Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

›› Chine - monde

Le dialogue stratégique Chine – Etats-Unis dans la bourrasque de la politique intérieure chinoise

Le malaise chinois, homothétique des hésitations américaines.

Pékin n’était cependant pas plus à l’aise que Washington. Après avoir retrouvé sa famille, l’avocat aveugle qui avait d’abord affirmé vouloir rester en Chine, fit volte face, se dit « déçu par les réactions américaines » qui le poussèrent à quitter l’ambassade, répéta qu’il ne se sentait pas en sécurité et réclama l’asile politique. A quoi la direction chinoise, prise à contrepied, répondit qu’elle assurerait sa sécurité et qu’elle faciliterait son départ aux Etats-Unis pour y étudier le droit dans une université à New-York, Washington ou Seattle.

Simultanément, jouant de la fibre nationaliste, et alors que le Quotidien du Peuple restait très discret, plusieurs journaux de Pékin contrôlés par Liu Qi, le Secrétaire Général de la capitale, tentèrent, le 4 mai dernier, de déconsidérer l’ambassadeur américain Garry Locke, expliquant que son origine chinoise était trop lointaine pour qu’on puisse espérer une attitude positive de sa part, et présentant Chen comme un traitre à la nation.

Mais, constatant que les articles avaient provoqué une forte réaction négative des réseaux sociaux chinois, les Nouvelles de Pékin cofondées par le célèbre « Clarté » (Guangming 光明) et la nébuleuse du Journal du Sud (Nanfang Ribao 南方日报), ardant promoteur d’un contrepouvoir des assemblées locales et nationale, publiait la nuit suivante, sur son compte Weibo, un mot d’excuse étrange, sibyllin et pittoresque : « Dans le silence de la nuit, enlevant notre masque hypocrite, nous présentons nos sincères excuses. Bonne nuit ».

Les lignes apparurent au-dessus de la photo d’un clown triste fumant une cigarette, seul, devant le chapiteau d’un cirque. Beaucoup considérèrent qu’il s’agissait là des excuses du journal après les attaques contre Chen. Fait extraordinaire, le texte resta en ligne 24 heures et fut diffusé plus de 10 000 fois avant d’être effacé du site.

Un article du Washington Post, publié le 5 mai, jugeait même que l’initiative isolée des Nouvelles de Pékin pour mettre fin aux réactions agressives du net, probablement dans le but de restaurer sa réputation d’objectivité critique malmenée par l’éditorial agressif contre Chen publié la veille, signalait le plus grand échec de la propagande du Parti jamais observé.

Le malaise de la direction chinoise ne pourra que s’amplifier à mesure que Chen continuera à s’épancher publiquement sur les menaces et les mauvais traitements subis en représailles par ses proches au Shandong.

Mise à jour le 20 mai.

Le 19 mai, Chen a été autorisé à se rendre aux Etats-Unis avec sa femme et ses deux enfants. Sa mère et son frère sont restés en Chine. Voyageant en classe affaire, payé par le Département d’Etat, l’avocat activiste et sa famille sont arrivés le même jour à New-York. Chen, qui ne parle pas Anglais, y suivra des cours de droit dispensés en Chinois.

En arrivant, il a remercié le gouvernement américain pour son aide et la Chine pour avoir fait preuve de « calme et de mesure ».
Il a aussi déclaré qu’au cours des sept dernières années, dont 4 passées en prison et le reste en résidence surveillée, il n’avait pas connu de paix véritable. Il arrivait donc aux Etats-Unis pour se reposer physiquement et mentalement. Les activistes des droits de l’homme ont insisté pour que les parents et les amis de Chen restés en Chine soient protégés.

La rapidité avec laquelle le gouvernement chinois a autorisé son départ montre l’intention du Bureau Politique de calmer le jeu d’une affaire devenue encombrante, révélant les lacunes de l’état de droit dans un pays où la bureaucratie semble au-dessus des lois. L’empressement de la Maison Blanche est une réponse au parti républicain qui accuse le Président Obama d’avoir mal géré l’incident.

Commentaires.

1.- S’il est vrai que l’épisode a assombri le dialogue stratégique, on constate une extrême discrétion de la délégation américaine. Celle-ci a en effet choisi de ne pas mettre de l’huile sur le feu, tout en obtenant à la fois la promesse que le Parti assurerait la sécurité de Chen et faciliterait son départ pour les Etats-Unis. Le 19 mai, Pékin a tenu sa promesse, probablement en échange que Chen Guangcheng s’abstienne de tout activisme antichinois aux Etats-Unis.

2.- Les circonstances de la fuite de Chen mettent en évidence l’existence de réseaux occultes souterrains bien organisés à Baoding et dans le Shandong, liés à la mouvance des églises protestantes américaines. En revanche, l’appui direct de l’ambassade américaine que beaucoup d’observateurs soupçonnent, n’est pas avéré, même s’il est possible.

3.- Pour le Parti, l’affaire n’a pas le même impact que la secousse provoquée par la chute de Bo Xilai qui révélait un dysfonctionnement dans les plus hautes strates du système, en même temps que le comportement amoral d’une famille de l’aristocratie du Parti.

Chen Guangcheng, est certes un activiste, mais il ne peut être rangé dans la catégorie des dissidents qui remettent en cause le système politique chinois. Au demeurant ce n’est pas la première fois qu’un activiste attire l’attention des médias internationaux et suscite la réaction positive ou négative des internautes.

Il reste qu’une fois de plus les agissements étalés en public des cadres locaux brutalisant les populations en toute illégalité, sont de nature à ternir l’image du Parti, d’autant qu’il est peu probable que les caciques du Parti ne soient pas informés des agissements des cadres dans les provinces.

4.- La facilité avec laquelle Chen s’est enfui, les appuis dont il a bénéficié, la liberté avec laquelle il s’est exprimé, le silence du Quotidien du Peuple, le mea culpa nocturne du Journal de Pékin sont autant d’indices qui pourraient indiquer une césure au sein du Parti sur la manière de traiter l’affaire et, plus largement, la répression des contestations qui dénoncent le comportement brutal et inadmissible de certains cadres.

5.- D’autres sources imaginent que la Direction chinoise avait eu vent de ce qui se tramait et a laissé faire, en espérant placer la délégation américaine du dialogue stratégique en porte à faux. Ce plan n’a que très partiellement réussi.

Note de contexte.

Chen Guangcheng (40 ans) est bien connu des médias occidentaux, qui suivent son histoire depuis sa première inculpation en 2006. Avocat autodidacte, aveugle à la suite d’une maladie d’enfance, il s’est rendu célèbre en prenant la défense des femmes harcelées par des cadres locaux pour n’avoir pas respecté la politique de l’enfant unique.

En août 2006, il avait été condamné à 4 ans et 3 mois de prison pour « trouble à l’ordre public et destruction de propriété », une inculpation fabriquée et sans fondement selon ses avocats, et dont le but réel était de protéger les cadres locaux coupables de brutalités envers les femmes enceintes. Nombre de ses amis activistes, comme l’avocat Gao Zhisheng ou Hu Jia, furent également inquiétés et assignés à résidence, tandis que plusieurs membres de la famille de Chen furent harcelés.

La procédure biaisée avait, à l’époque, reçu le soutien de Luo Gan, membre du comité permanent, ancien responsable des affaires juridiques du Parti, aujourd’hui en retraite. Ce dernier avait appelé à des « mesures vigoureuses pour lutter contre les forces hostiles qui exploitent les conflits sociaux afin de saboter la Chine sous couvert de défendre le droit ».

Wikileaks révèle qu’entre avril 2007 et 2009 Chen avait fait l’objet de 37 télégrammes diplomatiques de l’ambassade des Etats-Unis à Pékin et du département d’état, qui le considérait comme l’un des cas emblématiques du dialogue sur les droits de l’homme avec la Chine, rétabli en 2008, après 6 années d’interruption.

A sa sortie de prison en 2010, Chen avait été placé en résidence surveillée à Linyi et plusieurs fois empêché de parler à la presse. Au printemps 2011 les journalistes étrangers avaient été brutalement écartés par des vigiles. Après son évasion, son épouse a été maltraitée, ficelée à une chaise pendant 2 jours, avant d’être autorisée à rejoindre son époux à l’hôpital Chaoyang à l’est de Pékin, contrôlé par l’APL .


• Commenter cet article

Modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

• À lire dans la même rubrique

Munich : Misère de l’Europe-puissance et stratégie sino-russe du chaos

Au Myanmar le pragmatisme de Pékin aux prises avec le chaos d’une guerre civile

Nouvelles routes de la soie. Fragilités et ajustements

Chine-UE. Misère de l’Europe puissance, rapports de forces et faux-semblants

A la croisée des chemins, Pékin fait le choix de « la rue arabe » contre l’Occident