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Un vent chinois s’est levé au Moyen Orient

Dans cette région du Levant, enflammée par la rivalité entre Sunnites et Chiites, Pékin vient de faire la spectaculaire démonstration de sa capacité opportuniste à saisir au vol les angoisses du régime iranien affaibli par une puissante crise politique interne poussé au bord de la cessation de paiement par les sanctions américaines, et les craquements de l’influence de Washington en Arabie saoudite où Mohamed Ben Salmane modernise le pays à marche forcée en s’écartant de la vieille connivence pétrolière avec les États-Unis. Lire : A Ryad, la Chine anti-occidentale et dépendante du pétrole arabe ébranle l’ambiguïté de la prévalence américaine.

Le 11 mars, à Pékin, 24 heures après le serment d’investiture de Xi Jinping à l’orée de son troisième mandat adoubé par le vote unanime de 2952 délégués présents de la 14e Assemblée Nationale Populaire, Wang Yi mettait magistralement en scène la capacité de la Chine à s’insinuer avec succès sur les plates-bandes de l’Amérique au Moyen Orient.

L’image de Wang Yi, n°1 de la diplomatie chinoise connu pour la fermeté de ses positions souverainistes et sa rhétorique combative de réaction à Washington, souriant au milieu d’Ali Shamkhani, secrétaire général du Conseil National de sécurité de Téhéran et son homologue saoudien Musaad bin Mohammed al-Aiban a fait le tour du monde.

Bien joué. Alors que Washington a en 2011 basculé son centre de gravité stratégique vers le Pacifique occidental, Pékin vient d’opérer une riposte au beau milieu des chasses gardées américaines. Lire : L’Iran, enjeu historique du défi chinois à Washington.

Sous le patronage de Pékin, l’Iran chiite et l’Arabie saoudite sunnite féroces rivaux du monde islamique ont promis de rétablir leurs relations diplomatiques interrompues depuis sept années émaillées de sévères tensions.

Le succès direct de cette manœuvre vertueuse en harmonie avec le discours chinois promoteur de paix et d’harmonie globale a été attribué à Xi Jinping dont l’image de « faiseur de paix » dans l’ancienne chasse gardée américaine contraste cependant avec ses raidissements diplomatiques agressifs sans concession visant l’Occident et ponctués par ses revendications de souveraineté inflexibles en mer de Chine du sud et dans le Détroit de Taïwan.

En très forte dissonance avec la bienveillance chinoise au Moyen Orient, la vindicte accusant l’Amérique et l’Occident d’attiser une escalade vers une guerre totale par ses pressions stratégiques visant à freiner l’élargissement de la trace chinoise, s’est exprimée par les discours du Président X Jinping et du nouveau MAE Qin Gang lors de la 14e Assemblée Nationale Populaire (lire : Mise scène politique de la 14e ANP. Loyauté toujours. Compétence souvent).

Les crispations résolument anti-occidentales se développent sur un fond idéologique et stratégique pro-russe de plus en plus clairement affirmé, après qu’en mars 2022, Pékin avait refusé d’endosser, sans cependant voter contre, la condamnation onusienne proposée par Washington de l’agression russe contre l’Ukraine. Lire : Conflit ukrainien. L’ambiguïté chinoise.

Appuyant l’idée du rôle essentiel joué par Xi Jinping, la presse chinoise rappelle que le Président a récemment accueilli à Pékin son homologue iranien après une visite officielle à Ryad en décembre dernier, où il avait également rencontré les pétromonarchies du Golfe.

Une autre photo emblématique de l’augmentation de l’empreinte globale de la Chine fut celle prise le 9 décembre à Ryad, montrant Xi Jinping entouré des membres du Conseil de Coopération du Golfe avec le Qatar, le Koweit, Bahrein, Oman et les Émirats.

A cette occasion, le président chinois avait répété sa proposition de payer en Yuan chinois les achats de pétrole de la Chine. Dans le même temps, à l’ONU, le Forum Sino-arabe (CASCF) évoluait progressivement vers une position systématiquement favorable à la Palestine contre les États-Unis et Israël.

Réalités visibles et dessous de cartes.

En réalité, la décision de normaliser les liens diplomatiques vient après deux années de négociations entre Téhéran et Ryad et au moins cinq sessions de pourparlers au milieu de l’instabilité politique du Moyen Orient.

A l’instar des principes sans cesse mis en avant par la diplomatie chinoise, les deux ministres des AE, le saoudien Faisal bin Farhan Al-Saud et l’Iranien Hossein Amir Abdollahian ont publiquement rappelé que les fondements a minima de l’accord étaient «  Le bon voisinage, comme garantie de sécurité », « Le respect de la souveraineté des États » et « L’exigence de résoudre les différends par le dialogue ».

Touchant à des conflits en cours au MO livrés par procuration entre Téhéran et Ryad, l’accord conclu à huis-clos à Pékin, comprend la promesse de Ryad de réduire les critiques de l’Iran diffusées à jets continus en Farsi par la chaîne « Iran International  » et de cesser de bombarder le Yemen.

En contrepartie, Téhéran a accepté de mettre fin à ses appuis aux rebelles Houtis. D’obédience chiite ces derniers contestent le pouvoir central sunnite à Sanaa, lui-même soutenu par Ryad, les pays du Golfe, les États-Unis, la Turquie, l’Europe occidentale, la Malaisie, la Somalie et l’Érythrée.

Tous accusent l’Iran de déstabiliser les pouvoirs en place et leurs instruments institutionnels en appuyant les groupes terroristes d’opposition.

Pour nuancer la performance de médiation chinoise également cautionnée par le Président Biden, rappelons que, facilitant la promesse iranienne, Sanaa et les Houtis ont conclu une trêve qui dure depuis une année.

Par ailleurs, impossible d’ignorer ses intérêts pétroliers concrets de Pékin développés dans la région, même s’il est exact que la médiation chinoise contribue, à la fois à apaiser les tensions et à élever le statut international de la Chine.

Réfutant l’idée d’une manœuvre intéressée, Pékin présente l’accord à l’aune de sa bienveillante générosité, l’inscrivant désormais comme toutes ses initiatives internationales dans les concepts vertueux de sécurité et de développement à vocation globale (GDI et GSI).

Intérêts économiques de Pékin et fragilités de l’accord.

Alors que le premier fournisseur de pétrole de la Chine reste l’Arabie saoudite avec 84 millions de tonnes annuelles – au même niveau de la Russie à 83 millions de tonnes – loin devant l’Iran à 17,8 millions de tonnes y compris les ventes indirectes échappant aux sanctions – les liens économiques avec Téhéran restent importants.

Même si la récente visite du président iranien à Pékin a révélé sa frustration d’un accord bilatéral jusqu’à présent mis en œuvre à un niveau très éloigné des promesses, les choix de Téhéran sont limités. Pékin est son premier client d’hydrocarbures et son premier investisseur.

Lire nos deux analyses, la première sur l’ampleur des accords amplement relayés par les médias chinois : Chine, Iran, États-Unis : Avantage Pékin. Retour sur la longue histoire entre la Perse, l’iran des Ayatollahs et la Chine ; la deuxième sur les déceptions iraniennes moins bien analysées en Chine : Les limites de l’accommodement des contraires au Proche Orient.

La dernière partie de l’analyse qui fait appel aux expertises des spécialistes de la région et des diplomates de tous bords, examine les chances que l’accord soit, comme le craignent nombre de critiques, autre chose qu’une mise en scène.

Depuis Israël, Yitzhak Shichor, professeur de sciences politiques et d’études asiatiques à l’université de Haïfa expert de la Chine qui souligne le désaccord de Benjamin Netanyahu dont les menaces militaires contre le programme nucléaire iranien sont connues, analyse l’accord comme « une opportunité saisie par la Chine pour prendre l’Amérique à contrepied sur son terrain. »

Il ajoute qu’il est trop tôt pour juger de son efficacité d’apaisement durable contribuant à une stabilisation du Moyen Orient, alors même « qu’aucune des causes de tensions entre les deux ne semble avoir été discutée ». Il note cependant que l’accord pourrait aider les Saoudiens à s’extirper du bourbier yéménite. A Ryad on espère aussi que grâce à ses liens économiques, la Chine pourrait inciter Téhéran à stopper ses actions de déstabilisation.

A Téhéran, il offre la perspective d’apaiser ses relations extérieures au moment où sa situation intérieure est sérieusement ébranlée, tandis que son rapprochement avec Moscou n’a apporté aucune une aide substantielle, et que la vente de ses drones à la Russie ajoutée à la brutale répression intérieure contre les femmes ont réduit la perspective d’un redressement rapide de ses relations avec Washington.

Un premier objectif concret a été atteint quand, immédiatement après l’annonce du 11 mars, le Rial, la monnaie iranienne, s’est redressée de 10% à 450 000 Rial pour un $.

Mortelles hostilités.

Depuis le CSIS de Washington, Jon Alter-man, expert du MO, souligne que l’accord donne à Pékin le sentiment que la règle américaine n’est plus le seul standard international et la seule option de règlement des différends pour améliorer la sécurité de la région.

Mais il rappelle que la réouverture des ambassades ne suffira pas à apaiser les tensions entre Ryad et Téhéran enkystées depuis des décennies et dont il faut rappeler qu’elles avaient été sérieusement envenimées le 2 janvier 2016 quand le religieux shiite Nimr al-Nimr avait été exécuté par décapitation à Ryad en même temps que 47 autres condamnés à mort pour terrorisme.

Dans la foulée, à Téhéran l’ambassade d’Arabie Saoudite avait été investie et pillée par des manifestants.

Cette mémoire funeste rappelle que l’accord de Pékin ne saurait être durable sans la caution des Gardiens de la révolution, dont l’influence dans la région est articulée à l’action armée directe confinant au terrorisme.

Dans la région, même si en apparence l’accord est le bienvenu, en privé nombre de responsables des pays du Golfe restent sceptiques. Au-delà de promouvoir les projets de développement d’infrastructures, d’exploration et d’exploitation d’hydrocarbures, les diplomates chinois n’ont en effet pas l’expérience de la navigation dans les eaux empoisonnées d’une des plus toxiques rivalités de la planète.

 

 

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