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›› Politique intérieure

La réunion annuelle des deux assemblées et la guerre en Ukraine. Décryptage

Alors que Xi Jinping a proposé sa médiation dans le conflit ukrainien en même temps que celles de la Turquie, de l’Allemagne, de la France et d’Israël [1], Pékin a, du 4 au 11 mars, tenu la réunion annuelle de ses deux assemblées (Lianghui : 两会). Comme en 2021, la durée des sessions a été réduite à une semaine pour tenir à distance le risque d’une résurgence de l’épidémie provoquée par les rassemblements de foule.

Cautions de son affichage de « démocratie interne » mise en scène par le Parti, les sessions annuelles de l’Assemblée Nationale 全国人民代表大会 et celle de la « Conférence Politique Consultative du Peuple Chinois 中国人民政治协商会议 » (CCPC), sont l’affichage annuel détaillé des actions de l’Appareil pour gouverner la Chine.

Débutant par un rapport du Premier ministre sur le bilan de l’année écoulée, essentiellement centré sur l’économie et la politique intérieure, il offre aussi une vue précise des positions de Pékin sur l’ensemble du spectre, par grande région, des relations internationales.

Cette année, au milieu des relations avec l’Inde, l’Asie Pacifique, l’ASEAN, le Pacifique-Sud, l’Amérique Latine, et la péninsule coréenne qui vient d’élire Yoon Suk Yeol un premier ministre conservateur, moins souple avec Pyongyang que son prédécesseur Mon Jae-in, ce qui inquiète Pékin, le cœur du discours du Ministre des Affaires étrangères Wang Yi a porté sur les relations de la Chine avec la Russie et les États-Unis dans le cadre du conflit en Ukraine.

De manière connexe, il a, lors de sa conférence de presse du 7 mars, évoqué sur un mode résolument positif, les relations avec l’UE que Pékin voit comme un contrepoids à Washington.

Il a cependant passé sous silence les tensions de mai 2021 sur la politique chinoise au Xinjiang ayant provoqué la mise en sommeil de la procédure de ratification de l’accord sur les investissements conclu en décembre 2020. Lire : Chine – Europe. Symbole d’un risque de dislocation globale, l’horizon de l’accord sur les investissements s’obscurcit.

Enfin répondant à des questions sur la situation des Nouvelles Routes de la soie dont certaines suggéraient un affaiblissement de l’élan initial, Wang Yi a annoncé le lancement par la Chine, chef d’orchestre des relations internationales sous son égide, l’Initiative de Développement Global (en Anglais GDI et en Chinois 全球发展倡议) que le Parti présente comme une preuve du « multilatéralisme » de la Chine opposé à la tentation hégémonique de Washington.

Dans un article du 24 janvier du site gouvernemental Gov.cn on pouvait lire que le « groupe des amis de l’Initiative mondiale » s’était réuni le 20 janvier à new York, marquant le lancement officiel du projet, en présence de Liu Zhenmin 刘振民, 67 ans, vice ministre des Affaires étrangères, ancien ambassadeur à l’ONU Genève.

Les chefs de plus de 20 agences des Nations Unies, étaient présents ou représentés dont le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour les questions africaines, le Tchadien Mahamat Saleh Annadif, l’Administrateur adjoint Programme de développement et la Directrice exécutive adjointe de l’ONU femmes, la Jordanienne Sima Bahous.

Des émissaires de plus de 100 pays, dont plus de 80 ambassadeurs en poste, ont assisté à la réunion. A cours de la réunion Liu Zhenmin a rappelé la vison de Xi Jinping dont le but est d’accélérer la mise en œuvre de l’Agenda 2030 des Nations Unies pour le développement durable, « aspiration commune de tous les pays en particulier du grand nombre de pays en développement ».

A cet effet la Chine, qui soigne ainsi ses réseaux d’influence par un nouveau projet vertueux de portée globale, a rappelé que l’objectif de « développement durable » est une tendance historique de tous les pays « qu’aucune force ne peut bloquer ».

L’affichage démocratique. Analyse politique.

L’exercice annuel des deux assemblées, dont le pouvoir de contrôle et même de proposition sont réduits, les décisions annoncées ayant été pour la plupart étudiées au sein des « groupes dirigeants » du Parti et arrêtées à l’avance par le Comité Central et le Bureau Politique, permet à l’appareil d’articuler son discours que le « modèle démocratique chinois » fonctionne mieux que celui de l’Occident.

C’est ce qu’affirmait encore une note du Conseil des Affaires d’État du début décembre 2021. Intitulée « China : la démocratie qui fonctionne – « 中国:行之有效的民主 », elle affirmait « qu’il n’y avait pas de modèle arrêté de démocratie ; et que celle-ci se manifestait sous de nombreuses formes -没有固定的民主模式;并且它以多种形式表现出来. »

Le document passait cependant et logiquement sous silence que le Parti unique règne sur 1,4 millions de Chinois sans tolérer la moindre opposition ; que le secrétaire général Xi Jinping a accédé au pouvoir par un processus politique opaque de cooptation interne sans élections libres ; et que l’appel public à la démocratie représentative et à l’indépendance de la justice est sévèrement puni, souvent par de longues peines de prison.

L’affabulation entretenue par l’appareil qui se targue d’une meilleure efficacité de gouvernance, d’un système méritocratique de sélection des élites plus performant et d’une stabilité socio-politique sans commune mesure avec celle des sociétés occidentales, répond à l’exigence politique essentielle de compenser l’absence d’un concept capable de légitimer une alternance pacifique à la tête du pays.

Retenons cependant que, comme le souligne, Zhang Xunchao dans East-Asia Forum du 27 janvier 2022, que toutes les enquêtes d’opinion attestent que l’opinion accrédite l’idée que le système politique chinois est démocratique. Qu’il sagisse des élites ou du peuple, les critères qu’ils retiennent ne sont ni institutionnels ni électoraux, mais de l’ordre de la performance.

Celle-ci s’exprime soit par les progrès socio-économiques soit renvoie, singulièrement depuis l’avènement de Xi Jinping, au projet d’effacer les humiliations infligées à la Chine au XIXe siècle et à celui de hausser le statut international du pays à niveau de « Grande puissance » comparable aux Etats-Unis.

Zhang rajoute cependant une contradiction dont le Parti s’accommode pour l’instant mais qui à terme pourrait créer des tensions internes, « Bien que la Chine contemporaine soit l’héritière d’une révolution socialiste, au-delà des cercles de gauche nostalgiques, dans l’imaginaire public, le marxisme orthodoxe (NDLR dont se réclame toujours Xi Jinping) ne peut plus être une alternative à la démocratie libérale. ».

Compte tenu de ce qui précède, il est facile de comprendre que ces contradictions internes pourraient survenir en cas de recul des performances ou dans l’hypothèse d’une saturation de l’esprit d’efficacité et de prouesses internationales, moteurs de la légitimité de l’appareil, et thèmes principaux de son discours politique.

Récemment, dans certains segments de la société, notamment chez des artistes, sont apparus quelques signes, encore ténus, mais remarquables, d’un désenchantement pour l’émulation et la concurrence avec l’Occident, cœur de la politique étrangère de Xi Jinping.

Lire à ce sujet notre article de juin 2021, décrivant un phénomène de lassitude et d’inertie, baptisé Tang Ping躺平 (restons couchés) : Le très faible enthousiasme pour la « politique des trois enfants ». Le mouvement a surgi au moment où, ayant pris conscience des effets indésirables de l’ancienne politique de l’enfant unique à l’origine de bien des drames et d’un tassement démographique, l’appareil décida de promouvoir « des familles à trois enfants. ».

Mais à ce jour, comme si elle était lassée des coups de barre intempestifs du régime, la société, ayant basculé dans un mode post-révolutionnaire, préoccupée des dépenses et des lourdes responsabilités d’une progéniture plus nombreuse, n’a pas encore répondu à l’appel officiel pour plus d’enfants.

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Quête de stabilité politique. Sécurité énergétique et alimentaire. Croissance et objectifs écologiques revus à la baisse.

Bien que très courte, la séquence des deux sessions qui fut émaillée de rencontres et de déclarations de Xi Jinping lui-même en marge des réunions stéréotypées, résiste à la synthèse, tant furent nombreuses les déclarations sur une myriade de sujets divers. L’impression générale reste tout de même la quête de stabilité.

Idée maîtresse du rapport annuel de Li Keqiang, sur le travail du gouvernement approuvé par 2752 délégués, seulement trois votes contre et trois abstentions, le souci d’une prudente continuité sans à coups politiques s’est exprimé dans plusieurs domaines clés. En miroir, ils traduisent quelques inquiétudes du pouvoir.

La projection de croissance économique a été limitée à 5,5%, tout de même au-dessus des prévisions à 4,8% du FMI. En arrière-plan l’ambition est de résister aux risques portés par la crise immobilière en cours et d’une croissance mondiale impactée par la guerre en Ukraine.

Le souci de stabilité s’est également traduit dans les secteurs de l’alimentation et de l’énergie. Exprimée par Xi Jinping lui-même en marge des sessions, il s’est traduit par l’affirmation répétée en écho aux réticences de l’appareil signalées par notre article du 13 février : Volontarisme politique et difficultés de la transition énergétique. En substance, la réduction des émissions carbone ne pouvait pas se faire aux dépens de la sécurité énergétique et alimentaire au point d’impacter la vie quotidienne des Chinois.

Lors de la conférence de presse du 11 mars, Li Keqiang est revenu sur la position chinoise affirmant que, malgré un développement économique rapide au cours des dernières décennies, la Chine est toujours un pays en développement ». (…) « L’écart villes – campagnes reste important et l’amélioration des services publics dans les zones rurales est un “processus de long terme“ ».

Alors que le risque existe d’une aggravation des tensions avec l’Amérique, l’objectif de croissance arrêté à huis-clos par le Comité permanent en décembre dernier paraît optimiste à nombre d’observateurs. Li Keqiang lui-même a conscience que, décidé avant la résurgence épidémique à Hong Kong et la déflagration de la guerre en Ukraine dont l’impact sur le marché de l’énergie et la fluidité des relations internationales auront un effet sur la croissance, l’objectif sera difficile à atteindre. C’est pourquoi l’appareil n’a pas lésiné sur les aides ciblées.

Une longue suite de mesures de soutien. L’improbable chimère de l’autarcie.

Certaines politiques de soutien sont à l’œuvre depuis janvier. Un quota de 3650 Mds de Yuan (577 Milliards de $) a été fixé obligeant les gouvernements locaux à financer des travaux d’infrastructure ; la mesure de relance a été suivie par des réductions de taxes d’une valeur totale de 2500 milliards de Yuan (395 Mds de $) et le lancement de 102 méga-projets d’infrastructures.

Alors que se déroulaient les sessions raccourcies des deux assemblées, la Banque centrale annonçait qu’elle engagerait 1000 Mds de $ de relance, ponctionnées sur ses réserves. Interrogé sur l’ouverture de l’économie chinoise aux investissements étrangers que la mise aux normes de Xi Jinping semble mettre en danger, Li Keqiang a assuré que la politique d’accueil des entreprises étrangères « n’avait pas été et ne sera pas modifiée ». La récente mise au pas n’avait pour but que de démanteler les monopoles et la financiarisation incontrôlée de l’économie et d’obliger les entreprises à se conformer aux lois. Lire : Une reprise en main politique plus qu’une réforme économique.

En même temps, Xi Jinping diffusait une nuance de frugalité, tout de même empreinte de la volonté des réduire la dépendance alimentaire à l’étranger. S’exprimant en marge de la CCPC, face à des acteurs du secteur agricole, il a fait la promotion d’une industrie chinoise des protéines alternatives (steak végétal, lait à base d’algues, viande in vitro etc.). Revenant sur le souci d’auto-suffisance, il exhortait l’appareil à s’assurer que « les bols de riz des Chinois soient d’abord remplis de céréales chinoises 确保中国人的饭碗 主要装中国粮 ».

Un discours stéréotypé sur Hong Kong, sur le Xinjiang et sur les minorités.

Autres priorités toujours liés à la stabilité politique, ayant cette fois un impact sur les relations internationales, où la Chine est critiquée pour son traitement des minorités, Xi Jinping, décidément omniprésent, s’exprimant face à des délégués de Mongolie intérieure, évoquait l’exigence « d’unité et d’harmonie ethnique 民族团结和谐 ».

Dans la même veine, au cours de sa conférence de presse de fin de session, Li Keqiang qui s’est dit très préoccupé par l’explosion de cas de Covid à Hong Kong, a confirmé que, tout en respectant le schéma « Un pays deux systèmes », Pékin s’en tiendrait à l’exigence patriotique de n’autoriser aux élections locales que des candidats ayant fait la preuve de leur allégeance politique à Pékin.

Imprégné de la « démocratie des performances », passant sous silence la quête démocratique, récemment mise sous le boisseau à Hong Kong (lire : Réforme électorale. La mise aux normes politique de Hong Kong se poursuit sans faiblir), Li a assuré la gouverneure Carrie Lam de son soutien dans sa lutte contre l’épidémie. Il a aussi exhorté le gouvernement de la R.A.S à « unir tous les secteurs pour continuer à développer l’économie, améliorer la vie des habitants et garantir statut de la R.A.S comme centre financier et carrefour portuaire de classe internationale ».

Le paysage international échappe à l’idéal de stabilité. La relation avec l’Amérique toujours au rouge vif.

Les questions internationales sensibles, liées aux relations avec l’Occident à propos du Xinjiang et à la guerre en Ukraine ont d’abord été abordées par Zhang Yesui, 69 ans, porte parole de l’ANP, ancien ambassadeur aux NU (2008 – 2010) et aux Etats-Unis (2010 – 2013).

Avant même l’ouverture de la session de l’ANP, il a exhorté l’Union Européenne à ne pas « dramatiser » les tensions entre Pékin et la Lituanie sanctionnée par la Chine qui a expulsé ses diplomates pour avoir autorisé Taïwan à ouvrir une ambassade à Vilnus. Il a aussi violemment fustigé le décret sur la compétitivité de l’Amérique « America Competes Act » voté de justesse par la Chambre des Représentants, dont Zhang considère qu’il est à double tranchant pour l’Amérique.

Selon lui, alors que la relation devrait s’établir selon les principes de coopération et de respect mutuels, le décret américain qui prétend « enfermer la relation derrière des lignes idéologiques 以意识形态划线, et construire des petits cercles 拉“小圈子” incités à la confrontation 搞集团对抗, n’est tout simplement pas faisable. 根本行不通 ».

C’est en effet à propos de la situation internationale que « la quête de stabilité » de l’appareil est le plus clairement mise au défi.

La rivalité stratégique sino-américaine, la situation en mer de Chine du sud, dans le Détroit de Taïwan, la question nord-coréenne et le conflit ukrainien ont été évoqués à plusieurs reprises lors des conférences de presse de Li Keqiang et du Ministre des Affaires étrangères Wang Yi. Dans leurs réponses, les deux ont rappelé l’attachement de la Chine à la paix, au respect de la Charte des Nations Unie et la disponibilité de Pékin à participer à un règlement pacifique du conflit ukrainien.

Alors que Wang Yi qui soulignant aussi les intérêts légitimes de sécurité de la Russie, tout en rappelant la pérennité de leur alliance « solide comme un roc » [2] la tonalité des réponses de Li Keqiang était globalement plus conciliante avec les États-Unis.

Quand le premier ministre qui se dit toujours prêt à travailler avec Washington, rappelait la longue histoire des relations bilatérales depuis la visite en Chine de Richard Nixon et l’ampleur des échanges commerciaux ayant atteint 750 Mds de $ en 2021, en hausse annuelle de 30%, ouvrant, dit-il, en dépit des contrastes entre les système politiques, un vaste potentiel de coopérations bilatérales, Wang Yi, s’est clairement montré plus défiant, même si lui aussi a rappelé le temps des premiers contacts avec l’Amérique dans les années soixante-dix et évoqué le cinquantième anniversaire des relations bilatérales.

Au passage, signalons que, selon la jurisprudence du Parti, les deux, atteints par la limite d’âge devraient quitter leur poste lors du 20e Congrès du Parti à l’automne. Li Keqiang qui aura dépassé de quelques mois les 67 ans, l’a annoncé lors de sa conférence de presse. En revanche Wang YI, qui aura atteint 69 ans, en octobre, soit deux années au-delà de l’âge de départ prévu, n’en a pas soufflé mot. Peut-être aura t-il, comme Xi Jinping qui l’apprécie bien plus que Li Keqiang, l’aval de l’appareil pour rester en poste.

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Wang Yi, un feu nourri contre Washington.

Après avoir rappelé la richesse des liens avec Moscou, capables de résister aux tempêtes de l’actuelle situation internationale, Wang Yi a développé une longue critique des hypocrisies américaines, contrastant violemment avec le fond et le ton plus conciliant du premier ministre.

« Les dirigeants et hauts responsables américains n’ont cessé de déclarer que les États-Unis n’avaient aucune intention de se lancer dans une nouvelle guerre froide ou de changer le système chinois ; que la revitalisation de leurs alliances n’était pas anti-chinoise ; qu’ils ne soutenaient pas l’indépendance de Taiwan et ne chercheraient pas la confrontation avec la Chine. » (…)

« Hélas, ces déclarations n’ont été que des assurances verbales. La réalité est que les États-Unis se donnent beaucoup de mal pour s’opposer à nous de toutes leurs forces, dans une concurrence intense, à somme nulle. » (…) « Ne cessant de nous provoquer sur nos intérêts fondamentaux, ils ont récemment pris une série d’initiatives pour mettre sur pied des petites alliances anti-chinoises ».(…)

Oubliant qu’en mer de Chine du sud, les prétentions de Pékin violent le droit de la mer et que les démonstrations de force de son aviation au dessus du Détroit de Taïwan attisent encore la défiance de la population de l’Île devenue démocratique à l’égard du Continent resté une puissante autocrate, il ajoutait que « Ces actions (de Washington) sapaient les relations globales avec les États-Unis. » (…) « Menaçant la paix, elles perturbaient la stabilité internationale ».

Enfin, empreint de l’exigence cardinale d’indépendance stratégique souveraine, devenu le maître mot de la politique étrangère depuis 2012 selon les idées développées par Wang Hunning (lire : Wang Hunning, l’architecte « du rêve chinois. » Par Théophile Sourdille. (IRIS)), et faisant allusion au boycott des JO par une quinzaine de pays pour la plupart occidentaux rejoints par le Japon, il concluait, que « La Chine était un pays souverain et indépendant. » (…) « Face aux actions irresponsables qui la menacent, elle avait le droit de faire ce qu’elle jugeait nécessaire pour défendre sans faiblir ses intérêts légitimes. »

Interrogé par Reuters sur le conflit en Ukraine, alors que les médias et le discours de l’appareil qui, au déclenchement de l’attaque russe hésitaient à qualifier l’attaque « d’invasion »reconnaissaient clairement qu’une guerre avait éclaté en Europe - 战火 zhan huo, (conflagration militaire) -, Wang Yi a abandonné son discours anti-américain qu’il a laissé au Waijiaobu et préféré concentrer sa réponse sur le rejet de la guerre, le respect de la Charte des NU et les propositions humanitaires de la Chine.

A propos de l’Ukraine, Wang Yi a laissé la vindicte anti-américaine au Ministère des Affaires étrangères.

Après avoir rappelé qu’en téléphonant à Vladimir Poutine à la recherche d’une solution pacifique, Pékin adoptait une attitude « objective et impartiale 客观公正的态度 », le Ministre a évoqué les exigences de protéger les civils, de prévenir une crise humanitaire, de soutenir les personnes déplacées et, songeant aux nationaux chinois, d’assurer la sécurité des résidents étrangers.

En revanche, le 3 mars, réagissant avec aigreur à un article du New-York Times qui spéculait sur le fait que Pékin aurait été mis au courant par Moscou de l’attaque du 24 février contre l’Ukraine, Wang Wenbin l’un des porte-parole du MAE a abondamment développé les longues racines de la crise, s’appuyant même sur les déclarations de George Frost Kennan au printemps 1998, à l’époque âgé de 94 ans.

Inventeur de la politique de « Containment » destinée à endiguer l’expansion soviétique durant la guerre froide et brièvement ambassadeur à Moscou en 1951 – 1952 dont il fut chassé par Staline pour avoir déclaré qu’il se « sentait prison », il s’était publiquement élevé contre l’extension de l’OTAN vers l’Est.

Son discours prémonitoire n’a pas été écouté par l’administration Clinton. « Je pense que c’est le début d’une nouvelle guerre froide. (…) Les Russes vont graduellement réagir de manière hostile, ce qui va affecter leurs politiques. Je pense que c’est une erreur tragique. » […]

Il ajoutait « Cette expansion ferait se retourner les Pères fondateurs dans leurs tombes. » […]« Notre différend pendant la guerre froide nous opposait au régime communiste soviétique. Et maintenant nous tournons le dos au peuple même qui a fait la plus grande révolution de l’histoire sans effusion de sang pour mettre fin à ce régime soviétique » (Thomas L. Friedman, « Foreign Affairs, et New-York times, mai 1998. »

Utilisant la transparence des archives de l’Occident, quand celles de la Chine sont soigneusement occultées, parfois réécrites, Wang Wenbin pointait clairement du doigt la responsabilité de Washington.

Détour par l’image d’un très ancien proverbe. Et toujours la lancinante question de Taiwan.

« Ceux qui ont créé le problème devraient être ceux qui le résolvent. Nous espérons que les initiateurs de la crise réfléchissent à leur rôle dans la crise ukrainienne. 解铃还须系铃人. 希望危机的始作俑者好好反思一下他们在乌克兰危机当中所扮演的角色. »

Les premiers mots elliptiques de la formule chinoise « 解铃 还须系铃人 » - ceux qui ont attaché la cloche doivent la retirer - » font allusion à un conte de Huì Hóng 惠洪, poète de la dynastie Song, auteur d’ouvrages sur les contes bouddhistes.

Auteur du blog slowchinese.net d’apprentissage de la langue chinoise, Andrew Methew explique qu’un Maître bouddhiste de la dynastie Song qui avait demandé à ses élèves comment faire pour retirer la cloche dorée du cou du tigre 老虎, s’entendit répondre que « C’était celui qui l’avait attachée qui devait être le premier à prendre le risque d’essayer ».

En juillet 2021, le proverbe avait été cité dans un autre contexte pour inciter les groupes du numériques à faire plus d’efforts pour dissiper les symptômes de dépression de leurs personnels accablés par le surcroît de travail.

En 2014, Xi Jinping l’avait utilisé pour stigmatiser les journalistes occidentaux qui se plaignaient des délais pour obtenir des visas pour la Chine dans les consulats. Dans son esprit, s’ils souhaitaient que la procédure s’accélère, les journalistes étrangers devaient d’abord se conformer aux souhaits du Parti de ne pas exagérer leurs critiques de la Chine.

*

Une autre controverse méritant attention a été soulevée par un journaliste de Bloomberg. Sa question répétait l’amalgame fait par de nombreux médias ou groupes d’influence, y compris à Taiwan, selon lequel l’attaque de l’Ukraine par son allié russe pourrait inciter Pékin à lancer une attaque contre l’Île. Il s’attira d’abord une mise au point acerbe précisant que les deux questions n’avaient rien en commun.

« Taiwan est une partie inaliénable du territoire chinois, et la question de Taïwan est entièrement l’affaire intérieure de la Chine. La question de l’Ukraine est née d’un conflit entre deux pays, à savoir la Russie et l’Ukraine. » (…) « L’amalgame qui dit défendre le principe de souveraineté de l’Ukraine, sape en réalité la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Chine sur la question de Taïwan. Il exprime de manière flagrante un double standard. ».

Puis, ignorant toujours que la population de l’Île rejette sans nuance la réunification, soit qu’elle soit de la mouvance de rupture de Tsai Ing-wen qui combat le principe même du rattachement au Continent, soit qu’il s’agisse de l’opposition du KMT, en théorie soutien de la « politique d’une seule Chine », héritée de Tchang Kai-chek, mais hostile à la réunification sous l’égide de l’actuel régime, il a blâmé la Présidente Tsai Ing-wen.

Il est vrai qu’agitant le « chiffon rouge » de deux États séparés, dont, dit-il, la perspective ne fera que compromettre le futur de l’Île, l’actuelle présidente démocratiquement élue par les Taïwanais, pourrait elle aussi, avec ses électeurs être accusée d’avoir « accroché la cloche au coup du tigre. ».

Il reste que la voix du peuple est une carte sauvage, que le Parti refuse de considérer.

A Taïwan, le sentiment identitaire progresse, tandis qu’une très forte majorité rejette l’idée de réunification avec la Chine. La dernière enquête complète d’opinion sur cette question très sensible des relations dans le Détroit date du 10 janvier 2022, par l’Université Nationale Chengchi 国立政治大学. Si le rejet du continent est presque unanime, la relation à l’indépendance biaisée par les menaces militaires de Pékin, est ambiguë.

En dépit de la montée du sentiment identitaire de rupture, environ 10% se déclarent en faveur de la réunification. En revanche, l’attachement au statu-quo se retrouve dans 84,5% des réponses, soit qu’on souhaite son maintien indéfiniment, soit qu’il doit conduire à la réunification ou à l’indépendance.

Examinée en détail, l’étude montre que les partisans de la réunification immédiate ne représentent que 1,4%. Ceux qui souhaitent que le statu-quo avance vers la réunification comptent pour 6%. Les adeptes du statu-quo, avec un décision de réunification ou non reportée à plus tard, comptent pour 28,4%, en baisse régulière.

En revanche, ceux en faveur du statu-quo avec une perspective d’indépendance représentent 25,1%. Ceux qui souhaitent que le statu-quo soit maintenu indéfiniment comptent pour 27,3%. En dépit des menaces militaires de Pékin, les partisans d’une indépendance immédiate représentent 6%.

Enfin dans une note publiée en février 2022, la Brookings concluait après une étude menée sur un échantillon de 1000 Taïwanais que la « rupture identitaire » n’était pas en majorité un rejet de la culture chinoise, mais du Parti Communiste.

Quelles que soient les tranches d’âge, l’adhésion à la culture chinoise est comprise entre 45 et 60%. Les plus réticents étant les 30 – 39 ans (45%). Et les plus enthousiastes (65%) étant les 60 ans et plus. Qu’ils adhèrent ou non, 74% considèrent même que les deux cultures sont identiques.

En revanche, toutes les tranches d’âge ont une opinion défavorable du Parti Communiste. Les 30 – 39 ans à 75%, suivis des 20 – 29 ans (73%), des 40 – 49 ans (68%). Les hésitants sont les plus de 60 ans, dont 28% ont mauvaise opinion du Parti communiste chinois et 25% une bonne. En moyenne, 63% ont une mauvaise opinion, 8% une bonne, tandis que 29 % ne savent pas.

Note(s) :

[1En se rendant à Moscou, le 5 mars, le premier ministre israélien Naftali Bennet, qui n’avait que peu d’espoirs de tempérer l’agressivité militaire russe, cherchait aussi à dissuader Moscou de faciliter la résurgence de l’accord iranien sur le nucléaire.

[2中俄友谊“坚如磐石” 时机成熟将参与调解. On notera cependant que l’expression « 中俄友谊 坚如磐石 jianrupanshi - Amitié sino-russe solide comme un roc - » est une expression diplomatique convenue, que Pékin, rompu à la grandiloquence verbale, utilise sans réserves avec d’autres partenaires.

Récemment, lors du 8e Sommet Chine – Afrique en novembre 2021, la diplomatie chinoise avait également parlé de « l‘amitié China Afrique 中非友谊 solide 坚 comme un roc 如 磐石 ». De même, le 4 février dernier lors de la spectaculaire mise en scène de la rencontre entre Xi Jinping et Vladimir Poutine, à l’ouverture des JO d’hiver à Pékin, les médias avaient surévalué le sens de « 老朋友 lao pengyou - viel ami - », l’une des expressions les plus banales des relations sociales en Chine.

 

 

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