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›› Chronique

« Piège de la dette. » La Zambie et le Sri Lanka, deux étapes des « Nouvelles routes de la soie » en cessation de paiement

L’analyse qui suit revient sur deux points d’application de la stratégie des « Nouvelles routes de la soie » en Asie du Sud et en Afrique, déjà analysés par QC au printemps 2021. Lire : Qu’en est-il du « piège » chinois de la dette ?.

Examinant les rapports de la Chine avec la Zambie et le Sri Lanka, elle focalise notamment sur l’épineuse question du « piège de la dette » principal angle d’attaque des contempteurs des stratégies extérieures de la Chine accusée de plonger les pays en développement dans d’inextricables enchevêtrements d’emprunts.

Dépassant leurs capacités budgétaires de remboursement, l’accumulation de dettes place les pays débiteurs dans une situation de dépendance financière dont Pékin tire profit pour s’approprier les ressources minières locales ou/et construire une influence politique qui vassalise les autorités locales.

Alors que la crise pandémique mondiale a aggravé les déficits budgétaires des pays en développement, le retour d’analyse concentre le projecteur sur la manière dont Pékin, pressé par le souci de son image dans sa clientèle du Tiers-Monde, accepte en dépit de ses réticences de principe (lire l’Annexe), de coopérer avec le FMI et les autorités locales pour participer au sauvetage des finances locales.

La Zambie, un exemple de coopération internationale chinoise.

Au milieu de sévères controverses sino-américaines également évoquées dans l’Annexe, la restructuration de la dette de la Zambie paraît en voie de règlement amiable par un accord entre le FMI et la Chine. En même temps, à la rédaction de cette note, le cas du Sri Lanka était encore enveloppé de fortes incertitudes alors que Pékin donne le sentiment de vouloir jouer cavalier seul.

Le 25 janvier, en visite en Zambie la Directrice Générale du FMI Kristalina Georgieva déclarait que le FMI était parvenu à un accord de principe avec la Chine pour restructurer la dette de la Zambie. En même temps, ultime pression sur Pékin, elle exhortait les créanciers à «  faire leur part  » pour conclure un accord. « La Zambie a fait sa part de réformes et a obtenu de très bons résultats. Il est maintenant temps pour les créanciers de faire la leur.  » [1]

En dépit des réticences chinoises de principe à renoncer au remboursement des prêts accordés, Kristalina Georgieva affirmait que Pékin accepterait une réduction de la Valeur Actuelle Nette de ses engagements (VAN mesure la rentabilité à terme d’un investissement), le report significatif des échéances et la réduction des intérêts exigés sur les 6 Mds de ses prêts accordés par la Chine.

Alors qu’en 2020, la Zambie fut le premier pays africain à faire défaut au milieu des affres économiques de la pandémie – tandis que le Tchad et l’Éthiopie demandaient également l’aide du FMI -, les négociations avec Lusaka se sont débloquées quand, au printemps 2021, le FMI lui a accordé un prêt de 1,4 Mds de $ sur 38 mois avec un premier décaissement de 185 millions de $, à la suite des déclarations de la Chine et de la France qu’elles accepteraient de renégocier la dette de la Zambie.

Selon le FMI, la condition du prêt était que les autorités zambiennes éliminent les subventions sectorielles sur les carburants et l’agriculture et suppriment les investissements publics sans valeur ajoutée tout en augmentant les recettes fiscales.

L’objectif étant de se donner une marge budgétaire pour augmenter les dépenses sociales d’un pays où l’espérance de vie moyenne est de 60 ans (hommes 59 ans, femmes 65 ans) où la mortalité infantile est de 6,6 pour mille – elle est de 3,8 en France -), où 60% de la population n’a pas accès à l’électricité, 77% est privée d’eau potable et 46% ne connaît pas Internet.

Un an plus tard, en avril 2022, Lusaka a également obtenu de nouveaux prêts de la Banque Mondiale pour une valeur de 560 millions de $. Sachant que ces secours financiers sont assortis de sévères mesures de restructuration socialement et politiquement difficiles à imposer, il restera à vérifier si la purge ne conduira pas à une nouvelle instabilité politique.

Enfin, si on élargit la focale on voit que les engagements financiers chinois se sont contractés, en partie non seulement à la suite de la crise épidémique, mais également d’un regain de prudence. Entre 2000 et 2020 les banques publiques chinoises ont été les principaux prêteurs aux pays pauvres de la planète pour financer des exploitations minières en même temps que les infrastructures de transport et d’énergie avec une apogée en 2016 de 151 projets pour 80 Mds de $.

Mais en novembre 2022, Xi Jinping notait au cours d’une réunion du Bureau Politique que la situation internationale devenant de plus en plus « complexe » il devenait nécessaire de se prémunir contre les risques financiers en augmentant la coopération avec des partenaires sur les projets des « Nouvelles routes de la soie ».

Dans la foulée, les banques publiques ont drastiquement réduit les prêts pour de nouveaux projets dans les pays à faible revenus, tout en s’appliquant à mettre au clair leurs situation existantes. Il reste que 60% des prêts sont aujourd’hui encore détenus par des pays en détresse financière, alors qu’en 2010, trois années avant le lancement des Nouvelles routes de la soie, ils n’étaient que 5%. (WSJ du 26 septembre 2022).

Selon Ammar A. Malik de AidData à la tête d’un programme qui traque les flux financiers non officiels, 35% des projets des Nouvelles routes de la soie font face à des défis de mise en œuvre opérationnelle, liés à des problèmes d’environnement, de scandales de corruption ou de violations des lois du travail.

Si avec la Zambie un accord avec le FMI est à l’œuvre, au Sri Lanka qui en avril 2022, privé des ressources du tourisme du fait de la pandémie, déclarait qu’il suspendait tous les paiements de sa dette extérieure de 52 Mds de $, un arrangement paraît plus difficile.

Au Sri Lanka, le « cavalier seul » de Pékin, sur fond de rivalité avec New-Delhi.

Le 24 janvier, l’EximBank chinoise a offert à Colombo un moratoire de deux années pour le paiement de sa dette et assuré le nouveau président qu’elle l’appuierait auprès du FMI pour obtenir un prêt de 2,9 Mds de $, dans le contexte où Pékin et New-Delhi se livrent sous l’œil de Washington, une féroce compétition d’influence.

Dans cette île de 22 millions d’habitants située au sud de l’Inde, chasse gardée traditionnelle de New-Delhi, à la jonction de l’Océan indien et du Golfe du Bengale, sur la route commerciale vers la mer d’Arabie et le Moyen Orient, Pékin a récemment gagné en influence.

Les hésitations et les rivalités des anti-chinois sont telles qu’il a été impossible d’enrayer la dynamique d’endettement de 53 Mds de $ d’emprunts et, en 2019, la cession à bail à Pékin pour 99 ans du port d’Hambantota au cœur d’une zone industrielle de 60 km2.

Alors que l’Inde deuxième prêteur avec la Chine a offert d’appuyer Colombo auprès du FMI, les Sri Lankais attendent toujours la caution de Pékin dont les banques ont au total un encours de dettes augmentées à 7,4 Mds de $ soit 14,5% de la dette de l’Île.

Alors qu’il est clair que Pékin et New-Delhi qui a aussi prêté 2,4 Mds de $ en janvier et mars 2022, sont engagés dans une rivalité d’influence, un officiel sri-lankais anonyme commentait la situation en exprimant une déception à l’égard de Pékin « On attendait plus des Chinois, c’est le minimum qu’ils pourraient faire ».

Mais le 3 février, Pékin qui estime avoir assez aidé Colombo avec son moratoire, exigeait, par la voix de la porte-parole Mao Ning que les autres prêteurs (Inde, Club de Paris, FMI et Banque Mondiale) fassent de même.

++++

ANNEXE.
Le « piège de la dette » Une mise en perspective de la RAND.

En janvier 2020, un rapport détaillé de la RAND Corporation, intitulé « Démystifier l’initiative “la Ceinture et la Route“, clarifier ses principales caractéristiques, ses objectifs et ses impacts » mettait en perspective les critiques sous un angle moins négatif.

Après le lancement en 2013 au Kazakhstan de la vaste stratégie des « Nouvelles routes de la soie » par le Président Xi Jinping, la Direction chinoise a tardé à prendre en compte les alertes pointant du doigt les dangers du « piège de la dette » générés par les prêts consentis au taux moyen de 4% sur des périodes de dix à dix-huit ans par les banques chinoises (essentiellement Exim Bank et China Development Bank avec la participation croissante des autres banques publiques, dont la Banque de Chine, la Banque de l’Industrie et du Commerce et la Banque de Construction).

Au total la somme prêtée par la Chine atteint environ 950 Mds de $ pour financer près de 14 000 projets dans 147 pays différents, mis en œuvre à 50% par des entreprises publiques. La proportion des contrats alloués aux entreprises publiques monte à 70% si on la mesure en coûts réels (source gouvernement chinois mars 2022).

Après avoir passé en revue les principaux reproches adressés aux « Nouvelles routes de la soie » par nombre d’observateurs – accès privilégié aux marchés et aux ressources des pays cibles ; utilisation de la main d’œuvre chinoise importée ; “piège de la dette“ ; projets non rentables ; faible prise en compte du “développement durable“ ; intentions politiques cachées – les auteurs rappellent que la plupart des critiques pourraient concerner n’importe quel projet de développement et soulignent que Pékin s’est efforcé de corriger les principaux points d’achoppement.

En conclusion, sans nier les dysfonctionnements ni l’impression donnée d’une prise de contrôle des pays en développement ou du Tiers-Monde et de leurs ressources par le biais de financements, le rapport réfutait l’idée d’une intention initiale cachée et insistait sur les efforts chinois pour corriger la mauvaise réputation laissée par les empiètements chinois.

Parmi les plus évidentes corrections de trajectoire on note la réduction de la main d’œuvre chinoise importée à seulement 20% du total. Pékin a également cherché à répondre à l’accusation d’avoir attiré ses partenaires dans un « piège » financier en développant un système de viabilité de la dette calqué sur l’approche de la Banque mondiale en matière de prêt et d’assurances.

Commentaire de QC.

L’étude de la RAND a l’avantage de mettre en perspective les stratégies chinoises d’influence par le moyen des dettes en focalisant aussi sur l’apport des groupes publics aux économies en développement asphyxiées par la faible circulation des capitaux et le cloisonnement géographique.

Il est incontestable que les projets d’infrastructure de transport ouvrent des zones entières, tandis que les investissements produisent des emplois. Plus encore, depuis 2017, Pékin a sérieusement corrigé sa stratégie, se réclamant des conseils du FMI pour rectifier l’image d’un engagement uniquement articulé à l’importation de ressources minières brutes, dont la part dans les achats chinois approche toujours 60%.

Depuis 2013, Pékin a multiplié les actions humanitaires médicales. En Afrique par exemple, l’image de puissance généreuse et désintéressée est affinée au fil des sommets Chine - Afrique organisés tous les trois ans depuis 2000, dont le dernier a eu lieu au Sénégal. Lire : L’Afrique, la Chine et l’Europe.

En 2018, une étude de Harvard mise en ligne par le Département d’État reconnaissait l’invasion des produits chinois, les bénéfices engrangés par les groupes de constructions employant une majorité de chinois, le non-respect du droit du travail dans certaines régions minières comme la Zambie, en même temps que l’accumulation des prêts dangereux pour l’équilibre budgétaire de pays insolvables.

Mais s’appliquant à considérer l’autre face du problème, le travail mettait en lumière les bienfaits de l’aide chinoise réputée sans conditions politiques d’obédience à la démocratie ou aux droits humains et dont Wang Yi le MAE a répété lors de son passage au Kenya en 2015, qu’elle « se garderait absolument de suivre le même chemin que les anciennes puissances coloniales, ne sacrifierait pas l’environnement et se focaliserait sur les intérêts de long terme de la Chine et de l’Afrique. »

Joignant le geste à la parole Pékin s’est engagé dans des projets de formation professionnelle et d’aide à la création d’entreprise. En même temps, les engagements chinois pour les projets d’infrastructure des «  nouvelles routes de la soie » ont été notablement réduits.

*

En réalité, force est de reconnaître que malgré les efforts de Pékin pour rectifier son image, il y a encore loin de la coupe aux lèvres. La Zambie notamment où l’action chinoise dans les mines a été émaillée de très sévères discordes ayant plusieurs fois provoqué des émeutes avec échange de coups de feu et des victimes parmi les populations locales, est un des pires exemples des difficultés des groupes chinois à s’extraire de leur stratégie d’extraction pour des bénéfices à court terme.

Par ailleurs, il n’est pas tout à fait exact d’affirmer que l’action chinoise est débarrassée d’arrière-pensée politique. L’ambition de concurrencer l’influence des anciennes puissances coloniales et l’exigence de « bonne gouvernance » est au contraire partie intégrante du discours de Pékin, qui résonne de manière positive dans les pays où prévalent les tendances autocrates.

Enfin l’intention stratégique de Pékin est inscrite dans la montée en puissance des points d’appui militaires à l’Ouest de Djibouti et en Guinée équatoriale sur la façade atlantique de l’Afrique. Sur ce terrain, la rivalité s’exprime aussi par les visites concurrentes des haut-responsables américains. En novembre 2021, le sommet Chine – Afrique a suivi de peu la tournée d’Antony Blinken au Kenya, au Nigeria et au Sénégal.

La rivalité sino-américaine se dilate en Afrique.

A la mi-décembre 2022, lors du sommet organisé à Washington avec 49 pays africains et l’Union Africaine, alors que le commerce Chine – Afrique est quatre fois celui de l’Amérique (254 contre 64 Mds de $) et que les prêts consentis en 2021 par les banques publiques chinoises depuis 2000 ont atteint dix fois la valeur des prêts américains (79 contre 7,2 Mds de $, avec cependant une brutale décrue depuis le pic de 2016 à 28,4 Mds de $ pour seulement 1,9 Mds de $ en 2020), Joe Biden s’est payé le luxe d’un rare discours où se mêlait la contrition et l’espoir.

Abordant d’abord ce qu’il a appelé, « Le péché originel de la relation de l’Amérique avec l’Afrique. Notre peuple est au cœur du lien profond qui unit à jamais l’Afrique et les États-Unis » (…) « Nous nous souvenons que les hommes, les femmes et les enfants volés ont été amenés sur nos côtes enchaînés, soumis à une cruauté inimaginable  », il a ensuite honoré les descendants et la communauté de la diaspora africaine aux États-Unis.

Trois semaines plus tard, le 26 janvier la secrétaire d’État au trésor Janet Yellen était en Afrique du sud où elle visitait une usine d’assemblage du groupe Ford qu’elle citait en exemple de la coopération entre Washington et l’Afrique. L’étape marquait la fin d’un périple qui l’a également conduite au Sénégal et en Zambie.

Elle aussi a élevé son discours à hauteur de l’espérance du potentiel économique de l’Afrique, voilant à peine la rivalité stratégique sino-américaine, dans un contexte où les intrusions sauvages du « groupe Wagner » prisés par certains pays du Sahel pour son efficacité contre les « djihadistes  » ajoute encore à la complexité des rivalités d’influence.

« La stratégie des États-Unis envers l’Afrique est centrée sur la simple reconnaissance que l’Afrique façonnera l’avenir de l’économie mondiale  » (…) « Nous savons qu’une Afrique prospère est dans l’intérêt des États-Unis. Une Afrique prospère signifie un grand marché pour nos biens et services. »

Le 23 janvier 2023, à Lusaka, Yellen a évoqué la question des dettes de la Zambie et appelé la Chine à un moratoire alors que le pays avait, en 2020 manqué les échéances du paiement des intérêts de 42,5 millions d’un prêt de 3 Mds de $ ayant précipité la faillite l’un des plus puissants producteurs de cuivre du pays.

Alors que les prêts chinois estimés à 6 Mds de $ soit 35% de la dette du pays à plus de 17 Mds de $ et que la Banque chinoise de développement avait déjà accepté de différer une première fois le paiement des intérêts du prêt jusqu’en avril 2021 – ce qui en réalité ne fait que reporter les tensions de quelques mois – Yellen s’est attirée une réplique acerbe du Waijiaobu, exprimée par l’Ambassadeur de Chine à Lusaka.

La répartie replaçait le sujet à hauteur de la rivalité globale sino-américaine. « La meilleure contribution que les États-Unis pourraient faire pour alléger la question de la dette serait de se préoccuper de ses propres déficits pour éviter un défaut de paiement intérieur dont les répercussions auraient des effets sur l’économie globale ».

Note(s) :

[1Alors que nombre de critiques focalisent sur l’importance de la dette due à la Chine (30% du total, utilisés à 70% pour des projets d’infrastructure de transport et d’énergie pour la période 2000 - 2018) et que Pékin s’est d’abord montré réticent à participer à des réunions bilatérales du Comité des créanciers, il est important de préciser que Lusaka a aussi bénéficié des obligations de l’UE (EuroBonds), des prêts de la Banque Mondiale et de la Banque Africaine de développement pour un montant total cumulé équivalent aux prêts chinois.

Par ailleurs s’il est exact que Pékin a finalement accepté de se joindre au Comité des créditeurs essentiellement pour tenir à distance les critiques qui l’accusent de jouer cavalier seul, il faut rappeler qu’au cours de la période 2000-2018, Pékin a déjà plusieurs fois annulé la dette de Lusaka à concurrence de 250 millions de $, soit plus que les 151 millions d’annulation des membres du Club de Paris (22 pays d’Europe dont la Suisse et d’Amérique du Nord + la Russie + Israël, le Japon, la Corée du sud et le Brésil). En 2020, Pékin avait, dans un accord non rendu public, déjà reporté le paiement des intérêts de la dette de Lusaka.

 

 

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