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›› Technologies - Energie

« Micro-puces » et droit de propriété. La violente riposte américaine contre la Chine et ses contrefeux

Le 7 octobre, une nouvelle salve de restrictions américaines a sérieusement augmenté le handicap des sociétés chinoises opérant dans le secteur des microprocesseurs. L’essentiel interdit aux entreprises américaines ou étrangères ainsi qu’à des personnes isolées établies aux États-Unis, de vendre les technologies les plus avancées de fabrication de microprocesseurs à des entreprises chinoises opérant sans licence des équipements ou des technologies d’origine américaine.

Pour Dylan Patel, analyste chez le consultant « Semianalysis » spécialisé dans le marché global des « puces », il s’agit « d’une déclaration de guerre froide économique contre la Chine lancée par les États-Unis qui tentent de disloquer l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement des hautes technologies avant que les ingénieurs chinois ne parviennent à les assimiler. ».

Dans un récent article paru le 19 novembre dernier, dans Foreign Policy, Agathe Demarais, auteur de « Backfire » dont le sous-titre est « How Sanctions Reshape the World Against U.S. Interests  », analyse les effets indésirables des sanctions et fait le point de cette compétition de hautes technologies au cœur des rivalités sino-américaines de puissance, déjà plusieurs fois documentée par QC : La guerre mondiale des semi-conducteurs & Les efforts « techno-nationalistes » de Pékin.

Elle en mesure à la fois les effets indésirables et les implications géopolitiques à long terme dont elle dit qu’elles domineront le paysage stratégique global au-delà de 2050. Résumant par une métaphore sa pensée qui, contrairement à ce que laisse entendre le titre, n’est pas par principe opposée aux sanctions parfois efficaces, elle explique que leur abus par Washington [1], a le même effet que l’usage excessif d’antibiotiques.

A doses mesurées, ils sont efficaces, mais utilisés à tous propos, ils créent une accoutumance qui réduit leur efficacité, en même temps qu’ils favorisent des contrefeux. C’est le sens du sous-titre du livre évoquant le « Remodelage de la géopolitique mondiale contre les intérêts américains. »

Pour autant, il serait erroné de croire qu’aux États-Unis les scientifiques ne seraient pas, comme la plupart de leurs collègues étrangers, occidentaux ou non, persuadés que les échanges et le partage de la recherche sont les conditions indispensables aux progrès de la science. Mais la réalité est que le pillage systématique dont le moteur est l’obsession chinoise de rattrapage de puissance, a atteint un tel niveau qu’il a réussi à fédérer les plus réticents.

Tout indique que la décision d’embargo sur les microprocesseurs a été prise après l’alerte lancée par d’influents représentants de la communauté scientifique américaine. Lire : Avis de rupture du monde de la high-tech.

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Le constat d’Agathe Demarais [2] (lire : How the U.S.-Chinese Technology War Is Changing the World) n’est pas optimiste.

Il commence par une anecdote illustrant les effets indésirables de l’embargo décidé par D. Trump sur l’utilisation par l’administration des drones beaucoup moins chers mis sur le marché par le groupe chinois DJI qui, grâce à un rapport qualité-prix imbattable, inonde 70% du marché global des drones civils.

Résultat, lors des vastes incendies ayant ravagé la Californie et l’Oregon en 2020, les sauveteurs n’avaient plus de drones pour superviser la lutte et contrôler l’évolution des foyers. A l’origine de l’embargo, il y avait le soupçon paranoïaque que les drones seraient équipés de dispositifs techniques permettant de transférer des informations sensibles à la Chine. Pour désamorcer la campagne, DJI avait même délocalisé un centre de production aux États-Unis. En vain.

Si on y ajoute un autre embargo ciblant les systèmes « IGNIS » d’alerte-incendies et de gestion des ripostes, lui aussi interdit parce qu’il contient des pièces de fabrication chinoise, le résultat pour l’efficacité de la lutte contre les grands feux de forêts est catastrophique. Les équipes de pompiers n’opèrent plus qu’à 25% de leur potentiel.

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La longue histoire des violations de la propriété.

Depuis vingt ans, la défiance américaine à l’égard des captations illégales de technologies par la Chine est au cœur du vaste sujet touchant au respect du droit de propriété. Elle a été exacerbée en 2018, par un rapport du Département du commerce.

L’analyse détaillait à la fois l’absence générale d’obédience aux règles du marché des entreprises publiques chinoises et la stratégie de Pékin de captation consistant à imposer aux sociétés étrangères souhaitant accéder au marché chinois des transferts de technologies à une co-entreprise locale ou même à lui vendre leur savoir-faire à moindre prix.

Le schéma est bien connu. Agathe Demarais le rappelle dans une première partie pour mettre en perspective la virulence de la riposte américaine.

Ayant siphonné la technologie, les entreprises chinoises la reproduisent sans trop de scrupules. « C’est le moment où les sociétés étrangères se rendent compte qu’une usine chinoise ressemblant beaucoup à la leur vient d’ouvrir dans le voisinage, fabriquant à moindre coût des répliques exactes de leurs produits ».

Du coup l’avantage technologique de l’étranger ayant disparu, les conditions de sa présence sur le marché chinois deviennent moins assurées. Ce n’est pas tout. Les « services  » américains se sont également intéressés aux entreprises chinoises opérant aux États-Unis ainsi qu’aux administrations américaines utilisant d’autres équipements de haute technologie fabriqués en Chine.

Au-delà des drones, le soupçon est au cœur des féroces interdictions ayant ces dernières années frappé le groupe Huawei fabriquant des téléphones portables et des équipements télécoms liés à la 5G. En arrière-plan persiste la crainte du Pentagone d’un risque de sécurité nationale lié à la conviction qu’un groupe chinois ne peut pas refuser de coopérer avec son gouvernement.

Il existe des précédents.

A deux reprises, la Chine a été accusée d’espionner le siège éthiopien de l’Union africaine grâce à ses caméras et ses micros. Pékin et les entreprises chinoises soupçonnées, dont Huawei, avaient opposé un démenti peu convaincant. Lire à ce sujet l’article très bien documenté du journal Le Monde du 27 janvier 2018.

Le pire scénario des services américains est encore plus inquiétant. Pour certains il tient de la paranoïa, pour d’autres il est un risque impossible à négliger. Les plus méfiants craignent que l’installation d’équipements de télécommunications fabriqués en Chine sur le sol américain permettrait à Pékin, grâce au bond technologique de la 5G, de débrancher à distance les réseaux téléphoniques ou Internet aux États-Unis.

L’hypothèse est jugée improbable par la plupart des spécialistes tant les interconnections entre les deux entraîneraient d’importants dommages à l’économie chinoise elle-même. Sauf, précise un expert, en cas de conflit militaire direct dans le Détroit de Taïwan, une situation où, en Chine, les risques économiques et commerciaux passeraient au second plan.

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Pour l’heure en tous cas, la puissance de l’économie chinoise et son interaction avec celle des États-Unis sont aujourd’hui d’une telle ampleur que les sanctions traditionnelles infligées par Washington, - taxes imposées par D. Trump sur 360 Mds de $ d’importations chinoises, continuées par Joe Biden - sont inefficaces.

En 2021, alors que le commerce bilatéral était de 650 Mds de $, trois années après les taxes imposées par Washington, le déficit commercial américain était toujours de 353 Mds de $. La mise en perspective est éclairante. Depuis 2000, où le déficit était à 83 Mds de $, il ne cesse d’augmenter, accéléré par l’entrée de la Chine à l’OMC en 2001. En 2002, il était à 103 Mds de $. En 2010, il avait atteint 273 Mds de $, pour dépasser les 300 Mds de $ en 2012. Depuis dix ans, il fluctue entre le maximum de 418 Mds en 2018 et le minimum de 308 Mds de $ en 2020.

De même, les sanctions infligées à des particuliers et à des entreprises chinoises ciblées n’ont eu que peu d’effets sur les politiques répressives chinoises au Xinjiang et à Hong Kong.

Autre implication très sensible de l’enchevêtrement des économies, alors que le Congrès examine la possibilité improbable d’effacer des bourses américaines les 1000 milliards de $ d’actifs des sociétés chinoises, il mesure en même temps les risques sur le fond d’investissement retraite qui gère les pensions de millions d’employés du gouvernement fédéral, en partie investi dans des valeurs chinoises.

Du coup, espérant à la fois plus d’efficacité politique et moins d’effets indésirables, Washington a resserré sa cible sur l’industrie très sensible des microprocesseurs, cœur technologique de l’innovation globale.

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En apparence et à moyen terme, le choix est judicieux. Alors que les États-Unis, berceau de l’industrie des semi-conducteurs née dans les années 1950, accélérée par les besoins militaires de la guerre froide, dominent le secteur avec un capitalisation boursière de 1000 Mds de $, la Chine achète chaque année plus de 300 milliards de dollars de « puces » fabriquées à l’étranger sous licence américaine. En 2021, la somme a même atteint 430 Mds de $ dont 36% en provenance de Taïwan.

C’est son talon d’Achille, bien plus que ses besoins en pétrole dont la facture a pourtant atteint 257,3 Mds de $ en 2021. Alors que la presque totalité des puces haut de gamme fabriquées dans le monde [3] dépend de la technologie et d’équipements sous licence américaine, l’embargo frappe de plein fouet l’industrie chinoise qui importe 85% de ses microprocesseurs.

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Brutale riposte américaine. Longue suite d’effets indésirables.

La décision d’infliger un embargo sur les microprocesseurs est la même que celle visant l’usage du Dollar. Au lieu de cibler les pays utilisant le « billet vert », les États-Unis s’en prennent aux usagers des «  puces  » fabriquées sous licence américaine pour les contraindre à s’aligner sur leur stratégie de riposte à la Chine.

Alan Estevez, responsable au département du commerce du contrôle des exportations sensibles, résume le point de vue américain « Les mesures prises en octobre protègent la sécurité nationale des États-Unis. Elles réduisent drastiquement la capacité de la Chine à tirer parti de l’intelligence artificielle, de l’informatique de pointe et d’autres technologies disponibles dans le commerce pour moderniser son appareil militaire et violer des droits de l’homme  ».

Huawei, spécialement ciblé depuis l’administration Trump, a accusé le coup. Dépendant d’équipements fabriqués sous licence américaine et achetés sur étagère, le groupe a été contraint d’arrêter sa production dans plusieurs de ses usines. Tandis que ses ventes de portables s’effondraient du 2e au 10e rang mondial, en 2021 ses revenus baissaient à 636,8 Mds de $ contre 967 Mds de $ en 2020, soit un recul de près de 30%.

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Complétant la réflexion d’Agathe Demarais sur les réactions chinoises aux sanctions américaines, le 30 novembre, un article très documenté de Nikkei Asia, explorant le dessous des cartes, analysait les ripostes du secteur des hautes technologies chinoises à partir de la stratégie de Huawei.

D’abord fixée sur l’exigence de survie dans une ambiance hostile, le groupe, frappé par l’embargo, a été touché par un coup direct menaçant son existence à terme. L’offensive l’a en effet privé de la mise à jour automatique du système d’exploitation Android, développé par Google et équipant 80% des smartphones du marché global.

Acculé, Huawei a progressivement lancé des contre-attaques dont la stratégie a été copiée par plusieurs autres acteurs chinois. Développant un concept global, ses efforts visent non seulement à la conception autonome de ses puces par sa filiale HiSilicon, mais également à la reconstruction de l’ensemble de la chaîne, depuis l’approvisionnement en matériaux, jusqu’à l’emballage commercial, en passant par la production et les équipements de fabrication.

D’autres entreprises chinoises comme YMTC (Yangtze Memory Technologies Corp) et SMIC (Semiconductor Manufacturing International Corp) qui viennent, d’être placées sur la liste noire américaine parmi une vingtaine d’autres fabriquant des « puces » ou du secteur de l’Intelligence artificielle, suivront pour ne pas couler.

Parmi les entreprises sanctionnées, le cas de YMTC, autre cible du département du commerce mérite attention.

Plus grand producteur chinois de puces de mémoire, il est accusé par Washington d’avoir violé les contrôles à l’exportation en approvisionnant Huawei par le biais de sa filiale japonaise. Confirmant qu’aux États-Unis la stratégie anti-chinoise est bien bipartisane, l’alerte a été donnée par le sénateur démocrate Chuck Schumer : « YMTC constitue une menace immédiate pour notre sécurité nationale » (…) « L’administration doit agir rapidement pour l’empêcher de gagner ne serait-ce qu’un pouce d’avantage militaire ou économique.  »

Une question surgit dans la droite ligne des interrogations d’Agathe Demarais. Au-delà des analyses sur les capacités chinoises de rebond, quelle sera à terme l’efficacité et les effets indésirables des sanctions dans le paysage très confus où les enchevêtrements des recherches, des transferts et des intérêts y compris américains, rendent illusoire une guerre de tranchées. ?

Au mieux une manœuvre retardatrice.

Certes la plupart des experts s’accordent à dire que la contre-offensive chinoise prendra du temps, dans un contexte où les appréciations contrastées relèvent de la propagande de guerre. Quand les plus pessimistes qui sont Taïwanais parlent de vingt ans si les sanctions duraient, les optimistes qui sont Chinois, évoquent seulement deux à trois ans. Ces derniers ont en tête un accommodement avec Washington, obtenu au moyen de pressions, par exemple sur le secteur des terres rares ou des matériaux indispensables à la fabrication des micro-puces.

La vérité est que, quel que soit l’angle de vue, il est probable que les appuis publics du gouvernement chinois au secteur dont les fleurons nationaux mobilisent des investissements considérables, réduiront la stratégie américaine à une manœuvre retardatrice. D’ores et déjà Huawei a, on l’a vu, augmenté ses dépenses de R&D à plus 20 Mds de $ par an, représentant 22,4% de ses revenus. Tous les autres acteurs chinois suivent ce modèle. A titre de comparaison, le budget prévisionnel français 2023 pour la recherche et l’enseignement supérieur est de 30 Mds d’€ (32,6 Mds de $).

A côté des réactions chinoises plus ou moins longues, il existe déjà des compromis américains contredisant la brutalité du discours qui s’apparente, dit un critique, à « la diplomatie de la canonnière ».

Exemple, pour protéger les entreprises étrangères notamment américaines fabricant des « puces  » basées en Chine, le département du Commerce a créé une fenêtre autorisant sur demande à importer des États-Unis ou d’autres pays étrangers des équipements sous embargo.

Même s’ils confèrent à Washington un droit de regard, les compromis sont une entorse à la sévérité implacable des interdits. Certains de ces accommodements fonctionnent déjà. La filiale du Taïwanais TSMC à Nankin et celle du Coréen SK Hynix à Wuxi ont été autorisés à des achats sur étagères aux États-Unis.

Une autre difficulté de la stratégie de fermeture arc-boutée est le risque de tensions avec ses alliés auxquels Washington impose par la menace une restriction empiétant sur la liberté de leurs affaires. Ainsi le Néerlandais AMSL, premier fournisseur mondial d’équipements de fabrication de puces avancées, a été menacé d’être exclu du marché américain s’il ne se conformait pas aux interdits de Washington.

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Plus largement, le foisonnement des intérêts d’affaires confrontés aux restrictions favorise un redéploiement chinois dans toute l’Asie, notamment en Malaisie, à Singapour ou même en Inde, tandis que l’illusion de la forteresse étanche isole l’Amérique tout autant qu’elle prétend isoler la Chine.

Le 13 octobre dernier, une analyse de China Briefing, mettait en garde contre l’essaimage en Asie par « une répartition géographique plus large des fabricants de puces, dont beaucoup sont Chinois. »

Elle ajoutait qu’au-delà du ralentissement infligé à l’industrie chinoise des « micro-puces » qui ne sera que temporaire « Le seul impact durable (de la manœuvre retardatrice de Washington) aura été d’accélérer la production chinoise hors du territoire de la RPC.  »

Possibles pressions de Pékin pour contraindre Washington à composer.

Enfin une dernière analyse qui renvoie à un rapport de forces où toutes les cartes ne sont pas dans la main de l’Amérique, souligne que Pékin pourrait faire pression sur Washington pour l’obliger à ajuster sa stratégie de confrontation directe, en utilisant l’avantage de ses ressources minières et de ses réserves de terres rares.

La même analyse de China Briefing soulignait que la « vraie bataille géopolitique  » encore à venir se jouerait sur le terrain des ressources. La fabrication des microprocesseurs nécessite en effet une série de minerais qui ne sont pas tous « rares », mais dont l’extraction et le traitement sont délicats. Ils sont plus souvent présents en Chine qu’aux États-Unis.

Le silicium est courant. Mais l’obtenir à la qualité utilisée dans la fabrication des semi-conducteurs n’est pas un processus facile. Alors que sa purification nécessite d’importantes quantités d’énergie, la Chine domine le marché avec 79% des livraison à l’industrie globale des « micro-puces ».

De même, la Chine est mieux pourvue en Germanium, présent dans les gisements de zinc et dans les résidus de la combustion du charbon. Ressource stratégique majeure pour la fabrication des « puces », elle n’est présente aux États-Unis que sur un seul site dont les réserves seront épuisées en 2032. Le Bore dont les ressources aux États-Unis sont comptées se trouve en revanche en abondance en Turquie, en Russie, au Kazakhstan et en Chine.

Le gallium, sous-produit de la bauxite (minerai d’aluminium) et du traitement du zinc, est surtout présent au Canada, en Chine et au Japon. Les États-Unis qui ont récemment imposé un embargo sur l’approvisionnement de la Russie en aluminium, n’en disposent pas sur leur territoire.

Le cuivre est surtout présent au Chili, en Australien et en Afrique centrale. Son raffinement est effectué au Canada, en Chine, en France, au Japon, en Corée du Sud et en Russie. Les États-Unis dont les réserves s’amenuisent est de plus en plus tributaire d’importations. En janvier 2022, elles ont atteint le pic historique 1,4 Mds de $, avant de rechuter. Mais la tendance générale depuis 2000 est en hausse. En moyenne, elles sont passées de 200 millions de $ en 2000 à 600 millions de $ en 2022.

Quant aux « terres rares », la Chine qui possède les plus importantes réserves prouvées au monde avec 44 millions de tonnes, est incomparablement mieux dotée que les États-Unis dont les réserves sont inférieures à 2000 tonnes. Pour valoriser au mieux cet atout Pékin a, depuis décembre 2021, entrepris une vaste remise en ordre du secteur. Lire : Terres rares. Domination chinoise, menaces et contrefeux.

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Alors que Moscou a annoncé un exercice à tir réel du 21 au 28 décembre conjoint avec Pékin en mer de Chine de l’Est qui, déjà, resserre les rangs des voisins japonais et sud-coréens autour de Washington, la guerre pour la maîtrise de l’industrie des microprocesseurs fait rage. L’enjeu stratégique est la finesse des « puces » dont les plus avancées fabriquées sous licence américaine par Samsung approchent les 2 nanomètres (2 millionièmes de mètre), tandis que les chinoises fabriquées par YMTC ou SMIC n’abordent pour l’instant que les 7 nanomètres.

Leur miniaturisation très coûteuse en capitaux et en délais de recherche est synonyme d’efficacité démultipliant le pouvoir des hommes qui ,s’ils n’y prennent garde, risquent aussi de se laisser asservir par leurs machines. Autrement dit, la course à la finesse nécessite de considérables investissements dont l’ampleur comparée est le signe de rivalités qui ne font que commencer.

Les très sévères coups directs portés par Washington aux sociétés chinoises du secteur accusées de violer le droit de propriété ou/et d’intrusion et d’espionnage menaçant la sécurité des États-Unis, freinent drastiquement la montée en puissance du secteur en Chine. Mais la plupart des experts estiment que le coup d’arrêt n’est que temporaire. Ils divergent cependant sur l’importance du retard infligé à la Chine, de quelques années à, au moins, une décennie.

Pour l’heure les premières conséquences observables de la bataille sont un essaimage en Asie du tissu industriel chinois et un branle-bas technologique de riposte, soutenu par des investissements massifs dans la R&D. En fond de tableau, les enchevêtrements des intérêts financiers et ceux résiduels de la recherche affaiblissent mécaniquement la rigueur de la guerre de tranchée.

En même temps, la brutalité des exigences d’embargo imposées à ses alliés par Washington risque d’ébranler la solidarité et l’efficacité de l’embargo.

Enfin, alors que l’un des cœurs industriels des micro-puces sous licence américaine se trouve chez TSMC à Taïwan, la guerre froide technologique croise le risque d’un affrontement militaire direct.

Il reste que le pire n’est jamais sûr. La compétition globale sur les ressources minières nécessaires au secteur dont les réserves mondiales souvent mieux partagées en faveur de la Chine, donnent à Pékin une marge de manœuvre. Habilement utilisée, elle a la capacité d’inciter Washington à réduire la virulence de ses ripostes et, dans le meilleur des cas, à replacer la relation Chine – Occident sur une trajectoire moins éruptive.

En fond de tableau des risques stratégiques majeurs, restera cependant toujours la rivalité sino-américaine dans le Détroit de Taïwan. La tension est, avec la répétition des manœuvres navales sino-russes en mer de l’Est et les progrès balistiques de Pyongyang, directement à l’origine d’un effort de réarmement inédit du Japon. Le 16 décembre Tokyo a en effet rendu public l’augmentation de 26 % de son budget de défense, dont un des volets comprend l’équipement des forces d’auto-défense en capacités de contre-frappes à longue distance.

Note(s) :

[1Citons – mais la liste n’est pas close - celles contre la Corée du Nord (1950), Cuba (1958), la Syrie (1986), l’Iran (1979, levées en 1981, réintroduites en 1987), le Venezuela (2019), la Russie (2022).

A ces sanctions contre les États constitués s’ajoute une longue suite de mesures contre des personnes pour des motifs divers souvent liés à la corruption ou aux droits de l’homme, dans une dizaines de pays africains, en Chine, à Hong-Kong, au Myanmar, en Biélorussie, en Moldavie, en Irak, au Liban, en Turquie et en Ukraine.

On se souviendra aussi que l’arrière-plan moral des sanctions affiché par les autorités américaines est souvent brouillé par la stratégie brutale de Washington pour protéger son hégémonie dans certains secteurs, comme celui de l’énergie.

Ce fut le cas de l’arrestation aux États-Unis de Frédéric Pierruci incarcéré dans une prison de haute sécurité américaine, officiellement pour corruption, en réalité parce que le groupe Alstom dont il était un des hauts cadres en Asie, envisageait une coopération avec la Chine à partir des turbines « Arabelle », ayant par le truchement du vaste marché chinois des centrales, le potentiel d’installer une hégémonie globale franco-chinoise.

Lire à ce sujet : « Le piège américain », la montée en puissance de la Chine et les risques d’un engrenage global qui hausse l’analyse à hauteur de la compétition globale sino-américaine.

[2Agathe Demarais est la directrice des prévisions mondiales de « l’Economist Intelligence Unit (EIU)  », le centre de recherche indépendant du magazine britannique The Economist. Ses travaux portent sur les sanctions, l’économie et la géopolitique, notamment en lien avec la Russie. Auparavant elle avait travaillé durant six ans pour la Direction Générale du Trésor à Moscou et Beyrouth.

[3Pour bien saisir la portée des enjeux, il faut mesurer la prévalence américaine et le retard chinois. Il y a actuellement dans le monde six entreprises capables de fabriquer des processeurs haut de gamme dans 25 usines. Il s’agit d’Intel, de Global Foundries, de Samsung, de STMicroelectronics, de Taïwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC) et de United Microelectronics Corporation (UMC). Toutes sont américaines ou opèrent sous licence américaine.

Notons au passage que deux d’entre elles, le franco-italien STMicroelectronics (STM) et l’américain GlobalFoundries, vont construire une usine de semi-conducteurs en France avec l’aide des pouvoirs publics dans ce qui, rappelait le Wall Street Journal du 12 juillet 2022, « est devenu une course mondiale à la souveraineté technologique ».

Dans cet aréopage de la haute technologie numérisée sous licence américaine et connectée par internet, le taïwanais TSMC et le sud-coréen Samsung dominent la fabrication de semi-conducteurs dans le monde. À ce jour, ils sont les seuls à fabriquer des « micro-puces » dont la finesse est inférieure à 7 nanomètres (7 millionièmes de mètre).

Mais la compétition à coups d’investissements est sévère, et le coût de la très grande miniaturisation augmente à mesure que reculent les limites. A la fin août, le Chinois SMIC de Shanghai déclarait avoir maîtrisé la technologie des « puces » à 7 nanomètres et la capacité de les produire sans les équipements sous licence américaine. Il reste qu’aller plus avant dans la « finesse  » des micro-puces est à la fois un défi financier et technologique.

Lire : Guerre technologique : 10 points sur les semi-conducteurs

 

 

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