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›› Société

La culture « Sang 丧 », entre dérision, cynisme et rébellion

Tensions matérielles et sociales.

Deux semaines après l’éditorial du Quotidien du Peuple, une analyse parue dans Asia Times, signée Chen Yawen et Tony Munroe s’emparait du sujet pour expliquer « le sentiment d’échec d’une génération découragée », dans une société ultra compétitive, où les diplômés sont mal payés, l’immobilier hors de prix et le mariage devenu un luxe inaccessible.

Sous la forte pression de la famille où l’échec est intolérable, les enfants uniques devenus une partie des filets sociaux des grands parents dans une économie moins brillante qu’il y a 15 ans, commencent leur vie matérielle - quand ils sortent de l’université -, à l’aune de leurs 4000 Yuan (500 €) mensuels (en baisse de 16 % cette année) au milieu de la jungle des 8 millions de diplômés d’études supérieures tous animés de la féroce volonté de réussir.

Sur l’évolution des liens sociaux et le fardeau des jeunes génération lire :
- Modernité et familles élargies. Émancipation des femmes et divorce.
et
- Urbanisation, mutations sociales et défaillances du lien filial.

Même les étudiants rentrant de l’étranger diplômés de grandes universités américaines ou européennes les 海归 - Hai Gui [1] - sont à la peine avec leurs salaires mensuels à 6000 Yuan (800 €), très en-dessous de leurs espoirs.

Sur le marché immobilier des grandes villes comme Pékin et Shanghai, passé au rouge en 2016 où les prix ont augmenté de plus de 35%, un appartement de deux chambres coûte plus de 700 000 Euros, soit encore 70 fois le revenu moyen annuel par tête à Pékin, malgré un récent freinage de la hausse, résultat des mesures prises par le pouvoir pour tenter de tenir à distance le risque d’éclatement de la bulle immobilière.

Une récente enquête a montré que la plupart des 8 millions de locataires étaient des jeunes nés après 1980, vivant dans des appartements dont les loyers avaient augmenté de 33% en cinq ans. En juin dernier le prix moyen des locations dans la capitale était de 2478 Yuan par mois (318 €), soit 58% du revenu moyen, ce qui oblige les jeunes à vivre dans des faubourgs éloignés [2].

Une contestation politique ?

Mais, très au-delà des questions matérielles, le malaise prend peut-être racine dans la nature de plus en plus rigide des rapports entre le pouvoir et la société. En juin, une étude de l’Académie des Sciences Sociales effectuée dans 200 universités chinoises estimait que le phénomène était aussi un symptôme résultant de la disparition des canaux d’expression des frustrations, pour la plupart sévèrement censurés.

L’analyse renvoie directement aux fragilités d’un système politique uniquement préoccupé de croissance matérielle et de « stabilité sociale » au détriment de l’expression individuelle et même du droit des individus que le régime prétend pourtant promouvoir.

Il y a trois ans un article de QC signé François Danjou mettait déjà le doigt sur cette dangereuse vulnérabilité que Xi Jinping lui-même ne peut pas ignorer : « Le 11 mars 2013, lors de la 12e ANP, Sun Liping, 孙立平 qui fut le professeur de sociologie du Président à Qinghua, dressait un bilan inquiétant de l’état de la société et de ses relations avec le pouvoir, et publiait sur son blog un court article intitulé « La troisième phase de la déroute du pouvoir – 权力溃败 的 第 三 阶段 Quanli Kuibai de Di San Jieduan ».

Lire : Reconstruire le lien entre le pouvoir et la société.

L’article faisait suite à une première analyse de la question publiée en 2009, citant déjà Sun Liping qui mettait en garde contre les risques de « sclérose » de la société chinoise étouffée par le quadrillage policier et la censure, à l’époque mise en œuvre par Zhou Yongkang.

Lire aussi : Reprise en main « culturelle » par le Comité Central.

Or depuis ces années, la dérive répressive commencée avec l’équipe précédente sous Hu Jintao, loin de s’être allégée, comme certains observateurs l’espéraient, s’est considérablement renforcée avec le développement inflexible de la censure, la mise au pas des juges et des avocats des droits et le « recadrage » idéologique des universités et des médias.

L’avenir du mouvement « sang 丧 » dont la puissance reste encore à démontrer, appartient aux spéculations.

La question centrale est celle de savoir si le pouvoir, se laissant aller à ses tendances répressives, tentera de le tuer dans l’œuf ou si, tenant compte de l’alerte diffusée par les très préoccupants symptômes exprimés par la jeunesse – balançant entre désespoir, cynisme et autodérision - il s’efforcera de renouer avec elle autrement que par des slogans nationalistes.

*

En attendant, l’opportunisme commercial qui, dans le Monde Chinois n’est jamais bien loin de la surface, s’est emparé du mouvement. Xiang Huanzhong, 29 ans ayant identifié que les frustrations de la jeunesse ne feront que croître, à lancé la chaîne des salons de thé « sang » où se réunissent les adeptes de la pensée qui, pour l’heure, flotte entre l’expression peut-être passagère d’une mode adolescente, l’autodérision et la rébellion contre la culture de la prouesse économique et sociale.

Le malaise de cette partie de la jeunesse refusant de se couler dans le moule idéologique ambiant, prend racine dans le rejet de la pensée positive de puissance et de réussite, devenue le standard presque unique réglant les rapports du Parti à la société.

Teinté de nationalisme diffusé à jets continu par la propagande, seulement corrigé par l’attention portée aux écarts de revenus cependant difficiles à résorber du fait même du mode croissance articulé aux grands groupes et aux banques publiques, le message du Parti n’est pas en phase avec cette partie des Chinois aspirant à moins de compétition et moins de violence sociale.

Note(s) :

[1Lire à ce sujet : Accélération de l’immigration et retour des « cerveaux » expatriés. publié par QC en 2010 qui décrivait la situation très favorable des « Haigui » à l’époque professeurs installées aux États-Unis courtisés par le régime et revenus en Chine. Celle des étudiants rentrant directement après leurs études est moins gratifiante.

[2Au mois de novembre 2017, les prix immobiliers à Pékin étaient les suivants : loyers moyens au centre ville d’un appartement F1 (Une chambre) 5852 Yuan (750 €) ; d’un F3 (1880 €) ; Prix de vente au m2 : 13 000 €, nettement plus élevé que les prix des 1er et 2e arrondissements à Paris, presqu’aussi élevés que dans les quartiers les plus chers de Londres (14 700 €).

Même s’il est vrai qu’une valeur moyenne des revenus n’a pas beaucoup de sens compte tenu des écarts, notons à titre indicatif, que, le salaire moyen après impôts en Chine reste très en-deçà des valeurs françaises puisqu’en 2017 il est toujours à 8114 Yuan (1042 €), contre 2225 € en France. Plus objectif : le salaire minimum moyen en Chine – qui diffère en fonction des provinces – est de 1200 Yuan (154 €) contre 1153 € net, pour 35 heures en France (1480 € brut).


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