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›› Editorial

Bataille contre la corruption. « Stupeur et tremblements »

Lutte contre la corruption et batailles politiques

A la vérité ce n’est pas la première fois que des membres du Bureau Politique se font épingler. Durant l’ère Jiang Zemin, le n°1 du Parti à Pékin Chen Xitong décédé d’un cancer en 2013 fut en 1995 condamné à 16 ans de prison pour corruption et comportement inapproprié ; pendant la mandature de Hu Jintao, Chen Liangyu, le maire et secrétaire du Parti de Shanghai, un des moteurs du spectaculaire progrès de la ville également marqué par l’explosion des prix immobiliers, fut démis de ses fonctions en 2006 et condamné en 2008 à 18 ans de prison pour trafic d’influence, comportement inapproprié et l’engagement du fond de sécurité sociale de la ville dans des projets d’aménagement urbains et des investissements à risques.

Mais dans les deux cas, il s’agissait au moins autant des effets de batailles de factions que de lutte anti-corruption. Chen Xitong qui, après l’avoir cautionnée, fut ensuite ouvertement critique de l’intervention de l’armée le 4 juin 1989 à Tian An Men contre les manifestants, conduisait le « clan de Pékin » violemment opposé à l’accession au pouvoir de Jiang Zemin. Quand à Chen Liangyu, il s’était ostensiblement et systématiquement élevé contre la politique de rééquilibrage social et géographique (l’ouest déshérité contre l’est) du tandem Hu Jintao – Wen Jiabao. Les prises de position de Chen contre les rigidités marxistes et ses altercations avec Wen Jiabao qu’il accusait d’être un obstacle au développement du pays étaient de notoriété publique.

Dérives cupides et complexité des chapelles politiques

C’est aussi un fait que l’actuelle tempête anti-corruption qui secoue le pays recèle comme les précédentes les âpretés impitoyables de luttes de pouvoir où l’on croise, sans qu’il soit toujours possible des les distinguer clairement, à la fois le clan des « fils de prince » dont fait partie le président Xi Jinping qui recoupe par nécessité ou par conviction les tenants d’une modernisation éclairée des structures de développement, et les chapelles conservatrices où se bousculent les intérêts corporatistes ; la coterie de la ligue de la jeunesse, point d’appui et base arrière de l’ascension de Hu Jintao et Li Keqiang marquée par un très fort tropisme social ; et enfin les « populistes » révulsés par le trou noir des inégalités et les dérapages anti-sociaux, gaspilleurs et polluants des vertiges capitalistes de la Chine.

L’emballement du système à cheval entre le dirigisme d’État et le libéralisme d’entreprise sans contrepouvoir institutionnel efficace, fut accéléré par le tête à queue à la fois habile, opportuniste et idéologiquement contre nature des « Trois représentativités » de Jiang Zemin. En 2002, lors du 16e Congrès, ce dernier, confronté à l’évidence des « années glorieuses » permises par l’ouverture de Deng Xiaoping, associait officiellement l’énergie des entrepreneurs au grand mouvement de modernisation du pays, dont la dernière version en date est « le rêve chinois », leitmotiv politique de la nouvelle équipe.

Resté au pouvoir pendant 13 ans jusqu’à l’âge de 76 ans, après avoir éliminé pour cause de limite d’âge plusieurs de ses rivaux dont le réformiste modéré Qiao Shi, Jiang Zemin, « parrain » du clan de Shanghai a porté à bout de bras l’ivresse impétueuse de ce modèle articulé autour de capitaines d’industries dont il faut cependant rappeler que la plupart sont liés aux groupes publics.

A l’origine de bien des succès spectaculaires de la Chine, le schéma est aussi à la racine d’une longue série de dérèglements cupides et corrompus qui exaspèrent l’opinion et sont identifiés depuis plus de 10 ans comme un des plus dangereux talons d’Achille menaçant l’existence même du Parti. La campagne anti-corruption en cours qui ne fait que reprendre les mise en garde de l’équipe précédente, répond à cette urgence existentielle.

Une détermination sans précédent…

Mais cette fois, la bataille est menée avec une détermination et une ampleur sans précédents qui, quoi qu’on en dise, dépassent les chapelles politiques, ratissent à la fois large et haut et semblent plus articulées autour de l’objectif d’un redressement éthique vu comme un adjuvant de la légitimité du régime qu’autour de la compétition de pouvoir. Même s’il est évident que les trajectoires de carrière entrecroisées des élites, le recoupement systématique des affaires et de la politique qui n’est l’apanage d’aucune faction, contribuent à brouiller le message de remise en ordre déontologique et moral pour toujours le ravaler au rang d’une stérile lutte de pouvoir.

…Contre les tendances mafieuses

Ainsi, pour ne citer que cet exemple qui hante la haute direction du régime, les récents assauts menés contre Zhou Youngkang et Xu Caihou sont aussi présentés par leurs adeptes comme une stratégie d’élimination de leur faction. Mais cette présentation vertueuse édulcore le fait que Zhou Yonkgang, l’ancien patron de CNPC, fleuron des hydrocarbures chinois et responsable de la sécurité publique, symbole s’il en est du mélange des genres, est aussi la pointe émergée et sulfureuse d’un iceberg mafieux et criminel et que Xu Caihou, l’ancien Commissaire Politique de l’APL, affaibli par un cancer était à la tête d’un insondable système de prébendes militaires.

Dans ce jeu de dupes qui recèle un très fort potentiel de déstabilisation du pouvoir, tous les coups sont permis, y compris ceux qui consistent, à titre de contre feu, à jeter en pâture à l’opinion chinoise et aux médias étrangers les fortunes de l’actuelle équipe dirigeante accumulées par prête-noms interposés – famille ou amis - dans des comptes hors de Chine.

Pour compliquer encore les choses et obscurcir la perception extérieure de la campagne en cours, Zhou Yongkang et Xu Caihou qui voyaient venir l’orage déclenché par Xi Jinping avec l’aide de Wang Qishan, l’inflexible inquisiteur anti-corruption du régime, s’étaient regroupés derrière le sulfureux Bo Xilai, très populaire à Chongqing, dont les propositions néo-maoïstes apparurent au couple Zhou et Xu comme leur dernière planche de salut.

Le projet politique de Bo était en effet à contre courant du droit et de l’éthique dont les exigences de transparence sont mortelles pour l’opacité mafieuse, mais que le secrétaire général de Chongqing présentait comme une solution chinoise originale affublée de la vertu consensuelle de la « cogestion socialiste ».

L’impression qu’avec cette alliance, Zhou et Xu, pour l’heure les plus hautes cibles de la stratégie anti-corruption du Bureau Politique jouaient là leur dernière carte est confortée par la rumeur qui courait en 2012 d’un projet de renversement de Xi Jinping par une révolution de palais. Vrai ou faux, le surgissement même de cet écho insolite, réminiscence d’une époque de troubles politiques vieille de plus de 30 ans qu’on croyait révolue, attestait que le régime était à nouveau entré dans des eaux tumultueuses.

….Et contre les illusions populistes…

Enfin, dernier parasitage d’une appréciation déjà fort complexe encombrée de malentendus, les sympathies dont se réclamait Bo Xilai, opportuniste de pouvoir aux références morales et éthiques aléatoires, plongeaient aussi leurs racines dans la mouvance de la « nouvelle gauche », ulcérée par les effets cupides et anti-sociaux du développement chinois à laquelle Xi Jinping avait à son arrivée à la vice-présidence en 2007 prêté une oreille attentive.

Il faut dire que le mouvement de pensée dont Bo Xilai se faisait le héraut, avait l’immense avantage de proposer l’illusion de la synthèse politique. Aux nationalistes, il offrait une solution purement chinoise ; aux conservateurs souvent à la tête de très gros avantages acquis, un alibi pour freiner les réformes de structures assimilées à un alignement sur des préceptes étrangers, mais touchant à leurs intérêts ; aux corrompus un expédient pour perpétuer l’opacité et se protéger des mises à jour ; et aux adeptes du rééquilibrage social, une stratégie apparemment opérationnelle de réduction des inégalités. Mais porté par des attitudes rappelant les affres maoïstes de la manipulation populiste des masses à des fins de pouvoir personnel, le mouvement a crée un effet révulsif dans les strates élevées de la hiérarchie du régime.

Tel est l’arrière plan de l’offensive anti-corruption sans précédent en cours, dont l’ampleur, la vigueur, attestées par la fréquence ininterrompue des mises en accusation et la nature même des cibles constituent une première depuis trois décennies.

Photo Quelques acteurs nouveaux et anciens des luttes de pouvoir. De gauche à droite et de haut en bas : Hu Jintao, Xi Jinping, Wen Jiabao, Jiang Zemin, Zhou Yongkang, Bo Xilai.


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