autre part les États-Unis et l’Europe, solidaires contre Pékin à propos des « valeurs » que le Président Chinois a, par le truchement des « caractéristiques chinoises », précisément haussé lors du 19e Congrès au niveau d’une fondamentale discordance culturelle.

Au fond, le raidissement européen qui répond au durcissement chinois autour d’une supposée différence culturelle interroge l’avenir de notre relation avec cette Chine moderne et triomphante où, depuis 2013, l’actuel Président, dénonçant les valeurs de vérité historique et de séparation des pouvoirs, s’applique - et tout indique qu’il continuera sur cette voie en 2022 - à normaliser chez lui les différences culturelles et religieuses, la société, le monde académique, le débat contradictoire et l’information.

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La trace autocrate et nationaliste de Xi Jinping.

En 2008, Xi Jinping entré au Comité permanent l’année précédente, alors vice-président en charge des jeux avait déjà imprimé sa marque. Alors que tout le monde s’extasiait de l’ouverture de la Chine et de son triomphe, la tendance autocrate du régime étaient déjà visible. Teng Biao, avocat et spécialiste chinois des droits, réfugié aux États-Unis, cité par Esnos, fut lui-même victime des réflexes totalitaires. Trois mois avant la cérémonie d’ouverture, il fut arrêté, privé de passeport et de sa licence d’avocat, et torturé par la sécurité d’État.

Il reste que les mailles du filet de la surveillance totalitaire étaient encore larges et le parti maîtrisait encore mal le contrôle d’internet et des réseaux sociaux. Bien que de plus en plus étroites, des marges de contestation existaient encore. Sous Jiang Zemin et Hu Jintao, entre 1993 et 2012, les militants des droits les ont utilisées en dépit des harcèlements de la sécurité d’État.

A partir de 2012, année de la promotion de Xi Jinping à la tête du Parti, lors du 18e Congrès, l’appareil de sécurité accéléra l’usage des outils technologiques de l’autoritarisme normatif. Commençant par le suivi et le contrôle détaillé des discussions en ligne par des armées de contrôleurs, il se donna les moyens d’un quadrillage en temps réel de la société amélioré par l’espionnage généralisé des téléphones portables et l’efficacité intrusive des logiciels de reconnaissance faciale.

Depuis, la chape de surveillance empêche les dissidents de voyager et tient sous le boisseau les protestations publiques que la police disperse avant qu’elles ne prennent de l’ampleur.

Cette année, flagrant contraste avec 2008 qui fut un affichage planétaire d’un mélange de convivialité, de fierté nationale et de puissance, les jeux d’hiver furent à la fois un événement tenu sous le boisseau, contraint non seulement par la pandémie, mais aussi par les tensions politiques autour de la question du Xinjiang et la détermination du Parti à supprimer la moindre contestation pouvant défier l’image de son pouvoir et celui de Xi Jinping.

Dans une organisation exemplaire tirée au cordeau, les athlètes se produisaient devant des tribunes silencieuses ; les journalistes ne pouvaient s’aventurer au-delà des limites de la « bulle sanitaire » reliée aux hôtels du village olympique par des lignes de bus obligatoires, seuls moyens de transport autorisés.

Pour atténuer le risque d’infection, les organisateurs avaient remplacé la main d’œuvre humaine par des robots. Dans la salle à manger, la nourriture descendait du plafond par un palan. Les militants ont aussi accusé le gouvernement de manipuler une application mobile catégorisant l’état de leur infection à la COVID-19. Pour empêcher les dissidents de voyager, il augmentait à sa guise le niveau de risque de leur état de contamination.

C’est dans cette ambiance insolite et hors du temps, que la Chine a conforté son rang au sommet de la hiérarchie mondiale du sport en se classant quatrième avec 14 médailles dont 8 d’or, 4 d’argent et 2 de bronze [2], derrière la Norvège intouchable, l’Allemagne, et les États-Unis.

Placée à l’appel de Washington sous la pression d’un boycott officiel de la cérémonie d’ouverture pour protester contre les traitements infligés à la population Ouïghour du Xinjiang [3], Pékin qui s’offusqua de la politisation des Jeux, n’hésita cependant pas à les transformer en estrade pour affirmer une nouvelle fois, cette fois avec Moscou, une rupture avec les « valeurs occidentales ».

Dès les premiers jours des jeux, le nationalisme chinois s’invita de manière tonitruante au milieu des performances des athlètes grâce aux performances de la jeune Gu Eileen [4], tandis qu’en riposte aux appels au boycott pour cause de « génocide culturel » au Xinjiang, Pékin avait désigné le skieur de fond Dinigeer Yilamujiang, d’origine Ouïghour pour porter le dernier relais de la flamme olympique.

Enfin, le 4 février, après des mois passés à éviter le contact direct avec les dirigeants étrangers, Xi a tenu une réunion amicale avec le président russe Vladimir Poutine, au cours de laquelle les deux ont déclaré, entre autres, leur intention commune de « s’opposer à l’ingérence des forces extérieures ».

Au milieu de tensions croissantes avec les pays occidentaux sur les « valeurs » que Xi Jinping conteste, les évolutions de l’emprise sans partage de l’appareil ainsi décrites entre les JO de 2008 et ceux de 2022, tracent la matrice de ce que sera l’année 2022 à la fois dans sa politique intérieure et les rapports de la Chine avec le monde occidental.

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Perspectives de l’année du Tigre.

A l’intérieur, la trame technique est fournie par le 14e plan. Loin d’être révolutionnaire, il réaffirme les objectifs de consolidation des réformes. Rappelant encore une fois l’exigence de l’innovation et de progrès technologiques, il insiste sur la « résilience » économique et socio-politique, face aux risques posés par les « cygnes noirs ».

Dans ce contexte, l’appareil, qui perçoit le défi comme une exigence de sécurité, focalise sur la nécessité de diminuer la dépendance aux technologies importées, notamment dans les secteurs de pointe où il affirme son ambition de devenir un des leaders mondiaux.

Il s’agit entre autres, des armements stratégiques, dont les armes dites hypersoniques, des systèmes d’information quantique, de la micro-nanoélectronique, des communications en réseau, de l’intelligence artificielle, de la biomédecine et des systèmes énergétiques modernes. Dans ce contexte on verra s’accentuer l’offensive des véhicules électriques aux prix cassés. Lire : L’offensive des véhicules électriques chinois.

Un effort particulier sera consacré à l’exploration spatiale où Pékin qui a planifié le nombre record d’une cinquantaine de lancements commerciaux et nationaux, s’appliquera à terminer sa station spatiale et à poursuivre ses missions vers la Lune et Mars. En premier objectif à moyen terme, l’installation d’une station permanente sur la Lune.

Politiquement il faut s’attendre à plus de mises aux normes et toujours plus de lutte contre la corruption, destinées à redresser les effets indésirables financiers, sociaux et politiques générés par les élans d’ouverture et d’entreprise insufflés par Deng Xiaoping il y a quarante ans. La tendance autocratique ne se privera cependant pas d’utiliser la lutte contre la corruption pour mettre au pas les contestataires au sein de l’appareil et dans la mouvance des défenseurs des droits.

Inquiétudes et quête de stabilité

Alors que les prévisions de croissance de Goldman Sachs signalent un fléchissement irrémédiable de la croissance à seulement +4,3% (soit un freinage brutal de plus 60% en moins de quinze ans), les défis sont considérables.

Dans ce contexte, montent des inquiétudes soulignés par les économistes chinois eux-mêmes. En dépit des affichages optimistes de l’appareil répétant que malgré la pandémie, l’économie avait continué à croître en 2020 – 2021, une série de vulnérabilités préoccupent les planificateurs.

Il s’agit de la crise rampante de l’immobilier, des effets paralysants de la stratégie de « zéro covid », de la faiblesse insistante de la consommation des ménages, talon d’Achille du concept « d’économie duale » dont l’intention est de réorienter l’économie vers moins de dépendance à l’export.

Les tendances moroses se lisent dans la stagnation des ventes au détail, notamment du secteur automobile et dans les indicateurs d’achat de la production industrielle tombés à 49,10 en janvier 2022 et, dans une moindre mesure des services également en baisse.

En même temps, le nombre important de projets du 14e plan dédiés à la construction, au développement rural et aux infrastructures qui prévoient 30 nouveaux aéroports et des milliers de km d’autoroutes et de voies ferrées, montrent que les réformes de structure stagnent.

Le paradigme économique reste toujours dominé par les investissements d’aménagement du territoire et du secteur immobilier (24% de la croissance) dangereusement en crise après que Xi Jinping ait tenté de le normaliser, sans pour autant oser instituer une taxe à la propriété qui heurte les intérêts de nombre de caciques du régime. Lire : Le grand défi politique des taxes à la propriété.

A plus long terme, se précisent les vulnérabilités du vieillissement, de l’inégalité des systèmes de soins et des retraites, le poids de la pauvreté frappant 40% de la population vivant avec moins de 150 $ par mois et la chute inexorable de la proportion de la population en âge de travailler ; tandis que, s’ajoutant à la hausse des coûts de l’énergie, les récentes interventions brutales de l’État dans l’entreprise freinent l’élan productif du pays.

En dépit des dénégations de l’appareil qui élude ses responsabilités, il est probable qu’il tentera de corriger la mauvaise image laissée par sa politique à l’emporte-pièce au Xinjiang.

Un premier indice est la relève de Chen Quanguo annoncée le 25 décembre dernier par une dépêche de Xinhua. Ayant quitté son poste avec les félicitations et les éloges de l’appareil, chacun sait qu’il est le principal artisan des mesures sans nuances décidées contre les Musulmans Ouïghour ayant, ces dernières années, mis la Chine en porte-à-faux.

A Hong-Kong en revanche, sous l’égide de la loi sur la sécurité nationale, Pékin continuera sans faiblir à marginaliser la mouvance démocratique pour s’assurer que jamais un partisan de l’option séparatiste ne parviendra en situation de se faire élire à la tête du territoire.

A l’extérieur, dans un contexte où la rivalité stratégique avec Washington n’est pas près de s’effacer, Pékin ne reviendra pas sur sa posture anti-occidentale et de proximité stratégique avec la Russie, pour l’instant fournisseur de 16% de ses importations annuelles de pétrole et de 34% de ses importations de gaz [5]. Mais Moscou devra compter sur la défiance des autorités chinoises soucieuses de diversifier les fournisseurs du pays.

Continuant ses affaires et sa recherche d’influence en Afrique, Pékin, conscient des critiques qui l’accusent de piller les ressources primaires et d’aggraver la dette des plus pauvres, cherchera à modifier son image en multipliant l’aide au développement et à la création d’entreprises.

Dans ce contexte, tournant le dos à la tendance de la Chine-Afrique à faire cavalier seul, Xi Jinping pourrait renouveler sa récente proposition faite à Paris et Berlin, d’engager en Afrique un partenariat à trois. Il pourrait également tenter de relancer la ratification de l’accord sur les investissements avec l’Europe, suspendu le 4 mai 2021 par la Commission, au milieu d’un rare aller-retour de sanctions, précisément à propos de la situation des musulmans Ouïghour au Xinjiang.

Sur le théâtre asiatique Xi Jinping n’abandonnera pas ses revendications en mer de Chine du sud, ni son projet de récupérer Taïwan en dépit du refus massif de la population de l’Île attaché à la démocratie.

La persistance de ces revendications historiques et culturelles mettra Pékin en porte à faux avec les pays de la mouvance indo-pacifique et de « l’alliance Quad » (Japon, Inde, Australie, États-Unis).

Priorité au Congrès

Pour autant, contrairement à ce qu’avancent certaines analyses, à neuf mois du 20e Congrès du Parti, avant tout préoccupé par son adoubement pour un troisième mandat contrevenant à la jurisprudence de l’appareil, il est très peu vraisemblable que Xi Jinping saisisse l’opportunité des tensions avec Moscou à propos de l’Ukrain pour agresser Taïwan.

Au total, à l’approche de l’échéance majeure du renouvellement de sa charge de secrétaire général dont la perspective contrevient à la double jurisprudence de la limite d’âge et de la limitation des mandats, Xi Jinping recherchera la stabilité.

A l’extérieur, il ne prendra pas le risque de déclencher un conflit qui pourrait perturber l’ordonnancement politique du Congrès. A l’intérieur, s’appuyant sur la censure et la normalisation politique qui le protège, il veillera à tenir fermement les oppositions sous le boisseau.

Wu Qiang, ex-professeur de sciences politiques à Qinghua, démis de ses fonctions pour avoir soutenu les protestations de Hong Kong, pointe du doigt l’essentiel qui reste la protection du régime dont l’exigence trouve et pour cause un écho chez Vladimir Poutine.

« Quand en octobre 2021, les cérémonies du centenaire de la création du Parti affichèrent de manière grandiloquente les immenses emblèmes marxistes exhibés sur la place Tian An Men, Xi Jinping célébrait aussi le fait que la Chine avait échappé au sort des partis communistes d’Europe de l’Est et d’Union soviétique, effondrés après la Guerre froide. »

Il serait cependant imprudent de considérer que les protestations seraient définitivement éteintes. Au sein de l’appareil, les contempteurs de Xi Jinping, bien que discrets existent. Ils lui reprochent son style autocrate, agressif à l’extérieur et peu enclin à la collégialité à l’intérieur où son plus dangereux talon d’Achille, est son goût prononcé pour le culte de la personnalité.

Récemment l’Institut chinois d’Études Internationales rattaché à l’Université de Pékin a publié un rapport très vite effacé du net sur le découplage Chine - États-Unis. Il analysait les risques pour les deux pays et concluait que le plus grand perdant serait la Chine. De même, toujours à Beida, des professeurs du département de droit ont exprimé leur opposition à la stratégie zéro Covid avant que leur compte WeChat soit fermé.

Récemment un article du Quotidien du Peuple signé par Qu Qingshan, Doyen de l’Institut de recherche et de documentation de l’École Centrale du parti, qui omettait de citer Xi Jinping, faisait en revanche l’apologie de Bao Tong, aujourd’hui âgé de 89 ans. En résidence surveillée à Pékin, il est connu en Chine comme l’un des plus ardents défenseurs d’une société civile vibrante et dynamique. (lire Xi Jinping est-il fragilisé à la tête de l’appareil ?).

Note(s) :

[1Réalités des stratégies d’influence obligent, Pékin ne souhaitant pas laisser le champ libre à l’Amérique sur la péninsule coréenne, en novembre 2017, un mois après ces émotions nationalistes, Xi Jinping rencontrait le président sud-coréen Moon Jae-in à Danang en marge du sommet de l’APEC pour, écrivait le China Daily, rétablir la normalité des liens entre les deux pays.

A l’orée de son 2e mandat à la suite du 19e Congrès qui affirma « les caractéristiques chinois », frontalement opposées à celles de l’Occident, Xi Jinping, tentait au nom de la proximité des cultures asiatiques, de défier Washington sur une de ses « chasses gardées » datant de la guerre de Corée.

[2Après le triomphe de 2008 à Pékin, en 2012, à Londres, la Chine s’est classée 2e et 3e à Rio en 2016. Aux jeux d’été de 2021, au Japon, elle était à nouveau 2e. L’année suivante aux jeux d’hiver 2022, avec 14 médailles dont 8 d’or, 4 d’argent et 2 de bronze, sa performance est la meilleure depuis qu’elle a commencé à participer aux JO d’hiver en 1992, à Albertville où elle n’avait décroché que 3 médailles de bronze. Sa 2e meilleure performance aux JO d’hiver eut lieu à Turin en 2006, avec 11 médailles dont 5 d’or, 4 d’argent et 2 de bronze.

[3Le boycott de la cérémonie d’ouverture fut suivi par l’Australie, le Royaume-Uni, le Canada, le Japon, l’Allemagne, le Danemark, les Pays Bas, l’Inde, la Nouvelle-Zélande, la Lituanie, le Kossovo et la France

[4Alors qu’en Amérique, Sophie Richardson, Directrice de « Human Rights Watch China », portant le couteau dans la plaie, déclarait « qu’il était impossible que les JO puissent être un succès quand le pays hôte commet des atrocités sur son sol », Pékin ripostait en confiant le dernier relais de la flamme olympique à un athlète ouïgour. Trois jours après, dès les premières compétitions, se présenta une occasion emblématique de glorifier la Nation chinoise dans l’ambiance échauffée de la rivalité Chine – États-Unis.

Le 7 févier, trois jours après le début des jeux, l’adolescente de 18 ans de nationalité américaine Eileen Gu, née à San Francisco, étudiante à Stanford, mais d’origine chinoise (Gu Ailing 谷爱凌) qui avait choisi de concourir pour la Chine où sa mère, biochimiste et femme d’affaires à succès, avait émigré il y a trente ans, remportait sa première médaille d’or dans la discipline de ski acrobatique de l’épreuve de « demi-lune ». Par la suite elle devint la première athlète à décrocher trois médailles olympiques dans trois disciplines différentes du ski acrobatique.

[5Alors qu’en 2021, pour la première fois depuis dix ans, les importations de pétrole chutaient de 5,1% à 512 millions de tonnes, les 80 millions de tonnes achetés à la Russie représentaient 16% du total des importations chinoises.

Dans le même temps, les importations de gaz augmentaient de près de 20%. Sur ce marché, la proportion de gaz russe est en hausse. Le 4 février, en marge de la rencontre entre Xi Jinping et Vladimir Poutine mise en scène à l’ouverture des jeux, Gazprom et CNPC ont signé un nouvel accord libellé en Euros pour la livraison de 10 milliards de m3 annuels pendant 30 ans. Ils s’ajoutent aux 38 milliards annuels de l’accord de 2014.

Par ailleurs, sans préciser les échéances, Gazprom a déclaré qu’il prévoyait d’augmenter les exportations de gaz vers la Chine à 48 milliards de m3 annuels par un nouveau gazoduc qui fournirait 10 milliards de m3 par an depuis l’Extrême-Orient russe.

Enfin, Moscou et Pékin ont rappelé la perspective déjà évoquée en janvier dernier de la construction d’un nouveau gazoduc baptisé « Power of Siberia 2 ». Long de plus de 4000 km, reliant la péninsule de Yamal au nord de la Sibérie aux zones industrielles voraces en énergie des régions de Pékin et Shanghai en passant par la Mongolie, il doublerait la quantité de gaz livrée annuellement à la Chine.

Le projet qui relierait la Chine à la source qui approvisionne déjà l’Europe, donnerait à Gazprom le pouvoir stratégique de réguler les livraisons pour faire pression sur l’Allemagne et l’Europe. C’est la raison essentielle des délais qui au milieu des tensions autour de l’Ukraine retardent la certification de North Stream 2.

 

 

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