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La foire du livre de Francfort. Les embarras de la liberté d’expression

Mais il serait injuste et incomplet de réduire le compte rendu de cette participation chinoise tumultueuse à un événement culturel occidental, symbole de la liberté d’expression, en focalisant uniquement sur les crispations politiques des apparatchiks.

Parmi la centaine de livres traduits en allemand - la Chine a mis sur la table 500 000 Euros pour ces traductions - et officiellement autorisés, la foire a aussi fait connaître au monde une série d’œuvres modernes qui peignent la face la plus noire de la société chinoise, avec ses trafics d’êtres humains et de drogue, ses dérives de corruption, ses nouveaux riches cyniques et dépravés, dont la publication aurait été impossible, il y a seulement quinze ans.

A quelques exceptions près, originaires de Taiwan ou de Hong Kong, tous les auteurs officiellement présentés par la Chine étaient issus du Continent. Certains sont connus, tels Wang Meng, Liu Zhenyun, Yu Hua, SuTong ; d’autres pas du tout ou beaucoup moins : le poète des affres de la révolution culturelle Ye Yanbi, ou Yang Hongyin, Li Er, Chen Ran, He Shen, Dong Xi, Zhao Benfu, Tian Er, Ge Shuiping, Fan Xiaoqing, Li Jingze, Xu Zechen, Li Jie (alias Annie Baobei) , Xu Yigua, Jing Yongming. Les organisateurs allemands ont également fait une place à quelques auteurs non reconnus par Pékin tels les francophones François Cheng et Dai Sijie.

Voilà bien cette Chine déroutante, dont la société colorée et diverse est apparemment de plus en plus libérée, mais dont le pouvoir opaque, accroché au dogme du Parti unique et à la philosophie de Confucius revue et corrigée par la propagande, s’essaye timidement aux échanges d’idées, tout en prétendant contrôler la parole et les écrits des Chinois à l’extérieur.

A cet effet, il n’hésite pas, si nécessaire, à faire pression sur les gouvernements, comme ce fut récemment le cas, avec d’ailleurs des succès variables, pour limiter l’expression de ses intellectuels critiques, celle du Dalai Lama ou de la dissidente ouïghour Rebiya Kadeer.

A l’intérieur, la publication, qu’elle soit chinoise ou étrangère, est contrôlée par le biais de 579 maisons d’édition publiques - contre plusieurs milliers d’éditeurs privés dans chaque grand pays occidental -, qui impriment chaque année plus de 150 000 livres, tous passés au crible.

Sont particulièrement visées par l’armée des censeurs les attaques directes contre les hommes au pouvoir et le Parti, contre l’image retouchée et politiquement correcte des relations du pouvoir avec les minorités ethniques, ou les allusions aux événements de Tian An Men.

Il n’est pas anodin de signaler que ces censeurs appartiennent à l’administration générale de l’information et de la publication (Xin Wen Chu Ban Cong Shu), organisme qui était aussi le correspondant chinois officiel des organisateurs du salon.

Pourtant, et comme pour ajouter aux contradictions chinoises et à la complexité de décrypter ce pays, alors que des dizaines de journalistes et d’auteurs sont emprisonnés et que le pays est classé 167e sur 173 pays au palmarès des libertés d’information par l’ONG « Reporters Sans Frontières », des publications au contenu très contestataire ou des petites librairies privées vendant des livres interdits ailleurs survivent dans la jungle inextricable et colorée des médias chinois, tandis que les échanges sur Internet sont étonnement libres et dynamiques.

Il reste que, s’il est vrai que le Parti, a laissé la bride sur le cou aux Chinois dans bien des domaines et ferme parfois les yeux sur les controverses sociales et, dans certaines limites politiques, il demeure en revanche inflexible dès lors qu’on touche à son pouvoir et qu’on ose contester trop publiquement sa légitimité politique.

Et quand à l’extérieur il tente de modifier son image aride, industrielle et mercantile d’usine du monde et de commerçant à succès, c’est encore d’une manière calibrée, en s’efforçant de contrôler strictement la parole chinoise exportée, ou en remettant au goût du jour le rassurant Confucius, dont les Instituts fleurissent partout dans le monde, symboles de la nouvelle « puissance douce » de la Chine.


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