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Deux heures d’échanges téléphoniques tendus entre Joe Biden et Xi Jinping. Vers la 4e crise de Taïwan ?

Même si la reprise du dialogue au plus haut niveau entre Washington et Pékin est considérée par les deux comme le moyen d’éviter une escalade funeste, la manière dont les médias occidentaux en rendent compte, focalisant uniquement sur la menace chinoise à propos de Taïwan, répétée dans tous les gros titres de la presse occidentale, contribue à dépouiller l’exercice de sa vertu dissuasive.

La première phrase des compte-rendu occidentaux des deux heures et vingt minutes d’échange téléphonique entre Xi Jinping et Joe Biden le 27 juillet, insiste invariablement sur la mise en garde du Président chinois de ne pas jouer avec le feu à propos de Taïwan « 玩火的人會被它滅亡. 希望美方清醒認識 – Ceux qui jouent avec le feu périront avec lui. Nous espérons que la partie américaine en a bien conscience ».

En revanche, si la mise en garde de Pékin à propos de Taïwan est bien rapportée dans les communiqués, elle n’est pas spécialement mise en exergue par les déclarations officielles de la Maison Blanche et du Waijiaobu.

Des déclarations officielles, moins alarmistes.

Noyé au milieu d’un texte qui, à Pékin comme à Washington, reconnaît la nécessité de maintenir ouverts les canaux de contacts, l’effet enflammé destiné à l’opinion publique chinoise à moins de quatre mois du 20e Congrès où il est essentiel que Xi Jinping se montre inflexible, est atténué par l’annonce de l’intention commune d’une rencontre face à face à une date à déterminer.

Dans ce contexte, le communiqué de la Maison Blanche est resté factuel et sobre. « L’échange téléphonique » dit-il « faisait partie des efforts de l’administration Biden pour maintenir et approfondir la communication entre les États-Unis et la RPC, gérer de manière responsable les différences et travailler ensemble là où les intérêts s’alignent. » (notamment le climat et l’urgence sanitaire).

A propos de Taïwan, la Maison Blanche a prudemment ajouté exactement ce que Pékin et l’opinion chinoise veulent entendre : « La politique d’une seule Chine des États-Unis n’avait pas changé et s’opposait fermement aux efforts unilatéraux visant à modifier le statu quo ou à saper la paix et la stabilité dans le détroit de Taïwan. »

Quant au communiqué chinois, relayé par Xinhua, il est encore plus en décalage avec l’alarme médiatique occidentale. Commençant par désigner l’échange téléphonique (c’était le 4e – par visio-conférence ou par téléphone - depuis le 10 février 2021) [1] comme « sincère » et portant sur les relations bilatérales et des problèmes « d’intérêt commun », il continue en atténuant l’agressivité de la position de Xi Jinping exprimée lors de l’échange.

Tranchant radicalement avec sa déclaration martiale à propos de Taïwan, mesurant aussi les risques d’emballement populiste auquel il a directement fait allusion, le Président a affirmé que « se limiter à définir la relation bilatérale par le viseur unique de la rivalité stratégique à long terme serait un malentendu sur l’état de développement de la Chine pouvant induire en erreur les peuples ».

Après avoir reconnu les nombreux défis auxquels l’économie mondiale est confrontée, Xi Jinping a souligné la nécessité pour la Chine et les États-Unis de maintenir la communication sur des questions aussi importantes que la coordination des politiques macroéconomiques, le maintien de la stabilité des chaînes industrielles, d’approvisionnement et la protection de la sécurité énergétique et alimentaire mondiales.

Au passage, il a évoqué une des principales craintes chinoises liée au découplage technologique portant le risque de fragiliser non seulement la Chine, mais aussi l’économie américaine et l’équilibre économique global.

La perspective qui n’est pas un vain mot, occupe la pensée des stratèges chinois (lire : Avis de rupture du monde de la high-tech).

Sur la question de Taïwan, cœur incandescent de la dispute stratégique et de l’emballement médiatique occidental, le communiqué du Waijiaobu a rappelé la position de principe de Pékin d’une appartenance historique de l’Île à la Chine, fermement opposée à l’idée d’indépendance, “qu’elle qu’en soit la forme“ fomentée par “l’interventionnisme étranger“. Remettre en cause cette réalité, cautionnée par les 1,4 Mds de Chinois, serait, a dit Xi Jinping, « jouer avec le feu et risquer de se brûler ».

Notons aussi qu’ayant appelé Washington à strictement respecter les termes des « Trois Communiqué » et le principe « d’une seule Chine » (lire : Les nouvelles eaux mal balisées de la question de Taïwan), le président chinois a cette fois réservé son discours martial aux seuls risques posés par une ingérence étrangère dans les affaires intérieures chinoises, véhiculant l’idée d’indépendance de l’Île.

Il n’a en revanche pas insisté sur nécessité d’une réunification à terme, au plus tard en 2049, y compris par la force des armes, pour parachever le rêve chinois de renaissance. Chose étonnante, et toutes choses égales par ailleurs, il a comme la Présidente taïwanaise, évoqué la préservation du « statuquo 现状 » d’une « situation factuelle 事实 » où les deux rives du Détroit sont parties de la même Chine. « 台海两岸同属一个中国的事实和现状 ».

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Sous la surface de nombreux facteurs aggravants.

Au cœur de la controverse sur l’agressivité du Président Xi Jinping qui, à la veille du 20e Congrès, ne peut s’autoriser aucune faiblesse sur la question de Taïwan, se trouve le projet, non encore arrêté à la rédaction de cette note, de la visite à Taïwan de Nancy Pelosi.

Pour un système autocratique vertical ignorant la séparation des pouvoirs, il est incongru de séparer l’initiative de la présidente de la Chambre des représentants d’une décision de l’exécutif américain, d’autant que dans l’ordre de succession politique en cas de vacance du pouvoir, elle est deuxième sur la liste, après le Vice-Président.

Dernière évolution à la date de la rédaction de cette analyse, la militante démocrate connue pour ses positions férocement critiques de la Chine, notamment en matière de droits de l’homme, semble désormais consciente des risques d’emballement portés par sa visite. Le 31 juillet, elle a, par une déclaration, bien confirmé qu’elle était « en route vers l’Asie », mais sans mentionner une éventuelle escale à Taïwan.

Attendue à Singapour, pour les 1er et 2 août, elle a précisé que l’objectif à large spectre de son voyage comportant aussi des passages à Kuala Lumpur, Séoul et Tokyo serait de réaffirmer l’engagement des États-Unis en Asie-Pacifique et de « discuter de la manière dont Washington et ses alliés pourraient promouvoir les valeurs et la sécurité communes, la croissance économique, la liberté du commerce, la coopération médicale et la préservation du climat ».

S’il est exact que, depuis la présidence de Donald Trump, les visites de haut niveau de responsables américains à Taïwan n’ont pas manqué, notamment celle, il y a un an, du ministre de la santé Alex Azar, le 9 août 2021, à l’époque déjà considéré par les commentateurs comme « l’officiel américain du plus haut niveau venu à Taïwan en plusieurs décennies », la visite à Taïwan de la Présidente de la Chambre serait une première depuis celle du « speaker » Républicain Newt Gingrich en 1997, il y a 25 ans.

L’époque était celle de la « troisième crise de Taïwan », après celles de 1954 et de 1958, quand Pékin avait, entre le 21 juillet 1995 et le 23 mars 1997, tiré deux salves de missiles dans les eaux adjacentes à l’Île.

La posture agressive, cependant atténuée par le fait que les armes étaient inertes, réagissait d’abord (1re salve), à l’évolution de la pensée politique du Président Lee Teng-hui, soupçonné par Pékin après son voyage aux États-Unis en juin 1995, de vouloir abandonner la « politique d’une seule Chine » ; ensuite (2e salve) à la décision de l’élire à la présidence de l’Île, au suffrage universel direct en 1996.

Vers la 4e crise de Taïwan ?

Alors que nombre de commentateurs identifient la récente succession des événements comme les prémisses de la 4e crise de Taïwan, et que le Président Biden lui-même a exprimé l’avis que l’initiative de Nancy Pelosi « n’était pas une bonne idée », il faut bien reconnaître que les tensions de la relation entre les deux rives baignent aujourd’hui dans une série de facteurs aggravants, au point que la marine américaine a décidé de faire croiser le porte-avions Donald Reagan en mer de Chine du sud.

Il est clair que, venant de Singapour, le PA a reçu l’ordre de se rapprocher de Taïwan, parce qu’à Washington les plus nerveux craignent qu’une visite de Pelosi dans l’Île pourrait inciter Pékin à l’attaquer après que le porte-parole du Waijiaobu Zhao Lijian ait, le 25 juillet, prévenu que « la Chine s’était sérieusement préparée à la visite. ».

La menace a été réitérée peu après par le commentaire du ministre de la défense Wei Fenghe indiquant que « si les États-Unis insistaient dans cette voie solitaire (sans se préoccuper de la Chine), l’APL ne resterait pas inerte « 如果美国一意孤行, 中国军队绝不会坐视不管. »

Alors que les parlementaires américains ont, par le passé plusieurs fois visité l’Île, la controverse autour de la visite de Pelosi survient au moment où, une fois de plus, Pékin constate non sans raison que Washington s’éloigne de la politique d’une seule Chine. La tendance est attestée par une série d’indices qui n’ont pas échappé au Parti.

Non seulement des officiels taïwanais aux États-Unis ont en janvier 2020, ouvertement été invités à la cérémonie d’investiture de Joe Biden, mais encore, leurs rencontres avec le gouvernement américain se tiennent désormais régulièrement dans les locaux de l’administration ; récemment, alors que le Président avait affirmé que l’armée des États-Unis viendrait au secours de Taïwan, Anthony Blinken parlait de Taïwan comme d’un « pays » ;

Surtout, en décembre 2021, l’administration Biden avait publiquement invité les Taïwanais à son sommet pour la démocratie (lire : Le sommet mondial des démocraties invite Taïwan et enflamme les nationalistes chinois qui fustigent les ratés de la démocratie américaine), tandis que des fuites venant de l’administration américaine dévoilaient que des experts militaires de l’US Army présents sur l’Île, entrainaient l’armée taïwanaise.

Aucune de ces mesures n’équivaut à une reconnaissance diplomatique, mais Pékin pourrait considérer le projet de Pelosi comme une opportunité pour freiner une dérive qui éloigne les États-Unis de l’esprit des « Trois communiqués » (1972 Nixon et Zhou Enlai ; 1979 Carter et Deng Xiaoping ; 1982 Reagan et Deng Xiaoping).

La crispation extrême de la situation est aussi le fruit de la proximité du 20e Congrès poussant Xi Jinping à l’intransigeance sans nuances sur la question de Taïwan, et d’une longue suite d’affirmations de souveraineté dans le contexte général où le Parti refuse d’envisager le moindre contact direct avec le gouvernement de Tsai Ing-wen tant qu’elle ne reconnaîtra pas l’existence « d’une seule Chine. »

Plus important encore, selon un article de Foreign Policy de David Sacks du 29 juillet, la réaction de Xi Jinping face à Joe Biden, révèle que la perspective d’une crise militaire ouverte dans le Détroit, même sans déclaration d’indépendance de l’Île, pourrait ne plus être un tabou pour la direction chinoise, avec cependant la nuance que le communiqué cité plus haut révèle une volonté de calmer le jeu.

La détermination affichée de Xi Jinping – qu’il n’a cependant pas mentionnée dans le dernier échange avec Joe Biden – de récupérer Taïwan coûte que coûte avant l’échéance du 100e anniversaire du Parti à la tête de la Chine en 2049, installe un inconfort stratégique. Non seulement elle ne favorise pas l’apaisement, mais elle fait surgir l’incertitude qu’une action militaire de l’APL dans le Détroit pourrait être possible n’importe quand.

J. Burns l’actuel Directeur de la CIA, cité par Sacks, insiste sur cette hypothèse : « Je ne sous-estimerais pas la détermination du président Xi à affirmer le contrôle de la République populaire de Chine sur Taiwan. Les risques augmenteront dans les dix ans qui viennent. » Il ajoute « qu’après avoir consolidé son règne lors du prochain Congrès du Parti ; après avoir écarté ses rivaux et placé ses appuis aux postes clés, Xi aura les mains libres pour poursuivre ses objectifs. »

Enfin, dernier facteur d’aggravation de la situation à l’avenir, alors que les élites américaines sont aujourd’hui hantées par la perspective de leur déclin, elles savent bien que si Pékin réussissait à reprendre l’Île par la force, l’influence globale des États-Unis comme garants de la sécurité, déjà très controversée, serait à jamais compromise.

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ANNEXE. Les facteurs technologiques et commerciaux des tensions.

A côté des questions majeures de sécurité, de souveraineté et de rivalité de puissance, surnagent les tensions autour de la dépendance technologique à la Chine et notamment les efforts américains pour construire un secteur de micro-processeurs indépendant.

Le 29 juillet, le congrès a voté un décret bipartisan doté de 50 Mds de $ favorisant la création d’une base industrielle détachées des chaînes de production chinoises.

Par exemple, la fabrication aux États-Unis de microprocesseurs est devenue une priorité stratégique rappelée par Biden, le 26 juillet au cours d’une réunion avec des chefs d’entreprise et des responsables syndicaux : « Si la Chine décidait de suspendre sa production ou d’empêcher Taïwan d’exporter ses microprocesseurs ou d’en fabriquer, nous aurions un grave problème économique et, à terme, de sécurité nationale ».

De même, un décret plus large proposé par la Maison Blanche tente de construire une autonomie dans les secteurs des « renouvelables », des batteries pour véhicules électriques et de la lutte contre le changement climatique. Le 28 février un discours de Biden au Congrès présentait ce plan comme « un moyen de réduire à la fois l’inflation et les déficits »

Au total, l’accord bipartisan qui porte le nom « d’Inflation Reduction Act. » envisage un investissement de 369 Mds de $ destinés au secteur de l’énergie avec l’objectif de réduire les émissions de carbone de 40% d’ici 2030. Le plan santé qui accompagne ce projet prévoit pour ceux inclus dans le système « Medicare » une franchise de médicaments gratuits à hauteur de 2000 $.

En même temps, à la fois geste de bonne volonté et mesure interne pour réduire l’inflation, la Maison Blanche étudie la possibilité de lever les 300 Mds de taxes infligées entre 2018 et 2019 aux exportations chinoises, mais pas seulement, frappant l’acier, l’aluminium, les pièces détachées aéronautiques, l’optique de précision, les turbines à vapeur, les produits chimiques et les voitures de chemin de fer.

Rappelons que dans le même temps, la Chine avait en riposte infligé 111 Mds de taxes aux exportations américaines, allant des produits agricoles à l’aluminium recyclé en passant par les cosmétiques, les câbles et les fibres optiques.

En même temps, a surgi le projet des relocalisations dont l’intention a été remise sur le tapis par les contraintes de la politique « zéro-Covid » qui selon le PDG d’Apple Tim Cook pourrait coûter 8 Mds de $ au trimestre prochain. Mais s’il est exact que nombre de groupes envisagent un repositionnement ailleurs en Asie, notamment au Vietnam, la plupart des études montrent que la bascule est compliquée.

Il est en effet difficile de tourner le dos aux efforts déjà consentis pour tisser le très dense réseau de sous-traitants chinois imbriqués à un marché dont l’ampleur et la solvabilité sont incomparables. La Chine est devenue plus chère, et depuis 2021, plus volatile, mais pour l’heure elle offre des compétences et un volume d’affaires difficiles à trouver ailleurs.

Pour l’instant en tous cas, tous les consultants sont d’accord avec ce constat livré par Paul Triolo, vice-président d’une société de Conseils stratégiques qui compare les risques liés aux rigueurs chinoises anti-covid à ceux d’un conflit dans le Détroit. « Alors que les fermetures Covid obligeront certaines entreprises à diversifier leurs sites de fabrication, la politique zéro-Covid n’affaiblira pas de manière permanente le statut de la Chine ».

« En revanche, une escalade majeure à Taïwan serait un facteur beaucoup plus important pour déterminer l’avenir de la Chine en tant que plaque tournante industrielle fabrication. » (…) « Toute perturbation des chaînes d’approvisionnement de Taïwan causée par une confrontation militaire aurait également un impact considérable sur les opérations des groupes comme Apple ».

Note(s) :

[1Au passage notons que la fréquence des échanges, témoigne d’une volonté réciproque d’apaisement. Même s’ils ne sont pas toujours concluants au niveau stratégique, ils sont tout de même marqués par des avancées d’apaisement ponctuels comme l’accord réciproque sur l’allègement des visas des journalistes ou sur la fin de la « saga » Meng Wanzhou, fille du fondateur de Huawei.

 10 février 2021 (Tel. 3 heures, reprise de contact) ;

 9 septembre 2021 (Téléphone 90’ à propos de Huawei) 15 jours après l’appel, Meng Wanzhou rentrait en Chine. Lire : Meng Wanzhou est rentrée à Shenzhen. Les deux Canadiens prisonniers en Chine ont été libérés. ;

 15 novembre 2021 (Vidéo. 3 heures. A propos de Taïwan). Rétropédalage de Biden après sa déclaration que l’armée américaine réagirait en cas d’agression militaire de l’Île. A cette occasion le Président américain a rappelé la fidélité de Washington à la politique d’une seule chine. En même temps Pékin et Washington ont relâché les restrictions de visas à l’encontre des journalistes chinois et américains.

 28 mars 2022 (Vidéo. 2 heures. A propos de l’Ukraine.) A part une augmentation substantielle de ses achats de pétrole, la Chine, déjà connectée par gazoducs à la Russie, a mis à l’arrêt les projets d’hydrocarbures de SINOPEC et a jusqu’à présent pris soin de ne pas offrir à la Russie un soutien militaire manifeste.

 

 

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