Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

 Cliquez ici pour générer le PDF de cet article :

›› Economie

Entre l’enthousiasme du rebond et l’angoisse d’une crise systémique, des perspectives 2023 en demi-teinte

Le 15 janvier, à la bourse de New-York, les valeurs chinoises étaient retournées à la hausse, avec l’augmentation de 60% de l’indice Hang Seng Tech qui regroupe les titres des 30 premières sociétés technologiques chinoises enregistrées à la bourse de Hong Kong.

La ruée vers les valeurs chinoise signale que les investisseurs ont perçu un changement de l’environnement des affaires après le relâchement de la politique « zéro-covid. » Bloomberg estime cependant que la hausse qui n’a rattrapé que 50% de la valeur de février 2021, ne signifie pas un retour à la situation florissante d’avant la crise.

Alors que beaucoup jugent que le pire de la crise est passé, des doutes subsistent sur la liberté du marché sévèrement entravé par le contexte politique de « normalisation  » financière où les profits jugés excessifs sont devenus suspects.

La récente déclaration apaisante de Guo Shuqing, le secrétaire du Parti de la Banque de Chine affirmant que les mesures de régulation des débordements financiers seront bientôt terminées, n’a pas rassuré les sceptiques.

Le relâchement des restrictions imposées à DiDi Chuxing depuis dix-huit mois non plus. Beaucoup notent en effet que les harcèlements règlementaires des sociétés de tutorat d’aide à l’étude des jeunes chinois en amont de l’examen d’entrée à l’université, n’ont pas cessé.

Au-delà d’une réelle exigence de régulation, lire à ce sujet, l’arrière-plan de mise au pas politique, véritable motivation de l’appareil moteur de la charge contre les géants du numérique. Lire : Une reprise en main politique plus qu’une réforme économique

L’environnement ainsi créé où, chez les entrepreneurs, dominent la défiance et la crainte d’un contrecoup politique explique, qu’au-delà de l’enthousiasme de l’ouverture et de la reprise boursière, nombre d’analystes et de gestionnaires de fonds d’investissements restent prudents.

En décembre 2021 J-P Yacine écrivait « la prolifération des objectifs étatiques et le manque d’instruments efficaces pour les mettre en œuvre ont créé une nouvelle réalité de l’économie chinoise et du tissu productif. » (…)

La défiance politique a pris le pas sur l’élan d’entreprise : « Chaque entreprise regarde par-dessus son épaule pour se conformer, voire anticiper, les objectifs changeants des autorités suprêmes. » (…) « Dans un contexte où les changements de règles sont abrupts, aléatoires, souvent discriminatoires, ce qui est aujourd’hui à l’œuvre n’est pas une réforme économique, mais une reprise en main politique.  »

L’angoisse d’une crise systémique.

Les dernières nouvelles macro-économiques et l’annonce d’un recul de la démographie (voir notre éditorial) ajoutent au sentiment que le pays entre dans les eaux mal balisées d’une crise systémique.

Avec une croissance officielle de seulement +3% en 2022, le pays, frappé par le ralentissement global et les contrecoups de sa politique « zéro-covid » enregistre l’une de ses performances annuelles les plus faibles depuis 1976. Le Bureau National des Statistiques a cette fois clairement annoncé que la situation restait précaire, en prenant cependant soin d’attribuer en partie la panne au facteur extérieur d’un stagnation globale.

« La base de la reprise économique intérieure n’est pas solide car la situation internationale est toujours compliquée et grave alors que s’exerce toujours la triple pression intérieure de la contraction de la demande, du choc de l’offre et de l’affaiblissement des perspectives  ».

Carlos Casanova, économiste chez le Suisse UBP souligne aussi qu’il est rare que les chiffres de croissance soient aussi éloignés des objectifs officiels. Néanmoins, en dépit des inquiétudes nées de la contraction des excédents commerciaux en novembre et décembre, respectivement à seulement +69,25 Mds de $ et +78 Mds de $, après un pic à en juillet 2022 à +101,86 Mds de $, le réacteur de croissance du commerce extérieur a quand même tourné à plein régime.

En 2022, alors que les exports n’ont augmenté que de +7%, la très faible croissance des importations à seulement +1% due à la baisse de l’activité et de la demande intérieure, est à l’origine d’un bond spectaculaire de l’excédent commercial en 2022 à +877,6 Mds de $, une hausse de près de 30% par rapport au surplus de 2021 à 676 Mds de $.

Alors que le commerce avec les États-Unis et l’UE s’est respectivement contracté 19,5% et 17,5%, une part importante de la croissance du surplus s’est construite grâce au commerce avec les pays de l’ASEAN [1] et une explosion des ventes de véhicules électriques.

Enfin, rappelant que le chômage des jeunes restait à plus de 16%, essentiellement dû à la rigueur des mises aux normes du secteur des industries numériques ayant même obligé les fleurons Alibaba, Tencent et Huawei à réduire leurs effectifs au premier semestre, il est nécessaire de rappeler la persistance des fragilités structurelles du schéma économique.

++++

L’immobilier au cœur des tensions structurelles.

En premier lieu, en l’absence d’un système financier totalement fiable peu rémunérateur, pollué par la persistance des abus de la « finance grise » et l’existence de montagnes de dettes non recouvrables contractées par les gouvernements locaux auprès de banques locales, il y a, au cœur des dysfonctionnements, la part excessive dans le PNB, évaluée à 29%, de l’immobilier vu jusque récemment par les ménages à la fois, au mieux comme un investissement lucratif, au pire comme un refuge sans risques.

Frappés de plein fouet par la crise de liquidités, les développeurs immobiliers en panne de projets ont cessé de financer par leurs achats de terrains les collectivités locales dont les revenus ont chuté de 30% au premier semestre 2022. Dès lors, la machine qui se nourrissait de la garantie implicite de prix immobiliers en constante augmentation et de dettes dont la valeur a commencé à dépasser celle des projets associés, se grippe.

La réaction en chaîne menace la stabilité des banques locales pourvoyeurs de crédits, elles-mêmes surendettées, dont ces dernières années, plusieurs on fait défaut. Au cours des douze derniers mois le BNS a compté 99 faillites ou défauts de paiement à termes.

Sur la fragilité et le désordre des banques locales, lire nos articles longée dans les arcanes contradictoires de la finance chinoise et Désordres bancaires, crise immobilière sur fond de corruption. Avis de coup de tabac socio-économique.

Pour Michael Pettis, professeur de finance à la Guanghua School of Management de l’Université de Pékin, cela signifie, entre autres, que même si le marché immobilier se redressait en 2023, la reprise ne sera que partielle et temporaire.

À moyen terme, les prix de l’immobilier continueront de baisser, augmentant les risques de défaillances des développeurs et des banques, asséchant au passage les finances locales.

Tant que ne sera pas traité le problème systémique, il ne pourra y avoir de stabilisation permanente du secteur immobilier. La racine des dysfonctionnements plonge dans deux habitudes que l’appareil peine à corriger.

Celle de financer des budgets locaux par la vente du foncier aux développeurs et celle d’allouer des ressources sans tenir compte du marché, pour alimenter une croissance d’affichage politique par des investissements dont la valeur ajoutée est médiocre ou nulle.

A côté du vaste problème immobilier (lire : Evergrande, un « cygne noir » dans la routine des analyses convenues) dont les secousses menacent à la fois la santé financière de nombreuses banques locales et l’harmonie sociale, une autre vulnérabilité du système politique que le Parti n’a, en dépit de son discours sur « la prospérité commune 共同富裕 » jamais réussi à corriger, reste le partage inégal de la richesse.

L’écart de richesses, un dangereux angle mort du régime.

Avec des effets indirects freinant la possibilité d’augmenter la consommation intérieure limitée par le très important taux d’épargne, l’écart de richesse entre les plus pauvres et les 10% les plus fortunés détenant 70% de la richesse totale des ménages, se lit dans le rang très reculé au classement du PIB par habitant où, à la 70e place, la Chine voisine avec la République dominicaine, le Brésil, le Botswana et l’Irak.

En mai 2020, lors de la réunion annuelle de l’ANP organisée en visio-conférence avec deux mois de retard pour cause de pandémie, le premier ministre Li Keqiang qui avait agacé le Président Xi Jinping, dont « le rêve de puissance » s’accommode mal de la vérité des faits, avait souligné que 600 millions de Chinois (40% de la population) vivaient avec 1000 Yuan (145 US $) par mois.

Le constat croise celui de Thomas Piketty dont le livre « Capitalisme et idéologie », publié en septembre 2019, aux éditions du Seuil, également publié en mars 2020 par Harvard University Press a été censuré par Pékin. On comprend pourquoi.

Soulevant sans précautions le voile opaque de la propagande édifiante « du rêve chinois  », il explique en effet que « Le désastre communiste a été si grand qu’il a même éclipsé les dommages causés par les idéologies de l’esclavage, du colonialisme et du racisme et a obscurci leurs liens étroits avec les idéologies de la propriété et de l’hyper-capitalisme - ce n’est pas une mince affaire - »

Un autre passage ayant mis la direction du pays et les éditeurs en émoi explique que les sociétés post-communistes dont la Chine « légèrement moins inégalitaire que les États-Unis et nettement plus que l’Europe, sont devenues les alliés les plus fidèles de l’hyper-capitalisme  », (…).

Enfin, agressant violemment le narratif et les mythes fondateurs du régime qui honore encore la mémoire de Mao dont le portrait orne toujours la porte sud de la Cité Interdite et dont la dépouille embaumée exposée dans son mausolée sur la place Tian Anmen est visitée chaque année par des dizaines de milliers de Chinois, il ajoute que la situation est la « conséquence directe des désastres du stalinisme et du maoïsme ».

Perspectives 2023.

À court terme, même si à Davos Liu He a souligné l’étonnante rapidité des guérisons, la persistance de la pandémie qu’il n’a pas éludée, porte le risque d’un chaos créé par la mauvaise préparation vaccinale du pays. Alors que l’assouplissement brutal des restrictions est un soulagement attendu depuis longtemps, sa soudaineté sans préparation a pris au dépourvu le public et l’administration non préparés et livrés à eux-mêmes.

La réouverture brutale a déclenché une vague de cas de Covid qui menace de submerger le système de santé, freinant la consommation et la production. Déjà, la propagation rapide des infections a poussé de nombreuses personnes à se re-confiner laissant les commerces et les restaurants avec peu de clients. Certaines usines gênées par le nombre de personnels malades ont été contraintes de fermer ou de de réduire leur production.

La situation conduit nombre d’analystes à prévoir une stagnation de la croissance au premier trimestre 2023, avant une reprise plus solide en mars.

Alors que les ventes immobilières en valeur ont chuté de plus de 26% en 2022, et que les investissements dans le secteur se sont contractés de 9,8% le secteur socialement sensible sera un des objectifs prioritaires du plan de relance 2023.

Plus largement la plupart des prospectives tablent sur une croissance de l’année du Lapin inférieure à 5%.

En énergie, l’exécutif continuera ses efforts vers une baisse des émissions de CO2 en focalisant ses priorités sur l’électronucléaire, les centrales modernes à captation de carbone et sur les renouvelables (éoliens et solaires).

La priorité de dé-carbonisation induira aussi un renforcement des investissements pour l’achat et le contrôle à l’étranger des mines de Lithium et de métaux liés à la fabrication des batteries. En même temps le secteur pétrolier entièrement public, confronté à la contraction de la demande, basculera ses investissements vers le secteur de la pétrochimie.

Les secteurs de l’agriculture et de la sylviculture, de l’information, du numérique et des loisirs, de la finance et des banques, de la logistique du stockage et des transports resteront protégés.

Enfin, aussi longtemps que la structure économique du pays n’aura pas effectué l’ajustement vers une meilleure distribution de la richesse par des bascules budgétaires vers les dépenses de santé et les retraites, l’important taux d’épargne limitera le consommation des ménages à une part du PIB (37,6 %) très inférieure à celle des États-Unis (66 %) et de l’Europe, où elle varie entre 41% au Luxembourg et 79% en Grèce, en passant par 71% en France.

 

 

Restaurer la confiance des Occidentaux, l’insistante priorité du régime

[5 avril 2024] • François Danjou

La reprise est difficile et le chemin du réajustement socio-économique laborieux

[23 février 2024] • François Danjou

Dans l’urgence d’un branle-bas, He Lifeng prend la tête de la Commission Centrale des finances

[8 novembre 2023] • Jean-Paul Yacine

Freinage. Causes structurelles ou effets de mauvais choix politiques. Doutes sur la stratégie de rupture avec la Chine

[19 octobre 2023] • François Danjou

Essoufflement de la reprise. Coagulation des vulnérabilités systémiques. Baisse durable de la confiance

[13 août 2023] • François Danjou