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›› Politique intérieure

Radicale volte-face intérieure et signes d’apaisement de la querelle stratégique avec l’Occident et les États-Unis

Alors que les tensions autour de la préparation du 19e Congrès commencent à traverser le bureau politique soucieux de présenter dans cinq mois une image d’efficacité sans faille, la baisse brutale de la croissance est dans tous les esprits.

Dans l’appareil, les plus critiques relient la secousse économique qui frappe le pays aux récentes décisions de confinement rigide de Pékin [1] et de plusieurs dizaines de villes dont Shanghai, poumon industriel et commercial de la Chine.

Signe de grande nervosité, le Gouvernement a, le 25 mai, sous l’égide de Li Keqiang, le premier ministre, tenu par vidéo-conférence une spectaculaire réunion de masse de 100 000 responsables politiques jusqu’aux échelons les plus subalternes des districts et des municipalités pour inciter toutes les strates de l’appareil et de l’administration à prendre des mesures destinées à freiner la hausse du chômage.

Branle-bas de relance économique.

Voilà près de trois mois que Li Keqiang alertait sur la situation difficile de l’emploi qu’il qualifie de « complexe et grave - 复杂 和 严重 – le pays étant, dit-il, plus durement frappé que lors de la vague initiale de l’épidémie - 些经济指标比2020年疫情严重冲击时还大 –. C’est pourquoi, il exhorte tout le monde à faire des efforts pour garantir une croissance « raisonnable » 努力确保 经济合理增长 et faire baisser le chômage dans les meilleurs délais 和失业率尽快下降. »

Avec plus de 200 millions de Chinois confinés depuis le mois de mars, tout le tissu économique a été touché depuis le secteur de la grande distribution aux industries de hautes technologies. Au point que les banques et les agences de notation ont réduit leurs prévisions de croissance pour cette année quand le gouvernement hésite toujours à corriger ses prévisions.

Alors qu’officiellement, le ministère de l’économie à Pékin table encore sur +5,5%, le Suisse UBS qui dit avoir tenu compte des effets de la politique « Zero-Covid » a rabattu ses prévisions de croissance pour 2022 à +3%.

A la mi-mai, selon les statistiques chinoises, l’index des prix à la consommation avait augmenté de +8% depuis 2021, légèrement au-dessus des prévisions à +7,7%. Quant au chômage, il frappe en priorité les jeunes de 16 à 24 ans à un taux préoccupant de 18,2% en avril (lire l’article de J.P. Yacine : Tensions sur l’emploi des jeunes diplômés.).

En revanche, en moyenne, il était à 6,7% dans les 31 plus grandes villes du pays, en hausse de +0,7% depuis le moins de mars. La progression insistante inquiète Li Keqiang qui sait bien que, dans la classe moyenne, la paix sociale dépend en partie du taux d’emploi des jeunes diplômés à un niveau correspondant à leur réussite scolaire.

Au passage, le pragmatisme socio-économique du premier ministre percute la décision politique de Xi Jinping, appliqué à démontrer à la face du monde que la méthode de gouvernance chinoise de l’épidémie est meilleure que celle de l’Ouest.

Parallèlement à la « conférence de masse » du 25 mai qui était un branle-bas politique pour freiner la montée du chômage, ont été rendues publiques 33 mesures arrêtées lors de la Conférence économique centrale du lundi 23 mai.

La relance tous azimuts tourne le dos à la rigueur des mises aux normes de Xi Jinping.

Toutes sont de vigoureuses relances destinées à doper la croissance dès le mois de juin, parmi lesquelles il faut noter l’allègement politiquement symbolique des mesures de rigueur et de mise au pas infligées par Xi Jinping à l’automne 2020 aux plateformes numériques, principal gisement de l’emploi des jeunes diplômés. Lire : Une reprise en main politique plus qu’une réforme économique.

Signe que la mise au pas commencée par l’offensive politique lancée contre Jack Ma et Alibaba a été mise entre parenthèses, les plateformes ont également été encouragées à innover dans les domaines du « cloud computing » et des technologies « blockchain ».

Autre virage à 180° ayant valeur de symbole politique, le gouvernement qui promet de soutenir l’investissement privé, abandonne pour le moment sa politique de lutte contre l’excès d’endettement des provinces, soutenant à nouveau l’émission d’obligations bancaires des administration locales ainsi que les investissements boursiers à l’étranger, contre lesquelles Xi Jinping avait mené une vigoureuse campagne politique.

Le Conseil d’État promet aussi un soutien aux marchés de l’automobile et des appareils ménagers ; des abattements de taxes et la baisse des taux d’intérêt ; plus de prêts seront également consentis aux PME ; à noter aussi des aides financières d’urgence aux projets d’infrastructure, levier traditionnel de la croissance et aux secteurs les plus touchés comme l’aviation commerciale, où les difficultés de la Thaï Airways, fleuron de l’aéronautique asiatique ont créé un choc.

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Rivalités au sommet.

En haussant l’analyse à hauteur des rivalités politiques on perçoit dans cet enchaînement allant de la rigueur normative anti-Covid à la relance prônée par le Premier Ministre, un conflit entre le dogmatisme politique de Xi Jinping et le pragmatisme socio-économique de Li Keqiang.

En décembre dernier J.P. Yacine avait déjà pointé du doigt « le risque que l’excès de normalisation politique grippe le ressort de l’esprit d’entreprise, qualité chinoise essentielle à la clé du formidable élan économique privé de ces quarante dernières années. ». En réalité, se précise sous nos yeux le conflit politique entre les deux têtes du régime dont QC avait perçu les prémisses à l’été 2020.

Lire : Xi Jinping et Li Keqiang à couteaux tirés ? Un défi à la résilience de l’appareil.

La rivalité s’inscrit aussi dans une vision stratégique et idéologique contrastée entre le Président et le Premier ministre.

Li Keqiang proche de la pensée réformatrice libérale fut, par le truchement du centre de recherche du Conseil d’État, le coauteur du document de prospective « China 2030 » rédigé avec le concours de la Banque Mondiale et de son président de l’époque Robert Zoellick, dont la pensée insistait sur « l’incroyable succès du développement chinois », sans nier les défis clairement identifiés dans le rapport, dont l’essentiel insistait sur la nécessité de réformer le schéma de développement. Lire à ce sujet : Au-delà des confinements, l’exigence de vivre et la réforme du schéma de développement.

En revanche Xi Jinping développe depuis 2012, et plus spécialement à partir du 19e Congrès des idées politiques recentrées sur les « caractéristiques chinoises » idéologiquement opposées à l’Occident, jusqu’à porter une posture d’affrontement direct avec Washington.

Celle-ci s’est d’abord précisée en riposte aux pressions fiscales sans mesure exercées par D. Trump au point de menacer l’équilibre politique du régime chinois, avant de se dilater en une rivalité stratégique globale qui domine la pensée de toute la classe politique américaine.

Aujourd’hui cependant, les nuances de politique intérieure et d’ajustement de l’économie acceptées par Xi Jinping sur un mode moins rigide, semblent se dilater à un adoucissement de la posture stratégique. Au moment où de nouvelles tensions ont surgi dans le Pacifique Sud, nombre d’indices signalent en effet la discrète mais réelle volonté de Pékin de renouer le dialogue avec Washington.

Nouveau signe de la volonté chinoise d’apaisement.

Le 24 mai, le parti a, par Xinhua, laissé percer une information signalant une convivialité amicale du Président chinois se remémorant son séjour dans l’Iowa aux États-Unis. Il s’agit de la première marque de sympathie exprimée à l’égard de l’Amérique depuis 2016 par le Parti qui pèse au trébuchet toutes ses déclarations publiques.

On lit dans l’article que le Président avait répondu à une lettre de Sarah Lande, vieille amie de la Chine qu’il avait connue lors de son séjour dans l’Iowa en 1985 et qu’il avait revue lors de son voyage aux États-Unis en février 2012, alors qu’il était encore vice-président, neuf mois avant d’être nommé à la tête du parti.

Les termes de la lettre de Xi Jinping sont sans équivoque : « Les peuples chinois et américain sont tous deux de grands peuples ; leur amitié n’est pas seulement un atout précieux, mais elle est aussi une base importante pour le développement des relations bilatérales. Le peuple chinois est prêt à continuer de se joindre au peuple américain pour renforcer les échanges amicaux, faire avancer la coopération mutuellement bénéfique et promouvoir conjointement le bien-être des deux peuples, a déclaré M. Xi. »

La balle est dans le camp de Washington. Le 26 mai, Antony Blinken a prudemment commencé à la jouer dans un discours à l’Université Georges Washington sur les relations sino-américaines.

Il est vrai qu’il a d’abord repris les griefs bien connus de la Maison Blanche, depuis le vaste différend commercial jusqu’aux tensions stratégiques en passant par le contraste culturel, désignant la Chine comme « le seul pays ayant à la fois l’intention et les moyens économiques, diplomatiques, militaires et technologiques de rebâtir à sa main l’ordre international ».

Sans surprise, Blinken a pointé du doigt la proximité de Pékin avec Moscou dans la guerre en Ukraine « La défense par Pékin de la guerre du président Poutine pour effacer la souveraineté de l’Ukraine et sécuriser une sphère d’influence en Europe est une alarme pointant le risque d’une réplique sino-russe en Asie Pacifique ».

Mais il a aussi souligné que, tel qu’il était aujourd’hui, l’ordre global que pour la première fois depuis longtemps un responsable américain n’a pas relié au « Droit international », concession notable au discours des « caractéristiques chinoise », ne représentait pas équitablement les intérêts de tous les pays – en particulier ceux des puissances en développement, y compris « les proches partenaires des États-Unis comme l’Inde » -.

Surtout, peut-on lire dans un article de la revue The Diplomat du 27 mai, sous la plume de Shannon Tiezzi, spécialiste de la Chine, ancienne étudiante à Qinghua « en dépit des sévères critiques formulées sur la répression des opposants et l’agressivité internationale de la Chine, il a longuement évoqué la coopération avec la Chine sur les défis majeurs de la planète. ».

Au passage cependant, Blinken n’a pas manqué de critiquer le relativisme écologique de Pékin qui affirme ne pas vouloir séparer les ambitions de réduction de gaz à effet de serre des spécificités du mix énergétique chinois, encore largement tributaire pour son développement des énergies fossiles.

Au total, on voit bien que si la volonté de dialogue existe des deux côtés, déjà manifestée par l’attention ostensible que Pékin avait accordé au cinquantième anniversaire de la visite en Chine de Nixon en février 1972, elle est pour l’instant plus nette chez Xi Jinping que chez Biden [2].

Note(s) :

[1Le 21 mai, les statistiques nationales signalaient une chute moyenne de 43% de la fréquentation du métro par rapport à la même période de 2021. A Shanghai, la fréquentation était voisine de zéro.

A Pékin également frappée par une augmentation (relative) des cas ces dernières semaines, sept districts, soit 14 millions de résidents, dont les plus peuplés de Chaoyang et de Haidian, étaient encore confinés. Les blocages ont entraîné la fermeture de commerces non essentiels comme les grands magasins, les salles de sport et les lieux de loisir.

[2L’arrière-plan historique de la volonté d’apaisement avec le n°1 mondial, est enraciné dans l’antique tradition impériale.

Selon les annales, à l’époque des Han qui durèrent quatre siècles, historiquement à cheval sur le début de l’ère chrétienne et contemporaine de l’Empire romain, les stratèges chinois dont la vision était comme aujourd’hui autocentrée sur la puissance de la Chine, parlaient de Rome comme un équivalent d’eux-mêmes qu’ils appelaient « le Grand Han de l’Ouest ». A cette époque déjà, l’Empire était animé d’une intention de contact avec une puissance équivalente à la sienne, mais dans une sphère culturelle différente.

 

 

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