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La Chine, l’Occident et les Ouïghour

Ajoutant encore aux tensions entre la Chine et la totalité du monde occidental, - rappelons que sur ce sujet, nombre de membres des NU ne condamnent pas Pékin (lire : Controverses globales autour du traitement des Ouïghour. Pékin rallie un soutien hétéroclite et brouille la solidarité des musulmans)- le 31 août au soir, quelques heures avant la fin du mandat de Michelle Bachelet [1], le Haut-Commissariat des NU pour les droits de l’homme a publié ses « préoccupations concernant la situation des droits de l’homme dans la Région autonome ouïghour du Xinjiang.  »

Publié avec un retard de plus de deux mois sans explication officielle, en réalité à la suite des pressions de Pékin pour qu’il soit enterré, le rapport confirme les informations de la plupart des médias occidentaux, sur le traitement des Ouïghour par la Chine, sans cependant jamais mentionner le terme de « génocide  ».

Mais il fait explicitement référence à des « violations de droits » et affirme que les « allégations de tortures ou de mauvais traitements, incluant des “médications forcées“, des conditions de détention indignes et des violences sexuelles, sont crédibles  ». Il ajoute que leur nature « pourrait constituer des crimes contre l’humanité ».

Notons que la qualification de « génocide » est en revanche utilisée par Washington, par de nombreux activistes des droits – mais pas par Amnesty International -, par le parlement européen qui fait état de « risques de génocide » et par l’Assemblée Nationale française qui, dans sa résolution n°758 du 20 janvier 2022, évoque explicitement le « caractère génocidaire des violences politiques systématiques actuellement perpétrés par la République populaire de Chine à l’égard des Ouïghour. »

Des accusations explicites et des recommandations rejetées par Pékin.

Le rapport de l’ONU recommande au pouvoir chinois de « libérer tous les Ouïghour arbitrairement emprisonnés ; d’informer en urgence les familles sur la situation de leurs proches disparus et de réviser le cadre légal de sa politique de sécurité nationale relative aux mesures de contreterrorisme et aux droits de la minorité ouïghour au Xinjiang, ainsi que de mettre fin à la destruction des mosquées et des cimetières. »

Les Nations Unies ont également publié la réponse officielle de la Chine adressée à Genève, le 31 août, le jour même de la publication du rapport Bachelet.

On y lit que « Pékin rejette fermement la soi-disant évaluation de la situation au Xinjiang, par le bureau du Haut-Commissaire aux droits de l’homme » ; que le rapport « outrepasse les limites de son mandat, et ignore les progrès des droits humains réalisés au Xinjiang au profit de toutes les ethnies et passe sous silence les immenses préjudices causés par les groupes terroristes et extrémistes aux droits humains de tous les groupes ethniques du Xinjiang.(…) »

« Qu’il repose sur des mensonges et de la désinformation sous-tendus par une présomption de culpabilité, fabriqués par une mouvance anti-chinoise » ; « qu’il déforme les lois et les intentions de la Chine et l’insulte en interférant de manière flagrante dans ses affaires intérieures. » En même temps, « négligeant l’exigence de dialogue et de coopération, il affaiblit la crédibilité du Commissariat des NU pour les droits de l’homme. »

La conclusion de la note rappelle que la politique intérieure du gouvernement chinois est articulée au « bien-être du peuple et que le premier des droits humains est l’accès de tous au développement et à la possibilité de vivre une existence heureuse.  »

Au Xinjiang, la tentative de sinisation de l’Islam sera poursuivie.

Les ONG les plus militantes et Dilxat Raxit porte-parole du Congrès Mondial des Ouïghour regrettent que l’accusation de « génocide » n’ait pas été prononcée. Selon eux, elle est justifiée par la stérilisation forcée des femmes que la Chine considère comme un « planning familial », assimilant sans nuance le dépassement du quota de deux enfants par femme à de « l’extrémisme religieux ».

Il reste que, sur fond d’une intention de « sinisation » de l’Islam, il est très improbable que le Parti modifie sa stratégie de contrôle sévère des Ouïghour et d’élimination des risques terroristes et séparatistes par l’internement massif et indiscriminé des suspects.

L’intention de sinisation a d’abord émergé en septembre 2016 lors de la publication d’une « Proposition de révision de la révision des Affaires religieuses  » remplaçant celle de 2004. Si pour décrire les relations entre l’État et les religions le texte restait dans la lignée générale de celui adopté en 1982 après la révolution culturelle, la nouvelle tendance détaillait plus précisément la légalité des pratiques [2], et affirmait l’urgence de contrôler les influences extérieures, qu’il s’agisse du Vatican, du Dalaïlama en exil ou, pour l’Islam, des prédicateurs ou des écoles coraniques (interdites en Chine) mais secrètement financés par des ONG étrangères.

Le but qui s’inscrit dans la pensée souverainiste des « caractéristiques chinoises » a été répété par Xi Jinping à son dernier passage dans la province à la mi-juillet : « Nous devons recruter et former un groupe de dirigeants experts de la vision marxiste des religions, travailler à la sinisation de l’islam et trouver des moyens de l’adapter à une société socialiste ». Lire : Au Xinjiang, la mémoire occultée et la victoire de Xi Jinping sur le terrorisme.

Un réseau de surveillance permanent, intrusif et à large spectre.

Tout indique que le contrôle de la province et des populations ouïghour ne se relâchera pas. Alors qu’en décembre 2021, la relève de Chen Quanguo (lire : Au Xinjiang, Chen Quanguo laisse la place à l’ancien ingénieur missiles devenu homme politique, Ma Xingrui) visait à corriger l’image de répression impitoyable attachée à l’exécutif de la province, depuis janvier 2022, un nouveau train de mesures renforçant la sécurité publique est entré en vigueur.

Adoptées lors d’une réunion au sommet du Comité Permanent, le 28 septembre 2021 par l’appareil qui reconnaissait lui-même que la période « Covid » avait pu être propice à la recherche d’un soulagement spirituel par la religion, ou même à des expériences mystiques par le truchement par exemple de « Falun Gong », les nouvelles dispositions visent, dit le texte, à :

« 1) Approfondir encore la lutte contre la violence et le terrorisme conformément à la loi ; identifier et réprimer les forces séparatistes ethniques et les forces « maléfiques - 邪恶 » terroristes de l’extrémisme menaçant la sécurité nationale". »

« 2) Lutter contre les « mafias et les organisations hostiles », dont la définition est suffisamment large pour inclure tout groupe non approuvé par l’appareil.

« 3) Contrôler les activités, la propagande et les propagations religieuses illégales par des associations cultuelles 邪教 et poursuivre la déradicalisation - 去极端化 - des musulmans ouïghour. »

Une des dispositions clés de ces nouvelles mesures appelle à généraliser dans la province le réseau de surveillance par les caméras reliées aux capacités policières de reconnaissance faciale, elles-mêmes connectées aux fichiers numérisés des commissariats. Considéré par l’appareil comme « le système de surveillance sociale le plus efficace au monde », il scrute chaque bâtiment, chaque maison, chaque appartement, chaque citoyen, 24 heures sur 24, tous les jours (lire : Grid System Used to Target “Illegal” Religion).

Tous les maillons du réseau – blocs d’habitations qui quadrillent les zones urbaines – sont placés sous la direction d’un responsable du Parti disposant pour l’assister d’un auxiliaire de justice rattaché au procureur de la République. Initialement conçu pour les villes, le système est, au prix de quelques adaptations techniques, progressivement étendu à la surveillance des campagnes. Il est cependant facile de comprendre que dans un espace ouvert non-urbain, le contrôle serré sera plus difficile.

(Lire aussi à ce sujet l’article de Jérome Doyon, associé au CERI et auteur en 2016 d’une thèse sur le « rajeunissement du communisme » dans l’ère post-maoïste par la promotion de nouvelles élites au travers de la ligue des jeunesse communiste).

Note(s) :

[1Rappelons que Michelle Bachelet, 70 ans, docteur en médecine, ancienne ministre de la santé et de la défense, par deux fois présidente du Chili (2006 à 2010 et de 2014 à 2018) a souffert avec sa famille de répression politique dans son pays. Son père officier général sous le régime d’Allende est mort en 1974 des suites des mauvais traitements par le régime Pinochet. Elle-même fut emprisonnée et torturée avec sa mère à Santiago.

[2Un exemple parmi d’autres de « pratiques illégales » est la célébration religieuse des mariages en dehors de la caution administrative de l’appareil.

 

 

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