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Malaise chinois face à l’invasion de l’Ukraine. Un subtil changement de ton

De récents et très explicites indices suggèrent que Pékin, qui continue d’afficher un soutien à officiel à Moscou dans l’affaire ukrainienne, est de plus en plus mal à l’aise. La vérité est qu’inquiet de la montée du sentiment antichinois dans la plupart des pays occidentaux, le Parti est en train d’opérer un ajustement stratégique.

En même temps, il veille, par ses paroles et quelques gestes, à ne pas donner le sentiment de trahir sa proximité avec Vladimir Poutine affichée le 4 février dernier à l’ouverture des JO.

En amont du 20e Congrès, cherchant clairement la stabilité, soucieux des relations avec Kiev et l’Europe dont il est le premier partenaire commercial, considérée par lui comme un contrepoids stratégique possible à Washington, il est pour le Parti impératif de se tenir à distance de l’agression militaire russe en cours en Ukraine.

Le fait que, non seulement l’OTAN et la Maison Blanche, mais également les 27 Européens unanimes alignés aient condamné l’équipée militaire de Vladimir Poutine pèse de toute évidence dans la balance de l’appareil dont le Comité Permanent plusieurs fois réuni à huis clos depuis le 4 février, considère qu’il fait face à la plus sévère crise depuis la secousse financière de 2008.
Lire : China and the Ukraine crisis.

Un ajustement pragmatique.

En dépit de la rencontre entre Xi Jinping et Vladimir Poutine spectaculairement mise en scène, lors de la cérémonie d’ouverture des JO achevés le 20 février sous les feux d’artifice et au son de l’hymne à la joie de Beethoven, le Parti n’a pas oublié que l’éclat de la fête avait été terni par le boycott officiel d’une dizaine de pays pour la plupart occidentaux qui protestaient contre le traitement infligé par Pékin aux Ouïghour du Xinjiang.

Même si Pékin continue dans ses déclarations à fustiger l’expansionnisme militaire de l’OTAN, il a en tête d’autres soucis plus prosaïques.

Au cœur des intentions de l’appareil se trouve le très pragmatique projet, pour l’instant à mille lieues de la stratégie russe de résistance à l’Alliance, de relancer l’accord sino-européen sur les investissements, conclu in-extremis à la fin 2020, mais dont la ratification par le parlement a été suspendue en mai 2021 au milieu d’une rafale de sévères condamnations de la politique chinoise dans le Grand Ouest chinois, assimilée par toutes les critiques occidentales à un « génocide culturel ».

Mais l’objectif de rétablir le processus de ratification suppose d’abord de concilier d’une part, les impératifs de sécurité intérieure à l’origine de la stratégie à l’emporte-pièce contre les Ouïghour au Xinjiang et d’autre part, les signaux d’apaisement adressés à l’Europe et aux États-Unis, dont la première préoccupation stratégique se trouve pour le moment en Ukraine.

Il est pour l’instant difficile de préjuger des suites réelles qu’aura la décision de relever de son poste Chen Quanguo, architecte unanimement condamné par toutes les ONG des droits de la planète comme l’architecte direct de la brutale mise aux normes répressive de centaines de milliers de Musulmans ouïghour dans des camps de rééducation patriotiques dont le nombre estimé par photos satellites et diverses autres sources, varie entre 300 et un millier.

Mais la nomination à la place de Chen de Ma Xingrui (62 ans) ingénieur missiles qui fut à la tête de la mission lunaire Chang’e 3, témoigne au moins de la volonté de changer de style. Lire : Au Xinjiang, Chen Quanguo laisse la place à l’ancien ingénieur missiles devenu homme politique, Ma Xingrui.

Changement de ton vis-à-vis de Moscou.

Xi Jinping a certes dit « comprendre » l’aventure militaire de Vladimir Poutine ; dès le 24 février, la porte-parole du Waijiaobu, Hua Chunying commençait à condamner « les provocations américaines », après avoir refusé de qualifier « d’invasion » les « frappes de décapitation » contre les voies ferrées, les casernes, les dépôts logistiques et les aéroports ukrainiens, tandis que les troupes se rapprochaient du port de Marioupol, au sud du Donetsk.

Mais c’est le ministre des Affaires étrangères Wang Yi lui-même qui, le 19 février dernier, s’exprimant en visio-conférence à la conférence annuelle de sécurité à Munich qui rappelait le plus clairement la position officielle de la Chine « La souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale de tous les pays doivent être respectées et sauvegardées et l’Ukraine ne fait pas exception ».

C’était cinq jours exactement avant l’offensive russe que le Pentagone, informé des mouvements russes par satellite avait publiquement anticipé depuis plusieurs jours, sous les accusations de jeter de l’huile sur le feu.

C’est peu dire que l’événement disruptif provoqué par son « vieil ami 老 朋友 » Vladimir Poutine qui poursuit comme lui un objectif de retour de puissance, mais en prenant des risques considérables, met Xi Jinping mal à l’aise.

Les premières déclarations officielles au-delà du commentaire du n°1 du Parti évoqué plus haut disant « comprendre » la manœuvre de Moscou, furent d’appeler à la désescalade et à la négociation. La voie moyenne et discrète rappelle – c’est la position de Pékin à propos de l’Iran et de la Corée du Nord -, que la Chine a toujours considéré que « les sanctions » n’avaient aucune efficacité.

Ce qui dans l’actuelle stratégie jusqu’au boutiste de Poutine n’a pas plus d’effet qu’un coup d’épée dans l’eau. En réalité, la voie est étroite.

Cautionner la guerre en Europe quand Pékin y a patiemment construit autant de pôles d’intérêts et d’influence commerciale est impossible ; en même temps, Xi Jinping répugne à donner le sentiment qu’il lâcherait Poutine.

Tout juste est-il possible de rappeler l’histoire de la Chine, qui comme le dit Li Xiaoming, ancien ambassadeur à Londres au prix de quelques entorses à la vérité, « n’avait jamais envahi d’autres pays ni lancé des guerres par procuration ».

Mais la contradiction de la posture depuis l’affichage de la connivence stratégique lors des Jeux d’hiver a conduit le Parti à censurer tous les échanges sur WeChat qui mentionnaient l’Ukraine.

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Appels du pied à Washington.

Le subtil ajustement stratégique qui tente de desserrer l’étau des contradictions est également perceptible dans les relations avec Washington.

Certes lors de l’entretien téléphonique du 22 février avec Antony Blinken, le lendemain de la reconnaissance par Vladimir Poutine des républiques auto-proclamées du Donbass et deux jours avant l’offensive contre l’Ukraine, Wang Yi a accusé Washington de fomenter les alliances anti-chinoises dans le Pacifique occidental. Mais, à propos de l’Ukraine, les deux sont tombés d’accord sur l’inviolabilité des frontières.

Plus encore, signalant la volonté chinoise d’apaiser la relation par des références historiques à la période vertueuse des années soixante-dix, Pékin a tenu à célébrer le 50e anniversaire de la venue en Chine de Richard Nixon en février 1972. La visite de sept jours avait ouvert la voie à la reprise des relations diplomatiques entre les deux pays et a préparé le terrain pour l’ouverture de la Chine au monde.

Selon les diplomates chinois, le but de la commémoration qui n’a eu que peu d’échos aux États-Unis, était d’encourager les universitaires, les hommes d’affaires, les associations à rappeler la nécessité d’un engagement continu entre « les deux puissances mondiales qui doivent se respecter l’une l’autre. »

Pour autant, alors que l’administration Biden poursuit la même ligne dure sur la Chine que D. Trump, les diplomates chinois ont regretté de ne pas avoir été accueillis en retour avec le même enthousiasme.

Autre difficulté, l’élan chinois est lui aussi freiné par la question taïwanaise. Principal sujet de la rivalité stratégique irréconciliable entre Washington et Pékin, elles s’est invitée sur mode très agressif dans les réseaux sociaux, au milieu tensions à propos de l’Ukraine.

En arrière-plan toujours le défi taïwanais.

Alors que l’une des sanctions les plus sévères infligées à Moscou est l’embargo imposé sur les microprocesseurs de premier rang technologique fabriqués par le fondeur taïwanais TSMC qui fournit 50% du marché mondial, sur Weibo la mouvance nationaliste a saisi l’occasion de l’offensive de Poutine pour appeler à la reconquête de l’Île « Voilà notre chance de récupérer Taïwan », disait un internaute.

Pour Xi Jinping, occupé à préparer l’extension de ses mandats à la tête du Parti à l’automne prochain, l’heure de la reconquête n’est pas venue, tandis qu’au sein de l’appareil, l’éventualité d’une agression directe à hauts risques fait débat.

Malgré les crispations martiales de Xi Jinping au début de 2020, et en dépit des récentes vagues d’intimidation des chasseurs de combat et de bombardiers dans les parages sud de l’Île, la position officielle de Pékin est, avant de procéder au rattachement territorial, dont il a fixé l’échéance en 2049 de tenter une « réunification des esprits » par la proximité linguistique et culturelle, la porosité des intérêts d’affaires et la dépendance commerciale de l’Île au Continent.

Mais l’avenir n’est pas écrit. Il est probable que Xi Jinping observe l’ampleur du coût que la mouvance occidentale est capable d’infliger à la Russie. Il mesure aussi le développement du marché américain et de ses hautes technologies dont son pays a besoin. En même temps, il calcule la capacité des Occidentaux à prendre des risques vitaux, pour venir au secours militaire direct de l’Ukraine dont chacun voit bien qu’à l’Est de l’Europe, elle n’est pas très élevée.

Certes, Xi Jinping n’a pas l’émotion bravache d’un « Slave » inspirée par la mystique de l’église orthodoxe réactionnaire mais, comme lui, il est porté par une idée d’un retour impérial et celle d’une revanche contre les trahisons occidentales au nom des spécificités culturelles nationales.

Dans un récent article de The Atlantic du 24 février dernier, Michael Shuman conclut son propos intitulé « Is Taïwan next ? » par une mise en garde.

En substance : Alors que le monde se divise désormais entre les États qui bénéficient stratégiquement de la perpétuation de l’ordre mondial actuel et ceux qui gagnent à le renverser, l’invasion de l’Ukraine pourrait n’être qu’une étape d’une campagne visant à détruire l’ordre existant. La prochaine étape pourrait peut-être pousser la Chine à tenter la mise au pas brutale de l’Île de Taïwan.

 

 

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