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›› Lectures et opinions

Violent pamphlet de Cai Xia contre Xi Jinping

Le 7 septembre dernier, dans « Foreign Policy », Cai Xia, 蔡霞, 70 ans, réfugiée aux États-Unis qui, de 1997 à 2012, fut professeur de sciences politiques à l’École Centrale du Parti cœur idéologique de l’appareil, signait un long et très violent pamphlet contre Xi Jinping et le fonctionnement interne du système politique chinois, qu’elle compare à un clan mafieux.

Exclue du Parti et privée de ses droits à la retraite en août 2020, elle est aujourd’hui réfugiée aux États-Unis. Mais ayant encore gardé de nombreux amis au sein de l’appareil avec lesquels elle est toujours en contact, son analyse structurée et argumentée par de nombreuses anecdotes, mérite attention.

Appartenant à la mouvance d’ouverture politique promue par Hu Yaobang, Zhao Ziyang et Wen Jiabao, Cai fait remonter à l’année 2008 sa profonde divergence politique avec Xi Jinping qu’elle juge incapable de nuance et de compromis et dont le style de pouvoir est selon elle comparable à celui d’un « parrain » entouré de ses « consiglieres » du Comité Permanent.

Chacun d’eux étant lui-même à la tête d’un réseau de soutien à Xi Jinping dont les ramifications organisées par secteurs (affaires étrangères, innovation et technologies de pointe, industrie et production, services sociaux, santé, finance et banques, lutte contre la pandémie, idéologie, société civile, enseignement etc.) plongent de plus en profondément dans l’organisation socio-politique et économique du pays.

Alors que, déjà membre de la haute direction et Vice-Président de la République, il venait de prendre la tête de l’École Centrale du Parti, le futur n°1 chinois refusa aux chercheurs de l’École le droit de débattre, même en interne, des doctrines et du fonctionnement de l’appareil, au prétexte qu’ils étaient payés par lui.

Comprenant que cette position idéologique niant le droit à la critique, fermait d’autorité toute tentative de débat, pourtant principale source de l’amélioration du fonctionnement de l’appareil, mission première de l’École Centrale dont elle était un des professeurs, Cai Xia jeta publiquement un pavé dans la mare, source de sa disgrâce future. « Le Parti qui nous paye est nourri par le peuple, mais ce sont ses choix politiques qui détruisent le bol de riz des Chinois ».

L’article qui analyse longuement le népotisme par lequel Xi Jinping est parvenu au sommet, promu par l’intervention de mentors agissant à son profit en mémoire de son père Xi Zhongxun, fait aussi l’inventaire de ses erreurs politiques. Elles vont du fonctionnement rigide et centralisé qui s’exprime aujourd’hui par la fixité sans nuances de la politique de zéro-Covid de celui qu’elle appelle « Monsieur je sais-tout », jusqu’à la sphère des Affaires étrangères où s’est déployée la meute agressive des ambassadeurs « Loups guerriers » diffusant en Occident une image répulsive de la Chine, en passant par les pratiques de népotisme, privilégiant la loyauté absolue à sa personne plutôt que la compétence.

Plus grave, à l’intérieur, la spirale de brutales répressions dans laquelle Xi Jinping s’est enfermé, générant elles-mêmes des contrefeux politiques, sources de nouvelles répressions, pourrait le conduire à la décision catastrophique d’agresser Taïwan, attisée par une quête désespérée de rédemption politique interne. Dans ce cas, il détruirait – en réalité, le sabotage est en cours, dit-elle - un acquis immatériel que le parti communiste chinois a réussi à forger depuis quarante ans, la réputation d’avoir su installer à la tête du pays un pouvoir politique stable et compétent.

Même s’il est nécessaire de rester à distance de l’alerte mettant en garde contre une possible agression de Taïwan dont, pour l’instant, les renseignements satellites ne confirment pas la préparation logistique sur les côtes du Fujian, l’analyse de Cai Xia offre une vue incomparable du fonctionnement interne de la machine politique chinoise et du processus de prise de décision au sommet basé sur la contribution collégiale des membres du Comité Permanent éclairés par l’expertise des centres de recherches.

En même temps, au travers d’une impressionnante liste d’exemples concrets, elle met l’accent, à la fois sur la dérive rigide, centralisatrice et autoritaire de Xi Jinping et sur le cœur de la principale source de contestation politique interne d’avoir tourné le dos aux conseils de prudence de Deng Xiaoping.

Deux fois purgé durant la révolution culturelle, ayant subi les cuisants effets indésirables du pouvoir sans partage adossé au culte quasi religieux de Mao dont l’obsession de rattraper l’Occident et l’obédience à la pensée révolutionnaire sans nuance avaient produit les graves secousses du Grand Bond en avant et de la révolution culturelle, Deng resté fidèle au slogan politique « le parti commande au fusil » s’était lui-même placé à la tête de la Commission Militaire Centrale, en retrait de la direction du Parti et de la Chine.

Le dangereux abandon des leçons de Deng.

Par cet affichage politique exemplaire, apparemment en retrait de l’exécutif [1], le « Petit Timonier » recommandait aux élites de se tenir à distance du culte de la personnalité et de privilégier en toutes circonstances le principe d’une « direction collégiale », seul moyen d’éviter que se reproduisent les embardées idéologiques radicales ayant menacé de faire éclater le pays entre 1958 et 1976.

En politique étrangère, la vision de Deng dont Xi Jinping a clairement pris le contrepied était encore plus prudente. Elle recommandait de « faire profil bas » et de se tenir à distance des alliances. Le principe est aujourd’hui transgressé par Xi Jinping à la faveur du recul de la puissance des États-Unis dont les signes lui apparaissent évidents au travers des symptômes que furent le 11 septembre 2001, les signes de l’embourbement en Irak dès 2005 et le retrait chaotique d’Afghanistan à l’été 2021.

Pourtant, bien que consciente des contrefeux internes, Cai Xia conclut tout de même qu’au 20e Congrès qui s’ouvrira le 16 octobre, le Comité Central et le Bureau Politique pourraient bien, en dépit des oppositions, céder à la requête de Xi Jinping d’un troisième mandat qui l’autoriserait à régner sur la Chine jusqu’à l’âge de 74 ans et peut-être au-delà.

Mais, dit-elle, le succès de Xi Jinping obtenu par l’intimidation brutale de ses rivaux ne sera qu’apparent. Sa prolongation à la tête de la Chine exacerbera les querelles internes, déjà en cours sous la surface, dont la violence ne fera qu’augmenter. Une fois nommé, Xi accentuera le retour à l’économie étatique du pays et augmentera le contrôle de la population par un système de plus en plus sophistiqué de caméras de surveillance équipées du système de reconnaissance faciale reliées aux fichiers numérisés de la police.

En politique étrangère, augmentant les risques stratégiques qu’il fait courir au pays, il sera tenté de poursuivre la militarisation des ilots en mer de Chine du sud et d’alourdir ses pressions directes sur Taïwan, accentuant la rupture avec l’Occident. Mais aucune de ces rigidités internes et encore moins les affichages agressifs de sa politique étrangère ne feront disparaître les tensions au sein de l’appareil qui, sous la surface, questionnent de plus en plus la légitimité de Xi Jinping.

En réalité, en termes d’accomplissements historiques réels, sa marge de manœuvre est clairement plus faible que celle de Mao enveloppée de la gloire d’avoir restauré la fierté nationale chinoise après le siècle d’humiliations et celle de Deng Xiaoping qui, tournant le dos aux rigidités idéologiques révolutionnaires communistes, avait libéré l’esprit d’entreprise et le sens commercial des Chinois, déclenchant une impressionnante trajectoire de montée en puissance.

Dans sa conclusion, Cai Xia revient sur l’hypothèse d’un conflit dans le Détroit de Taïwan que Xi Jinping agite en prenant dit-elle des risques considérables.

Son analyse rejoint celle d’une mouvance critique interne. Loin d’être du même bord libéral-réformiste dont elle se réclame, nombre de détracteurs, y compris certaines voix militaires autorisées, mettent en effet en garde contre les risques posés par une attaque de l’Île, dont il est probable qu’avec l’aide États-Unis, elle ne se déroulera pas tout à fait comme prévu.

Dans ce cas, les élites et la masse des Chinois tourneraient le dos à Xi Jinping. La bascule d’audience signerait non seulement sa déchéance politique, mais elle véhiculerait en même temps de considérables risques pour le Parti qui, après avoir placé la réunification à un tel niveau d’exigence existentielle, pourrait ne pas se relever d’un déboire militaire majeur dans le Détroit.

Sur ce sujet précis, Jean-Pierre Cabestan, chercheur au CNRS, expert de la Chine moderne spécialiste du droit chinois et des relations entre Pékin et Taipei a depuis Hong Kong récemment donné son appréciation de la situation dans le Détroit et des risques de conflit. Après avoir rappelé les dates essentielles de la relation Chine - Taïwan, son analyse réfute le risque d’une agression chinoise contre l’Île dans un avenir prévisible.

Note(s) :

[1En réalité cette mise à distance au sein du seul l’appareil militaire était soigneusement calculée. Alors qu’il était dès 1978, date du 3e plenum du 11e congrès, l’homme fort de la Chine après l’élimination de la « Bande des Quatre », Deng qui fut le Commissaire politique de la huitième armée durant la guerre civile et la conquête du pouvoir, savait bien que la relation entre le pouvoir politique et l’APL était une alchimie complexe, où les militaires qui pouvaient par la force imposer leur volonté au parti, détenaient la clé de la stabilité politique.

Surtout, il n’avait pas oublié que l’APL et Lin Biao furent les principaux artisans de la révolution culturelle durant laquelle il fut lui-même deux fois purgé, avant de pouvoir lancer en 1977, une année après la mort de Mao, la campagne de « rectification du chaos et de retour à la normale – 拨乱反正 - »

 

 

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