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›› Chronique

Les faces cachées de l’apaisement sino-américain. La saga chinoise de la montée en puissance et de la quête de respect

Il y a 22 siècles, exprimant à la fois l’assurance de leur centralité et leur curiosité intéressée à l’égard d’une puissance concurrente, les Han parlaient de l’empire romain, leur contemporain occidental, comme « le Grand Han de l’Ouest ».

Aujourd’hui cette ambiguïté où voisinent à la fois le respect à l’égard d’une puissance stratégique rivale et une quête de considération exigée de la première puissance occidentale à la fois destination des exportations et source du flux des hautes technologies, n’est pas étrangère aux turbulences heurtées de la relation sino-américaine.

En politique intérieure, les tensions avec le nouveau « Grand Han occidental  » qu’est l’Amérique, sont attisées par la fierté nationale qui ne ménage ni les critiques ni les incessantes campagnes discréditant la présence américaine dans la zone Asie-Pacifique.

Mais, au sein de l’appareil, face à la tentation de rupture, s’est récemment cristallisée une pensée adverse, source de malaise. La crainte que la prolongation des tensions attisées par la rivalité systémique et l’idéologie du repli perceptibles de part et d’autre du Pacifique, creuse une rupture stratégique des flux commerciaux et des transferts technologiques dont les prémisses sont aujourd’hui visibles. Lire : Avis de rupture du monde de la high-tech.

Enfin, il est clair qu’au-delà de la propagande, certains caciques du Bureau Politique voient d’un mauvais œil le retour régressif de la Chine à l’ère des seules connivences avec les émergents et le tiers monde.

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Après les sommets du G.20 à Bali et de l’APEC à Bangkok, l’incandescence guerrière de Pékin ayant suivi la visite de Nancy Pelosi à Taïwan est retombée. Elle avait porté au rouge-vif les relations sino-américaines, mis en sommeil les rencontres officielles sur le climat et provoqué le branlebas des stratèges japonais.

C’est peu dire qu’à Tokyo, qui ne cesse de désigner la menace des missiles intermédiaires chinois pouvant viser l’archipel, l’appareil de défense japonais a été mis en alerte par les frappes de missiles chinois au voisinage de l’Île d’Hateruma (12 km2 et 540 habitants, partie de la préfecture d’Okinawa) située à 110 nautiques à l’est de Taïwan.

Mais à peine plus de trois mois après les salves de missiles tirés dans le Détroit par la deuxième artillerie, alors même qu’aucun des contentieux empoisonnant la relation bilatérale n’est réglé [1], le ton des échanges a clairement basculé. On apprend même que Xi Jinping pourrait venir à San Francisco dans un an, à l’occasion du prochain sommet de l’APEC. En attendant, le premier pas de l’apaisement sera le voyage d’Antony Blinken en Chine, prévu en janvier 2023.

Dans le même temps, alors que les antagonismes et les animosités demeurent, au sommet de l’APEC à Bangkok d’où, s’isolant lui-même Vladimir Poutine était absent, la vice-présidente des États-Unis Kamala Harris s’est entretenue avec Xi Jinping pour rappeler avec lui que les canaux d’échanges ne doivent pas être rompus.

Mais, signe que les effervescences stratégiques provoquées par l’agressivité de Pékin dans la zone ne sont pas éteintes, elle s’est aussitôt envolée vers l’Île de Palawan aux Philippines, sur les rives du « haut fond de Reed  » zone riche en pétrole et en gaz dont il est impossible d’exagérer l’importance symbolique dans les relations heurtées entre Manille et Pékin.

A Palawan, le poids stratégique des États-Unis.

C’est en effet l’insatiable boulimie énergétique chinoise qui en 2016 fut à l’origine de l’appel de Manille à l’arbitrage de la cour internationale de La Haye dont Pékin ne reconnaît pas le verdict. Lire : Arbitrage de la Cour de La Haye. Tensions et perspectives d’apaisement.

Située dans la ZEE de Manille, à 85 nautiques des côtes de Palawan, le haut-fond est revendiqué par Pékin, au milieu d’effervescences nationalistes anti chinoises qui, pour l’instant empêchent tout compromis de Manille, avec Pékin. A l’été 2016, J.P. Yacine avait exploré la longue histoire de cette empoignade où domine l’avidité chinoise pour les ressources, ponctuée de fausses manœuvres de Manille sur fond d’intenses corruptions des parties prenantes philippines. Lire : Mer de Chine du sud. La carte sauvage des hydrocarbures. Le dilemme de Duterte.

Six ans plus tard, alors que l’analyse de J.P. Y. estimait que des marges de négociations étaient possibles, les extrêmes crispations nationales les ont sérieusement érodées.

Par son escale inédite à Palawan, à vue directe du haut-fond de Reed, objet des convoitises de Pékin, Kamala Harris jette dans la bataille le poids stratégique des États-Unis, derrière Manille.

Le 22 novembre, à bord d’un garde-côte de la marine de l’ancienne colonie américaine, elle a appelé à la résolution pacifique des différends et au respect de l’intégrité territoriale des États souverains que Pékin malmène jusqu’à tenter d’interdire toute exploration des gisements par des acteurs non chinois [2].

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En apparence se confirme sous nos yeux le contraste des influences dans la zone. Celle à forte implication militaire des États-Unis dont l’épicentre est l’ancienne colonie américaine des Philippines ; et celle « oblique  » de la Chine calibrée à la puissance des investissements omniprésents en Indonésie (cf. p.2, le § « Sous l’influence chinoise, le “grand-écart de Djkarta“ de notre article : Réunion du G.20. En l’absence de Moscou, la prévalence invasive et ambiguë de Pékin).

Mais la réalité est qu’à côté des raidissements militaires à propos de Taïwan récurrents depuis 1949, ailleurs, selon une évolution clairement observable depuis la fin des années 90, Pékin appuie aussi de plus en plus ses stratégies d’expansion économique et commerciale en mer de Chine du sud par l’étalage de sa force militaire.

Durcissement militaire de la Chine, sévères rivalités. La difficile exigence du dialogue de défense.

A côté du point incandescent du détroit de Taïwan, une hypothèse néfaste occupe l’esprit des stratèges américains et chinois. Celle d’un accrochage militaire, accidentel ou pas, entre la marine des États-Unis qui défend la liberté de navigation dans les eaux revendiquées par Pékin aussi vastes que les 3,8 millions de km2 de la Méditerranée, et une des unités navales chinoises de plus en plus présentes dans les eaux contestées de la mer de Chine du sud.

Tel était l’objet de la deuxième rencontre cette année entre Lloyd Austin, secrétaire d’État américain à la défense et son homologue chinois, le Général Wei Fenghe, également membre de la Commission Militaire Centrale, ancien Commandant de la « 2e artillerie » qui met en œuvre les missiles stratégiques et tactiques de l’APL.

Le 22 novembre dernier à Siemreap, près du site d’Angkor Vat, lors de 90 minutes d’entretien, les deux qui s’étaient déjà vus à Singapour le 10 juin, à l’occasion du « dialogue de Shangrila - c’était moins de deux mois avant « la crise de Taïwan » suite à la visite dans l’Île de Nacy Pelosi - ont une nouvelle fois mis l’accent sur la nécessité d’améliorer « les canaux de communication de crise ».

A 320 km au nord de la capitale Phnom-Penh, où le régime khmer est aujourd’hui sous la coupe scabreuse de l’influence chinoise (lire l’analyse de Jean-Paul Yacine qui remettait l’influence chinoise dans le Royaume en perspective depuis le milieu du XVIIe siècle et la chute des Ming en 1644 : Dans le sillage scabreux des routes de la soie), Austin, a, face à Wei Fenghe encore très énervé par le souvenir de la visite dans l’Île de Nancy Pelosi, dénoncé le « comportement dangereux des chasseurs de combat chinois » augmentant les risques d’accident dans la zone indopacifique.

En juin dernier, au-dessus de la mer de Chine du sud, un chasseur chinois s’était approché d’un appareil de surveillance australien pour lancer un nuage de feuilles d’aluminium qui furent « avalées » par un des réacteurs de l’appareil.

Pour autant, au-delà des empoignades attisées par la rivalité systémique des « caractéristiques chinoises », la réalité est qu’en dépit des tensions portées au rouge, les militaires américains et chinois ont toujours pris soin de garder ouverts des canaux de communication.

Ces derniers s’inscrivent dans le cadre plus large des « dialogues diplomatie-défense » maintenus ouverts y compris au plus fort des tensions de la présidence de Donald Trump comme celui ayant eu lieu à Washington analysé par François Danjou en 2017. Lire : Condamnés à cohabiter en Asie Pacifique, Pékin et Washington reprennent le dialogue.

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Postures, quête d’apaisement et lourdes rémanences des rivalités, sur fond de raideur interne.

Sur la photo en tête de l’article, Condamnés à cohabiter en Asie Pacifique, Pékin et Washington reprennent le dialogue, on distingue dans la délégation chinoise au premier plan à droite Yang Jiechi, 72 ans cette année. Ancien responsable des Affaires stratégiques et ancien ambassadeur à Washington, férocement nationaliste et très anti-américain, sa pensée culturelle est ancrée dans l’idée de la longue centralité historique de l’Empire au milieu de « petits États » - selon sa propre expression, lors d’un échange avec Hilary Clinton en 2010 - subordonnés à sa puissance.

Aujourd’hui à la retraite après le 20e Congrès, il s’était distingué lors de la réunion bilatérale d’Anchorage en Alaska, les 18 et 19 mars 2021 par son long monologue remettant violemment en cause la prévalence arrogante de l’Amérique et son droit de donner des leçons à la Chine.

En somme, héritier de la « longue culture normalisée et centralisatrice des Han, il exigeait du “Grand Han occidental“  » qu’il reconnaissance l’influence de Pékin dans le Pacifique occidental et qu’il traite la Chine, non pas avec condescendance, mais avec respect.

On notera que, lors de son échange acerbe avec Justin Trudeau, Xi Jinping exprimait lui aussi cette quête de respect, quand le Canadien lui exprimait son malaise face aux piratages chinois des élections.

La rencontre en Alaska, conçue par Washington comme une tentative de renouer le dialogue avait manqué son but, au milieu de fortes tensions liées aux accusations américaines de cyberespionnage et d’atteintes aux droits des Ouïghour, parties de la stratégie chinoise de mise aux normes les populations allogènes et, selon les termes mêmes de Xi Jinping, d’imposer au monde, un modèle alternatif, rival du modèle occidental (lire le § « la violence verbale des échanges publics », à la 2e page de notre article Il y a cinquante ans, le rêve d’Henry Kissinger).

Yang Jiechi a été remplacé par Wang Yi, entré au Bureau Politique en octobre dernier lors du 20e Congrès.

Ancien ministre des Affaires étrangères depuis 2013, fidèle promoteur de la nouvelle stratégie diplomatique plus réactive de la Chine initiée par Xi Jinping en 2014, que les commentateurs occidentaux ont qualifié de « diplomatie du Loup Guerrier » (lire notre article : La Chine agressive et conquérante. Puissance, fragilités et contrefeux. Réflexion sur les risques de guerre), Wang Yi, aujourd’hui âgé de 69 ans, diplomate de carrière, est un ancien Directeur des Affaires taïwanaises au sein du Conseil des Affaires d’État.

Il est aussi un fin connaisseur du Japon où il a été en poste à deux reprises, la première de 1989 à 1994 sous l’ère Deng Xiaoping et Jiang Zemin, la deuxième comme Ambassadeur en titre de 2004 à 2007 sous la présidence de Hu Jintao. Sa promotion au Bureau Politique en dépit de son âge, de 69 ans, envoie un double signal.

Le premier est que Xi Jinping qui a tourné le dos à l’héritage politique de Deng Xiaoping de rajeunir la direction du pays en exigeant le départ à la retraite à 68 ans, privilégie la loyauté à sa personne et s’entoure d’une garde rapprochée de fidèles.

Le deuxième est que, sur le fond, la stratégie de confrontation avec l’Occident et la « fermeté unificatrice de Pékin  » à l’égard de Taïwan – cœur incandescent de la rivalité sino-américaine - ne seront modifiées que par opportunisme et en surface.

Enfin toujours sur la photo de l’article cité plus haut (Condamnés à cohabiter en Asie Pacifique, Pékin et Washington reprennent le dialogue) renvoyant à l’époque Donald Trump et Rex Tillerson ancien PDG d’Exxon mobil qui, en privé, avait traité le chef de l’État américain de « putain d’abruti – fucking moron - », nom d’oiseau à l’origine de son limogeage, on notera la présence à la droite de Yang Jiechi, du général Fang Fenghui.

A l’époque âgé de 66 ans, il était le Directeur du Bureau de l’état-major général de la Commission militaire Centrale. Quelques mois après la réunion au sommet, Fang a fait partie de la « charrette  » des hauts responsable militaires relevés de leurs fonction et sanctionnés pour corruption.

Même si la corruption du général Feng est avérée, l’épisode renvoie au féroce durcissement interne opéré par Xi Jinping par lequel, mêlant le projet vertueux de lutte contre la corruption à la mise à l’écart d’opposants, le président « assainit » la classe politique et l’armée au plus haut sommet, tout en « sabrant  » sans mesure les rangs de ceux qui pourraient exprimer une pensée politique plus nuancée.

Alors qu’aujourd’hui, surgissent dans plusieurs grandes villes des révoltes contre la rigueur des confinements épidémiques qui durent depuis trois ans, il est légitime de s’interroger sur la capacité de Xi Jinping et de ses fidèles à maintenir à ce niveau extrême de resserrement policier une situation à ce point dépourvue de la moindre respiration politique où domine la crainte bien plus que l’adhésion.

Note(s) :

[1La liste des contentieux sino-américains est impressionnante. Elle va des tensions à propos de l’origine du virus et des accusations de piratage informatiques de la recherche sur les vaccins, aux différends introduits par D. Trump pour obliger la Chine à participer aux négociations sur la réduction des armes nucléaires et sur les missiles de portée intermédiaire, en passant par les questions de Hong-Kong et Taïwan, l’accusation de crime contre l’humanité au Xinjiang, la longue suite des différends commerciaux et ceux de l’espionnage du groupe Huawei, et enfin la rivalité en mer de Chine du sud, à propos de la liberté de navigation.

[2Depuis son élection en juin 2022, le Président Ferdinand Marcos Junior s’applique à réaligner son pays avec les États-Unis, dans la foulée des volte-face opérées par son prédécesseur, qui après ses rapprochements avec Pékin en 2016, a progressivement distendu ses liens avec la Chine.

Il est probable que la bascule à 180° de Rodrigo Duterte aura été précipitée par le radicalisme des revendications de Pékin.

Dans la zone des haut-fond de Reed citée plus haut, que Pékin revendique, le 14 juin 2019, un garde côte chinois avait coulé par abordage un chalutier philippin. Détail aggravant, les 22 membres d’équipage abandonnés à la dérive par le Chinois avaient été recueillis par la marine vietnamienne.

Par la suite, exerçant sur Manille la stratégie brutale du fort au faible inspirée par la vision impériale de Yang Jiechi (voir, en tête de la page suivante la pensée stratégique de Yang Jiechi), en 2019 des centaines de chalutiers de la milice paramilitaire de Pékin avaient encerclé l’île de Thitu à l’ouest de l’archipel des Spratly à 215 nautiques des côtes de Palawan.

Le but de la manœuvre commandée par Pékin était d’empêcher le génie maritime de Manille de moderniser la piste d’aviation de l’Île et d’en améliorer l’infrastructure.

En janvier 2020, Pékin avait même autorisé ses garde-côtes à ouvrir le feu sur des navires étrangers et en mars, 200 chalutiers de la milice s’étaient amarrés au récif contesté de Whitsun, 50 nautiques au sud de Thitu, revendiqué par Hanoï et Manille.

Il est probable que le changement d’humeur de Rodrigo Duterte à l’égard de la Chine a eu lieu à cette époque, marquée par un hubris impérial chinois brutal et sans mesure dont le premier effet fut d’attiser à Manille le ressentiment populaire anti-chinois (lire à ce sujet l’article de F. Danjou du 22 février 2020 : En mer de Chine du sud, les limites de la flibuste impériale chinoise).

En 2020 et 2021, Rodrigo Duterte, revenu de son penchant pro-Pékin attisé par la haine de l’Amérique - il avait traité le Président Obama de « fils de p. »- a rétabli les liens de sécurité avec Washington dans le but très clair de repousser les menées invasives de Pékin.

Sa nouvelle politique a été marquée par une série de visites de haut niveau ; la restauration d’accords de défense de grande envergure ; la participation au pacte de sécurité AUKUS avec l’Australie, la Grande-Bretagne et les États-Unis ; le rétablissement du dialogue stratégique avec le Pentagone et le Département d’État et la hausse au niveau interarmées des exercices militaires conjoints avec les États-Unis dont le dernier qui s’est achevé le 18 octobre, a été marqué par la participation de l’Australie, de la France, du Japon et du Royaume Uni.

 

 

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