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›› Editorial

Conflit ukrainien. L’ambiguïté chinoise

Le 2 mars, convoquée en réaction au véto systématique opposé par Moscou au Conseil de sécurité, l’assemblée générale des NU où la procédure du véto n’a pas cours a, sous les applaudissements, approuvé par 141 votes sur 193 membres une résolution qualifiée « d’historique » réclamant que Moscou « retire immédiatement et sans condition toutes ses forces militaires d’Ukraine ». Le texte condamnait aussi la « mise en alerte des forces nucléaires » annoncée par Vladimir Poutine.

Intitulée sans équivoque « Agression contre l’Ukraine », affirmant « son attachement à la souveraineté, l’indépendance, l’unité et l’intégrité territoriale de l’Ukraine », la résolution préparée par Washington, Bruxelles en liaison avec Kiev « déplorait dans les termes les plus vifs » à la fois « l’agression de la Russie contre l’Ukraine » et « l’implication de la Biélorussie ».

Pour autant l’examen détaillé des votes semble, au moins en première lecture, dire autre chose que l’unanimité saluée par les observateurs. Outre les cinq pays ayant voté contre (Russie, le Belarus, la Corée du Nord, l’Érythrée et la Syrie.), 35 se sont abstenus.

Parmi eux la Chine. Si on se souvient de la proximité entre Moscou et Pékin spectaculairement mise en scène au JO le 4 février à Pékin, le vote chinois a laissé perplexes ceux qui, croyant à une solide alliance stratégique, attendaient un rejet pur et simple en appui de Moscou.

Leur perplexité s’est transformée en surprise en apprenant que quelques jours après le vote, Pékin prenait des mesures destinées à protéger ses intérêts financiers dont les modalités conservatoires apparurent comme un désaveu de Moscou.

Les abstentions. Décryptage et faces cachées.

Dans les rangs des abstentionnistes, 16 pays d’Afrique dont l’Algérie, l’Angola, le Burundi, le Congo- Brazzaville, la Guinée équatoriale, Madagascar, le Mali, le Mozambique, la Namibie, le Soudan, le Soudan du Sud, l’Afrique du Sud, le Sénégal, la Tanzanie, l’Ouganda et le Zimbabwe.

Douze pays d’Asie et du Moyen Orient : dont deux de l’ASEAN (sur dix) Laos et Vietnam ; la Chine, le Bangladesh, l’Inde, le Sri Lanka l’Iran, l’Irak, la Mongolie, le Pakistan, la Syrie, l’Arménie ; trois pays d’Asie Centrale (sur cinq) : Le Turkménistan, le Kazakhstan, le Kirghizstan ; quatre pays d’Amérique latine : Cuba, le Nicaragua, la Bolivie, le Salvador.

Beaucoup ont récemment été sensibles aux projets chinois des nouvelles routes de la soie, notamment en Afrique de l’Est. Lire : Huitième sommet Chine-Afrique. Vaccins et promesses d’une communauté de destin. Au-delà du rêve, les réalités.

Une exception notable cependant, le Nigeria qui accueille le premier stock d’investissements chinois du Continent africain, a voté pour la résolution. En revanche le Sénégal que tout le monde croyait proche de la France, de l’UE et de l’Occident, n’a pas condamné Moscou.

En cela, il suivait Pékin avec qui Dakar nourrit depuis quelques années le rêve identique de « renouveau national ». Lire : Le Sénégal en phase avec le « rêve chinois »..

Si l’abstention chinoise a créé un sentiment mêlé chez nombre d’analystes cherchant à décrypter le jeu chinois, celle de l’Inde provoqua en revanche un étonnement à rebours chez les observateurs qui voient New-Delhi engagé en Asie Pacifique aux côtés des États-Unis, du Japon et de l’Australie pour la défense des démocraties contre les réclamations territoriales de la Chine autocrate et ses menaces contre Taïwan.

Beaucoup y ont vu à la fois une réminiscence de la position non alignée de Nehru de l’époque de Bandung (avril 1955) et l’héritage de la proximité entre New-Delhi et Moscou durant la guerre froide, quand l’URSS était le principal fournisseur d’armes de l’Inde. Cette relation a d’ailleurs continué après la chute de l’Union Soviétique. On se souvient qu’en 2018, Moscou avait, au grand dam de Washington, vendu à l’Inde des missiles anti-aériens S.400 dont la livraison a commencé en novembre 2021.

La réalité est que l’abstention pousse à ses limites les contradictions de New-Delhi entre la défense des démocraties et sa quête de neutralité, aujourd’hui elle-même démentie par son engagement aux côtés de Washington, Tokyo et Canberra pour faire pièce à la montée en puissance de la Chine avec qui elle nourrit une irréductible rivalité. Lire : Entre l’Inde et la Chine la fureur a baissé d’un cran. Mais la défiance demeure.

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Toujours proche de Moscou, Pékin se tient pourtant à l’écart du conflit Ukrainien.

En Asie, à côté de l’abstention de deux pays de l’ASEAN sur dix, la plus remarquée fut celle de la Chine, membre permanent du Conseil de sécurité, dotée d’un droit de véto. Sa présence avec l’Inde dans le camp des abstentionnistes alourdit considérablement le poids démographique de ceux qui cultivent un sentiment d’indulgence pour l’agression russe.

La plupart expliquent l’attaque de l’Ukraine par une réaction de Vladimir Poutine à « l’hubris » invasif de l’OTAN et de ses armements [1] aux frontières de la Russie, depuis la chute de l’URSS.

Les mêmes pressions américaines pour les « régime change » au nom du « partenariat pour la paix » eurent lieu en Asie Centrale. Elles fondèrent la connivence entre Pékin et Moscou qui tous deux craignaient une contagion politique menaçant leur régime.

Calculé à l’aune de la puissance démographique, le bilan de ceux qui n’adhèrent pas à la résolution contre Moscou ou, en tous cas, s’en tiennent prudemment à distance, n’est plus seulement d’une cinquantaine de pays sur 193 membres de l’ONU, mais de plus de 50% de l’humanité.

Vue sous cet angle, la mouvance en majorité occidentale qui, autour des États-Unis et de l’Europe prend fait et cause contre la Russie, est isolée. En haussant l’analyse d’un étage, l’image ainsi diffusée pourrait, sans équivoque, marquer le recul de la prévalence occidentale dans le monde. Cependant à y regarder de plus près, vu de l’estrade chinoise, le paysage n’est pas aussi simple.

La Banque Asiatique pour les investissements d’infrastructure ménage ses arrières.

En sous-main, fidèle à ses stratégies obliques et à ses traditions de toujours rester à la poignée d’éventail de l’évolution possible des situations, contredisant l’idée que par son abstention, elle soutiendrait malgré tout Moscou, la Chine a pris une mesure qui ménage ses intérêts dont la teneur pourrait ne pas être du goût de Vladimir Poutine.

Le 3 mars (source Financial Times), une semaine après le déclenchement de l’attaque russe, la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (sigle anglais, AIIB) a suspendu toutes les affaires en cours avec la Russie et la Biélorussie, à la suite du déclenchement du conflit en Ukraine.

Créée en 2014 par la Chine, son 1er actionnaire, pour faire concurrence au FMI et servir d’appui financier aux projets des Nouvelles Routes de la soie, l’AIIB compte 87 membres dont 46 en Asie Pacifique, notamment l’Inde et les dix pays de l’ASEAN auxquels s’ajoutent 41 pays européens, africains, du Moyen Orient et d’Amérique latine.

Le même jour la Chine déclarait qu’elle « protégerait son intégrité financière et évaluerait l’impact de la guerre en Ukraine sur ses opérations financières et l’économie de ses membres ». On ne peut mieux dire. En tous cas, la décision de l’AIIB de geler les prêts à la Russie et à la Biélorussie éclaire d’un jour nouveau les relations de Pékin avec Moscou.

Grande institution financière internationale dont le siège est à Pékin qui détient 26,5% des parts, la banque AIIB exprime sans ambiguïté une position où prévalent ses intérêts et ceux de ses actionnaires. En filigrane, elle formule un jugement politique. Son choix vaut au moins une mise en garde.

Toujours le 3 mars, la « New Development Bank », basée à Shanghai ayant une exposition encore plus élevée à la Russie, a également annoncé qu’elle avait suspendu toutes les nouvelles transactions avec Moscou en attendant la fin du conflit.

Le moins qu’on puisse dire est que la brutale agression de Poutine qui transgresse la règle du droit international de l’inviolabilité des frontières, dogme sur lequel Pékin rejoint Washington - au milieu il est vrai de nombreuses autres tensions dont l’apaisement n’est pas pour demain -, met la Chine mal à l’aise.

Juste avant la décision de l’AIIB de geler les prêts à Moscou, depuis Pékin, le Parti avait déclaré « qu’il déplorait le déclenchement du conflit ». C’était déjà un premier commentaire se rapprochant d’un désaveu de Moscou. En même temps, la Chine se proposait en médiateur, position diplomatique par laquelle l’appareil dont le Comité Permanent s’est plusieurs fois réuni à huis-clos ces dernières semaines, preuve évidente de sa perplexité, se place à mi-chemin entre Moscou et Kiev.

Au moment où l’Est du continent européen s’enflamme sous menace nucléaire évoquée par Vladimir Poutine qui répondait au ministre français des Affaires étrangères français ayant lui-même agité la capacité nucléaire de l’Alliance Atlantique, la Chine se ménage une marge de manœuvre.

Restant à distance de Moscou, elle protège ses intérêts et se garde d’indisposer l’Union Européenne dans son bras de fer avec Moscou. Avec Bruxelles, elle compte bien réactiver l’accord sur les investissements dont la ratification a été mise en sommeil en mai 2021 après l’aigreur des échanges diplomatiques à propos de sa politique brutale contre les Ouïghours du Xinjiang.

Note(s) :

[1Dans sa dernière « Lettre de Léosthène » du 2 mars, Hélène Nouaille cite, dénoncés par le président russe lui-même, « les lanceurs Mk 41, déjà installés en Roumanie et sur le point d’être déployés en Pologne, adaptés au lancement des missiles de frappe Tomohawk. ». Et « Si ces armements étaient déployés en Ukraine, leur temps de vol vers Moscou ne serait plus que de 7 à 10 minutes, voire de 5 minutes pour les systèmes hypersoniques. C’est un énorme défi pour nous, pour notre sécurité ».

 

 

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