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›› Editorial

« Le cavalier seul » d’Olaf Scholz à Pékin. Un exercice imposé du modèle économique allemand

Début novembre, Olaf Scholz était le premier chef de gouvernement occidental à se rendre en Chine depuis la crise pandémique et le déclenchement de la guerre en Ukraine.

Même si le Chancelier a habillé sa visite d’un discours évoquant une entremise chinoise dont il pourrait être l’initiateur en faveur d’un arrêt des combats en Ukraine, l’objet de la visite en Chine était avant tout de restaurer la base de puissance industrielle de l’Allemagne malmenée par la crise pandémique et la dégradation des relations avec la Russie.

La tension entre ces deux objectifs, l’un affiché d’une médiation allemande auprès de la Chine pour qu’elle s’investisse dans l’apaisement du conflit en Ukraine, l’autre à l’évidence le plus important, destiné à renouer avec la proximité entre Pékin et Berlin d’Angela Merkel très orientée à l’export, est apparue dans les déclarations de Xi Jinping.

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Aux appels officiels d’Olaf Scholz qui évoquait la responsabilité de grande puissance de Pékin, le président chinois n’a répondu que sur le mode général et édifiant des discours stéréotypés de l’appareil présentant son pays, comme le promoteur global de la paix. Mais il s’est gardé de critiquer Moscou et encore moins d’appeler Vladimir Poutine à stopper son « opération spéciale ».

Une dépêche de Xinhua qui s’appliquait à souligner la « sagesse » philosophique à large spectre du n°1 chinois, était sans équivoque. En accueillant Olaf Scholz, le souci de Xi Jinping n’était pas l’Ukraine. L’intention était avant tout de restaurer la qualité de la relation avec Berlin.

Destinée en premier lieu à renforcer à l’intérieur l’image d’un Xi Jinping vertueux et visionnaire décrite dans la collection de ses discours en trois volumes (en français : « La gouvernance de la Chine », en chinois : « 习近平谈治国理政(習近平新時代中國特色社會主義思想 ») (Cf. l’Annexe), Xinhua rapporta la réponse du président chinois en énonçant l’évidente banalité « qu’il était facile de détruire la confiance politique, mais très difficile de la reconstruire. »

Soucieux de souligner que le dialogue avait porté sur la guerre en Ukraine, Olaf Scholz expliqua aux médias que, comme lui, Xi Jinping condamnait la menace russe d’utilisation de l’arme nucléaire, dont, a-t-il dit, « la mise en œuvre franchirait une ligne rouge tracée par l’ensemble de la communauté internationale. ». Mais, lors du déjeuner, ramenant aussitôt son propos à la relation bilatérale, le Président chinois a rappelé que Berlin et Pékin avaient la responsabilité de restaurer l’image abimée d’une relation bilatérale privilégiée.

Une visite officielle bienvenue pour Pékin.

Accueillant Olaf Scholz, Xi Jinping mesurait toute l’importance de la visite pour contredire les analyses géopolitiques d’une Chine isolée face à l’Occident principale destination de ses exportations.

S’il est exact que le commerce extérieur de la Chine a sévèrement reculé au premier semestre 2022, en 2021 en revanche, l’UE et les États-Unis étaient toujours les principales sources de ses vastes excédents commerciaux ayant atteint les records de 249 Milliards d’€ avec l’UE et de 396 Mds de $ avec les États-Unis.

Patiemment construit par le volontarisme commercial d’Angela Merkel qui, durant ses seize années de mandat a effectué douze visites en Chine où elle rencontrait Xi Jinping et Li Keqiang avec qui elle avait, dit-on en Occident, noué une relation de complicité, l’intense courant d’échanges qui proposait au marché chinois les véhicules allemands haut de gamme, un éventail impressionnant de machines-outils informatisées et la puissance de son industrie chimique, avait placé Berlin dans une position d’exception face à la Chine. Lire : Chine – Allemagne – Europe. Le grand malentendu.

L’Allemagne était devenue son seul grand partenaire en mesure d’afficher avec Pékin un fort excédent commercial, alors même que le vaste déséquilibre des échanges avec l’Amérique avait été la première mèche fiscale allumée par Donald Trump en 2017 du conflit commercial sino-américain aujourd’hui dilaté en une incandescente rivalité géostratégique.

Premiers doutes. Premières défiances.

Dès 2016, apparurent les premières inquiétudes allemandes liées à l’entrisme chinois dans le secteur des hautes technologies et en même temps la crainte que l’extrême enchevêtrement commercial entre Berlin et Pékin menace la cohésion européenne.

Pour autant, les actuelles critiques françaises fustigeant « le cavalier seul allemand » en Chine oublient qu’au moment même où Berlin commençait à prendre conscience du « risque stratégique chinois », le premier ministre français Jean-Marc Eyraud était en visite à Pékin. Lire : La Chine, l’Europe, l’Allemagne et la France.

Lui aussi recherchait des débouchés sur les marchés publics chinois. En plus, fort d’une longue expertise nucléaire civile il explorait la possibilité d’une coopération à l’export pour la vente de centrales nucléaires, ultime tentative française pour sauver une coopération franco-chinoise vieille de trente années. Lire : Coopération nucléaire franco-chinoise : une page se tourne.

En Allemagne, la page chinoise de la stratégie allemande d’Angela Merkel en Chine avait semblé se tourner quand à la Conférence de Sécurité de Munich de février 2018, le ministre des Affaires étrangères Sigmar Gabriel avait mis en garde contre les risques que la proximité sino-russe sape l’unité européenne.

En même temps, stigmatisant l’Occident pour ses divisions et son absence de vision, appelant l’Europe à rester unie, il soulignait la « tentative de la Chine de façonner le monde selon ses intérêts développant, au-delà des relations commerciales, une alternative systémique globale au modèle occidental ».

En mars 2019, recevant à l’Élysée le Président Xi Jinping, le Chef de l’État français qui s’était entouré de Jean-Claude Junker, président de la Commission à Bruxelles et de la Chancelière Angela Merkel avait, face aux menées chinoises dans les PECO et en Grèce, tenté d’afficher, une cohésion européenne, en signifiant à son homologue chinois que l’Europe considérait la Chine comme un « rival systémique ». Lire : Face à Pékin, la solidarité hésitante de l’Europe.

Tel est le contexte encore aggravé par les critiques politiques internes à Berlin qui, trois ans plus tard, a entouré le voyage d’Olaf Scholz à Pékin, dont la première intention financière et commerciale était attestée par la présence dans sa délégation de douze grands patrons d’industries dont les PDG de Volkswagen, de la Deutsche Bank, de Siemens et de BASF.

A Pékin, ils rencontrèrent leurs homologues chinois à huis-clos. Parmi eux Geely Automobile, Sense Time group en pointe en Chine dans le secteur de l’Intelligence Artificielle et la Banque de Chine. Selon des sources proches du dossier les industriels allemands auraient critiqué les rigidités de Pékin face aux risques épidémiques. Il faut dire qu’à leur arrivée ils durent se soumettre, alors qu’ils n’avaient pas encore été autorisés à débarquer, à un contrôle épidémique par une équipe vêtue de combinaisons de protection.

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Déferlante chinoise en Europe et menaces sur « le couple franco-allemand »

En Allemagne, les reproches faits au Chancelier qui présentèrent le voyage comme inopportun dans l’actuelle situation de crispation sino-occidentale ne manquèrent pas de souligner la récente prise de contrôle de 25% des parts de la gestion du port de Hambourg par COSCO, le géant chinois du transport maritime dont l’emprise sur les ports européens avait déjà alerté les stratèges du Vieux Continent.

Là où il y a dix ans les prises de participation chinoises de COSCO et China Merchants Group (CMG) étaient quasiment inexistantes, elles représentaient en 2020 10% des volumes totaux (Olaf Merk « China’s Participation in European Container Ports : Drivers and Possible Future Scenarios  » dans Revue internationale et stratégique 2020/1 (N° 117), pages 41 à 53.

De fait, les investissements chinois sont à des degrés divers présents dans une douzaine de ports européens, parmi les plus importants, avec des parts majoritaires de contrôle au Pirée (100 %), à Zeebrugge (85%) et à Valence (51%).

En octobre 2021, le rapport de l’Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire (IRSEM) établissait que les « pressions économiques chinoises » par un très foisonnant éventail de réseaux d’influence étaient de loin l’un des plus efficaces leviers de la stratégie internationale de Pékin en Europe. Lire : IRSEM. Un rapport foisonnant sur l’ampleur protéiforme des stratégies d’influence de Pékin.

En France, le « cavalier seul » du Chancelier allemand en Chine augmente la crainte du délitement du « couple franco-allemand ». Elle est attisée par les récents choix de Berlin sans concertation d’un investissement de relance de 200 Mds d’€, d’un projet de bouclier anti-aérien avec l’OTAN et Israël dont Paris est exclu et de l’achat sur étagère aux États-Unis de 35 chasseurs de combat F.35, qui dédaignait à la fois la modernisation du Rafale (projet F5) et la coopération franco-allemande pour le Système de Combat d’avion futur (SCAF).

Pour autant, les critiques du voyage à Berlin d’Olaf Scholz à forte implication d’affaires dont les détails ne sont pas encore publics [1], sont loin de dire la réalité d’une situation beaucoup plus complexe des relations de l’Europe et de l’Allemagne avec la Chine.

Pragmatique et réactif, Berlin crée un précédent.

La plupart évoquent certes les déclarations du Chancelier sur le déséquilibre des relations du aux fermetures rémanentes du marché chinois et la solidarité de l’Allemagne avec tous les Occidentaux sur la question de Taïwan dont l’approche est à la fois articulée à la « politique d’une seule Chine » et au refus de changer le statuquo par la force.

Mais elles passent sous silence les analyses de Berlin excluant comme irréaliste la rupture complète de toute relation avec Pékin. Elles ne disent pas non plus à quel point l’Allemagne fait face à un risque de fracture de sa puissance industrielle basée sur ses exportations vers la Chine et ses relations avec la Russie pour ses approvisionnements à prix réduits de gaz et de pétrole.

C’est peu dire que le refroidissement des relations avec Pékin et la succession de crises (pandémie et guerre en Ukraine), impacte le modèle économique allemand marqué par l’export vers la Chine et l’énergie à bas prix du gaz russe.

En 2022, la production s’est contractée dans toute l’Union. La tendance, véritable arrière-plan de la visite de Scholz en Chine, se perpétuera au cours des trois premiers mois de 2023, tandis que l’Allemagne subit l’une des plus fortes baisses d’activité de son histoire récente avec la montée de l’inflation et la flambée des coûts de l’énergie qui réduisent le pouvoir d’achat des ménages et obligent les usines à réduire leur production.

A Berlin désormais, ce qui domine c’est à la fois le pragmatisme d’affaires, la diversification et, si nécessaire, la fermeté à l’égard des investissements chinois. A la mi-novembre à Singapour, Olaf Scholz qui, après son passage éclair en Chine assistait en personne à la conférence sur les Affaires allemandes en Asie organisée par Berlin, déclarait avec les autorités de la Cité-État qu’il n’était ni souhaitable ni possible d’ostraciser la Chine. Mais, signifiant que le temps des grandes ouvertures sans précaution était terminé, il venait tout juste de bloquer deux investissements chinois dans le secteur des hautes technologies.

Le premier concernait la vente à un Chinois dont l’identité n’a pas été relevée, d’ERS Electronic basé en Bavière qui fournit des machines de refroidissement aux fabricants de semi-conducteurs ; le deuxième, interdisait la cession du fabricant de semi-conducteurs « Elmos » à la filiale suédoise Silex Microsystems du Chinois « Sai Microelectonics ».

Le réveil allemand fut suivi une semaine plus tard par l’injonction de Londres rendue publique le 17 novembre adressée au groupe Chinois Wingtech Technology, fabricant de semi-conducteurs basé à Jiaxing au nord du Zhejiang de revendre « au moins 86% » de ses actions achetées il y a plus d’un an au n°1 anglais des semi-conducteurs Newport Wafer dont l’usine était passée sous contrôle chinois [2].

Il n’en reste pas moins que le pragmatisme économique d’Olaf Scholz, dont l’initiative chinoise fait déjà date puisque le président français a, au G.20, annoncé une prochaine visite en Chine en janvier 2023, a rejeté le protectionnisme déguisé » du « découplage avec la Chine ».

En même temps, s’appliquant à tenir tous les bouts d’une situation stratégique complexe marquée à la fois par l’invasion russe de l’Ukraine et une Chine de plus en plus dominatrice, le Chancelier a, tout en refusant le « protectionnisme déguisé » du « découplage avec la Chine », plaidé pour la diversification des liens d’affaires allemands vers l’ASEAN.

En dépit d’une sévère montée des réactions de défiance à l’égard des captations technologiques chinoises par le rachat d’entreprises à travers un réseau de filiales européennes passées sous son contrôle, il n’en reste pas moins que pour Pékin, le refus allemand d’un découplage stratégique est une aubaine qui desserre le risque d’isolement où la proximité avec la Russie risquait de l’enfermer.

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ANNEXE

« La gouvernance de la Chine » par Xi Jinping.

Avec des commentaires de Xi Jinping qui évoque son expérience de gouvernement local à la première personne, « La gouvernance de la Chine » est publiée en quatre tomes entre 2015 et 2022. Il s’agit d’un recueil de 270 discours, conversations, lettres et instructions de Xi Jinping à l’appareil, arrangés en chapitres traitant notamment de le politique intérieure, des questions économiques, des affaires sociales et de la défense nationale.

Le 4e volume a été publié le 30 juin 2022. Comme les autres tomes, il est un travail collectif du Comité Central ayant actionné son Département de la publicité (ou « propagande ») son Bureau d’information du Conseil d’État, et « l’Institut de recherche sur l’histoire et la littérature ».

Très insistante hagiographie du n°1, la compilation commentée de ses discours et de ses écrits administratifs et politiques vise, dit la présentation, à « aider les responsables et le public à mieux comprendre et appliquer la pensée de Xi Jinping sur le socialisme à la chinoise de la “nouvelle ère“ » et à expliciter les slogans du parti.

Très redondants, tous destinés, in fine, à promouvoir la loyauté à la personne du n°1, les plus récemment en vogue sont :

« Les quatre confiances - 四个自信 – dans le Parti et la Direction choisie ; dans ses théories idéologiques ; dans le système politique et dans la culture chinoise » ;

« Les quatre consciences 四个意识 : de l’idéologie ; de la loyauté à l’autorité du parti ; de la centralisation autour du Comité Central et du rôle confié au “cœur de l’appareil – 核心“ » dont Xi Jinping est l’expression incontournable ;

« Les deux reconnaissances (statutaires) de Xi Jinping - 两个确立 – comme le « noyau » du PCC et de ses idées comme le fondement de l’avenir de la Chine (note : Les anciens de l’appareil ont apporté quelques nuances à ces affirmations confinant sans nuance au culte de la personnalité de Xi Jinping Lire : « Le sabot de l’âne » des anciens du Parti) et

« Les deux protections 两个维护 ». Recoupant le slogan précédent, elles affirment la nécessité de « protéger - 维护 - » à la fois la prévalence sans partage de Xi Jinping au sein du Comité Central et l’autorité unifiée du Comité Permanent.

Le but de la compilation est aussi, dit l’éditeur, de tenir la communauté internationale informée des derniers développements de la pensée de Xi Jinping et d’expliquer au monde la voie de développement choisie par la Chine.

Note(s) :

[1Scholz a évoqué la possibilité que BioNtech pourrait être le premier groupe occidental autorisé à vendre ses vaccins aux étrangers résidant en Chine. Pékin a de son côté promis l’achat surprise de 132 A-320 et de 8 A350 pour un montant total de 17 Mds de $.

[2Au milieu d’une forte polémique au Royaume Uni, la vente à la Chine du fabricant gallois avait été réalisée début juillet 2021, par le biais de Nexperia (ancien Philips semiconductors) filiale néerlandaise du Chinois Wingtech Technology qui possède déjà des usines à Hambourg et Manchester.

 

 

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