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›› Société

Le projet de corriger la forte proportion de femmes dans l’enseignement objet de controverses

Le 31 mai dernier, Chu Chaohui 储朝晖, chercheur à « l’Institut national des sciences de l’éducation 中国 教育 科学 研究院 », jetait un pavé dans la mare des débats féministes en pointant du doigt dans le journal « Guangming » [1] « le déséquilibre important » au profit des femmes dans le corps enseignant des écoles élémentaires et des lycées. « 中小学男女教师比例失衡. » Il souligne que « ces dernières années le problème s’est aggravé 近年来,这一问题愈加凸显 ».

La proportion des enseignantes dans les lycées, les collèges et les écoles primaires du pays est respectivement de 54,37%, 57,8% et 70,02%. Dans les écoles maternelles, elle atteint 98%. Comparée à il y a vingt ans, dit Chu, le nombre d’enseignants de sexe masculin dans toutes les classes a diminué de près de 20% et ces dernières années, la tendance au déséquilibre s’est accélérée.

Dans son article il recommande que le gouvernement prenne des mesures pour corriger le déséquilibre et s’applique à considèrer la question du genre des enseignants et de leur formation 教师培养 de « manière globale 须综合平衡考虑性别 »

Alors que la discrimination des femmes continue à marquer certaines professions et notamment celles de la sphère politique où elles sont très peu représentées à la tête de l’appareil (une seule dans le total des 32 postes des secrétaires provinciaux et une seule au Bureau Politique) (lire : Le Parti, point de situation et perspectives. La « sécurité nationale », assurance à large scope pour la pérennité du Parti-État), en revanche le fait qu’elles soient très présentes, souvent sur-représentées à certains niveaux du système éducatif inquiète Chu.

Pour lui, le déséquilibre au profit des femmes affecte la façon dont les adolescents forment leur identité de genre et développent leur caractère. Il ajoute que le problème ne concerne pas seulement les individus, mais qu’il a une portée nationale dont l’importance devrait faire consensus.

Dans ces conditions, dit-il, il serait « raisonnable et nécessaire 合理和必要的 » qu’à travers le pays, les écoles adoptent à l’échelon national une politique d’ajustement du ratio hommes-femmes lors de l’embauche des enseignants -全国学校在聘用教师时采取调整性别比例的政策 - ».

Chu suggère aussi que les autorités mettent en œuvre une combinaison de stratégies pour corriger la tendance : 1) Fixer des quotas minimums d’embauche de professeurs masculins ; 2) Encourager les collèges d’enseignants à admettre plus d’étudiants mâles ; et 3) Augmenter les salaires des enseignants pour rendre la profession plus attrayante pour les hommes.

Une discrimination de rattrapage au profit des hommes.

L’article de Chu a en réalité été suscité par une controverse publique échauffée sur les réseaux sociaux, quand les internautes ont noté qu’un établissement de Xiamen (Fujian), avait appliqué une politique des quotas en faveur des hommes.

Sur les 12 candidats – six hommes et six femmes - à un poste d’enseignant dans la ville, les hommes avaient été classés séparément et l’un d’entre eux qui n’avait obtenu qu’une note de 20 sur 100 aux tests préliminaires a été autorisé à se présenter alors que chez les femmes la barre minimum d’accès à l’examen était de 56 sur cent.

Réagissant au tollé des réseaux sociaux, la commission d’éducation de la ville a vendu la mèche. Alors qu’elle avait reçu la consigne d’équilibrer les candidatures entre les hommes et les femmes, elle n’a pas pu faire autrement que de privilégier les hommes, puisque seulement six hommes s’étaient présentés au recrutement, contre un nombre beaucoup plus important de femmes.

La franchise des responsables de la ville n’a pas calmé la controverse en ligne qui, au contraire, a gagné en intensité et en outrance. L’article de Chu, qui pourtant précisait que la sélection des candidats devait être faite sur la base de l’équité, n’a fait qu’attiser quelques rancœurs féministes et, en retour, les commentaires sexistes.

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Effervescence des réseaux sociaux.

Certaines réactions furent désabusées. Une jeune femme écrivait notamment « De toutes façons si mes résultats au test étaient supérieurs à ceux des hommes, je préfèrerais encore choisir une profession où on gagne de l’argent 我也不想当老师,我想去赚点钱 - ».

Régissant, un homme répliquait par un commentaire à la fois sexiste et ironique : « Le déséquilibre signifie que les hommes sont plus capables. Dans le génie civil, pourquoi y a-t-il tant d’hommes ? Personne n’a dit que le secteur n’était pas disposé à recruter des femmes. 那土木行业, 为啥男的多, 没人说, 还不愿意招女.

Un autre concède le déséquilibre mais regrette le côté mécanique et réflexe de la réaction. Si chez les enseignants, les femmes sont plus nombreuses il est en effet nécessaire de rééquilibrer. Mais faut-il pour autant le faire de manière automatique (当快宝.) ?

(Note de la rédaction : « Kuaibao 快宝 » désigne une application de Tencent « Tian Tian Kuai Bao 天天快报 » diffusant des informations par un système numérisé automatique, que la commission de contrôle d’Internet vient d’ailleurs de mettre en garde contre la diffusion de « nouvelles vulgaires. »

D’autres relativisent : « Aujourd’hui, l’économie est en mauvais état, les licenciements et les réductions de salaire sont importantes et de nombreuses personnes sont au chômage. Beaucoup envient la stabilité des revenus des enseignants et des médecins. » (…)

« N’écoutez pas ceux qui disent que les hommes touchent de gros salaires dans l’industrie et n’y vont que pour cette raison. En moyenne, leurs revenus sont bien inférieurs. Enseignant, c’est un gâteau à saisir. 别听人说收入高的行业男的才去卷, 平均下来, 收入待遇地位远不如老师, 这下是抢蛋糕. »

Certains, se référant au passé soulignent le changement. « J’ai l’impression qu’il y avait beaucoup d’enseignants masculins à l’époque de mon père. 感觉以前我爸爸那个年代 学校男老师同事还挺多. Aujourd’hui, les professeurs n’ont qu’un salaire moyen 平均工资. Dans la société d’aujourd’hui, sauf par tradition familiale, les hommes ne choisissent plus cette voie. 很少会去当老师. »

Les parents s’en sont mêlés. Outragés par ce qu’ils considèrent comme une « discrimination positive » inversée, ils s’inquiètent du niveau des hommes recrutés par ce système « Savez-vous qu’un enseignant incompétent peut ruiner la vie de nombreux élèves ? ». Tandis que sur Weibo, une féministe se demandait « quelle discipline nécessiterait d’avoir un pénis 阴茎 pour l’enseigner. »

Une tendance lourde.

Les études sociologiques chinoises reprises par le ministère de l’éducation confirment que, par le passé, la profession d’enseignant était prisée par les hommes. Mais depuis la prévalence du marché, les proportions hommes – femmes ont changé. Depuis 2010, la bascule s’est accélérée au point que dans les écoles maternelles les femmes occupent 97% des postes.

La disparité est prononcée dans les zones rurales. Selon Yang Juanjuan, secrétaire d’un comité de village dans une comté du Hunan seulement 14% des enseignants sont des hommes.

Plus largement, il existe en Chine un consensus parmi les éducateurs et les parents sur le fait que le manque d’enseignants masculins a un impact négatif sur le développement des élèves. Cela est particulièrement vrai pour les écoles élémentaires, car, disent les éducateurs, cette période joue un rôle crucial dans la formation du caractère d’un enfant.

L’idée générale de ce courant de pensée est que si les étudiants ne sont pas suffisamment exposés aux « marqueurs de la masculinité » que sont la « fermeté » de caractère et la « bravoure », les étudiants mâles auraient tendance à se « féminiser » eux-mêmes.

Sans compter que les politiques intempestives de rattrapage des déséquilibres par des discriminations injustes en faveur des hommes contribuent, on l’a vu, à abaisser le niveau des enseignants et à frustrer les candidates féminines. Actuellement les exemples ne sont pas rares de femmes largement plus qualifiées écartées au profit d’hommes médiocres.

Au-dessus de ces malaises plane la raison la plus évidente des déséquilibres hommes-femmes. Contrairement aux idées reçues les salaires à 1000 à 1500 $ par mois ne sont pas trop faibles puisqu’ils sont équivalents aux salaires moyens du privé.

A la recherche d’un statut d’influence. 势力

En revanche, dans une Chine suradministrée dominée par une oligarchie politique toute puissante et où foisonnent les opportunités commerciales, la profession d’enseignant dont la rémunération stagne ou augmente peu tout au long de la carrière offre un statut social insuffisant pour les hommes.

Le contexte est que tous les parents espèrent que leurs enfants mâles seront soit très hauts-fonctionnaires, soit cadres dans une entreprise privée dont les revenus peuvent augmenter notablement au fil d’une vie professionnelle. Dans ce contexte, la réforme qui redonnerait une aura de statut et d’influence aux enseignants masculins chinois reste à faire.

Aussi longtemps qu’elle restera dans les limbes, toutes les tentatives de rééquilibrer le ratio hommes-femmes du corps enseignant se soldera par un abaissement du niveau des professeurs et la frustration des femmes écartés pour des concurrents hommes moins qualifiés qu’elles.

Note(s) :

[1D’abord l’expression de la ligue démocratique « 民主联盟- Minzhu lianmeng », l’un des huit partis non communistes, le « Guangming 光明 » est à partir de 1982 devenu le journal de l’élite intellectuelle du parti, passé directement sous le contrôle du Comité Central en 1984.

Auparavant, il avait joué un rôle déterminant dans la bataille politique entre Hua Guofeng et la « Bande des Quatre » dont il fut d’abord l’expression avant la mort de Mao, avant d’aider Hua à éliminer Jiang Qing et sa coterie radicale.

Après la disparition de Mao, sa ligne politique visa à mettre un terme à la révolution culturelle. Entre 1976 et 1978 le « Guangming » joua un rôle dans la consolidation du pouvoir de Deng Xiaoping et de son pragmatisme socio-économique.

Enfin, il n’est pas anodin de rappeler que, le 7 mai 1999, les journalistes du « Guangming » Xu Xinghu 许杏虎 et son épouse Zhu Ying 朱颖 furent parmi les victimes tuées par l’attaque missiles menée de nuit par la CIA directement à partir du Texas, contre l’ambassade de Chine à Belgrade durant le bombardement de la Yougoslavie par l’OTAN qui dura onze semaines du 24 mars au 10 juin 1999. Lire notre article : Xi Jinping à Belgrade. Retour vers le futur des guerres technologiques.

Notons que le débat à propos de Hua Guofeng dont le Parti loue aujourd’hui l’esprit de loyauté, n’est pas mort. Lire : De Deng Xiaoping à Hua Guofeng, l’itinéraire d’un despote.

 

 

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