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›› Economie

Sur fond d’inflexibilité pandémique, sérieux ralentissement de la croissance

Les statistiques chinoises des vastes surplus commerciaux (+331 Mds de $ en 2021 et +98 Mds de $ pour le seul mois de juin 2022), et celles de l’explosion des ventes de véhicules électriques (+141% en juin par rapport au même mois 2021) dessinent l’image d’une florissante reprise économique.

Pourtant les chiffres de la croissance au 2e trimestre 2022 tombée à seulement +0,4% par rapport à la même période 2021, - qui fut, il est vrai marquée par la puissante reprise de janvier 2021 à +18,3% - traduisent néanmoins un sérieux freinage de la machine économique.

C’est une déception pour ceux qui avaient anticipé les effets plus vigoureux de la vaste relance des 33 mesures décidées par Li Keqiang à la mi-juin (appui à l’innovation, consommation, grands travaux, aide au crédit, suppression des ratios des banques). Lire : Une relance de grande ampleur.

Les dernières statistiques traduisent la plus faible croissance depuis le premier trimestre 2020 à l’époque du déclenchement de l’épidémie de Coronavirus à Wuhan. Lors de l’annonce précédente, le bureau national des statistiques avait attribué la croissance de +4,8% du 1er trimestre 2022 « aux efforts méritoires des pouvoirs publics et des acteurs économiques. »

En même temps, il avait mis en garde contre les aléas de nouveaux foyers du virus en Chine, une demande intérieure atone et la « stagflation » globale – faible croissance persistante et inflation élevée - dont les symptômes s’accumulent au milieu de la hausse des prix de l’énergie. La Banque Mondiale qui les pointait du doigt en juin dernier, a encore récemment réduit ses prévisions de croissance globale pour 2022 de +4,1 à +2,9%.

La reprise post-épidémie s’essouffle.

En Chine, en juillet, la croissance de la production industrielle a freiné à seulement +3,8% très en-dessous des prévisions attendues par les analystes à +4,6%. Les ventes de détail n’ont augmenté que de +2,7%, loin des prévisions à +5,0% et nettement sous les +3,1% de juin.

Pour Julian Evans-Pritchard, chef analyste pour la Chine à Capital Economics « Les données de juillet suggèrent que la reprise après les verrouillages de la Covid s’est essoufflée alors que le coup de pouce ponctuel de la réouverture s’est évanoui, tandis que les boycotts hypothécaires ont déclenché une nouvelle détérioration du secteur immobilier » (lire : Désordres bancaires, crise immobilière sur fond de corruption. Avis de coup de tabac socio-économique).

Signe que Pékin est préoccupé par le freinage, le 15 août, la Banque Centrale a abaissé les taux directeurs pour relancer la demande. Mais les risques sont toujours là. De nombreuses villes, y compris des centres de fabrication et des sites touristiques populaires comme Hainan, ont continué à imposer des mesures de verrouillage en juillet après la découverte de nouveaux foyers de la variante Omicron.

Pour les analystes de Rhodium Group, les mesures prises dont les effets sont bénéfiques pour les PME, s’apparentent cependant à des contrefeux de court terme.

La relance d’infrastructure (au total 1100 Mds de RMB – 160 Mds de $ -) et les aides massives aux constructeurs de véhicules électriques rappellent à quel point l’attachement aux réformes de la Direction chinoise sensible aux contrecoups sociaux est fragile dès que surgit un contretemps.

Au passage, les subventions qui contreviennent aux règles du marché expliquent en partie les prix compétitifs des hybrides chinois en Europe, auxquels les constructeurs européens touchés au vif, ont commencé à réagir (lire : L’offensive des véhicules électriques chinois).

Pour autant, il est faux de dire que l’élan des réformes a disparu. Récemment le gouvernement a en effet pris des mesures pour libéraliser les marchés financiers et les ouvrir aux acteurs étrangers.

Mais les réformes du système financier continuent.

Entrée en vigueur le 1er août, la loi chinoise sur les contrats à terme et les produits dérivés, en chinois 中华人民共和国期货和衍生品法, autorise les acteurs financiers étrangers à demander une licence pour annoncer, promouvoir et vendre à terme des produits financiers dans le pays.
Après une série déboires récents, dont la vente à découvert des positions du géant du nickel Tsingshan Holding Group au premier trimestre 2022 ayant occasionné la perte de 10 Mds de $, suivie du crash d’un produit de gestion de patrimoine mis sur le marché par la Banque de Chine, la loi est une mise en ordre salutaire.

Elle empêche la manipulation du marché, protège les investisseurs sérieux et reconnaît légalement des pratiques courantes en Chine depuis trente ans. La plus importante est la compensation à l’échéance du terme par laquelle les obligations contractuelles d’une entreprise envers une contrepartie défaillante sont résiliées, ce qui aligne davantage la Chine sur les normes internationales.

Autre avancée majeure récente qui est un pas significatif vers la libéralisation des taux d’intérêt, début 2022, la Banque de Chine a aligné la rémunération des dépôts sur les intérêts du marché des obligations d’État au lieu d’en fixer elle-même les taux.

Le chômage des jeunes persiste, la confiance faiblit.

Le point noir le plus préoccupant pour l’appareil reste le chômage des jeunes dont le taux a atteint 19,3% en juin, plus haut niveau depuis que les statistiques sont publiques en 2018. Dans certains secteurs des nouvelles technologies récemment pris sous le feu de la remise en ordre de Xi Jinping, notamment les jeux en ligne, les plateformes de co-voiturage, les médias sociaux et le commerce en ligne, les recrutements ont chuté de 60 à 70% en une année. Le ralentissement des embauches a connu un pic de 79 à 82% en juin pour les plateformes de commerce en ligne de co-voiturage et de livraisons de repas à domicile.

Autre évolution notable, le secteur privé est moins prisé par les nouveaux diplômés. Avec les politiques zéro COVID et les mesures de normalisation, ponctuées des mises aux normes réglementaires qui ébranlent la confiance du public et des investisseurs, les entreprises privées où d’ailleurs les occasions d’embauche deviennent plus rares, sont moins recherchées par les demandeurs d’emploi.

Alibaba, Tencent et JD.com ont annoncé de lourds licenciements, allant dans certains cas jusqu’à 15% de leurs effectifs. Pendant ce temps, l’intérêt pour les emplois gouvernementaux a grimpé en flèche : en 2022, plus de 2 millions de candidats ont passé des examens de la fonction publique, un nouveau record et une augmentation de 28% par rapport à la référence de 2018.

Bien que le secteur public offre généralement des salaires inférieurs à ceux du privé, son « bol de riz en fer - 铁饭碗 » est considéré plus sûr. Cette perception perdure alors même que depuis 2021, les revenus annuels des fonctionnaires de certaines provinces ont diminué de 20 à 30%.

Les inquiétudes sur les perspectives d’emploi, la stabilité économique et les revenus pèsent sur la confiance des consommateurs. Une enquête de la PBOC au deuxième trimestre a révélé que plus de 58% des personnes interrogées prévoyaient de donner la priorité à l’épargne plutôt qu’à la consommation, contre 54,7% au trimestre précédent.

La crise de l’immobilier aggravée par le boycott des hypothèques et les protestations des clients des banques du Henan sont des symptômes d’un profond malaise structurel de l’économie.

Quelles perspectives ?

Alors que, diffusant un peu plus l’impression d’une rupture, le 12 août cinq multinationales chinoises (les pétroliers Sinopec et PetroChina, l’assureur ChinaLife, le n°1 des VTC Didi Chuxing et le géant de l’aluminium Chalco) ont annoncé se retirer de la bourse de New-York où ils n’ont pas, comme l’exige la régulation, fait certifier leurs comptes par un cabinet agréé, certains analystes pensent que les vents contraires économiques induiront les réformes structurelles indispensables, mais rien n’est moins sûre.

Pour l’heure l’humeur est à l’inquiétude et à la préparation du Congrès. En avril dernier, s’adressant aux chefs d’entreprise étrangers lors du Forum économique mondial, le Premier ministre Li Keqiang avait dressé un tableau pessimiste. D’importants efforts seraient nécessaires uniquement pour maintenir la stabilité du taux de croissance.

Comme pour confirmer les préoccupations de Li Keqiang, le 17 août, Tencent rendait compte pour la première fois d’une baisse de ses ventes occasionnée par les nouvelles normes limitant le temps de jeu et les restrictions pandémiques. La nouvelle faisait suite à l’annonce au début du mois d’août par Alibaba d’une stagnation de des revenus en juillet.

Trois mois après le discours de Li Keqiang, l’objectif de croissance du PIB de 5,5% pour 2022 auquel Pékin s’est tenu jusqu’au premier semestre de 2022 est désormais seulement considéré comme une « orientation ». Un mouvement critique encore discret mais bien réel s’est fait jour contre les campagnes de normalisation mettant à mal l’esprit d’entreprise, tandis que le Parti qui les avait bridées, encourage désormais à nouveau les échanges des experts économiste chinois avec leurs collègues étrangers.

Ces signes indiquent qu’une réflexion de fond est en cours pour mieux adapter la stratégie économique à la nouvelle donne du ralentissement durable de l’économie. Mais le message politique venant du sommet reste flou, alors qu’au milieu des critiques, des signes existent que la rigueur des « fermetures Covid » pourrait s’alléger, la dernière réunion du Bureau Politique du 29 juillet a encore mis en garde contre le relâchement des mesures d’éradication complète du virus.

 

 

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