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›› Taiwan

A l’ombre de Pékin, un « Double Dix » à l’esprit de résistance

Cette année, à la veille du 20e Congrès, à Pékin la fête nationale du 1er octobre était assombrie par les soucis de la guerre en Ukraine, la sévérité de la lutte contre la pandémie à l’origine d’un baisse de près de 20% des voyages de la semaine d’or du 1er au 7 octobre, l’important freinage de la croissance et la chute de la monnaie commentés par Jean-Paul Yacine : Excédent commercial, taux de change du Yuan et modèle de développement.

A Taïwan, harcelée avec insistance par la Chine après la visite de Nancy Pelosi, le « Double Dix », ne fut pas non plus entouré du même enthousiasme festif qu’à l’habitude. L’heure était à l’affichage d’une posture martiale.

Le 6 octobre, le ministre de la défense Chiu Kuo-cheng qui réagissait aux récentes intrusions des chasseurs de combat aux limites de la Zone de défense d’identification et d’alerte (ZIDA) de l’Île et surtout à celle d’un drone civil abattu le 1er septembre dernier, à proximité de Jinmen, au-dessus du minuscule îlot taïwanais du « Lion –獅 嶼 Shiyu - proche du Fujian, dont la surface n’est que de 7000 m2, prévenait « qu’une intrusion chinoise dans l’espace aérien taïwanais, - ce qui, hormis le drone civil abattu le 1er septembre ne s’est jamais produit – serait considérée comme une attaque directe de la Chine contre l’Île. »

Alors que le survol d’une zone aussi insignifiante par un drone civil non armé, même d’origine chinoise, peut difficilement être considéré comme une agression directe, le branle-bas de l’exécutif taïwanais trahit à la fois un inconfort et une détermination pugnace que la présidente Tsai Ing-wen a exprimés lors de son discours de la fête nationale du « Double dix ».

De la Défense des démocraties à l’esprit de résistance.

Pour la présidente, la souveraineté de l’Île qui fait consensus chez les Taïwanais, tous décidés à défendre leur territoire, « ne sera jamais l’objet d’un compromis ». Il s’agit, a-t-elle dit, « de protéger notre liberté et notre mode de vie démocratique. »

Comme elle le fait déjà depuis plusieurs années, elle a haussé les enjeux à hauteur de la défense globale des systèmes démocratiques. « La communauté internationale reconnaît clairement que défendre Taïwan revient à défendre la stabilité régionale ainsi que les valeurs démocratiques (…) Attenter à la liberté des Taïwanais porterait un coup majeur aux autres démocraties de la planète. »

Elle a aussi exhorté Pékin à considérer que la guerre ne devrait pas être la seule option du règlement de la question taïwanaise. Pour elle, respecter le désir des Taïwanais d’être souverains et de vivre libres en démocratie serait la condition d’une reprise apaisée des échanges entre les deux rives.

En même temps, elle a rappelé que Taipei avait renforcé sa défense nationale, augmenté la production d’armes de précision et développé avec sa population le concept de « défense asymétrique » pour parer à l’éventualité d’une tentative d’invasion de l’Île.

L’éveil de la résilience est en cours avec la multiplication des initiatives de défense du territoire, comme celle de l’Académie Kuma 黑熊學院. Organisation à but non lucratif de défense civile, créée en 2021, elle s’est donné la mission de dispenser un entraînement militaire à trois millions de Taïwanais en l’espace de trois ans.

Une partie des cours dispensés par des « hackers » émérites bénévoles, vise à apprendre à débusquer la désinformation en ligne et à réagir à l’intrusion des « trolls » venant du Continent dont l’invasion insistante avait déjà gravement perturbé les élections municipales de 2018, portant à la tête de la mairie de Kaohsiung Han Kuo-yu, du KMT, de toute évidence téléguidé par Pékin. Lire : A Taïwan la démocratie directe éloigne l’Île du Continent.

Un autre volet de l’enseignement a une vertu d’alerte stratégique. Il comporte des cours d’authentification et d’exploitation du renseignement provenant des sources ouvertes (en terme technique Open-source Intelligence – OSINT), comme les échanges sur les médias sociaux ou les images satellites en ligne permettant de suivre des mouvements de forces.

Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine qui, pour les Taïwanais symbolise à la fois la puissance de la désinformation et la résistance à une agression brutale, le nombre de volontaires pour suivre les cours de l’Académie Kuma a explosé.

Illustrant la prise de conscience civique des Taïwanais, le Taipei Times citait récemment la contribution financière du milliardaire de l’industrie des microprocesseurs Robert Tsao 曹興誠, fondateur de United Microelectronics Corp (UMC), n°2 des microprocesseurs taïwanais.

Le 21 septembre dernier, une interview publiée dans le Financial Times révélait qu’il avait fait un don d’au moins 30 millions de $ US (les chiffres varient du simple au triple selon les sources) à l’Académie Kuma. Ils sont destinés, entre autres, au renforcement de l’esprit de défense et à la construction de drones de combat pour défendre l’Île en cas d’invasion, dont il espère qu’ils seront opérationnels d’ici deux à trois ans, avant une invasion chinoise.

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Brutalité de Pékin et ralliement patriotique d’un milliardaire.

L’histoire de Tsao est un jalon marquant l’éveil de l’esprit de défense d’une partie des élites industrielles et financières de l’Île. Elle contredit l’idée que les grandes fortunes taïwanaises seraient seulement motivées par leurs intérêts d’affaires apatrides. Son itinéraire depuis 2005 est celui de la prise de conscience de son identité taïwanaise dont la force a été favorisée par la brutalité de l’appareil communiste sur le Continent et ses incessantes démonstrations de force dans le Détroit.

Alors qu’il avait développé d’intenses liens d’affaires avec la Chine, ce militant du KMT d’abord convaincu que la réunification serait bénéfique pour l’Île, avait même en 2011 renoncé à sa nationalité taïwanaise et organisé sa vie à la recherche d’investisseurs entre Hong Kong et Singapour.

Sa vision de la Chine dit-il, a changé quand, à Hong Kong, il fut le témoin des incidents de la gare de Yuen Long, au nord-ouest des nouveaux territoires, quand, au soir du 21 juillet 2019, des gangs des triades armés de tiges de fer et de cannes de bambou avaient agressé sans discernement les passagers des navettes qui rentraient des manifestations monstres de Central et Mong Kok. Parmi les victimes se trouvaient une journaliste qui réalisait un reportage en direct.

Encore n’avait-il pas imaginé à quel point à Hong Kong, la situation allait se tendre trois mois plus tard au milieu de heurts qui, depuis le début des troubles au printemps 2019, avaient en novembre 2019, déjà fait 1500 blessés, tandis que la police de la R.A.S avait arrêté 3000 personnes. Lire : Chaos à Hong-Kong : Après un mort et un blessé grave, la situation se tend dangereusement.

Rendu fébrile par la dérive indépendantiste des insurgés qui réclamaient un référendum d’appartenance ou non à la Chine en 2047, le pouvoir à Pékin alourdit ses répressions au cours des quinze premiers jours de novembre. La période marquée par un chaos général donna le sentiment que Carrie Lam et la mouvance démocratique modérée avaient perdu le contrôle de la situation.

Celle-ci avait été enflammée par la maladresse brutale du pouvoir à Pékin qui, 25 ans avant la rétrocession, avec son projet de loi d’extradition finalement retiré, suivi de la «  Loi sur la sécurité nationale  », avait touché à l’indépendance de la justice du territoire, principal pilier de l’arrangement politique « d’un pays deux systèmes » qui devait gouverner l’Île jusqu’en 2047.

En novembre on 2020 on déplorait le décès d’un manifestant tombé d’une terrasse, la blessure d’un autre atteint au ventre par le tir direct d’un policier et, surtout, le drame épouvantable d’un ouvrier du bâtiment opposé aux manifestations brûlé vif le 11 novembre par les jeunes émeutiers à Ma On Shan, 20 km au nord de Victoria Harbour.

Pour Tsao, l’épisode avait été le signe que le souverainisme absolu du Parti s’exercerait toujours avec férocité, sans jamais tenir compte des libertés individuelles ou des traités. Dès lors que ses intérêts directs étaient menacés, il se comportait, dit-il, comme « un syndicat du crime déguisé en Nation ».

Aujourd’hui, ayant repris sa nationalité taïwanaise, il estime que les pressions incessantes que l’appareil exerce sur l’Île, allant jusqu’à imaginer une réunification par la force, contre la volonté des Taïwanais sont du même ordre que celles qui ont mis au pas les jeunes Hongkongais « localistes » militant pour la rupture avec la Chine.

Le 10 octobre dernier, jour de la fête nationale de l’Île, Tsao a terminé sa mue d’homme d’affaires d’abord militant pour la réunification propice à ses affaires en celle d’un inflexible indépendantiste favorable à la normalisation du nom de « Taïwan  » et au remplacement de la « politique d’Une seule Chine  » par « la Théorie des deux États ».

La raison essentielle dit-il, est que par sa violence, exprimant sans la moindre intention de compromis, une impétuosité unificatrice contraire aux tendances du monde civilisé, « le Parti communiste chinois a rompu le statuquo  ».

Durcissement et disparition des interstices d’apaisement.

En arrière-plan du raidissement taïwanais, flotte dans les sphères proches du pouvoir de l’Île, l’exemple de la coagulation nationaliste de l’Ukraine exprimée par la détermination à résister à l’invasion de V. Poutine par tous les moyens possibles. L’espoir est également que l’appui de l’Occident sera aussi efficace que celui apporté à Kiev par l’Europe et les États-Unis au nom des « valeurs démocratiques ».

Fermentant dans la société civile de l’Île à mesure que s’exprime la brutalité souverainiste de Pékin, l’esprit de résistance s’exprime aussi par l’organisation d’une défense opérationnelle du territoire ayant anticipé une invasion de l’Île par l’APL, en cas d’échec de la coopération militaire avec Washington.

Même si pour le Pentagone, l’éventualité est impensable, puisqu’elle signerait une aggravation du déclassement stratégique des États-Unis, dont le statut « d’hyperpuissance  » est sérieusement écorné [1], les élites taïwanaises ont même intégré l’hypothèse, cependant controversée en Chine depuis les déboires de l’armée russe en Ukraine, que l’APL réussirait à prendre pied sur l’Île.

(Lire : L’œil sur la crise en Ukraine, la querelle des concepts de défense. L’implication américaine en question.) Le 5 octobre, en visite dans l’archipel des Penghu (Pescadores), la Présidente avait elle-même affirmé que Taïwan s’efforcerait de ne dépendre de personne pour sa défense.

Enfin, le parallèle avec la situation en Ukraine rappelle aussi que les interstices possibles de négociation se sont sérieusement réduits. Le durcissement est à l’œuvre depuis 2014 et le désaveu de l’Accord Cadre de Ma Ying-jeou.

Alors que l’initiative portait un espoir de rapprochement pacifique dans le Détroit, sa perspective fut cependant étouffée par l’empressement unificateur de Pékin. La précipitation mit en difficulté Ma Ying-jeou, accusé d’être trop proche de Pékin, ce qui cristallisa contre lui, le raidissement rebelle du Yuan Législatif. Lire : Taïwan : Craquements politiques dans l’accord cadre. Les stratégies chinoises en question.

Deux ans après ces turbulences qui, au passage signalait la force de contestation du parlement démocratiquement élu, Tsai Ing-wen portant une stratégie de rupture avec le Continent – copiée par les « Localistes  » de Hong Kong – arrivait au pouvoir dans l’Île.

En 2020, en dépit d’un net affaiblissement de son audience interne où les sondages prévoyaient la défaite, elle était réélue, en réaction à la mise au pas de Hong-Kong dont les péripéties brutales provoquèrent même un basculement d’une parie des élites initialement favorables à la réunification.

Note(s) :

[1Dans l’esprit des stratèges chinois l’affaiblissement de « l’hyperpuissance  » qui en 1999 pouvait se permettre de bombarder la Yougoslavie sans aval de l’ONU et, au passage, détruire au missile de croisière l’ambassade de Chine à Belgrade le 7 mai 1999, est homothétique d’un mouvement planétaire de contestation de l’Amérique.

Il est en cours depuis le 11 septembre 2001 et l’effondrement catastrophique des tours de Manhattan retransmis en direct dans le monde entier.

Pékin a vu le déclassement se poursuivre dans les années 2004 – 2005 avec les premiers rapports de l’embourbement de l’opération en Irak, lancée par le mensonge de Colin Powell, servilement inféodé à Georges Bush, puis récemment en août 2021 avec le retrait chaotique d’Afghanistan.

 

 

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