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›› Chronique

A Hong Kong, mansuétude contre des mineurs. Mais inflexible brutalité contre le Cardinal Zen abandonné par le Pape François

Le 8 octobre, un tribunal de Hong Kong a condamné cinq jeunes manifestants ayant participé aux émeutes de 2019 – 2020, à trois années de séjour dans une maison de correction pour avoir attenté à la « sécurité nationale » en incitant à la subversion armée.

La clémence de la sentence au regard du chef d’accusation qui, à l’aune de la justice chinoise sur le Continent est passible d’un emprisonnement à vie, a tenu compte de l’âge des prévenus qui, au moment des faits, avaient moins de dix-huit ans.

En énonçant la peine infligée, le juge Kwok Wai-kin [1] connu pour ses virulentes prises de position contre les fauteurs de troubles durant les émeutes a fait état de la gravité des faits mettant en cause la « Sécurité Nationale ».

Mais, évoquant « l’immaturité » des accusés au moment des faits, il s’est détaché de la virulence des procureurs Anthony Chau et Stella Lo [2] dont les réquisitoires qui réclamaient des sanctions exemplaires, mentionnaient les références anachroniques des accusés aux « rebellions armées  » des « révolutions française et ukrainienne  », tout en se réclamant aussi de la « brutalité de la révolution de maoïste  ».

La nuance du juge Kwok transparaissait dans l’énoncé du jugement en deux parties ayant l’allure d’un grand écart. La première énonçait « qu’il n’y avait aucune preuve directe que quiconque ait été incité par les accusés à renverser le pouvoir de l’État.  » Mais la deuxième partie glosait sur « le risque réel  » que « même une seule personne incitée à la sédition mettrait sérieusement en danger la sécurité des résidents  ».

Quoi qu’il en soit, le pas de côté de la cour et son jugement de clémence qui protège les mineurs de la brutalité de la justice chinoise sont encore des indices que, dans la R.A.S où le schéma « Un pays deux systèmes  » est moribond, l’idée d’indépendance de la justice bouge encore un peu. Lire : Hong Kong : l’Art 21 sur la sécurité nationale, arme absolue de Pékin contre les émeutiers démocrates. Les juges de la R.A.S. résistent-ils ?.

Pour l’heure, alors que les autorités de Pékin et de Hong Kong affirment que leur loi sur la Sécurité Nationale a rétabli la stabilité de la R.A.S après les manifestations de masse anti-gouvernementales et pro-démocratie en 2019, les Nations Unies sont dans le déni.

Contre l’évidence, le Comité des droits de l’homme veut encore croire à l’efficacité du schéma politique « Un pays deux systèmes  ». Dans un rapport de juillet, exprimant la crainte justifiée que la loi sur la « Sécurité Nationale » serait utilisée pour réprimer les libertés fondamentales, il a vainement appelé à son abrogation.

La brutalité du Parti contre le Cardinal Zen.

Autrement plus symbolique de la brutalité sans nuance de l’appareil quand est en jeu sa souveraineté dans la R.A.S dont il faut rappeler que les trois régions portent dans leur histoire les stigmates des humiliations de la Chine entre 1840 et 1898 [3] est la décision du tribunal de première instance de Kowloon Est de traduire en justice le Cardinal Zen (90 ans) arrêté en mai dernier et placé en résidence surveillée par la police.

Alors que la répression contre lui s’est durcie peu après la nomination à la tête de la R.AS. de John Lee policier inflexible peu enclin à respecter les libertés fondamentales (lire : Un policier inflexible à la tête de Hong Kong), Joseph Zen est, au nom de la nouvelle loi sur la Sécurité Nationale, accusé de « collusion avec les forces étrangères  » et en même temps d’avoir utilisé les fonds d’une association caritative pour apporter une aide logistique et financière aux émeutiers de 2019 et 2020.

L’ironie est que les magistrats de la R.A.S qui assignent le cardinal en justice se réclament aussi d’une vieille législation coloniale datant de 1911 dite « Societies Ordinance – Décret sur les sociétés  » qui règlemente les associations de personnes constituées ou non en société. Comme c’est le cas en France de la Loi 1901 sur les associations à but non lucratif, elle exige un enregistrement administratif en bonne et due forme dont le Cardinal s’est dispensé.

Le procès a été ajourné après deux jours d’audience le 27 septembre quand les avocats du cardinal déboutés par le juge, ont tenté de contre-interroger les témoins. Une nouvelle date a été fixée le 26 octobre.

Si, pour l’infraction au décret sur les associations, le vieux cardinal ne risque pas beaucoup plus qu’une amende, en revanche la charge de « collusion avec l’étranger  » aggravée par l’accusation d’avoir utilisé les fonds à d’autres fins qu’un projet caritatif, porte le risque de peines de prison pouvant aller de trois ans à la perpétuité.

Mais la brutalité potentielle du jugement aujourd’hui en suspens et la privation de liberté à laquelle est soumis une figure aussi emblématique de la R.A.S, qui, pour beaucoup de Hongkongais, est un symbole spirituel et un efficace défenseur des droits, en dit long sur l’esprit de souverainisme absolu qui anime l’appareil ; de même elles confirment la nature autocrate des ses rapports avec la religion et les difficultés de ses relations avec le Vatican.

Par-dessus tout, ce qu’on sait des réactions du Saint-Siège, signale que le Cardinal, jugé trop turbulent et trop politique, est clairement désavoué par le Pape François dont il est moins proche que de ses deux prédécesseurs.

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Un militant infatigable détesté par le Parti Communiste.

Joseph Zen, Shanghaïen né en 1932 dans une famille catholique pendant la guerre civile a émigré à Hong Kong en 1948 avec ses parents, une année avant la prise de pouvoir communiste en Chine. Devenu une figure emblématique du mouvement pour les droits et la démocratie à Hong Kong, il a été ordonné prêtre à Turin en 1961.

Trois ans plus tard, à 29 ans il est docteur en philosophie de l’Université Saint-François de Sales à Rome. De retour dans la colonie britannique en 1989, il fut le premier prêtre chinois autorisé à enseigner six mois par an sur le Continent dans les séminaires de l’église patriotique contrôlée par le parti. Il en profite pour prendre contact avec l’église catholique « souterraine » et se familiariser avec les pressions exercées par l’appareil sur le clergé chinois.

Pour cette raison, en 1996, le Pape Jean-Paul II qui, fort de sa propre expérience dans l’ancienne « Europe de l’Est  », appréciait son combat politique, l’avait nommé évêque coadjuteur de Hong Kong avec la mission de renforcer les liens avec l’église du Continent. En 2002, à 70 ans, à la mort du Cardinal Wu, il devint l’évêque de Hong Kong. Quatre ans plus tard il était nommé cardinal par Benoît XVI. Il avait alors 74 ans.

C’est peu dire que, heurté par les prises de position politiques, le Parti n’a jamais apprécié ce prélat militant et rebelle. Quand, le 1er octobre 2000, Jean-Paul II, oubliant que la date était aussi celle de la Fête Nationale chinoise, avait canonisé 120 chrétiens martyrs (87 chinois et 33 étrangers) que l’appareil considérait comme des traitres à la nation chinoise (lire : Le Pape François en Corée. Retour sur les relations entre le Vatican et la Chine), Joseph Zen infatigable militant de la cause catholique, avait rédigé un plaidoyer pour défendre le Vatican.

Entre 2003 et 2019, ne cessant de clamer que la foi catholique était opprimée par le Parti sur le Continent, il fut un opposant résolu aux législations anti-subversion, au projet d’extradition vers la Chine de Carrie Lam et à la Loi sur la Sécurité Nationale dans la R.A.S.

En 2004, il avait porté devant la justice du Territoire, la Loi sur l’éducation que l’appareil tentait de promouvoir et dont il répétait qu’elle portait le risque que Pékin l’utilise pour alourdir sa tutelle politique sur l’église. C’est bien pour ce militantisme qu’il juge immodéré que le Pape François, Jésuite rompu à la recherche des compromis subtils et inattendus, tient à distance le Cardinal. Lors de la dernière visite à Rome du Cardinal, il ne l’avait pas reçu en audience.

Alors que le Vatican s’est, par un accord conclu le 22 octobre 2018, renouvelé en 2020, résolument engagé avec Pékin dans un vaste compromis, Zen avait en 2019, en pleines émeutes anti-Pékin, donné de la voix pour dénoncer « une trahison et un scandale » qui abandonne les Catholiques chinois aux mains du Parti. Il reproche qu’aux termes de l’arrangement, la nomination des évêques donne la prévalence de leur désignation à l’église officielle chinoise, que les instances de Rome ne font qu’entériner.

Bras de fer avec le Vatican et le pari chinois du Pape François.

Élargissant la critique, alors que beaucoup s’étonnent que le Vatican n’ait pas réagi à la maltraitance des Ouïghour, il dénonce le fait que « pas une seule fois le Pape n’a élevé le ton sur la brutalité du Parti à Hong Kong  ». Aujourd’hui, Zen mesure la rancœur du Saint-Siège. Alors qu’il est tombé dans la machine policière chinoise, les réactions de François ont été à la fois tièdes et ambigües.

Après avoir exprimé sa « préoccupation », lors de son arrestation en mai, le Saint-Père n’a en même temps cessés cessé de répéter qu’il privilégiait le dialogue à l’affrontement brutal, tout en souciant de respecter la mentalité chinoise.

Revenant sur les accusations d’atteintes aux droits sans cesse rappelées par le Cardinal chinois, il a insisté sur la « complexité du pays ». En filigrane, François rompu à la « casuistique  » pragmatique et au compromis semble reprocher au Cardinal chinois de se laisser emporter par ses émotions. En Chine communiste, contre qui Joseph Zen à la retraite depuis plus de dix ans, ne cesse de le mettre en garde, François fait à l’évidence le pari pragmatique qu’en dépit des risques, un compromis ferait avancer la cause de l’église catholique dans le Monde.

*

Pour l’instant le bilan de l’accord de 2018 n’est pas entièrement probant. A l’automne 2018, le Vatican avait, signe de bonne volonté, reconnu huit évêques déjà nommés par Pékin, sans son approbation. En échange, Pékin avait reconnu deux évêques désignés par l’église clandestine.

Mais, pour Ed Condon, journaliste américain, éditeur de l’Agence d’information catholique dont le siège est à Denver au Colorado, « ce qui semblait être un début prometteur a peu à peu marqué le pas. À ce jour, seuls cinq évêques ont été consacrés pour des diocèses chinois selon les termes de l’accord. Et l’un d’entre eux, Mgr Thomas ChenTianhao, a été consacré avant même que le Vatican ne soit au courant. »

Ce n’est pas tout : « Entre-temps, peu avant le renouvellement de l’accord en octobre 2020, Mgr Guo Xijin, autrefois clandestin, a démissionné de ses fonctions d’évêque auxiliaire de Mingdong, déclarant qu’il ne pouvait pas, en conscience, adhérer à l’Église affiliée à l’État, mais qu’il ne serait pas un « obstacle au progrès », en gênant le processus diplomatique.

L’épisode rappelle qu’en juillet 2012, le cardinal Thaddeus Ma Daqin évêque de Shanghai, ordonné par l’Église officielle et le Vatican avait renoncé à l’Église officielle dite « patriotique  ». Après quoi, le Parti l’avait placé en résidence surveillée. Que le pape François soit, depuis son élection en 2013, toujours resté muet sur ce cas, s’abstenant de condamner les représailles de l’appareil, est un des principaux reproches que lui adresse le Cardinal Zen.

Enfin, selon des proches du Saint-Siège des voix internes commencent à s’élever contre la fixité intellectuelle du Pape qui écarte ses contradicteurs.

En 2017, rappelle encore Ed Condon, « l’archevêque Savio Hon Tai-Fai, le seul haut fonctionnaire d’origine chinoise de la curie, a été rétrogradé de son poste de secrétaire de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples et réaffecté comme ambassadeur du Saint-Siège en Grèce. » (…) Mgr Hon était largement connu à Rome pour être un “sceptique“. Il avait notamment évoqué la façon dont les communautés clandestines se sont senties abandonnées par le Saint-Siège.

En 2019, l’ancien supérieur hiérarchique de Mgr Hon, le cardinal Fernando Filoni, a également été rétrogradé de son poste de préfet de la congrégation et réaffecté comme grand maître de l’ordre du Saint-Sépulcre. Expert de l’Église en Chine, il avait pourtant vécu des années à Hong Kong, où il avait été l’’émissaire de Jean Paul II auprès des évêques du continent, aussi bien les « clandestins  » que ceux affiliés à l’Association patriotique des catholiques chinois.

Au sein de la curie, sa réaffectation avait été largement attribuée, à l’influence du cardinal Pietro Parolin, l’architecte de l’accord entre le Vatican et la Chine.

Note(s) :

[1En avril 2020, il avait fait valoir des circonstances atténuantes pour Tony Hung qui avait poignardé trois manifestants devant le « Mur de la démocratie », création spontanée lors du « Mouvement des parapluies », imitée de l’exemple des graffitis du « Mur John Lennon » de Prague. Lire : A Hong Kong, la justice met fin à l’indulgence.

[2Les procureurs ont détaillé comment la police avait saisi des drapeaux, des tracts, des pistolets à air comprimé, des munitions et des matraques dans un bâtiment industriel. Au moins 22 personnes ont été arrêtées l’année dernière. En vertu de la loi sur la sécurité, plusieurs sont accusées de « complot en vue de commettre des actes terroristes. »

[3Traités inégaux concédés par l’Empire Qing à l’Empire Britannique : 1) Traité de Nankin 1842 : Cession à perpétuité de l’Île de Hong Kong (*) ; 2) Convention de Pékin 1860 (*) : Cession à perpétuité de la Péninsule de Kowloon 九龍 ; 1898 : Seconde Convention de Pékin : Cession à bail pour 99 ans des Nouveaux Territoires par l’Empire Qing après une brève révolte des résidents auxquels Londres a dû concéder la propriété de leurs terres et leurs coutumes.

(*) Lors des négociations (1982 – 1984) entre Londres et Pékin préparant la rétrocession de juillet 1997 commencées par la visite à Pékin de M. Thatcher en 1982, Deng Xiaoping avait fait valoir de manière inflexible l’intention de Pékin de récupérer tous les territoires y compris ceux cédés à perpétué (l’Île elle-même et la Péninsule de Kowloon).

Quand après avoir commencé les négociations avec Zhao Ziyang, M. Thatcher dit à Deng Xiaoping, arrivé le troisième jour, que Londres proposait de conserver l’administration du territoire « afin d’éduquer les Chinois au libre-échange capitaliste  », le Petit Timonier se mit en colère et, selon des témoins chinois, se racla longuement la gorge, cracha dans le crachoir posé sur la table basse à sa gauche, puis partit en claquant la porte répétant d’une voix forte, « le drapeau britannique doit quitter l’Asie ».

Il ajouta que si Londres insistait pour conserver la main sur l’administration du Territoire, Pékin déciderait de son côté du sort de Hong Kong, laissant planer la menace d’une invasion militaire. Exprimant une inflexible exigence de souveraineté nationale non négociable, l’avertissement venait quelques mois seulement après que Londres ait, pour les mêmes raisons, envahi les Îles Malouines.

 

 

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