Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

›› Chine - monde

L’ASEAN, otage de la rivalité sino-américaine

La mer de Chine du sud toujours au centre des tensions.

L’agacement des autorités américaines visible à Phnom-Penh, a probablement été renforcé par le fait qu’une fois encore, et pour la deuxième fois en cinq mois, le gouvernement cambodgien a tenté de peser sur les débats au profit de Pékin, affirmant que l’Association était parvenue à un consensus sur la « non internationalisation » de la Mer de Chine. Ce que Manille récuse.

Mais la formulation du différend est ambigüe. La Chine entend participer aux débats de l’ASEAN pour arrêter une position commune, en prenant soin d’en tenir les États-Unis à distance, tandis que certains pays comme les Philippines et le Vietnam souhaitent que l’Association se détermine en dehors de la présence chinoise.

Les Philippines, engagés dans une controverse arc-boutée avec Pékin à propos de la souveraineté sur les récifs de Scarborough - Huangyan en Chinois – situés à 500 miles nautiques à l’est de Hainan et à 130 nautiques à l’ouest de l’île de Luzon, refusent de négocier directement avec la Chine et veulent associer les autres pays de l’ASEAN, dont Hanoi, également très irrité par la Chine, mais resté étrangement muet - Hanoi a signifié son désaccord en privé et discrètement -, alors même que le ministre des Affaires étrangères philippin Rosario tentait en vain de l’embarquer dans la querelle publique.

A Phnom-Penh, c’est madame Fu Ying, vice ministre des Affaires étrangères, ancienne ambassadrice à Londres, qui a présenté les arguments chinois, plaidant l’apaisement, sur le mode habituel de la Chine, esquivant les débats publics sur les points durs des controverses. Après avoir réaffirmé que les récifs de Huangyan étaient un territoire chinois, elle a indiqué que Pékin ne voulait pas porter cette querelle dans une enceinte internationale, ajoutant – critique indirecte adressée à Washington - que « ce n’était pas une bonne idée de créer des tensions dans la région ».

Mais, en avril dernier, la même Fu Ying avait affirmé la position chinoise avec moins de diplomatie, puisque, reprenant les menaces du très populiste Global Times, qui en septembre 2001 conseillait de « punir Hanoi et Manille », elle avait indiqué que la Chine était « prête à toutes les éventualités ».

Quant aux Américains, qui, du 17 au 30 avril dernier, avaient participé sur l’île de Palawan, à des manœuvres conjointes avec les Philippins, dont le thème était « la reprise d’une île occupée par une force hostile », ils se sont cette fois tenus à distance des polémiques sur les questions de souveraineté, mesurant bien à quel point les querelles territoriales portaient en elles un risque d’engrenage militaire. Mais la compétition sino-américaine en Asie du Sud-est ne s’arrête pas à la question de la Mer de Chine du Sud. Washington, qui a compris le danger de ne s’exprimer que par le truchement de la menace militaire, brandit depuis le printemps dernier, une imposante stratégie commerciale.

L’offensive commerciale américaine.

En réponse à la vaste zone de libre échange Chine – ASEAN, dont une partie est entrée en vigueur en janvier 2010 avec les 6 pays les plus avancés (Singapour, Brunei, Malaisie, Thaïlande, Indonésie et Philippines), en attendant les 4 derniers (Vietnam, Laos, Cambodge, Birmanie) en janvier 2015, l’administration américaine avance son projet de « Partenariat Transpacifique », comportant des accords de libre échange entre les pays à la périphérie de la Chine et un réseau de partenaires comprenant les Etats-Unis et plusieurs pays de la zone Pacifique et des deux Amérique.

La Thaïlande a déjà manifesté son intérêt lors du passage d’Obama, tandis que des officiels du Vietnam, de Malaisie, de Singapour se sont entretenus avec lui à Phnom-Penh. Le Mexique, le Canada, le Japon, la Corée du Sud sont également partants. Washington ayant déjà des accords de libre échange avec plusieurs des pays des deux rives du Pacifique, dont Singapour, la Corée du sud, l’Australie, le Canada, le Chili, la Colombie, la Corée du sud, le Mexique, le Pérou et plusieurs pays d’Amérique Centrale, la manœuvre est clairement une riposte aux vastes stratégies commerciales chinoises.

Elles est vue par la Maison Blanche comme une injonction et une pression aux hommes d’affaires et au régime chinois de se conformer aux règles du marché, de ne pas manipuler leur monnaie, ou de respecter le droit de propriété, clairement exprimée par le Président Obama par un discours à Hawaï en novembre 2011, lors du sommet de l’APEC, mais dont il est important de préciser qu’il avait déjà un parfum de campagne électorale : « Dès mon entrée en fonction en 2008, j’ai dit aux Chinois que nous souhaitons qu’ils respectent les règles du jeu ».

Mais le paysage est encombré et les initiatives concurrentes nombreuses. Pour ajouter aux surenchères du libre échange, où on ne voit pas encore très bien comment tous les projets concurrents pourraient s’articuler les uns aux autres, le Premier ministre cambodgien a en effet annoncé au cours du sommet que les pays de l’ASEAN allaient également négocier, dès 2013, un projet concurrent du Partenariat Transpacifique américain, avec l’Inde, la Chine, le Japon, la Corée du Sud, la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Une initiative immédiatement applaudie par Canberra.

Les obstacles aux projets de la Maison Blanche.

Alors que pointent les prémisses de crispations plus sévères, à la fois stratégiques et commerciales, d’autant plus hostiles que le Parti Communiste chinois confronté à une crise interne n’est pas en mesure de heurter le nationalisme populiste de son opinion en renonçant publiquement à ses revendications de souveraineté, on peut douter que Washington parvienne à rassembler derrière lui une communauté de pays, culturellement, politiquement et économiquement aussi disparates.

Au fond ces derniers hésiteront toujours à s’aligner, préférant systématiquement garder deux fers au feu. Le Chinois pour commercer et s’enrichir, l’Américain en guise de sécurité, au cas où le poids de Pékin deviendrait menaçant.

Il y a une autre réalité. L’influence de Pékin dans la zone qui s’appuie sur la présence ancestrale de réseaux de Chinois d’outre-mer sera difficile à contrebalancer, même s’il est vrai que la tendance à l’accumulation quantitative, consubstantielle des stratégies commerciales des hommes d’affaires chinois, risque ça et là de provoquer des réactions de crispation en retour de la part des locaux, et dont l’histoire de la région est émaillée, au Vietnam, en Indonésie et en Malaisie. Enfin la zone est aussi marquée par un extraordinaire enchevêtrement de cultures parfois antagonistes, dont les pouvoirs politiques doivent s’accommoder. Ce qui ne prédispose pas au manichéisme des stratégies de Washington.

*

Dans ce vaste espace de 5 millions de km2, peuplé de 610 millions d’habitants, à cheval sur le continent eurasiatique et la Mer de Chine, composé de territoires enserrées entre la Chine et l’Inde, et d’immenses archipels difficilement contrôlables, les ancestrales matrices culturelles de l’Hindouisme, du Bouddhisme et de la Chine, sont concurrencées par une très forte proportion de musulmans, convertis depuis le VIIIe siècle.

Les affirmations religieuses des communautés islamiques, parfois concurrentes entre elles et assez souvent intolérantes envers les autres minorités, parfois moteurs de mouvements séparatistes, constituent des facteurs d’insécurité latents en Indonésie, aux Philippines et en Thaïlande, tandis qu’en Birmanie, l’ethnie musulmane des Rohingya est aujourd’hui victime de pulsions racistes qui confinent au nettoyage ethnique, et dont la persistance commence même à affaiblir l’image d’Aung Song Suu Kyi.

Si on ajoute que, dans la plupart des pays, la démocratie et le respect des droits de l’homme qui constituent les bannières de ralliement politique de l’administration Obama, ne sont respectés que de manière aléatoire ; que, partout, persistent des ambiguïtés politiques, abritées derrière les apparences du Droit, qui favorisent la pénétration des connexions chinoises, tandis que l’écart se creuse entre les plus riches et plus pauvres, créant un potentiel de forte instabilité politique, on mesure les difficultés d’une coalition articulée autour des règles du droit, destinée à faire pièce aux stratégies d’influence de Pékin.

La proportion des laissés pour compte est en effet considérable dans plusieurs pays de la zone (en Indonésie, cible stratégique de la Maison Blanche, pour faire contrepoids à Pékin, plus de 100 millions de personnes vivent avec à peine 60 $ par mois, tandis qu’au Vietnam, ils sont encore plus de 30 millions).

Enfin, la zone compte toujours deux partis communistes au pouvoir au Laos et au Vietnam, une tendance au parti unique à Singapour, en Malaisie et au Cambodge, et, par-dessus tout, une puissante emprise des appareils militaires en Indonésie, aux Philippines et en Thaïlande qui tirent parti des irrédentismes politiques ou religieux pour renforcer leur pouvoir, dans une situation de quasi autonomie politique par rapport à leurs gouvernements.

La difficulté d’unifier la région derrière la bannière étoilée, ou même de créer une cohésion au sein de l’ASEAN, dans un contexte de forte rivalité stratégique sino-américaine, s’est exprimée de manière presque caricaturale en Thaïlande qui vient d’accueillir successivement, et à très peu d’intervalle, encadrant le sommet de Phnom-Penh, le Président des Etats-Unis, dont Bangkok est l’un des plus anciens alliés militaires, et le premier Ministre chinois, venu mettre la dernière main à un programme de construction d’infrastructures en Thaïlande et à un projet sino-thaï d’aide conjointe à la Birmanie.

Lire aussi :
Chine-Myanmar : le dilemme birman
La Chine et quelques uns de ses voisins
Le réajustement chinois en Asie. Xi Jinping à la manœuvre


• Commenter cet article

Modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

• À lire dans la même rubrique

Au Pakistan, des Chinois à nouveau victimes des terroristes

Munich : Misère de l’Europe-puissance et stratégie sino-russe du chaos

Au Myanmar le pragmatisme de Pékin aux prises avec le chaos d’une guerre civile

Nouvelles routes de la soie. Fragilités et ajustements

Chine-UE. Misère de l’Europe puissance, rapports de forces et faux-semblants