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›› Taiwan

Pannes à répétition et sécurité énergétique

Le 3 mars dernier, la panne d’un transformateur à la centrale au charbon et au gaz de Xinda, près de Kaohsiung qui fournit 14% de l’électricité de l’Île a, pendant plusieurs heures, privé de courant la plupart des grands centres urbains de l’Île, y compris Taipei. Cinq millions de foyers ont été concernés.

La coupure vite résorbée au nord, plus difficilement au sud, avait même modifié l’organisation d’une rencontre remarquée entre Tsai Ing-wen et l’ancien secrétaire d’État américain, Mike Pompeo dont la retransmission TV a été annulée.

A cette occasion, l’ancien secrétaire d’État, avait, dans un discours remarqué, jeté un pavé dans la mare des « Trois Communiqués » sino-américains, en suggérant que Washington reconnaisse Taïwan comme un pays souverain.

La perturbation était l’effet de la quatrième panne générale depuis 2017. Les coupures massives eurent lieu en 2017 (suite à une erreur humaine qui entraîna la démission du ministre de l’économie) et les 13 et 17 mai 2021. Elles affectèrent chaque fois plusieurs millions de foyers. Le 4 mars, Yang Wei-fu, président de Taipower, proposait sa démission.

Le même jour, Wang Mei-hua, la ministre de l’énergie présentait ses excuses, en même temps que Tsai Ing-wen. Les deux se sont rendues à Kaohsiung en urgence.

Alors que Tsai Ing-wen a promis de débarrasser l’Île de l’énergie nucléaire d’ici 2025, la fréquence des coupures a entraîné un vaste débat sur l’adéquation entre l’offre de Taipower et la demande en forte croissance.

Le 12 mai, Angelica Oung, journaliste économique, contributrice de Taipei Times, s’emparait du sujet dans un long article publié dans le journal de la Chambre de commerce américaine à Taïwan « Business Topics ».

Doutes sur la suffisance de l’alimentation électrique et controverses politiques.

Alors que dans l’Île chacun sait qu’après la suppression du nucléaire, 98% des sources d’énergie sont importées - dont 93% sont des sources fossiles -, la sécurité énergétique est une priorité dans l’esprit de Taiwanais et encore plus des industriels.

Une enquête de la Chambre de commerce américaine conduite en 2022 a même révélé que 61% des hommes d’affaires avaient demandé à Tsai Ing-wen de placer la priorité énergétique au-dessus de celle de l’épidémie. Au total, 78% des personnes interrogées doutaient de la suffisance de l’alimentation électrique, tandis que 70,9% ont déclaré s’inquiéter de la résilience du réseau.

La polémique est devenue politique. Alors que Wang Mei-hua, la ministre des Affaires économique, niait que la production d’énergie était insuffisante - « Les coupures de courant ne signifient pas que nous avons une pénurie d’électricité » -, et blâmait « des erreurs des opérateurs, la fragilité du réseau et des perturbations animales », Yeh Tsung-kuang, professeur au Département d’ingénierie de l’Université nationale prenait le contrepied et démontrait, preuves chiffrées à l’appui, l’insuffisance de l’offre d’énergie de Taipower.

Son discours était une alerte. « S’il est vrai que des incidents peuvent toujours avoir lieu, leur répétition prouve que le système n’a pas de réserve. » (…) « Tant que le gouvernement continuera à nier la capacité insuffisante de Taipower, les problèmes du déficit de puissance ne feront que s’aggraver ». Il ajoutait même le constat pessimiste « qu’il était déjà trop tard. ».

Pour appuyer sa mise en garde, il se référait à la planification publiée par Taipower des mises à l’arrêt des trois centrales nucléaires restant et des six centrales au pétrole et au charbon, en la comparant au calendrier de leur remplacement par d’autres sources d’ici 2027.

Mise au ban du nucléaire et des combustibles fossiles. Retards du gaz.

Si les débranchements prévus de 9,06 GW seront sans doute réalisés selon le calendrier prévu, en revanche, dit-il, la mise en service des nouvelles capacités est plus aléatoire. Les principaux obstacle résident dans le fait que les installations de re-gazéification ne sont pas prêtes et que les nouvelles priorités écologiques entravent la construction de nouvelles centrales et de nouveaux terminaux gaziers.

Deux générateurs supplémentaires de gaz naturel (d’une capacité totale installée de 2,5 GW) devraient démarrer en 2024 et 2025. Mais aucun détail n’est disponible sur les projets industriels d’accueil du gaz liquéfié qui n’ont pas encore été approuvés.

Six autres centrales au gaz naturel totalisant 7,23 GW devaient être achevées d’ici 2027. Mais Yeh prévient qu’il est peu probable qu’il y ait suffisamment de gaz pour les faire fonctionner. « D’ici 2025, nous ne serons pas en mesure d’importer suffisamment de gaz pour satisfaire plus que nos générateurs existants. »

Le gaz naturel est le point clé de la politique énergétique de Tsai. À son arrivée au pouvoir en 2016, elle avait annoncé que l’énergie nucléaire qui représentait alors 12% du mix énergétique de l’Île, serait progressivement supprimée d’ici 2025. Dans le même temps la part du charbon passerait de 45% à 30%.

Celle du gaz, dont les émissions nocives sont inférieures de 50% à celles charbon, doit passer de 31% à 50%. Les 20% restants étant produits par des sources d’énergie renouvelable. Mais, pour que ce plan fonctionne, il sera nécessaire d’accélérer la construction des infrastructures d’accueil et de transformation du gaz naturel liquéfié (GNL) , dont Taïwan reçoit chaque années 300 cargaisons.

Or, précise Yeh Tsung-kuang, il n’existe actuellement que deux terminaux GNL à Taïwan et tous deux fonctionnent déjà à plus de 100% de leur capacité. Leur stock de réserve de gaz couvre seulement sept jours d’approvisionnement en été, lorsque la demande est plus élevée et 14 jours en hiver. Sauf à provoquer de nouveaux délestages, faute de réserves, toutes les cargaisons doivent donc être traitées sans délais.

On le voit, la marge de manœuvre est inexistante, tandis qu’au mieux, la tension ne sera allégée qu’en 2025, échéance prévue pour l’achèvement du troisième terminal GNL à Datan près de Taoyuan. Et encore, ce dernier ne résoudra pas durablement le problème de la pénurie de gaz, surgi après la décision de couper court au nucléaire.

Idéalement, six terminaux seraient nécessaires pour accueillir la quantité de gaz nécessaire aux nouvelles centrales et pour se donner un volant de réserve d’un mois. Le problème est que les quatrième et cinquième terminaux GNL ne sont même pas sortis de la phase de planification et d’étude d’impact sur l’environnement, tandis que l’emplacement du sixième n’a toujours pas été décidé.

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Hausse de la consommation, freins écologiques, inquiétudes sur les renouvelables.

C’est là que surgit une difficulté politique. Fermentant depuis des années, elle est liée au fait que, dans l’Île, personne ne souhaite vivre près d’une quelconque infrastructure électrique, tandis que les exigences écologiques bloquent de manière indiscriminée à la fois les terminaux GNL et les parcs éoliens. Dans ce contexte, après l’obtention des autorisations, il faut aujourd’hui au moins quatre années pour construire un terminal GNL. La pénurie est donc probable.

Récemment, la ministre de l’énergie Wang a tiré la sonnette d’alarme au Yuan Législatif en annonçant que l’objectif de 20% de renouvelables pour 2025 ne serait pas tenu, d’abord parce que la consommation en énergie de l’Île a augmenté, résultat du rapatriement de plusieurs entreprises, obligées de quitter complètement ou partiellement la Chine, effet direct des fortes tension sino-américaines.

Une autre raison de l’augmentation de la demande en énergie, laissant la production de gaz à la traîne des besoins et des prévisions, le secteur des microprocesseurs de l’Île, gros consommateur d’électricité, notamment avec TSMC, n°1 mondial, a intensifié sa production à la suite de la pénurie de l’année 2020, qui se perpétue par les effets de la pandémie et de la guerre en Ukraine [1].

Du coup, le dénominateur de la fraction ayant changé, Wang a abaissé l’objectif des renouvelables à 15%.

Parmi les renouvelables, le solaire est un bon exemple des blocages. Récemment, le gouvernement a augmenté ses objectifs de 10 GW, pour porter la production à 30 GW d’ici 2030. Pour certains, la cible qui envisage presque de quadrupler l’actuelle capacité (8 GW), est irréaliste, compte tenu des freins bureaucratiques liés aux réticences des propriétaires terriens.

Les développeurs de l’énergie solaire à Taïwan ont en effet vite compris que la solution rapide consistant à construire des projets au sol sur de grandes surfaces, gages de meilleurs rendements était impossible. Les syndicats d’agriculteurs et leurs représentants à Taipei, ont en effet bloqué de grands projets solaires qui, selon eux, empiètent sur les terres agricoles, même quand elles ne sont pas cultivées.

Du coup, le développement du solaire a été réduit à des projets de moindre envergure sur les toits des immeubles, moins controversés mais moins efficaces.

Alors que les appels discrets de Taipower à ses clients industriels gros consommateurs pour que, moyennant des abattements considérables de 10 NT$ par KWh, ils réduisent leur consommation aux heures de pointe, confirme l’analyse de Yeh Tsung-kuang, la réalité est que la capacité du producteur et fournisseur d’énergie de l’Île n’est plus à la hauteur des besoins.

Sous la surface des sables mouvants bureaucratiques, la question de fond de la suppression du nucléaire continue à agiter les esprits.

Le dilemme nucléaire toujours au cœur des controverses.

Yeh considère qu’avec une réserve de fonctionnement de 10%, le réseau est au « feu vert ». Lorsque les réserves sont entre 6 et 10%, il est à « l’orange ». En-dessous, surgit le risque de pénurie. « Les actuelle réserves d’exploitation quotidiennes de Taipower sont une imposture », dit Yeh.

« Alors que la compagnie n’est pas en mesure d’augmenter sa capacité de production, elle détourne une partie de son potentiel journalier d’alimentation du réseau en le qualifiant de “réserves d’exploitation“ ».

Au milieu de ces tensions ponctuées par les acrobaties de la communication publique de Taipower jetant un voile sur le risque structurel de nouvelles coupures d’électricité, le professeur Yeh, qui est également ingénieur nucléaire a récemment rappelé le cœur des enjeux : « La solution la plus évidente serait de ne pas retirer les centrales nucléaires que nous prévoyons de retirer ».

Ses arguments se réfèrent aux expériences américaines. « Aux États-Unis, l’autorisation d’exploitation de nombreuses centrales a été prolongée de vingt ans ». Mais, en même temps, conscient du poids du lobby anti-nucléaire après la catastrophe de Fukushima, il craint que le pouvoir décide de prolonger les centrales à charbon.

Alors qu’en sous-main, les couteaux sont tirés, les militants écologistes des renouvelables réclament l’assouplissement des contraintes foncières. « Donnez-nous des terrains et laissez-nous construire des champs de panneaux solaires. Ils seraient le moyen le plus efficace d’augmenter rapidement les solutions alternatives ».

*

Au fond, le désarroi de l’opinion taïwanaise à propos des tensions sur l’énergie, instrumentalisées par les élites politiques, se lit clairement dans l’échec des quatre référendums d’initiative citoyenne organisés le 18 décembre 2021 à l’initiative du KMT. Parmi les questions posées, deux d’entre-elles portaient sur le dilemme énergétique de l’Île. Les réponses négatives qui à elles-seules sont des symptômes de blocage, n’avaient pu être validées faute d’une participation suffisante au vote.

La première interrogeait les Taïwanais sur la reprise de la construction et la mise en service des réacteurs 7 & 8 de la centrale nucléaire de Longmen 龍門發電廠, dont les chantiers, arrêtés plusieurs fois sous la pression des anti-nucléaires, avaient tout de même été achevés à 64% en 2006, puis mise en attente sine die en 2015 par le Président KMT Ma Ying Jeou après le tsunami de Fukushima, du 11 mars 2011.

La deuxième portait sur la relocation du projet de terminal de gaz naturel liquéfié à Taoyuan, porté par le DPP comme une alternative au nucléaire, mais critiqué par les écologistes qui, sur le sujet de la protection de la barrière des récifs d’algues au nord-ouest de l’Île, rejoignent le KMT dans une opposition à front renversé.

Lire : Le KMT et l’embardée démocratique des quatre référendums. Ou le détournement de la démocratie directe.

Note(s) :

[1Le géant TSMC, n°1 mondial, 600 Mds de $ de capitalisation qui vient d’augmenter ses prix de 20% et dont les chaînes tournent à leur maximum, anticipe que les tensions du marché avec une forte demande et une production insuffisante continueront jusqu’en 2023.

 

 

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