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›› Editorial
Une fin d’année chaotique
Dans une des embardées dont le Parti a le secret, le 7 décembre, craignant peut-être un contrecoup politique après les contestations du 23 novembre, ou, - c’est une spéculation – suite à de vifs débats internes pointant du doigt les dégâts infligés à l’économie et à la psychologie des Chinois dans les grands centres urbains, Pékin, a, sans la moindre préparation, brutalement levé la plupart des restrictions qui, depuis trois ans, enfermaient la population et l’économie dans le filet paralysant d’une stratégie sans souplesse dite « zéro-covid ».
L’utopie du « zéro-covid » à l’épreuve des réalités.
La décision soudaine offre au monde l’image d’un tête-à-queue stratégique mal contrôlé dont le premier effet est, malgré la propagande, d’affaiblir la réputation d’infaillibilité de n°1 chinois tout juste désigné pour un troisième mandat contre la jurisprudence de l’appareil d’un départ à la retraite à 68 ans. Les effets politiques cachés de cette errance fermenteront au moins jusqu’à la réunion de l’ANP de mars 2023.
Si la flambée épidémique restait à ce point mal contrôlée, tandis que Xi Jinping sera investi pour un troisième mandat présidentiel, ses opposants lui reprocheront d’avoir, en 2018, révoqué la règle instaurée en 1982 par Deng Xiaoping limitant à deux le nombre de mandats successifs de chef de l’État.
Le 21 décembre, lors d’une conférence de presse, Tedros Ghebreyesus le Directeur Général de l’OMS s’est dit « préoccupé » par l’augmentation des cas graves signalés et a appelé la Chine à mieux partager ses données sur leur sévérité, le nombre d’hospitalisations en soins intensifs et le décompte réel de décès.
En même temps, il a, au risque d’agacer Pékin, évoquant une fois encore l’hypothèse d’une fuite d’un laboratoire de Wuhan, rappelé que « toutes les hypothèses sur l’origine de la pandémie restaient ouvertes. »
Le 25 décembre, suscitant une inquiétude, l’appareil a cessé de communiquer sur le nombre de nouveaux cas et de décès, alors même qu’au cours des deux premières semaines de décembre plus de 200 millions de nouveaux cas positifs avaient été officiellement annoncés par le régime.
Selon Valérie Niquet, responsable du pôle Asie à la Fondation pour la Recherche Stratégique, ces données laissent penser que la part de la population désormais contaminée estimée à 20% (280 millions), augmenterait à un rythme de plus de 30 millions par jour.
En même temps, les informations éparses parvenant de Chine via les réseaux sociaux diffusant des images d’hôpitaux surchargés et des crématoriums à nouveau très actifs, indiquent que le bilan des décès journaliers pourrait atteindre plusieurs milliers. Trois années après le surgissement de l’épidémie à Wuhan, à l’automne 2019, occultée par les autorités chinoises jusqu’au 23 janvier 2020, la question se pose à nouveau de la transparence du système chinois.
Le 30 décembre, alors que le porte-parole du MAE chinois niait l’absence de transparence, Tedros insistait en affirmant « comprendre les pays [1] ayant pris des dispositions pour tester les voyageurs venant de Chine, en l’absence d’informations complètes du terrain »
Depuis cette date, au milieu d’une polémique justifiée sur l’efficacité réelle des contrôles et malgré les réactions de Pékin qui se plaint de discriminations anti-chinoises par ceux qui, il y a moins d’une semaine, l’accusaient de rigidité, le nombre de pays imposant des tests aux voyageurs venant de Chine a augmenté.
Le 30 décembre, abandonnant les ambiguïtés de Bruxelles, dans une lettre adressée aux Ministres de la santé des 27, Stella Kyriakides, la Commissaire responsable de la santé à l’UE exhortait les membres à reprendre les tests séquentiels des prélèvement effectués sur les voyageurs chinois pour identifier les risques de surgissement de nouveaux variants potentiellement plus dangereux.
Trois années après les occultations politiques de la censure des lanceurs d’alerte (lire à ce sujet : ayant caché au monde jusqu’au 23 janvier 2020 le surgissement du virus à Wuhan à l’automne 2019, Covid-19 : La démocratie, l’efficacité politique et l’attente des peuples), le régime chinois est à nouveau sur la sellette.
Xi Jinping et le parti au défi. Quels risques politiques ?
A l’orée de 2023, force est de constater qu’en trois années, la défiance globale à l’égard de la Chine a augmenté de manière préoccupante, tandis que, sur fond de guerre en Ukraine ayant pris à contrepied le déficit de puissance de la « Vieille Europe », la connivence stratégique clairement dirigée contre l’Occident entre Moscou et Pékin, dotées d’un droit de véto à l’ONU, rebat les cartes du fonctionnement du système international qui prévalait depuis 1945.
En même temps, au fil des raidissements politiques du n°1 chinois, sa stratégie pandémique qu’il voyait comme une source de légitimité politique à l’intérieur comme à l’étranger, démontrant la supériorité de la gouvernance anti-démocratique à l’aune des « caractéristiques chinoises », est à la source d’une crise politique qui sape son autorité.
Articulée au contrôle sans nuance de tous les secteurs de la vie chinoise, depuis les fleurons du numérique jusqu’aux mises aux normes culturelles et religieuses, en passant par la surveillance filmée de la société et le corsetage des strates administratives de l’appareil sérieusement malmené par la lutte anti-corruption assez souvent prétexte à l’élimination des opposants, la paranoïa politique de Xi Jinping pourrait, avec la stratégie rigide de « zéro-covid » bien avoir touché à ses limites.
Alors que le premier ministre Li Keqiang, 67 ans, avait déjà manifesté son intention de se retirer, tandis que les autres tenants de la Ligue de la jeunesse communiste, héritiers de Hu Jintao [2] ont été écartés quand bien même leur âge inférieur à 68 ans aurait permis leur réélection, la première conséquence de l’Hubris du pouvoir absolu sans respiration politique est de nourrir sous la surface les ferments d’une contestation politique.
Il reste qu’en Chine, tout comme en Russie dominée par la peur du chaos des années quatre-vingt-dix, la société toujours marquée par le spectre des catastrophiques luttes politiques des années maoïstes et satisfaite des progrès socio-économiques ayant créé une puissante classe moyenne, n’est, dans l’ensemble, pas sensible à l’appel à la révolte.
La rémanence populaire de la quête de stabilité, opposée à la peur du chaos, associée à la force de contestation par deux puissances dotées d’un droit de véto obtenant le plus souvent l’appui de la nébuleuse onusienne des émergents animés par une réelle rancœur anti-occidentale, expriment les contours d’un conflit de « valeurs » qui se cristallise sous nos yeux depuis quelques années.
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Chine – Russie. Taïwan - Ukraine. Le poids des autocrates contre les démocraties.
A l’aune de la bataille des « valeurs » et bien que présentant des caractéristiques historiques, culturelles, géographiques et tactiques, très éloignées, les deux théâtres d’opération de l’Ukraine et de Taïwan distants de 8000 km, tous deux confrontés à la menace agressive d’un géant autocrate à leurs portes, sont des symboles impossibles à ignorer.
Les deux situations expriment la rivalité des principes idéologiques organisant les sociétés autour d’idéaux contraires. Ils opposent « l’arrêt sur image » des systèmes autocrates réputés plus efficaces, à la « fluidité » politique des démocraties dont l’efficacité est cependant handicapée par la nécessité de débats et de dialogues, y compris face à des menaces immédiates.
Contrairement aux dictatures chinoise et russe, où Xi Jinping et Vladimir Poutine ont modifié leur constitution pour prolonger leur pouvoir, le premier jusqu’en 2027, le deuxième jusqu’en 2037, les systèmes articulés à des élections libres, à l’indépendance de la justice et au pouvoir de contrôle des parlements, contraignent les élites occidentales à accepter de remettre en cause régulièrement la relation qu’elles nourrissent avec le peuple qui les porte au pouvoir.
Tel est l’enjeu qui, à 8000 km de distance, relie les deux situations.
Toutes les sensibilités politiques américaines ont conscience que si l’APL parvenait à conquérir Taïwan sans que Washington ne réagisse, la prévalence stratégique des États-Unis serait définitivement détruite en Asie-Pacifique.
Pour les mêmes raisons, à l’origine de la résurrection de l’OTAN et du retour américain en Europe, si l’Amérique n’avait pas déclenché ses livraisons massives d’armes à l’Ukraine, ouvrant la voie à une mise aux normes de Kiev, les alliés de Washington en Asie et les élites taïwanaises qui placent désormais l’enjeu dans le Détroit à hauteur de la défense des principes de liberté, auraient perçu cette absence comme le symptôme d’un désengagement global.
A la faveur de la guerre en Europe ayant cristallisé une connivence sino-russe anti-occidentale dotée de deux droits de véto, l’idéal d’une gouvernance globale pour le maintien de la paix et de la sécurité internationale, régulée à partir de la Charte des Nations Unies d’octobre 1945, s’est encore un peu plus éloigné.
La paralysie du Conseil de Sécurité survient alors que les États-Unis l’ont eux-mêmes discrédité en déclenchant sans son aval de vastes actions militaires notamment contre la Yougoslavie dont l’une avait directement frappé l’ambassade de Chine à Belgrade, humiliation que ni Pékin ni Moscou n’ont oubliée [3].
A l’étage au-dessus, il subsiste encore l’ultime niveau de sécurité globale de la dissuasion nucléaire.
Chine – Taïwan. La dissuasion nucléaire, dernier garde-fou.
La peur de l’apocalypse n’a certes pas empêché l’invasion de l’Ukraine. Mais, au milieu des menaces russes et de la définition de « lignes rouges » systématiquement franchies par les livraisons d’armes et quelques frappes de Kiev en territoire russe, ripostant à la pluie des missiles frappant les infrastructures ukrainiennes, elle a cependant empêché que le conflit déborde les frontières de l’Ukraine.
Dans le détroit de Taïwan fréquemment enflammé par le survol des avions de chasse chinois, l’hypothèse d’une attaque de l’APL dont les opérations préparatoires n’ont pas encore été observées par les renseignements américains, est contrainte par les mêmes incertitudes.
Au risque de la montée aux extrêmes, tenu à distance par la dissuasion nucléaire, s’ajoute l’incertitude de l’implication directe des Américains, cependant déjà engagés par leurs ventes d’armes et, de plus en plus probable, l’aléa de la résistance des Taïwanais dont les stratèges observent à la loupe les déboires de l’armée russe en Ukraine.
Pour Pékin, la carte est lourde. L’objectif de réunification ayant été porté à un niveau d’exigence voisin d’une mythologie nationale existentielle, l’échec d’une offensive contre l’Île traînerait dans son sillage un important risque politique pour le Parti.
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Même si l’opacité de l’appareil rend très difficiles les spéculations sur sa cohésion interne et les différends courants critiques s’exprimant au sein du Comité Central, il ne fait pas de doute que la gestion chaotique de la pandémie, marquée par un tête-à- queue intempestif suivi d’une explosion de cas d’hospitalisations et de décès a affaibli la position de Xi Jinping.
Un premier signe est le ton du discours de nouvel an. Évitant les sujets de tensions internes et externes, focalisant d’abord sur les réussites de l’appareil, jetant naturellement un voile sur les fragilités économiques, industrielles et sociales, son adresse qui se voulait apaisante a abandonné le style combatif qu’il affectionne depuis 2013.
Les vœux de Xi Jinping réduisent la voilure nationaliste.
Ayant sérieusement réduit la voilure de son nationalisme anti-occidental qui propose au monde l’alternative d’une gouvernance chinoise plus efficace, Xi a appelé ses compatriotes à la cohésion et au travail assidu. Présentant les embardées de la gestion pandémique comme une phase réfléchie et soigneusement planifiée, il a passé sous silence la flambée épidémique et le nombre de décès que l’appareil continue à occulter.
L’accent a en revanche été porté sur le spectaculaire aménagement du territoire et les réussites technologiques et industrielles de l’achèvement de la station spatiale indépendante, du lancement du 3e porte-avion et de la mise en service du C.919.
Premier moyen-courrier chinois de l’histoire, concurrent de l’A 320 et du Boeing 737, l’appareil en projet depuis 2008, cependant pas encore certifié par les agences européenne et américaine de l’aviation civile, est presque entièrement dépendant d’équipements occidentaux achetés sur étagère.
Rien n’a été dit non plus de l’économie en souffrance, avec un taux de croissance très affaibli, une activité industrielle en berne, la confiance vacillante des entrepreneurs et un secteur immobilier effondré accablé de nombreuses faillites et de chantiers arrêtés créant le profond désarroi des petits propriétaires dont les appartements qu’ils ont payés ne sont pas livrés.
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Alors que la part de son discours consacré aux Affaires étrangères était réduit à sa portion congrue, sans mentionner les relations avec Washington, la guerre en Ukraine ni les embarras de la proximité avec la Russie, Xi Jinping a, pour la première fois depuis longtemps, omis de mentionner que Pékin pourrait, si nécessaire, utiliser ses forces armées contre Taïwan.
Au moment où les derniers harcèlements des avions de combat chinois en réponse à la promesse américaine de vente d’équipements militaires à l’Île dataient de moins d’une semaine, son discours sur les différends dans le Détroit, contrastant fortement avec le celui très vindicatif du centenaire du Parti, le 1er juillet 2021 (lire : La gloire du Parti et de Xi Jinping) était étonnement mesuré. Même si elle ne préjuge pas d’un ajustement durable, l’inflexion est notable.
Alors qu’ils réfutent toute réunification avec le Continent tant qu’il sera aux mains d’un pouvoir autocrate, nombre de Taïwanais de la mouvance du KMT et de ses alliés pouvaient l’entendre. « Les peuples des deux côtés du détroit de Taiwan sont membres d’une seule et même famille. J’espère sincèrement qu’ils travailleront ensemble avec l’objectif commun de favoriser conjointement la prospérité durable de la nation chinoise. ».
Note(s) :
[1] États-Unis, Inde, Hong Kong, Corée du Sud, Thaïlande, Japon, Inde, Singapour, Malaisie, Taïwan, Israël, Italie, France, Royaume-Uni, Espagne et l’UE qui conseille de reprendre les séquençages génétiques pour identifier d’éventuels nouveaux variants.
[2] Li Keqiang, 67 ans en juillet 2022, premier ministre et n°2 du régime, nommé en mars 2013 et reconduit en 2018, s’est lui-même écarté en 2022 en annonçant son départ à la retraite. Alors que de notoriété publique, il s’était opposé à Xi Jinping qui tournait le dos au pragmatisme consensuel de Deng Xiaoping, ses prises de position à ce sujet furent censurées. Plus encore, Xi manœuvra pour lui ôter l’essentiel de ses pouvoirs en prenant lui-même la tête des petits groupes dirigeants traitant de ses prérogatives.
Wang Yang, 67 ans en mars 2022, ancien membre du 19e Comité permanent, n’a ni été reconduit au Bureau Politique ni au Comité Central. Membre éminent comme Li Keqiang de la faction de la Jeunesse Communiste de Hu Jintao, il fut un vice-premier ministre en 2013 et 2018. Auparavant à la tête des provinces de Chongqing et de Canton, il s’est distingué par ses critiques directes des caciques corrompus, son attachement à loi du marché et son habileté politique.
Il a notamment géré par consensus les épineuses questions de la modernisation urbaine de Chongqing et des dédommagements des propriétaires après la démolition des quartiers insalubres et celles des émeutes rurales du village de pêcheurs à Wukan en 2011, qui protestaient contre les indemnisations insuffisantes des réquisitions de leurs terres. Lire : La démocratie directe et le défi des révoltes paysannes.
Hu Chunhua, 59 ans, membre des Jeunesses Communistes et du 19e Bureau Politique, ancien gouverneur du Hebei (2008 – 2009), n°1 en Mongolie (2009–2012) et à Canton (2012-2017), que les observateurs considéraient comme un sérieux candidat de la 6e génération au poste de premier ministre pour 2022 et même sur la trajectoire d’un possible futur n°1 du Parti, a définitivement été écarté lors du 20e Congrès. Sa disgrâce liée à son alignement politique à une faction rivale, intervient alors même qu’il avait efficacement participé aux campagnes de lutte contre la pauvreté et à la promotion des « Nouvelles routes de la soie ».
[3] Le 7 mai 1999, alors que l’OTAN avait, le 24 mars précédent déclenché sans l’aval de l’ONU, une campagne de bombardements massifs contre la Yougoslavie pour faire cesser la répression contre les Kosovars albanais, une première contre un État souverain en un demi-siècle d’existence de l’Alliance, une frappe missile américaine détruisit en partie l’ambassade de Chine à Belgrade.
Organisée par la CIA, mise en œuvre par deux bombardiers furtifs B-2, venus directement des États-Unis, l’attaque tua trois journalistes chinois. 27 autres personnels de l’ambassade furent blessés. L’épisode qui précipita les relations sino-américaines au plus bas, reste entouré de mystère.
Prétextant une erreur de tir, la Maison Blanche s’excusa et paya 28 millions de $ de dommages aux familles des victimes. Mais une enquête de journalistes danois et britanniques publiée en octobre 1999, qui citait des sources OTAN de rang élevé basées à Naples, affirma que l’attaque avait été délibérée.
Elle visait en réalité le PC d’une unité paramilitaire yougoslave recherchée pour crime de guerre, abritée par l’ambassade de Chine. Xi Jinping n’a pas oublié. A son passage à Belgrade en juin 2016, lui et son épouse Peng Liyuan déposèrent une gerbe au pied d’un monument érigé sur le site de l’ancienne ambassade, sur lequel était inscrit « honorons nos martyrs et célébrons la paix ».
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