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Fu Ying analyse les tensions sino-américaines

Le 12 septembre le Quotidien du Peuple a publié une tribune de Madame Fu Ying ancienne vice-ministre des Affaires étrangères et actuelle présidente de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée Nationale Populaire.

Venant d’une des personnes du sérail politique chinois connaissant le mieux la pensée stratégique américaine et occidentale sur l’évolution de la Chine au cours des 30 dernières années, l’analyse qui suggère à Pékin de rester ferme à la fois sur ses choix politiques et face à Washington, tout en maintenant ouvertes les portes du dialogue, clarifie sans détours l’actuelle affirmation du régime autour d’une altérité philosophique et politique chinoise rejetant les « valeurs universelles » prônées par l’Occident.

*

A 65 ans, Fu Ying peut se prévaloir d’une expérience internationale hors du commun dans le Parti, même parmi les diplomates. Originaire de Mongolie intérieure où elle est née, mais ayant complètement assimilé la culture Han, issue de l’armée des interprètes formés à l’Université des Affaires étrangères de Pékin, maîtrisant parfaitement l’anglais après un doctorat de droit civil obtenu à l’Université de Kent, Fu Ying, promue par la machine politique au statut d’emblème féminin d’une diplomatie rationnelle, pacifique et conciliante a, au cours de ses 40 années de carrière, tenu trois postes d’ambassadeur de Chine, dans trois pays proches de Washington, traversés par la crainte de la montée en puissance de la Chine.

Aux Philippines (1998 – 2000) sous le Président Estrada, successeur de Fidel Ramos, à l’époque l’un des plus fidèles alliés des États-Unis ; en Australie (2003 – 2007), 4 années sous l’égide du Premier Ministre John Howard, période durant lesquelles elle a observé le ralliement de Canberra à la guerre en Irak après les attentats du 11 septembre et sa méfiance stratégique à l’égard de la montée en puissance de la Chine ;

A Londres enfin, de 2007 à 2009 où elle fut témoin des réticences anti chinoises du travailliste Georges Brown qui, mis sous pressions par les ONG des droits de l’homme après les troubles au Tibet au printemps 2008, n’assista pas à la cérémonie d’ouverture des JO de Pékin.

Pendant cette période, Fu Ying observa aussi les contrecoups européens de la crise des « subprimes » aux États-Unis et la difficile mise en œuvre d’une réaction coordonnée dans la zone euro. Durant son mandat et en dépit du traité de Lisbonne (décembre 2007) renforçant les institutions européennes, malgré l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie, elle n’aura pas manqué de constater les hésitations de l’Union après les échecs en 2005 des référendums constitutionnels en France et aux Pays Bas.

C’est à partir de cette période que les stratégies chinoises ayant un temps considéré que l’UE pourrait être un contrepoids global à Washington, se recentrèrent clairement autour des relations d’État à État, Bruxelles, reculant aux yeux du régime à un rang de moindre importance stratégique. Lire : 20e sommet Chine – Europe à Pékin. La marginalisation de l’Union.

A Munich, au printemps dernier, lors de la conférence annuelle de Sécurité, Fu Ying fut la voix sereine, modeste et apaisée de la Chine au milieu de rudes attaques allemandes de Sigmar Gabriel, ministre des Affaires étrangères qui accusa Pékin et Moscou de vouloir « désunir l’Europe », cherchant, sous le nez de Bruxelles, des relations d’État à État par sa politique de la « carotte et du bâton » [1].

Au cœur des critiques de Gabriel, les projets des « Nouvelles routes de la soie » où, disait-il, Pékin engageait des capitaux considérables pour promouvoir « un système de valeurs différent de celui des Occidentaux ».

Les déboires américains en Chine

Dans l’article du Quotidien du Peuple reprenant un discours prononcé devant l’Institut Politique de « l’Asia Society », Fu Ying évoque les frustrations américaines, de n’avoir pas réussi à modeler la Chine à l’image des États-Unis. Perceptible dans l’ensemble du spectre politique – Républicains et Démocrates confondus –, l’amertume des élites est, dit-elle, d’autant plus rude que Washington avait fait l’effort d’appuyer l’adhésion de Pékin à l’OMC en 2001.

Dans ce contexte, écrit-elle, toute la classe politique à Washington, choquée que la Chine ait tiré profit de cette circonstance pour hausser sa puissance économique, commençait à craindre pour son statut de première puissance de la planète et pour son rôle en Asie Pacifique d’où – crainte ultime des stratèges américains - le renforcement et la modernisation de l’APL viseraient à en chasser l’armée des États-Unis.

Pour autant, elle ajoutait que la crainte et l’hostilité américaine à l’égard de la Chine ne s’étaient pas encore cristallisées, Washington pouvant, à la longue, s’ajuster par pragmatisme aux réalités chinoises. La fermeté de Fu Ying devenue une avocate fervente et inflexible des « caractéristiques chinoises », exprimait ainsi l’espoir du sérail politique chinois qu’un accommodement restait possible avec Washington.

Après ces bonnes paroles prêchant à la fois la sérénité, la détermination et la patience chinoises, son article est une charge brutale contre le prosélytisme américain auquel la Chine n’adhère pas qui, depuis la fin de guerre froide, fait la promotion planétaire des droits de l’homme et de la démocratie « avec », dit-elle, « de considérables effets négatifs pour Washington et pour les autres ».

Au passage, elle suggère avec ironie qu’au lieu de se crisper contre Pékin, les États-Unis devraient au contraire se réjouir de la résistance chinoise au prosélytisme de leurs élites voulant à toute force conformer la Chine à leur modèle.

« Un succès des stratégies de Washington en Chine aurait encore ajouté du chaos au monde. »

Note(s) :

[1S’agissant des relations de l’UE avec la Chine, la vérité oblige à dire qu’avant de se raidir en 2016, Berlin avait précisément été l’un des membres de l’UE les plus sensibles aux séductions chinoises portant le risque d’une désunion de l’Europe. Lire : Chine – Allemagne – Europe. Le grand malentendu.


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