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›› Technologies - Energie

Les circuits occultes de la fuite des microprocesseurs américains vers la Russie

Le 12 avril Nikei Asia publiait les résultats d’une longue enquête révélant qu’en dépit de l’embargo américain de l’automne 2022 et de son durcissement en 2023 frappant le secteur chinois des hautes technologies et leurs livraisons à Moscou, le flot de microprocesseurs sous licence américaine alimentant la Russie à partir de Hong Kong et de la Chine a été multiplié par dix.

La logique de l’embargo visant à affaiblir les performances militaires russes dans les secteurs des missiles balistiques, des blindés, des drones, du guidage, des systèmes de détection électromagnétiques, de l’imagerie nocturne et même de la gestion des stocks, tous totalement dépendants des microprocesseurs américains, a été contournée par une multitude de voies opérant sous la surface des contrôles.

La Russie a en effet continué à acquérir des « puces » par de petits intermédiaires discrets de Hong Kong et de Chine Continentale. L’évidence de la persistance des flux apparaît dans les données des douanes russes révélées par le Centre de recherches indien « Export Genius  » qui s’est intéressé aux flux de microprocesseurs entre le 24 février et le 31 décembre 2022.

Les chiffres sont implacables. Ils confirment que dans le monde du XXIe siècle d’abord traversé par un enchevêtrement infini de routes et d’interconnexions commerciales, avec leurs myriades de déviations possibles, l’étanchéité d’une « rupture » est une illusion.

Dans la seule période de dix mois, considérée par l’enquête, 3292 transactions d’une valeur 100 000 $ chacune, ont été inscrites au registre des entrées en Russie. 2358 d’entre elles soit 70% concernaient des puces fabriquées par les groupes américains Intel, AMD, Texas Instruments pour une valeur totale de 740 millions de $.

Hong-Kong et Shenzhen plaques tournantes des évasions et de l’inflation des prix.

1774 transactions parallèles soit 75% du total des flux occultes partaient de Hong Kong ou de Chine Continentale, pour une valeur de 570 millions de $. La plupart des opérateurs étaient des petites et moyennes entreprises dont – preuve de la réactivité opportuniste des commerçants chinois – certaines n’ont été établies qu’après le déclenchement de la guerre en Ukraine.

Le contraste avec la période d’avant la guerre et la décision d’embargo est saisissant. Pour la même période de 2021, le flux venant de Hong Kong et de Chine n’avait compté que pour 51 millions de $ et seulement 230 mouvements de produits de hautes technologies.

Ce n’est pas tout, l’opportunisme affairiste et l’urgence des besoins ont également drastiquement augmenté les prix comme l’indique l’enquête qui s’est intéressée aux transactions de plusieurs PME parfois opérées par une seule personne et dont les adresses à Hong Kong sont floues.

Seulement établie en avril de 2022, la compagnie « AGU INFORMATION TECHNOLOGY » qui sur son site web dit acheter ses produits directement à Intel et Samsung, mais dont l’adresse à Hong Kong n’est qu’un appartement sans plaque professionnelle, a, dans la période considérée, conduit six transactions pour un total de 100 000 $ avec la compagnie russe « MISTRAL TRADING 000 » fondée en 2007. 60% des ventes concernaient des microprocesseurs Intel, vendus 13 000 $ pièce.

Un autre acteur de ces micro-transactions échappant aux contrôles est le Hongkongais DEXP INTERNATIONAL qui, selon les douanes russes a exporté à 13 reprises des produits AMD et INTEL à la société russe ATLAS de vente en gros de composants électroniques, pour une valeur de 2,5 millions de $. Établie en 2017, DEXP INTERNATIONAL a, jusqu’en mai 2022, été financée par un investisseur russe qui en détenait toutes les actions.

Quant à la société ATLAS, elle appartient à l’oligarque Dmitry Alekseev, fondateur du groupe DNS distributeur de produits électroniques grand public, ciblé par les autorités ukrainiennes qui réclament des sanctions contre lui. Après l’invasion de l’Ukraine, ATLAS a importé des semi-conducteurs américains ou sud-coréens à 235 reprises pour une valeur totale de 49 millions de $. Son adresse est la même que DNS.

Les augmentations de prix imposées par les vendeurs opportunistes et acceptées par les clients russes sont homothétiques de l’urgence d’une demande de qualité, pour l’instant hors de portée de l’industrie russe ou chinoise des microprocesseurs (cf. l’Annexe).

L’explosion de la demande, le foisonnement des sociétés-écran, des micros-compagnies éphémères et opportunistes rendent difficiles les contremesures, d’autant plus que, dit un responsable américain du commerce des « puces », à Shenzhen et Hong Kong, où la plupart des revendeurs sont implantés, « les contrôles douaniers sont laxistes. ».

Il y a pire, les sanctions contre les contrevenants – depuis le 22 février 2022, 500 sociétés ont été sanctionnées par le Département du commerce américain – sont en partie sans effet puisque les sociétés ciblées reprennent leurs affaires en changeant de nom et d’adresse.

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ANNEXE

Au milieu de controverses budgétaires internes surgies en janvier 2023 qui contestaient l’engagement massif du président Xi Jinping de décembre 2022 de 1000 milliards de Yuans d’investissements (143 milliards de $) pour rattraper le retard des microprocesseurs chinois, la situation est marquée par trois réalités :

1) Les « puces  » chinoises ne sont pas encore au niveau de finesse des meilleurs fabricants américains et du Taïwanais TSMC qui opère sous licence américaine ; et 2) L’embargo américain du 7 octobre 2022 a porté un sérieux coup au secteur et à ses capacités d’innovation ; 3) En dépit des difficultés et des contraintes budgétaires, la résilience de Pékin ne faiblit pas.

Au moment où le Shanghaïen SMIC commercialise des puces dont la finesse n’atteint que 7 nanomètres, un ingénieur chinois du secteur, tournant le dos à la propagande technologique du régime, assimilait l’effet des sanctions américaines de l’automne 2022, sur les capacités chinoises d’innovation à « l’extinction d’un phare ».

Le retard est spectaculaire. En 2023, le Taïwanais TSMC met sur le marché une puce de 3 nanomètres (N3E) et son modèle de 2 nm est envisagé pour une production de masse en 2025. En même temps, il évoque un modèle de 1 nm.

Compte-tenu de la masse des sommes en jeu pour gagner un nanomètre de finesse, la compétition est aussi financière. Au début de 2023, l’enjeu s’est invité dans le débat interne chinois, obligeant Xi Jinping à marquer une pause dans l’élan de rattrapage.

Obstacles, résilience et avantages des ressources.

Depuis le milieu des années 2000, en Chine la prise de conscience du retard et dans une moindre mesure les financements, sont au rendez-vous. Au même moment l’Américain INTEL alarmé par les dangers du pillage technologique, calculait les avantages/risques de l’élargissement de son empreinte en Chine (lire : L’impitoyable guerre des microprocesseurs. (Suite)).

Au début des années 2000, l’Américain avait sauté le pas en ouvrant une première usine d’assemblage et de tests à Chengdu au Sichuan. Se pliant aux exigences des « royalties  » chinoises, il s’est développé au milieu des premiers raidissements de la guerre des « puces ». Lire : Compétitions, libre marché, transferts de technologies et sécurité nationale. La psychose sino-américaine des microprocesseurs. Une autre usine INTEL a été ouverte en 2020 à Chengdu, au milieu des critiques de l’administration Biden.

En dépit des obstacles, l’élan de rattrapage qui s’accompagne du recrutement d’experts étrangers et taïwanais n’a pas faibli, au moins jusqu’à la pandémie.

Un premier coup d’arrêt qui contrebalança l’attrait des primes offertes par Pékin, furent les sévères conditions de confinement de l’épidémie. Elles initièrent un mouvement de retour des Taïwanais chez eux. Le deuxième fut l’embargo de Washington qui interdit aux ingénieurs taïwanais ayant la nationalité américaine de travailler en Chine.

Face à ces déboires, l’épisode de la pandémie à Wuhan où l’activité de QINGHUA UNIGROUP fut maintenue, est un bon exemple des priorités et de la résilience chinoise. Lire Les efforts « techno-nationalistes » de Pékin et L’impitoyable guerre des microprocesseurs. (Suite).

Une difficulté qui recoupe celle du secteur de l’Intelligence Artificielle est le recrutement des talents dont la ressource globale est limitée et chère : L’Intelligence artificielle, nouvel enjeu de la compétition Chine – Etats-Unis.

Au-delà l’endurance et de la longueur de temps, les autres atouts de la Chine sont ses ressources en terres rares. Parmi elles le carbure de silicium très cher, qui augmente les performances des microprocesseurs grâce à une moindre dissipation de chaleur et de meilleures performances réactives (ou temps de commutation).

Selon le Centre International du Commerce (ITC), la Chine est de loin le premier exportateur de carbure de silicium avec 375 000 tonnes par an, devant les Pays Bas (82 000 tonnes), la Russie (48 000 tonnes), le Brésil (42 000 tonnes) et le Vietnam (35 000 tonnes). Les exportations sont destinées à 31% aux États-Unis, à 19% au Japon, 12% à la Corée du sud, 10% au Pays Bas et 5% à l’Inde.

 

 

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