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›› Taiwan

Le DPP secoué par les élections locales. Retour des Chiang. La nébuleuse des « Indépendants », troisième force potentielle

Le samedi 26 novembre dernier, les élections locales dites « Neuf en Un - 九合一選舉 » ont marqué un net recul du « Parti Pour le Progrès démocratique - DPP - ».

Organisé à mi-mandat présidentiel, le scrutin visait à élire pour quatre ans les maires et conseillers des municipalités, des districts, des communautés de communes, les administrateurs des districts indigènes et les chefs de villages.

L’exécutif y avait ajouté un référendum constitutionnel qui fait polémique [1] pour abaisser l’âge électoral de 20 à 18 ans et celui des candidats de 23 à 18 ans.

La défaite - la plus sévère de l’histoire du DPP -, a entraîné la démission de Tsai Ing-wen de la tête du Parti. Avec seulement 41,62% des suffrages exprimés, ce dernier a perdu la moitié de ses conquêtes territoriales de 2018 et n’a plus la majorité que dans 5 mairies. Le revers politique est particulièrement visible au nord de l’Île où tous ses candidats ont été battus.

Le KMT qui a recueilli 50,03% des suffrages contrôle désormais 13 sièges de maires de municipalités et de districts sur 21, y compris les très symbolique mairies de Taipei, Taichung, Taoyuan, Keelung, Hsinchu et Taipei City. Au total, le KMT est la force dominante dans six des plus grandes municipalités de l’Île concentrant 70% de la population.

Résurgence du clan Chiang - 蔣 -

Puissant retour de l’histoire, dans le paysage progressiste de l’Île militant pour une rupture avec le passé, le vainqueur de la très symbolique course à la mairie de Taipei, s’appelle Wayne Chiang, 蔣萬安 Jiang - Wan An. Il a 43 ans et est le plus jeune maire de Taipei de l’histoire.

Son père John Chiang - Chiang Hsia-yen 蔣 孝嚴 (80 ans) qui fut vice-président du KMT de 2008 à 2014, est un fils illégitime de Chiang Jing-guo. Ce dernier, fils - légitime cette fois - du Généralissime - régna d’une main de fer sur l’Île de 1978 à 1988, avant d’y instiller peu avant sa mort, les premiers ferments de la démocratie.

La bascule politique à la racine des récentes tensions dans le Détroit, eut lieu après les longues péripéties d’une vie portée par les grands traumatismes du siècle, à l’ombre de Staline et de son père inflexible. Lire : Chiang Ching-kuo, le fils du Generalissimo.

Le télescopage du progressisme taïwanais avec l’histoire donne à réfléchir.

D’une part, l’agressivité de Xi Jinping armé de l’idéologie des « caractéristiques chinoises » portant de ferventes convictions antidémocratiques et anti-occidentales est exacerbée par le refus de Tsai Ing-wen de reconnaître « la politique d’une seule chine  ». Ayant, comme la plupart des élites chinoises quand il s’agit de Taïwan, arrêté son logiciel en 1949, année de la victoire de Mao contre Chiang Kaï-shek, Xi Jinping porte au rouge les tensions dans le Détroit.

D’autre part, à Taipei, un demi-siècle après le décès du Maréchal Chiang, successeur en 1928 de Sun Yat-sen, vainqueur des « Seigneurs de la Guerre  », féroce garant avec Mao de l’Unité de la Chine qui permit son accession au Conseil de sécurité de l’ONU sous le nom de « République de Chine », arrive dans les parages du pouvoir suprême de l’Île qui sera remis en jeu en 2024, son arrière-petit fils, traînant derrière lui le sillage mémoriel complexe de la guerre civile et de l’Unité de la Chine, revisité dans l’Île par la démocratie.

La puissance symbolique de l’héritage qu’il porte exhaussé par ses convictions démocratiques nourries de ses études de droit et de sciences politiques à l’Université Nationale, lui confère un fort potentiel dont ses fidèles espèrent qu’il tirera le meilleur parti. Pour l’instant, il a décidé de ne pas participer aux présidentielles de 2024. Son entourage souligne qu’en 2028, il n’aura que 47 ans.

Conséquence de la déroute du DPP au nord de l’Île, la cartographie des forces montre une nette césure géographique. Après le 26 novembre, les fiefs de la mouvance fidèle a Tsai Ing-wen sont repliés dans le quart sud-ouest de l’Île.

Après la mort le 2 novembre 2022 du candidat Huang Shao-tsung (72 ans) de la mouvance politique des « indépendants  » non alignés, l’élection du maire de Chiayi a été reportée au 18 décembre 2022.

Autre disgrâce politique pour le DPP, l’amendement pour l’abaissement à 18 ans de l’âge électoral et de celui des candidats qui n’a obtenu 52,96% des suffrages et seulement 5,647,102 voix contre les 9,619,697 nécessaires (représentant au moins 50% des inscrits), n’a pas été adopté.

Un paysage politique en évolution.

Alors que la participation a été inférieure à 60%, en léger recul par rapport aux précédentes élections locales de 2018, l’examen des forces politiques locales en présence révèle clairement qu’au plus près du terrain, le paysage électoral de l’Île n’est pas seulement occupé par DPP et le KMT.

Une autre force « Indépendante » démarquée des deux grands partis est à l’œuvre dans les mairies et les districts où elle constitue parfois la tendance majoritaire des conseillers. C’est le cas dans les districts de Miaoli, Nantou, Yunlin, Pingtun, Penghu, Chiayi et Kinmen.

Composée en partie de transfuges du Nouveau Parti, lui-même issu d’une rupture avec le KMT ou du Parti Populaire, d’obédience centriste, la tendance rassemble 227 conseillers soit 25% des 910 conseillers répartis dans les administrations locales de l’Île. Alors que les conseillers des huit autres partis réunis totalisent moins de 5% du total, les « Indépendants  » troisième nébuleuse politique en nombre derrière ceux du KMT (367 – 40% - ), talonnent ceux du DPP (277 – 30% - ).

La figure la plus emblématique des « Indépendants » est une des nombreuses femmes politiques investies dans la politique de terrain. Huang Shan-shan 黃珊珊 (53 ans), avocate qui vient d’être battue par le petit-fils de Chiang Kaï-shek, avait quitté le Nouveau Parti en 2001 pour rejoindre le Nouveau Parti du Peuple de James Song. En 2019, ce dernier l’avait nommée maire-adjoint de Taipei aux côtés de Ko Wen-je (63 ans), le maire démissionnaire.

Médecin et très actif président fondateur du Parti Populaire d’obédience centriste, Ko est très apprécié du public pour son style direct et ses talents oratoires. Soutien du « Mouvement des tournesols  » de contestation de Ma Ying-jeou en 2014, il ne cache pas ses ambitions de conquérir la présidence, en dépit de son image trop proche de Pékin depuis qu’en juin dernier, il avait proposé la construction d’un pont entre Xiamen et Jinmen.

Enfin, détail qui, dans l’Île, renvoie tous partis confondus à la crainte persistante de l’ingérence du Continent dans les affaires locales, à l’approche des élections, les forces de l’ordre ont, en vertu de la loi anti-infiltration, multiplié les contrôles de personnes soupçonnées de payer des électeurs pour qu’au nom de la Chine ils votent en faveur du KMT.

Mais, selon Joseph Wu, le ministre des Affaires étrangères de l’Île, cette fois la contestation intérieure ayant, en Chine, pris Xi Jinping à contrepied, a réduit les interférences du Continent. Il formulait aussi l’espoir que les problèmes intérieurs du Parti Communiste pourraient gêner la stratégie d’unification à toutes forces de Xi Jinping.

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Les jeux de 2024 sont loin d’être faits, mais la bataille est lancée.

Depuis le 26 novembre, le débat dans l’Île se développe autour de la réelle signification du scrutin. Les uns estiment que la défaite du DPP est dans l’ordre des choses. Ils se souviennent qu’en 2020, Tsai Ing-wen, déjà en perte de vitesse dans les sondages, n’avait été réélue qu’à la faveur de l’alourdissement de la main de Pékin à Hong Kong.

Stigmatisant la mauvaise gestion de la pandémie, les gaspillages de l’argent public et les errements écologiques anti-nucléaires du DPP à l’origine de pannes répétées dans l’Île (lire : Pannes à répétition et sécurité énergétique), ils accusent de surcroit Tsai d’avoir provoqué les tensions dans le Détroit en rejetant la politique « d’une seule Chine. »

D’autres attribuent le revers à la faible mobilisation des plus jeunes électeurs du DPP, qui, selon Simon Chen professeur de sciences politique à L’Université Nationale ont considéré que le sujet principal de la souveraineté de l’Île n’était pas en cause.

Alors que le passé récent de la très volatile scène politique de l’Île est marqué par des coups de théâtre de revirements spectaculaires de l’opinion, les spéculations sur les rapports de forces en vue des présidentielles de 2024 vont bon train.

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Les deux partis, conscients à la fois de l’ombre portée de la Chine et de l’insistant glissement de l’opinion confirmé par les sondages vers un rejet majoritaire de tout rapprochement politique avec le régime chinois, ont commencé à se mettre en ordre bataille. En dépit des flagrantes différences de leur rapport à l’histoire et au Continent, leur promesse commune est de défendre la liberté et le système démocratique de l’Île.

En marge, la carte sauvage des « Indépendants  ». S’il est exact que la longue cohorte des conseillers issus de cette mouvance ne possède aucun levier constitutionnel lui permettant d’influer sur la politique de l’Île à l’égard de Pékin, son importance n’en révèle pas moins une fatigue du face-à-face manichéen entre la mouvance de rupture du DPP et celle du KMT enracinée dans la culture chinoise de part et d’autre du Détroit.

Enfin, avec 5 sièges au Yuan législatif le parti populaire de Ko Wen-je, centriste proche des « Indépendants  » pourrait s’allier à l’un ou l’autre des deux grands partis, ce qui fait déjà de lui, une des charnières de la prochaine présidentielle.

Au KMT, malgré les succès aux élection locales de 2018, la figure du Président Eric Chu est contestée. Elle est en effet associée aux débâcles du Parti dont le cuisant échec de Han Kuo-yu en 2020 est le symbole le plus douloureux (lire : [Le KMT s’alarme des déboires de son candidat. Net redressement de la popularité de Tsai Ing-wen-3603]).

Dans une atmosphère générale dominée par la défiance envers le Continent, la tâche du KMT toujours soupçonné par les progressistes de brader la personnalité politique de l’Île, n’est pas simple. Aujourd’hui, le favori du public est le très populaire maire du Nouveau Taipei Hou You-yi, tout juste réélu.

A 65 ans, cet ancien chef de la police (2006 – 2008) au caractère ouvert et extraverti, est resté dans les mémoires pour avoir en 1997 conduit les opérations de libération de l’Attaché de défense sud-africain Alexander McGill pris en otage à Taipei avec sa famille par le tueur en série Chen Chien-hsing.

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Au DPP, après la défaite locale et la démission de Tsai, au milieu d’une exigence de refondation des structures du Parti et des questionnements de sa politique dans le Détroit critiquée par une partie de l’opinion, le paysage est tout aussi incertain.

Le candidat naturel sera le Vice-Président William Lai - Lai Ching-te (賴淸德), 63 ans, ancien premier ministre candidat malheureux face à Tsai, lors de la pré-sélection des présidentielles de 2020.

Mais, alors que ses adversaires du KMT ont réduit la voilure internationale pour focaliser sur le pragmatisme de la politique intérieure de l’Île et les « accommodements raisonnables  » qui tentent de préserver un improbable statuquo avec le Continent qui presse de plus en plus l’échéance de réunification, le DPP est toujours confronté au défi majeur de sa stratégie de rupture.

Face à Pékin révulsé par le refus du Parti de reconnaître le « Consensus de 1992 », il peut, soit renoncer à l’affichage d’une fracture avec Pékin au risque de trahir sa base ; soit porter haut le statut de défenseur global de la démocratie, avec le soutien de Washington, mais à l’origine de fortes tensions dans le Détroit dont le premier effet est d’installer une lassitude de l’opinion.

Certains disent que l’équation du DPP se compliquerait si, pour séduire les électeurs du KMT, à Pékin, le Parti dont l’agressivité aurait été réduite par ses soucis domestiques, renonçait à ses démonstrations de forces, principaux ferments des élans d’adhésion à la stratégie du DPP.

Il reste que pour faire adhérer plus de Taïwanais à la stratégie du KMT, le régime de Pékin devra faire beaucoup plus. Quand vote après vote, la grande majorité des habitants de l’Île rejette le projet du Continent d’exercer une tutelle sur leur souveraineté, il ne suffira pas de s’abstenir de brandir ses menaces militaires récurrentes alternées avec les bonnes paroles spéculant sur la « stabilité et la paix ».

Alors que, depuis trois années, l’Île observe les affres politiques, sociales et économiques de la brutalité « zéro-covid » de l’appareil communiste, sur fond de restrictions de libertés fondamentales et de censure, un premier pas serait que le régime chinois traite lui-même mieux sa population.

Note(s) :

[1Le vote du 26 novembre pour rajeunir l’âge électoral et celui des candidats touchait au sujet très sensible de la modification de la constitution dont la forme actuelle prend racine dans l’héritage juridique japonais, plusieurs fois amendé sans que jamais les Taïwanais aient été consultés.

C’est pourquoi la consultation par référendum du 26 novembre était un jalon politique d’importance. En même temps, à Pékin, la modification du corps électoral par un élargissement vers les plus jeunes est analysée comme une stratégie destinée à creuser encore le fossé politique avec le Continent.

Dans l’Île, la pression politique exercée par l’aversion chinoise à tout changement constitutionnel par une consultation démocratique se reflète dans l’extrême rigueur des conditions requises (plus de 50% du corps électoral) pour qu’une réforme constitutionnelle soit adoptée.

Les résultats du scrutin référendaire du 26 novembre montrent à quel point, sous la pesante menace de Pékin, toute promesse de modification constitutionnelle reste vide de sens.

S’il est vrai que la réforme a été approuvée par 52,96% des votes exprimés soit 5 647 102 voix, contre 5 016 427, - 47,04% -, le fossé avec les conditions requises pour que la réforme soit approuvée restait immense. Les votes en faveur de la réforme ne représentaient en effet qu’un faible part (29,35%) des 50% requis du corps électoral, soit 9 619 696.

 

 

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