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Deux réflexions contraires sur le risque chinois

Le portrait « arrangé » d’une Chine édifiante.

La tentation de ne spéculer que sur la différence pour discréditer l’Occident à la fois ignorant et désinvolte, très souvent prédateur, conduit Philippe Barret à occulter des pans entiers de l’image justifiant ainsi la « mauvaise foi » dont se réclame la collection « Mauvais esprit ».

Emporté par la passion de donner une image systématiquement positive de la Chine, imputant à d’autres les causes des tensions, il affirme p.59 que jamais elle n’a entrepris de conquêtes, et que jamais elle n’a été tentée, comme le furent les Européens par une aventure coloniale.

*

S’il est vrai que l’Empire du Milieu ne s’est jamais projeté très loin au-delà des mers, la vérité oblige cependant à dire que lui aussi a exprimé une volonté de conquête. A partir du Ve siècle les Sui, les Tang, les Yuan et les Qing furent tous, à des degrés divers impliqués dans des aventures militaires contre l’ancien royaume coréen du Koguryo dont le territoire recouvrait une partie des actuelles provinces du Jilin, du Liaoning et de l’extrême orient russe.

Après avoir, par des offensives menées par terre et par mer contre les royaumes alliés de Koguryo et de Paekche (Baekje), les Tang y installèrent à partir de 660 des commanderies militaires ayant un pouvoir administratif assez proche de celui d’une structure de gouvernement colonial. Six siècles plus tard, la dynastie mongole des Yuan vassalisait toute la Corée.

Jusqu’au milieu du XIVe siècle, la dynastie de Goryeo resta « tributaire » de l’empire chinois. Enfin, même si la puissance des Mandchou a progressivement diminué à partir de l’abdication de l’empereur Qianlong, la Corée est restée jusqu’en 1894 un État vassal de la Chine des Qing, tandis que la Mandchourie - ancien Koguryo vaincu et dépecé par les Tang et d’où les Qing étaient originaires -, fut définitivement sinisée par une intense politique de peuplement.

Au sud de l’Empire se trouve un autre exemple d’une Chine « coloniale ». Imbriquée par les 15 siècles d’occupation chinoise du nord Vietnam - depuis les premiers Han, à compter de 111 av JC, jusqu’à l’indépendance complète, obtenue au début du XVe siècle, 50 ans après l’avènement des Ming -, l’histoire ancienne des relations sino-vietnamiennes est à la fois émaillée de nombreuses révoltes contre le suzerain chinois et marquée par cette puissante tutelle politique, culturelle et économique, venue du nord toujours sensible aujourd’hui.

Le soin que met l’auteur à présenter de la Chine une image exemplaire et édifiante, le conduit à quelques édulcorations de l’histoire. Certes la période des traités inégaux fut celle d’un dépeçage de l’Empire en concessions, ponctuée en 1860 par le sac du palais d’été condamné par Victor Hugo, suivie 59 ans plus tard par l’humiliation du traité de Versailles attribuant le Shandong au Japon. A la racine du nationalisme chinois, la désinvolture des vainqueurs de la Grande guerre fut 2 ans plus tard la matrice de la naissance du Parti Communiste arrivé au pouvoir 30 ans après le « mouvement du 4 mai ».

Il reste que la période trouble et violente des traités inégaux fut aussi le théâtre de très cruels débordements de fureur dont furent victimes d’innocents ressortissants étrangers et français.

L’arrière-plan de sourde hostilité populaire à la présence étrangère attisée par les conservateurs humiliés par les défaites successives de la Chine fut en juin 1870, dix ans après le sac du Palais d’été, à l’origine du massacre du Consul de France et des religieuses de Saint Vincent-de-Paul à Tianjin (Tientsin).

Bernard Brizay, auteur de « La France en Chine du XVIIIe siècle à nos jours » y souligne la vindicte particulière dont furent victimes les Français : « La foule se répand aux cris de : “tuez d’abord les Français et ensuite les autres étrangers“ ».

Les excès édulcorés du Maoïsme.

Enfin, toujours animé par l’intention de dépeindre la Chine de manière positive, Ph. Barret survole de manière un peu rapide les catastrophes maoïstes. Certes la légende qui n’est pas usurpée attribue au « Grand Timonier » le mérite d’avoir mis fin à un siècle d’humiliations du « Grand Empire » malade.

Pour autant, là aussi, la vérité oblige à dire que la rédemption eut un prix humain exorbitant. Résultat d’une vision impitoyable du pouvoir, elle prétendait non seulement faire table rase de la longue histoire du pays, assimilée pour solde de tout compte à des « vieilleries féodales » jusqu’à même envisager de supprimer les caractères de l’écriture (il ne fut pas le seul), mais aussi et surtout, elle fut l’arrière-plan du projet de « changer l’homme chinois par la terreur ».

Dans ses livres critiques du Maoïsme, Simon Leys rappelle que « le petit livre rouge » contenait des préceptes d’exécutions sommaires définissant, durant la guerre civile, des quotas obligatoires d’assassinats, après des procès expédiés, des « paysans riches », ou à défaut des « moyens riches ».

Quant aux deux catastrophes majeures du long règne de Mao, « le grand bond en avant » et la si mal nommée « révolution culturelle » que Philippe Barret n’évoque qu’en passant, trouvant même des effets positifs de promotion sociale à la « révolution culturelle », elles furent les deux exubérances démesurées de son esprit démiurge.

La première prétendait « rattraper la Grande Bretagne en 30 ans », tandis que la deuxième qui déclencha le chaos de la jeunesse pour reprendre le pouvoir que l’échec du « grand bond en avant » lui avait ôté, martyrisa le Parti. Ce dernier en a gardé une puissante amertume. A propos du « grand bond en avant » lire, le récit de Yang Jisheng cité dans livre de Barret.


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