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Complexités thailandaises et aléas de la démocratie

Lee Kuan Yu et Tocqueville revisités.

Au-delà, la crise renvoie à des interrogations déjà anciennes. Comment en effet concilier l’idéal de la démocratie s’appuyant sur la participation éclairée du peuple souverain, avec les rémanences des « valeurs asiatiques » en Asie, chères à Lee Kuan Yu qui, se méfiant du principe des libertés politiques individuelles, privilégient le consensus qui est le résultat d’allégeances complexes, la prévalence des intérêts de la communauté sur ceux des individus, les pouvoirs forts et, au risque de fragiliser le principe d’opposition démocratique, le respect souvent inconditionnel de l’autorité.

Plus largement, l’affrontement en cours pose des questions importantes pour l’évolution même des démocraties, dont les principaux critiques ne se privent pas de rappeler que ce système - « le plus mauvais à l’exception de tous les autres » selon W Churchill -, a, dans un passé récent, permis l’accession au pouvoir en Europe des plus grands tyrans et assassins de l’histoire moderne. Même sans aller jusqu’à ces extrêmes, chacun sait bien à quel point les principes démocratiques sont facilement dévoyés et manipulés par les groupes de pression.

A l’ère des nouvelles techniques d’information qui favorisent la participation d’un nombre plus grand d’individus, affranchis des lobbies, des pressions et des manipulations, avec ou sans attaches corporatistes, partisanes ou politiques, l’assimilation systématique du vote majoritaire à l’intérêt général commence en effet à poser problème. Il est vrai que les affrontements en cours en Thaïlande sont aussi sous-tendus par des querelles de clans et de personnes. Le PAD est en effet aussi dirigé par des hommes d’affaires rivaux de Thaksin et peut-être jaloux de son succès ; il est aussi une alliance de conservateurs inquiets du déclin du pouvoir de la monarchie.

Mais au-delà, la question qui agite les élites thaïlandaise et interpelle la monarchie est bien celle-ci : la majorité acquise à Thaksin représente t-elle vraiment l’intérêt général du pays ? Avec le corollaire suivant : quels pouvoirs faut-il accorder à un exécutif au nom du vote majoritaire, à l’heure où, selon Pierre Rosonvallon, professeur au Collège de France, de plus en plus - et c’est le cas en Thaïlande comme dans beaucoup de démocraties occidentales - « le peuple ne s’appréhende plus comme une masse homogène, mais comme une succession d’histoires singulières, une addition de situations spécifiques, au point que les sociétés contemporaines se comprennent de plus en plus à partir de la notion de minorité. »

Une réflexion qui renvoie aux intuitions de Tocqueville qui, dans « La démocratie en Amérique », écrivait : « je regarde comme impie et détestable cette maxime, qu’en matière de gouvernement la majorité d’un peuple a le droit de tout faire, et pourtant je place dans les volontés de la majorité l’origine de tous les pouvoirs (...). Lors donc que je vois accorder le droit et la faculté de tout faire à une puissance quelconque, qu’on appelle peuple ou roi, démocratie ou aristocratie, qu’on l’exerce dans une monarchie ou dans une république, je dis : là est le germe de la tyrannie. »

Mais rien n’est simple. La force du principe de majorité pèse encore de tout le poids de l’histoire. Il n’est pas près de perdre sa puissance d’arbitrage. Aujourd’hui, le pouvoir issu de pressions de la rue, quand bien même celles-ci seraient soutenues par des décisions de justice qui confinent à une épuration téléguidée, portent les stigmates d’un coup de force anti-démocratique.

A terme les opposants au « système Thaksin » qui critiquent son style, son incompétence, sa corruption ou sa brutalité n’auront donc d’autre choix que de s’opposer à lui par des moyens légaux, qu’ils soient juridiques ou parlementaires. Il ne reste plus qu’à espérer, pour la santé politique de la Thaïlande, que les pouvoirs législatif et judiciaire échapperont non seulement au clientélisme, à la corruption, mais également aux pressions politiques des ennemis du système Thaksin.


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