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›› Editorial

Au Xinjiang, la mémoire occultée et la victoire de Xi Jinping sur le terrorisme

Du 12 au 15 juillet, le président Xi Jinping s’est rendu au Xinjiang. Au cours de son séjour, il a entre autres été applaudi par les étudiants à l’Université d’Urumqi et a inspecté les plantations de coton d’une unité de « Bingtuan » – groupes paramilitaires de développement boycottés par Washington - ; pour la partie culturelle, coiffé d’un chapeau de cowboy, les yeux protégés par des lunettes noires, il a visité les ruines de Tourfan.

Ancienne oasis sur l’une des routes de la soie, la ville est, avec sa mosquée d’Emin au minaret en forme de cône haut de 44 m, le symbole de la conquête de la région par l’Empire Qing au milieu du XVIIIe siècle marquée par le ralliement des Ouïghours d’Emin Khoja (d’où le nom du minaret).

Ces derniers prêtèrent la main à l’Empereur Qianlong pour exterminer plusieurs centaines de milliers de nomades « Dzungars » apparentés aux Mongols, dernière tribu des pasteurs guerriers qui, depuis le XVIIe siècle, menaçaient l’empire à partir de ses confins occidentaux.

L’épisode renvoie à la « matrice unificatrice » chère à Xi Jinping de la dynastie Qing qui « sinisa » les peuples mongols et tibétains assimilés à la « famille » chinoise, mais distincte des « Han » et rassemblée sous le vocable « Nei Wai Yi Jia : 內外一家 – famille de l’extérieur - ».

Partout, sous les applaudissements des communautés Han et Ouïghour rassemblées pour l’occasion, le président a affiché le visage confiant exprimant la satisfaction politique d’avoir, par la fermeté de ses actions de contrôle et de répression, apaisé une région en ébullition depuis 2009.

Il reste qu’en dépit des apparences de sérénité, le déplacement était d’une extrême sensibilité dont les racines directes remontent aux secousses récentes, sur fond de la longue histoire d’un choc culturel encore imparfaitement apaisé. Lire : L’intégration du Xinjiang dans l’ensemble chinois : Développement, colonisation démographique, vulnérabilité et sécurité.

La mémoire oubliée d’une émeute contre les Han.

Le 5 juillet 2009, trois années avant l’accession de Xi Jinping à la tête du Parti, lors du 18e Congrès, alors qu’il était déjà membre du Comité Permanant et vice-président de la République, Urumqi avait été secouée par de violentes émeutes.

Des groupes enragés d’un millier de Ouïghours s’en prirent avec férocité à la population Han dont 197 furent tués et 2000 autres plus ou moins gravement blessés. Des bâtiments furent incendiés et de nombreux véhicules brûlés. La répression qui suivit fit disparaître plus d’une cinquantaine de personnes, 400 furent présentées aux tribunaux et condamnées.

Cinq mois après les émeutes, en novembre 2009, 9 furent condamnées à mort et rapidement exécutées. En février 2010, 26 condamnations à la peine capitale avaient été prononcées au total. Aussitôt après les troubles, les communications avec la province furent coupées et son accès interdit aux visiteurs extérieurs.

Alors que tous les Occidentaux et plusieurs pays musulmans dont l’Iran et la Turquie qui parla de « génocide », condamnèrent la brutalité des répressions, l’Afghanistan, le Cambodge et le Vietnam les approuvèrent.

Peu après se précisait pourtant une menace terroriste dont les racines plongeaient à la fois dans une revendication politique identitaire et l’extrémisme religieux islamiste. Lire : Xinjiang, le régime s’inquiète de la nouvelle empreinte globale de l’ETIM..

C’est peu dire que l’alchimie de ces deux risques, l’un lié à l’intégrité territoriale, l’autre à la mythologie agnostique du parti communiste chinois dont la pensée tient le défi religieux à longueur de gaffe, avait touché un nerf sensible de l’appareil.

En mars 2014, quelques semaines avant la première visite de Xi Jinping deux années après son investiture en 2012, 29 personnes avaient été tuées et 140 blessées par une attaque au couteau à la gare de Kunming. Au dernier jour de sa visite en avril, une bombe explosait sur un marché d’Urumqi qui tua une personne et en blessa une douzaine d’autres.

La prise de conscience qui suivit marqua le début du raidissement extrême de l’appareil au Xinjiang. Lire : Xinjiang. Menaces djihadistes directes et spirale répressive.

Dès le 30 avril 2014, Xi Jinping donnait des instructions pour que chacun mesure les longues racines du défi culturel et sécuritaire auquel le pays était confronté. « Nous devons comprendre dans le détail, dit-il, 必须深刻认识 la nature à long terme 长期性, la complexité 复杂性, la violence 尖锐性 du terrorisme séparatiste au Xinjiang 新疆分裂和恐怖斗争 » (…). « Et prendre des mesures décisives 坚决采取果断措施 pour réprimer résolument l’arrogance des terroristes violents 恐怖分子的嚣张气焰打下去 ».

Telles sont les racines de la violente répression souvent indiscriminée qui, depuis 2015 s’est abattue sur la région ayant abouti, par souci d’efficacité, à la création de vastes camps de détention des musulmans Ouïghour.

Entre brutalité et séduction.

Le Parti affirme que les camps sont des centres de formation professionnelle et de « dé-radicalisation ». Mais nombre d’informations issues de photos satellites, de fuites de documents confidentiels et de témoignages d’anciens détenus attestent de la nature indiscriminée et sévèrement répressive des internements. Lire : Le Xinjiang sous la chape de « rectification. ».

Pourtant, signe d’une fracture dans la manière dont la communauté internationale apprécie la situation, en juillet 2019, une trentaine de pays proches de Pékin ripostèrent à la mise en cause de la Chine à l’ONU sur le sujet du Xinjiang par 18 pays européens, rejoints par le Japon, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, dont pourtant l’Amérique de Donald Trump, la Turquie et 12 pays européens [1] ayant des relations économiques et commerciales avec la Chine s’étaient tenus à l’écart. Lire : Controverses globales autour du traitement des Ouïghour. Pékin rallie un soutien hétéroclite et brouille la solidarité des musulmans.

Récemment, accompagnant le message subliminal que le Parti aurait réussi à stabiliser la situation de sécurité dans la province, Pékin qui n’a pas relâché le contrôle strict de la population Ouïghour, s’est cependant attaché à corriger l’image négative de sa politique.

Annoncée le 22 décembre 2021, la nomination à la tête de la province d’un ingénieur de la CASC reconverti dans la politique en remplacement du très répressif Chen Quangguo fut un premier signe de la volonté de l’appareil d’offrir de sa politique au Xinjiang un image moins répulsive. Lire : Au Xinjiang, Chen Quanguo laisse la place à l’ancien ingénieur missiles devenu homme politique, Ma Xingrui.

Autre signe de l’intention d’adoucir l’image dégradée de l’action de l’appareil dans le grand ouest, lors des JO d’hiver, le 4 février dernier, c’est Dinigeer Yilamujiang une skieuse de fond de 20 ans de l’ethnie Ouïghour qui alluma la flamme olympique. L’événement qui avait suscité une série de réactions peu convaincues, a été décrit par beaucoup de médias occidentaux comme une mise-en-scène spectaculaire.

Certains y ont même vu une « provocation ». Citée par le journal allemand « Die Kleine Zeitung » Wang Yaqiu, chercheuse chinoise de l’ONG « Human Right Watch » parlait d’un « doigt d’honneur » adressé aux critiques occidentales.

Pour l’Union Européenne, non plus, le compte n’y est pas.

L’accusation de « génocide ». Michelle Bachelet et le Commissariat des droits de l’Homme sur la sellette.

Le 9 juin 2022, le parlement de Bruxelles a longuement condamné la Chine par une résolution [2] dont la conclusion fait pression sur la Haut-Commissaire des NU pour les Droits de l’homme Michelle Bachelet, ancienne présidente du Chili, ayant récemment effectué une visite Xinjiang, pour qu’elle rende public le rapport de sa mission.

La résolution faisait suite à un vote de l’Assemblée Nationale française qui, le 20 janvier 2022, avait adopté la résolution n°758 condamnant la Chine pour « crime contre l’humanité et génocide » [3].

En même temps, après avoir regretté que les autorités chinoises ne l’aient pas autorisée à rencontrer des ONG des droits de l’homme de la société civile et à se rendre dans les centres de détention et de rééducation, la résolution de Bruxelles concluait brutalement que Michelle Bachelet avait manqué de dénoncer clairement le gouvernement chinois pour les violations des droits au Xinjiang.

Le vote du parlement européen fait écho à une polémique qui enfle affirmant que Pékin fait pression pour qu’avant la fin de son mandat qu’elle dit ne pas vouloir renouveler après sa mission controversée au Xinjiang en mai, Michelle Bachelet renonce à publier son rapport.

Reuters à l’origine de l’information, cite une lettre rédigée par les autorités chinoises mettant en garde contre « une politisation des droits de l’homme et l’aggravation des tensions dans le monde entre les blocs sur ce sujet dont le résultat saperait, dit la lettre, la crédibilité du Haut-Commissariat et nuirait à sa coopération avec les États membres ».

La lettre de Pékin est dans la droite ligne de la visio-conférence publique que Xi Jinping avait tenue avec Michelle Bachelet où il avait dénoncé la « politisation » des droits de l’homme et leur instrumentalisation selon des critères à géométrie variable. « Chaque pays a une situation différente » avait-il rappelé. « En matière de droits, chacun suit sa propre voie en fonction de ses conditions et des besoins de son peuple ». « Il n’y a pas de pays parfait ».

Enfin, les termes de la lettre, retournant la logique de la crédibilité en prônant l’omerta d’une agence de l’ONU, en dit long sur la force des appuis de Pékin à l’Assemblée Générale où nombreux sont les États favorables à la politique répressive de la Chine.

L’épisode où l’on voit la Chine s’opposer publiquement aux Nations Unies auxquelles elle se réfère pourtant régulièrement, accrédite le consensus occidental que les stratégies chinoises qui rejoignent celles de Moscou, ambitionnent de remodeler l’ordre international.

Pour la première fois « la menace chinoise » est clairement inscrite dans le nouveau concept stratégique de l’OTAN rendu public le 29 juin dernier après le sommet de Madrid. On y lit que « Les ambitions déclarées de la Chine et ses politiques coercitives défient les intérêts, la sécurité et les valeurs de l’Alliance ».

Note(s) :

[1Il s’agissait de l’Italie, du Portugal, de la Grèce, de la République Tchèque, de la Slovaquie, de la Hongrie, de la Pologne, de la Roumanie, de l’Albanie, de la Slovénie, de la Croatie et du Monténégro. Depuis, 2020 et les controverses autour du surgissement de l’épidémie de Covid-19 et de l’opacité de l’appareil jusqu’en janvier 2020, augmentées des soupçons que le parti nourrit un projet de prévalence culturelle globale, la manière dont la Chine est perçue a changé.

Il n’est plus très certain que les mêmes Européens de l’Est s’abstiendraient de condamner Pékin d’autant que, depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, la proximité sino-russe brouille l’image d’une Chine capable de se tenir à distances des alliances.

[2Le texte condamne l’oppression systématique et brutale des Ouïghours, privés de pratiquer leur religion, séparés de leurs familles, massivement déportés, détenus arbitrairement, torturés et soumis à un régime carcéral humiliant.

Légitimant dans l’esprit de certains les accusations de « génocide », il dénonce les avortements forcés et les mesures de stérilisation des femmes ouïghours, ainsi que les sanctions qu’elles subissent pour violation du contrôle des naissances. Même si Pékin ne procède pas à des éliminations de masse, toutes ces accusations concourent, selon certains analystes, à légitimer l’accusation de génocide.

[3Les accusations de génocides sont principalement portées par des ONG des droits de l’Homme (Amnesty et HRW) et certains exécutifs et parlements occidentaux, dont le plus virulents sont Américains.

S’appuyant sur des photo-satellites, des fuites de documents secrets chinois et les témoignages d’anciens détenus, les groupes de défenses des droits de l’homme estiment qu’au plus fort de la répression, immédiatement après 2015 et jusque récemment, plus d’un million de Ouïghours ont été enfermés dans des camps, dont le régime carcéral brutal autorisait le « tir à tuer » pour dissuader les tentatives d’évasion.

La Chine réfute en bloc toutes les accusations qu’elle qualifie de mensonges et se prévaut de la stabilisation de la situation pour valider sa politique dont selon le Parti l’essentiel s’articule à des actions anti-terroristes.

 

 

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