Les informations venant de Chine, par les réseaux sociaux où les internautes utilisent des dispositifs VPN pour ne pas être repérés et des stratagèmes sémantiques pour échapper à la censure [1], sont inquiétantes.

Le 23 décembre, Bloomberg News et le Financial Times, citaient sans la valider, une source secrète de l’intérieur du Parti qui révélait le contenu d’une réunion de la Commission Nationale de la Santé Publique du 21 décembre. 250 millions de personnes auraient été contaminées au cours des 20 premiers jours de décembre. Si les données étaient exactes, l’explosion des cas – 18% de la population chinoise - constituerait la plus fulgurante dilatation de la pandémie à ce jour.

Mais alors que les urgences sont débordées et que, devant les pharmacies, les queues s’allongent pour acheter des médicaments contre la fièvre dont les stocks sont épuisés (au marché noir, la boîte d’antiviral Paxlovid de Pfizer autorisé par Pékin, se vend plus de 10 000 yuan 1380 €), officiellement, les décès ne sont jamais liés à la pandémie.

Début janvier, l’OMS accusait Pékin de minimiser la récente résurgence de la pandémie en rétrécissant la définition d’un décès dû à la Covid-19. Le 4 janvier, lors d’une conférence de presse à Genève, Tedros Ghebreyesus, son Directeur Général lui-même appelait à plus de transparence. « Nous continuons de demander à la Chine des données plus rapides, plus régulières et plus fiables sur les hospitalisations et les décès, ainsi qu’un séquençage viral en temps réel plus complet  ».

Enfin, le 14 janvier, pour la première fois depuis la levée de mesures de confinement, Jiao Yahui, Président de la Commission Nationale de la santé, reconnaissait la vérité du nombre de décès. Selon lui, 59 918 malades étaient morts entre le 8 décembre et le 12 janvier. Parmi eux 5503 directement de troubles respiratoires et 54 435 des conséquences des comorbidités, cancer ou maladies cardiovascualires.

Surmortalité des séniors.

Il y a plus. Dans le vieil empire confucéen où le respect des anciens est un épine dorsale culturelle dont la trace reste vivace, ce sont les vieilles générations mal vaccinées qui paient le plus lourd tribut à cette nouvelle vague. Parmi eux, dit un article de Nikkei Asia du 12 janvier, des « cerveaux », chercheurs ayant dépassé les quatre-vingt ans de l’Académie des Sciences Sociales ou de l’Académie des Sciences de l’ingénieur.

Tandis que CNN diffusait des images reprises par plusieurs médias occidentaux, de l’augmentation récente de l’activité autour des crématoriums, au Fujian, le nombre de crémations quotidiennes des dépouilles de professeurs âgés est dix fois supérieur aux taux observés habituellement.

Alors que le nombre de décès des jeunes est faible et que beaucoup d’entre eux sont en train de reprendre une vie normale, le fait que la proportion des victimes chez les vieilles personnes reste élevée, soulève la question des conséquences des erreurs de stratégie du pouvoir.

Il n’y a pas de chiffres officiels. Mais « les unités de travail 单位 – Danwei - » et les universités diffusent des informations nominatives fiables sur les défunts. Dans les universités, les noms des professeurs décédés sont affichés et diffusés sur internet. A Dalian, par exemple, le 3 janvier, une université de la ville a publié les noms de 25 professeurs disparus.

Une fois collationnées, les données font apparaître que le nombre de retraités des universités décédés cette année est, selon les régions, trois à six fois supérieur aux chiffres des années précédentes. Selon Nikkei Asia, depuis plusieurs endroits de Chine, des avocats ont signé une pétition intitulée « Sauvez les anciens ». Adressée au gouvernement central, elle appelle le pouvoir à prendre des mesures immédiates pour importer massivement de l’étranger des « remèdes efficaces » et les produire, autant que possible en Chine, sous licence.

L’alerte a peut-être été en partie entendue. Citée par Frédéric Lemaître, correspondant du journal Le Monde en Chine, le 11 janvier, Chang Zhaorui, chercheuse au centre national pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) a, au cours d’une conférence de presse, pour la première fois évoqué l’hypothèse d’une reprise des contrôles de circulation dans certains lieux confinés comme les gares, les supermarchés et les institutions s’occupant des enfants, des personnes âgées et des malades mentaux.

Mais la démarche qui passe par une scientifique relayée par la télévision d’État est cette fois moins brutale. Échaudé par les protestations de la fin novembre, le pouvoir, soucieux de ne pas donner l’impression de se déjuger par un nouveau coup de barre intempestif, ne fait pour l’instant que « suggérer » que les visiteurs présentent un test négatif de moins de 48 heures.

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Au milieu des hésitations, retour aux réalités.

Le moins qu’on puisse dire est que, partagé entre la rigidité idéologique de la fermeture étanche, fausse manœuvre destinée à démontrer la supériorité du système de gouvernance chinois sur celui des Occidentaux, et les risques que les énervements de la société se dilatent en une véritable contestation politique, le Parti flotte.

Sa stratégie brouillée par l’idéologie de rivalité avec l’Occident, hésite entre la tentation d’un nouveau confinement opposée à l’ouverture brutale récemment décidée sans préparation, et ce qu’il aurait dû faire depuis longtemps.

Au lieu de construire en un temps record des zones de confinement collectif pour isoler en masse les nouveaux contaminés identifiés par ses vastes campagnes de tests collectifs il aurait mieux fait de persuader la population de se faire vacciner, y compris par des vaccins ARN importés. Visant une très hypothétique éradication complète du virus, la stratégie avait été critiquée par le D^r Zhang Wenhong, 张文宏. Expert virologue devenu la coqueluche du public sur les réseaux sociaux, il préconisait au milieu de la rigidité officielle un assouplissement de la méthode.

Spécialiste des maladies infectieuses et peut-être un des virologues les plus populaires de Chine, il avait dès janvier 2021, exprimé des réserves contre la « stratégie – forteresse » de « zéro covid » qu’il avait assimilée à « une chasse aux souris dans un bazar chinois. »

Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Le 29 novembre immédiatement après la vague contestataire qui, imitant les manifestations politiques en Occident réclamaient la démission de Xi Jinping 习近平 下台, sans remettre en cause le régime, la Commission nationale de la santé relevant du Conseil d’État publiait un « Plan de travail pour le renforcement de la vaccination des personnes âgées contre le nouveau virus coronarien 关于加强老年人新冠病毒疫苗接种工作方案的通知- »

Très claire, la directive obligeait toutes les municipalités à « renforcer la vaccination COVID-19 des personnes âgées de 60 à 79 ans » et à « accélérer vaccination des personnes plus de 80 ans  ». Allant dans le détail, elle énumérait les contre-indications à la vaccination et précisait que l’intervalle de temps entre la vaccination et les rappels devait être supérieur à 3 mois.

Beaucoup de temps perdu.

A ce moment – c’était il y a déjà quinze jours -, mais tout de même presque deux ans après les remarques de bon sens de D^r Zhang Wenhong dont la parole avait pourtant été marginalisée, Xia Gang, responsable de la mise en œuvre du plan, avait à nouveau appelé « les amis âgés, en particulier ceux de plus de 80 ans, à se faire activement vacciner ».

Lire notre article de décembre 2021 qui soulevait les risques d’une vaccination insuffisante des séniors : Vaccination et stratégie du « zéro covid ». De la virologie à la propagande politique.

« Neuf mois après le début de la campagne de vaccination des seniors de 60 ans et plus, 50 millions d’entre eux ne sont toujours pas vaccinés. Dans certaines provinces le taux des personnes âgées non vaccinées est inférieur à 50%. Parfois, alors que 90% des étudiants ont reçu plusieurs doses, chez les plus de 80, ils sont seulement 30%.  » (…)

Le 30 novembre 2021, constatant ces retards, le DR Zheng Zhongwei 郑忠伟, responsable de la recherche médicale à la Commission de santé publique, avait déclaré « Si nous n’accélérons pas la campagne de vaccination pour les 50 millions de séniors non vaccinés maintenant, ils causeront un énorme problème de société lorsqu’une épidémie se reproduira. » (…) ;

Et « si l’épidémie se poursuivait, nos ressources médicales seront débordées », il s’est lancé dans une longue plaidoirie en faveur de la fiabilité des vaccins chinois, y compris pour les personnes atteintes de comorbidité. »

Les événements en Chine autour de la covid-19, commencées dans l’occultation des cas à l’automne 2019 et à l’hiver 2020, jusqu’au 23 janvier, sont des exemples chimiquement purs des effets néfastes de la féroce rivalité idéologique sino-américaine.

Alors que l’exécutif avait occulté l’émergence du virus, craignant qu’en Occident, il serait assimilé à une fragilité politique, il avait aussi interdit les échanges avec les virologues américains du CDC d’Atlanta. La rivalité systémique a aussi été à l’origine du choix improbable d’élimination complète du virus, sensé démontrer la supériorité de la « gouvernance chinoise »

A l’Académie des Sciences sociales, le chercheur Zhou Xinfa était sur cette ligne à la fois courtisane et politique : « Les difficultés des pays occidentaux pour mettre en œuvre des quarantaines efficaces sont fondamentalement dues aux déficiences de leur gouvernance, au cœur de leurs échecs  ».

Pandémie, nouvel an lunaire et risques politiques.

Deux années plus tard la relation entre les modèles politiques et l’efficacité des réactions à la pandémie resurgit en retour de flammes. Le choix idéologique initial de l’occultation de la réalité des contaminations, suivie d’une tentative de les éradiquer en bloquant la société et l’économie, fut et reste une erreur de stratégie. L’ouverture brutale sans précautions accompagnée d’un nouvel accès d’opacité qui inquiète l’OMS en est une autre.

La transparence et la souplesse auraient permis à la fois d’alerter le monde plus tôt et de réduire le taux de décès des séniors par l’utilisation massive des vaccins ARN occidentaux et leur production sous licence en Chine.

Alors que se profile le brassage de populations du Nouvel An chinois de l’année du Lapin, le 22 janvier, le risque existe d’une nouvelle explosion de cas dont les séniors mal vaccinés pourraient être les premières victimes.

Puisque le retour à un confinement strict paraît politiquement improbable, le meilleur scénario pour l’exécutif serait que, dans cette phase d’expansion virale dont les experts chinois disent que, dans certaines villes, elle aurait déjà atteint son pic, les mouvements de population et la promiscuité des voyages produisent une immunité collective qui épargnerait à l’appareil de nouvelles protestations.